Minuit – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « L’inquisitoire » de Robert Pinget. https://www.librairie-ptyx.be/linquisitoire-de-robert-pinget/ https://www.librairie-ptyx.be/linquisitoire-de-robert-pinget/#respond Fri, 20 Apr 2018 07:19:20 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7493

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de voir remuer les lèvres sans comprendre ça me fait du bien

Un homme répond à des questions que lui pose un autre. Ou des autres. On ne connait rien du contexte ni des raisons de la mise à la question. Tout ce qui nous est donné dans la suite c’est ce que nous apporte le jeu des questions et des réponses. On y apprend que le questionné était domestique pour deux frères riches et excentriques, férus d’art, aux amitiés nombreuses et parfois étranges. On y apprend que des meurtres sordides ont eu lieu dans la région. On y découvre les rivalités, les hypocrisies, les luttes d’influence et de cloché qui parcourent, toutes classes sociales confondues, la vie de province. Mais aussi, peu à peu, passant parfois discrètement d’un genre narratif à un autre, nichées dans les réponses détaillées parfois jusqu’à l’infime, par deçà les rappels à l’ordre formel du questionneur, par devers l’interdit tacite qu’il y a pour lui à sortir du cadre factuel pour lequel il est questionné, on découvre à ce domestique une vie intime, un passé douloureux, une pensée. Peu à peu, le questionné, de simple véhicule de faits, se dévoile bouleversant sujet.

mais la plupart du temps je lis mon journal et je pense, ma méditation comme dit Marthe je pense beaucoup voyez-vous ma méditation à ma table le journal me tombe des mains, ça va faire une année que j’ai quitté ces messieurs d’avoir connu des choses et des gens tout d’un coup personne rien pour me dire va ici fais ça rien qui m’oblige je me rends compte comment dire, on continue par habitude le premier pas on l’a fait autrefois plutôt l’effort mais sans trop savoir, les autres les autres c’est vite dit mais à eux qui leur disait la raison j’y pense maintenant tout ça terminé on continue nulle part, mon verre devant moi le porte-manteau la vitre avec la place et sa fontaine Henriette à la caisse les hommes au comptoir et les clients du tabac, Monnard le matin qui rend la monnaie les fonctionnaires à neuf heures moins le quart ils arrivent à la mairie on les connaissait tous et de plus en plus quand on n’a pas à répondre on ne cherche plus ça n’a plus d’importance c’est des gens, ils pourraient être autres dans une autre ville moi un autre à une autre table est-ce que je ne penserais pas pareil ayant fait je ne sais pas trois ou quatre guerres ou des révolutions ou coupeur de têtes j’aurais passé entre les gouttes trouvé une planque, assis à cette table ailleurs est-ce que je ne penserais pas pareil ces gens tous les mêmes vivants ou morts leurs mêmes histoires brèves ou non dures ou douces avec le même visage en souci pour enterrer sa mère ou prendre le train ou payer une facture, le même sourire à vingt ans devant une femme la même fatigue tous les jours à s’acharner tous les jours s’acharner ni mieux ni moins bien qu’un autre pour rien que ne pas crever je ne sais plus ce que ça veut dire je n’entends plus, voir seulement les mêmes yeux les mêmes oreilles les costumes les souliers les vélos les chiens tous pareils tous pareils à cette heure maintenant devant mon verre le journal le porte-manteau ou chez ces messieurs battre les tapis sur le pré astiquer une théière le secrétaire prendre la voiture Marthe éplucher les pommes de terre mon journal qu’est ce que je dis, arrive un jour où tout ça ne vous intéresse plus à quoi bon tant d’histoires tout à coup elles s’effacent du tableau noir avec écrit quelque chose que je ne savais pas lire je ne peux plus tout à coup je ne sais plus je tâte sous mon pupitre, le petit casse-croûte de dix heures dans une minute les oiseaux est-ce que vous n’entendez pas les oiseaux je veux dire parfois les oiseaux comme les sonneries restent là vous tenant compagnie, à mon pupitre autrefois pensant qu’un jour reviendrait le tableau sans les voix personne autour ni jeudis ni dimanches ni la table ni la cuisine ni elle tout seul devant moi le tableau disparaît le dernier mot à lire qu’est-ce que c’est tout ça on avait trop à faire, la commode en marqueterie les service à poisson dans mes mains c’est quelque chose on ne se demande pas ça y est c’est à faire, une course au village le boulanger ma sœur à voir dans ma tête quelque chose qui ne demande pas de réponse bel et bien ma vie alors quoi je pourrais refaire les mêmes choses récurer ma chambre mais ce n’est plus nécessaire elles sont ailleurs ailleurs chez les autres qui vous disent faites l’argenterie brossez mon complet je n’ai plus rien à moi mon journal me tombe, Cyrille éteindrait la lumière il fermerait le rideau je ne m’en rendrais pas compte je ne suis pas plus au Cygne que chauffant mon café ou servant l’apéritif au salon j’ai disparu de mes mains comme le verre sur la table comment dire oui disparu, ce qui me forçait à y être c’était de n’être pas mon maître et voilà je voudrais bien voir ma sœur plus souvent qu’elle me dise viens le dimanche ou viens le jeudi pour ficeler quelque chose là, retenir mon journal c’est ça le pire on est perdu pour tout le monde

Le vrai peut-il surgir du discours normé? Un discours chargé de rendre compte aussi précisément que possible du réel ne l’altère-t-il pas irrémédiablement? Comment un sujet peut-il se constituer dans le sein des contraintes que lui impose un ordre extérieur? Le vrai plaisir d’une lecture ne dépend-t-il pas moins des réponses qu’obtiendrait le lecteur à ses questions qu’à ce qui surgit indépendamment de tout questionnement? Robert Pinget parvient ici à englober dans un même écrin performatif les questions les plus « métaphysiques » et l’art de se les poser.

C’est dans la tête toute la vie pareil

Nous sommes depuis longtemps étonnés du peu d’écho que trouve de nos jours l’oeuvre de Robert Pinget. Alors qu’est parfois associée à l’évocation du Nouveau Roman (dont se réclamait bien l’auteur suisse) l’image d’un formalisme creux et cérébral (ce qui peut, par exemple, être légitimement reproché à certains livres de Robbe-Grillet), l’Inquisitoire est précisément à la fois la revendication d’une littérature incarnée, et sa mise en forme radicale. Seules, pour le découvrir, y suffiront la patience et la foi. Pour ceux qui en disposeront – sachez-le, la patience est toujours récompensée chez Pinget! – ce chef-d’oeuvre distillera cette émotion d’autant plus intense qu’ils ne s’attendaient pas à l’y trouver…

je fais l’effort je le fais même trop et le vrai se trouve à côté

Robert Pinget, L’inquisitoire, 1962, Minuit

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« Ronce-Rose » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/ronce-rose-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/ronce-rose-de-eric-chevillard/#comments Thu, 05 Jan 2017 09:11:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6442

Lire la suite]]> Ronce-Rose

 

Si Ronce-Rose pend soin de cadenasser son carnet secret, ce n’est évidemment pas pour étaler au dos tout ce qu’il contient. D’après ce que nous croyons savoir, elle y raconte sa vie heureuse avec Mâchefer jusqu’au jour où, suite à des circonstances impliquant un voisin unijambiste, une sorcière, quatre mésanges et un poisson d’or, ce récit devient le journal d’une quête éperdue.

Le quatrième de couverture a bien pour fonction d’aguicher, non de dévoiler – ou tout au plus d’en soulever un coin, de ce voile. Et si le quatrième en question revient, comme ici, sur sa fonction, ce n’est pas pour qu’un libraire, se confondant avec un herméneute, se livre à une exégèse exhaustive de la chose. Diantre, le libraire est commerçant avant tout. Et, plutôt que de s’étendre en long, en large et en travers dans une analyse circonstanciée qui pourrait dégoûter le chaland – la critique littéraire est au tiroir-caisse de librairie ce que la cryogénisation est à la libido – il est bien plus indiqué que le libraire, cet aigri aux cheveux gras et aux branches de lunettes en sparadrap, ne cherche pas à devenir calife à la place du calife. Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées!

Nous ne dirons donc pas grand’chose d’intelligent sur ce dernier opus de Eric Chevillard sinon qu’on y apprend :

  • que le savon mousse de peur, comme l’escargot bave.
  • que la responsable de ce jet d’eau en plein milieu du square n’est autre que la baleine
  • que les gens te font toujours payer leur solitude lisse
  • qu’on dit bien faire la molle et non la moue
  • que ce qui vient après le « comme » est bien plus excitant que ce qui le précède.

Nous ajoutons que ce qu’on y lit en l’ouvrant est bien le carnet de Ronce-Rose et uniquement SON carnet, que, sous ses dehors parfois primesautiers, se dissimulent plein de questions très très sérieuses, que ce Chevillard-ci plaira aux amateurs de ces Chevillard-là mais aussi à tous les autres, et surtout que c’est vachement, mais alors là, vachement bien, et que, comme on ne recule devant rien, et surtout pas devant les clichés, on y collera un gros post-it en forme de cœur sur lequel on inscrira en attaché – car qui n’est surtout pas contre les clichés ne peut l’être contre la redondance – « coup de cœur de la librairie ».

Et voilà!

Eric Chevillard, Ronce-Rose, 2017, Minuit.

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Revue Critique : Pierre Guyotat. https://www.librairie-ptyx.be/revue-critique-pierre-guyotat/ https://www.librairie-ptyx.be/revue-critique-pierre-guyotat/#respond Tue, 08 Mar 2016 07:28:45 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5877

Lire la suite]]> GuyotatAu risque de paraître péremptoire – qui ne risque rien… -, Pierre Guyotat est le seul écrivain qu’un lecteur devrait se donner la peine de lire si, pour diverses raisons, il n’en avait qu’un à lire. Pourtant, l’importance que la critique – du moins celle qui s’attelle à défricher l’espace littérature plutôt qu’à en vendre les pâles succédanés – lui reconnaît presque unanimement est à l’image inverse du nombre restreint de ses lecteurs. Cataloguée « avant-garde », « difficile », « obscure », « élitiste », « incompréhensible », son oeuvre parait ainsi condamnée à la discrétion maudite des expériences survenues trop tôt trop fort. Il n’est donc jamais trop d’une publication se donnant pour propos de l’éclairer. On ne peut donc que se réjouir que la revue Critique – qui a toujours fait montre d’une grande fidélité à l’oeuvre de Guyotat – ait décidé de lui consacrer un numéro spécial.

Ouvrant sur un inédit de 1962, La prison, suivi d’un autre, Parlerie du rat, toujours en travail et devant faire partie de Géhenne (ouvrage à paraître, depuis longtemps annoncé, et fébrilement attendu), la revue s’articule ensuite autour d’une douzaine d’articles critiques, s’intéressant chacun à une ou deux œuvres de Pierre Guyotat.

Un des premiers mérites de ce numéro spécial est, en donnant à lire ces deux textes inédits écrits à plus d’un demi-siècle d’écart, de mettre en perspective l’inlassable cheminement de son auteur. Moins essai d’y lire une évolution forcée, voire un progrès quelconque qui l’aurait fait glisser cinquante ans plus tard vers un choix différent d’écriture que mise en perspective de ses deux « façons » d’écriture, celle en langue française normative (Arrière-fond, Eden eden eden, par exemple…) et celle des textes dits « en langue » (Joyeux animaux de la misère, Prostitution, etc..), cette simple juxtaposition de deux textes permet en effet d’observer à la fois la continuité d’une recherche et la diversité des moyens mis en oeuvre pour la faire aboutir.

Une prison est l’endroit le plus bas du monde. La pensée y est couverte, le dos courbé. On s’y habitue au sordide. On ferait l’amour sur la terre battue.

Nullement obsession du sordide, ni fascination de l’abject, l’oeuvre de Pierre Guyotat est une tentative menée par son versant extrême de donner à la langue des moyens neufs pour exprimer la totalité et la beauté du monde. L’ampleur des moyens nécessaires étant à l’échelle de l’horreur qu’ils sont censés désamorcer, si le beau peut sourdre des lieux que parcourt l’auteur, alors il peut sourdre de partout.

Les textes proprement critiques, quant à eux, sont à l’image de la diversité des textes qu’ils s’essaient à couvrir comme de celle de leurs auteurs respectifs. Passionnés, jamais inutilement didactiques, souvent pertinents, ils pêchent cependant parfois par un manque d’ouverture. Plutôt destinés à un public de convaincus, ils leur apporteront plus de quoi les convaincre mieux encore qu’à élargir leur cercle. Par ailleurs – et l’exercice de la critique en revue en offre bien d’autres exemples -, ces exercices critiques sont parfois malheureusement moins une véritable tentative critique qu’une occasion prise par les exégètes de forcer le sujet « Guyotat » dans leurs catégories habituelles ou de se servir du nom « Guyotat » comme d’un piédestal sur lequel hisser le leur. On y trouvera ainsi une analyse fort inutilement « communiste » de Tombeau pour cinq cent mille soldats ou la vantarde et plus inutile encore référence au propre travail de l’exégète en mal de publicité, dans le sein de l’article même. Nonobstant ces bémols – qui finalement prêtent assez à rire -, ce numéro spécial est une excellente occasion de lire encore un peu plus à propos d’un auteur essentiel. Et, après tout, deux inédits du génial Guyotat valent largement bien quelques haussements d’épaules collatéraux…

Revue Critique, Pierre Guyotat, dirigée par Donatien Grau, avec des articles de A. Badiou, R. Brassier, C. Brun, P. Brunel, E. Coccia, M. Ferrier, T. Garcia, D. Grau, A. Jefferson, C. Malabou, T. Samoyault, E. White, M. Zink., 2016.

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« Juste ciel » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/juste-ciel-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/juste-ciel-de-eric-chevillard/#respond Fri, 20 Mar 2015 08:33:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5018

Lire la suite]]> juste ciel-Où allons-nous?

En finirons-nous jamais avec cette question si même mort, on se la pose encore?

Albert Moindre n’est plus.  N’en déduisons pas alors qu’il n’a plus rien à nous dire.  Tel Enée portant Anchise, Eric Chevillard charge Moindre mort (on vous laisse imaginer ce que peut représenter un moindre qui n’est plus) sur ses musculeuses épaules et nous convie à visiter un au-delà très loin de l’image que l’on s’en fait d’habitude.

Il se sentait bien.  Plus exactement, il ne sentait rien.  Mais n’est-ce pas là la preuve absolue de l’accomplissement spirituel et moral?

Une gigantesque bureaucratie.  Tel se découvre à nous cet après-trépas fantasmé de longue date.  Divisé en administrations, le « royaume des morts » se dévoile à Albert Moindre (et par son entremise à nous, ébahis) comme une succession de bureaux où des anges-fonctionnaires proposent au tout frais décédé divers services.  Ainsi, à côté de l’inévitable bureau des réclamations (réclamations dont on sait seulement, évidemment, qu’elles « sont bien prises en compte »), on trouve, entre autre exemple, un « bureau des élucidations ».  Où l’on propose au nouveau venu ces solutions aux innombrables problèmes ou questions qui ont, bénins ou pas, enquiquiné son existence.  Ainsi pour Moindre : Palmyre l’aimait-elle? ou Combien de tubes de dentifrice consomma-t’il de son vivant?

tout ce qu’il est possible de confronter dans une phrase se touche aussi dans le monde.

D’une écriture qui titille plus activement vos zygomatiques que jamais, Eric Chevillard démonte cette supercherie qu’est notre existence, toute entière perceptible dans ce qui la suit.  Et se propose, en dénonçant haut et fort la perfidie de cette « pieuvre omnipotente » qui nous créa si bancals, de nous rappeler cette question essentielle (que nous occultons trop souvent) : cette pieuvre, dans sa sardonique cruauté, ne nous dota-t’elle de deux pieds que pour multiplier les risques d’égarer une pantoufle?

Eric Chevillard, Juste ciel, 2015, Minuit.

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« Le tramway » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/le-tramway-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/le-tramway-de-claude-simon/#respond Tue, 13 Aug 2013 07:37:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3179

Lire la suite]]> TramwayEt de nouveau cela s’est produit.

Le narrateur se souvient du tramway qui le ramenait de l’école à la demeure que sa mère louait sur la Côte d’Azur quand une douleur l’extirpe à son flot des souvenirs et le ramène au lit d’hôpital où il gît en transit.

Alors qu’il est entouré de tout ce qui le ramène à sa finitude inexorable, tel ce vieillard du lit d’à côté, envisageant chacun de ses gestes avec l’économie absurdement prudente du dernier souffle ;

Ce misérable acharnement qu’il mettait non seulement à vivre mais à nier une déchéance qu’il incarnait jusqu’à un insupportable degré d’indécence.

Alors que comme tout malade, il s’ingénie à concentrer sa mémoire sur ce qui pourrait l’éloigner de cette expérience de sa mort, [sa] vie de malade tout entière concentrée sur une multitude de ces infimes détails, tout comme son voisin figurant d’autant mieux la mort qu’il cherche à la tromper, le narrateur n’exhume du passé que des images qui le ramènent à sa condition mortelle.  Le brancard le ramène au tramway, qui le ramène à sa mère mourante, qui le ramène aux homme-troncs, ces stigmates montés sur roues de 14-18, qui le ramènent aux châsses portées à dos d’homme, qui le ramènent à Charon…  Et l’image qui peu à peu émerge est celle de la servante, massacreuse de rats et de chatons, qui veilla jusqu’à son terme, en Erinye consciencieuse, la mère du narrateur jusqu’au bout.

Comme si entre l’animal survivant de la préhistoire et la femme qui portait sur elle cet impénétrable visage de cuir desséché, avec la même sauvage tendresse que lorsqu’elle  s’occupait de maman, existait une sorte de pacte ou de lien occulte, de silencieuse connivence, comme on ne savait quelle alliance scellée du fond des âges, plus forte que le temps et la mort.

C’est cela qu’est Le tramway.  Un exercice de mémoire.  Ou plutôt, Proust hantant ce livre-ci de Simon plus encore que les autres, une recherche du temps.  Où la mémoire, telle une vague (pouvant en même temps sentir au-dessus de moi cette chose puissante qui soulevait avec douceur la grosse barque puis l’accueillait mollement comme dans un berceau liquide puis montait de nouveau) fait affleurer sur la page en les mêlant passé et présent.  Au creux de cet impalpable et protecteur brouillard de la mémoire, le temps se retrouve tout entier comme en des points de saisie, sur un visage, un objet, rompant avec l’idée du temps-continuum.

Comme si rien – ou presque – n’avait changé.

Claude Simon, Le Tramway, 2001, Minuit.

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« Les géorgiques » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/les-georgiques-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/les-georgiques-de-claude-simon/#respond Tue, 23 Jul 2013 07:59:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3080

Lire la suite]]> GéorgiquesDe la feuille, de la feuille, du fumier et beaucoup.

Un général de la révolution, un jeune adolescent de onze ans fasciné par une représentation de l’Orféo de Monteverdi, un combattant à cheval fuyant l’avancée des troupes allemandes, un combattant républicain lors de la guerre civile espagnole.  Peu à peu émergent des éclats trois « ils » :  Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel (LSM), Georges Orwell (O.) et « l’auteur ».  Ou plutôt un il dont les contours se font et défont sans cesse, ce qu’il recouvre se fondant dans une « réalité » qu’on ne laisse jamais parfaitement advenir avant de tendre vers une autre encore.  Comme d’habitude, Claude Simon code.

Il est évident que la lecture d’un tel dessin n’est possible qu’en fonction d’un code d’écriture admis d’avance par chacune des deux parties, le dessinateur et le spectateur.

Lentement, ce il se sédimentant des êtres qu’il hante tour à tour se fixe (mais imparfaitement, s’y déposant plus que s’y fixant) sur l’aïeul de l’auteur, ce Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel jamais complétement nommé.   Participant de la prise de la Bastille, général d’artillerie, député du Tarn, membre du comité du Salut Public, votant de la mort du roi, sa vie sera faite de campagnes guerrières.  Loin de celle du Tarn que son éloignement ne lui permet de soigner que par les lettres de directives qu’il envoie à ceux supposer s’occuper de son domaine en son absence.

il corrigeait, embellissait, labourait, plantait par procuration, usant non de charrues ou de herses mais de cette encre brune, couleur rouille.

Alors qu’un Mécène confie à Virgile la mission d’éduquer l’agriculteur par la poésie, ici c’est Mars qui, de nouveau, éloigne des champs à cultiver.  Dans son exil guerrier, LSM, dont les missives parsèment le texte, sarcle et sème par le mot.  Mais, dans l’urgence des combats et de son incertitude, le mot de ces Géorgiques-ci est lui-même d’urgence et d’ordre surtout.

Comment voulez vous que j’aie la tête à tout quand je ne suis pas là et que je suis occupé des affaires de la guerre.

Car, au creux d’une nature qu’il s’agit de troubler par le fer et le feu, comment LSM pourrait-il encore vouloir peser, faire éclore et fructifier cette nature sans recourir à cet autre fer, cet autre feu des mots?

l’horreur, l’ahurissement, le scandale, la soudaine révélation qu’il ne s’agit plus là de quelque chose à quoi l’homme ait tant soit peu part mais seulement la matière libérée, sauvage, furieuse, indécente.

Que ce soit l’aïeul combattant, ou O., ou Claude Simon fuyant la déferlante allemande, ce sont les mêmes prés, les mêmes champs, les mêmes vignes, les mêmes haies à regarder, les mêmes clôtures à vérifier, les mêmes villes à assiéger, les mêmes rivières à traverser ou à défendre, les mêmes tranchées périodiquement ouvertes sous les mêmes remparts.  Et la phrase de Simon se doit alors de répéter sur le papier (pour que la feuille soit ce fumier d’où puisse sourdre le réel) ce même mouvement des saisons, comme celui des troupes armées d’Europe, s’empêtrant au travers des temps, dans les mêmes bourbiers, au mêmes endroits, pour les mêmes causes ou peu s’en faut.

On dirait que les mots assemblés, les phrases, les traces laissées sur le papier par les mouvements de troupes, les combats, les intrigues, les discours, s’écaillent, s’effritent et tombent en poussière, ne laissant plus sur les mains que cette poudre impalpable, couleur de sang séché.

Comme une tentative de négation de progrès, comme un projet parménidien d’expression de l’illusion du mouvement, la phrase s’enroule dans des limites comme souples, diffuses, auxquelles la définition même de limite semble se refuser.  Et à l’immobilité d’une humanité s’empêtrant dans les mêmes bourbiers répond celle de la phrase qui la dit, qui ne doit son apparence de mouvement qu’au désordre scintillant qui l’habille

cette quantité de remous, de retours en arrière, de boucles décrites dans des plans verticaux ou obliques donnant l’impression d’un désordre qui n’influe cependant en rien sur le déplacement de l’ensemble.

Claude Simon, Les géorgiques, 1981, Minuit.

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« La bataille de Pharsale » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-de-pharsale-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-de-pharsale-de-claude-simon/#respond Fri, 24 May 2013 08:01:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2693

Lire la suite]]> Bataille de Pharsalebataille de comment déjà mot qui veut dire, les Têtes de Chien bataille de Pharsale bataille conte les Turcs quel nom avant après Jésus-Christ pendant comment savoir le sort du monde pillum frappant entrant sortant dans.

Un narrateur imagine alternativement ou en même temps la manière dont sa maîtresse le trompe et la bataille de Pharsale.  Comme l’imagination ne se déploie qu’à partir de ce qui fait corps avec soi-même, il fait appel, pour évoquer la bataille, à des souvenirs de guerre personnels ou à des tableaux qu’il a vu et sur lesquels il projette d’écrire un essai.  S’y mêlent l’évocation d’une recherche du site exact de la bataille avec un ami grec, les souvenirs d’un décodage d’une version latine, et d’autres infimes parcelles de sens…

Le détail masque toujours l’ensemble, leur univers n’est pas continu, mais fait de fragments juxtaposés.

La page est déflagrée.  A une citation de Lucain, succède une scène de coït, la description d’une peinture de Poussin ou de Della Francesca se mêle à celle d’une fuite du narrateur à cheval devant les balles allemandes, l’analyse minutieuse, presque obsessionnelle d’un billet de banque, forme étrange écho avec la description sans cesse reprécissée du passage d’un pigeon devant les yeux de qui décrit.  Le graveleux fait place à la précision érudite, l’érudition maladive au quotidien.  La phrase se fait d’éclats, de fragments.

regardant en réalité un spectacle intérieur, peut-être la forme la couleur des mots qu’elle vient de dire comme s’ils lui apparaissaient non pas imprimés et enfermés dans des bulles mais surgissant du néant l’un après l’autre avec leurs sinuosités leurs barres leurs verticales leurs méandres leurs ondulations leurs coupures abruptes se complétant se reliant grossissant puis s’immobilisant restant là suspendus dans l’air lui aussi immobile continuant à vibrer silencieusement redoutables énigmatiques chargés de sens multiples jusqu’à ce que la phrase la réplique suivante les repousse s’installe à leur place.

Car c’est bien d’elle qu’il s’agit.  De la phrase.  Et de la bataille à mener pour la former.  Qui fait écho à celle déjà menée, enfant, pour venir à bout de la version.  De la phrase de Bataille, aussi, celle qui conjugue amour et cruauté dans l’indifférence de leur nature.

Le massacre aussi bien que l’amour est un prétexte à glorifier la forme dont la splendeur calme apparaît seulement à ceux qui ont pénétré l’indifférence de la nature devant le massacre et l’amour.

Bataille de Pharsale.  Bataille de la phrase.  Phrase de Bataille.  Alors que le je du début devient O. (zéro ou Orion?), le tout baigné d’une lumière jaune (celle de la jalousie auxquels les rappels à l’Odette de Proust nous renvoient sans cesse), dans le génie d’une phrase fragmentée dont l’unité?, le sens ? se recomposent comme magiquement dans le sujet lisant, Claude Simon nous convie à une bataille qui ne peut aboutir qu’à la répétition, qu’au retour du même.  Une phrase qui n’est que la trace d’un sublime échec.

Couchés à plat sur le sol parmi les fûts de colonnes brisés et les fragments d’architrave, les deux silhouettes enlacées aux entrailles de pierre semblent s’enfoncer dans les entrailles grisâtres et compliquées de la pierre, du temps, où seule la rumeur silencieuse de leur respiration, la trace minérale de leurs formes, rappellent leur existence.

Claude Simon, La bataille de Pharsale, 1969, Minuit.

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« La disparition de Jim Sullivan » de Tanguy Viel. https://www.librairie-ptyx.be/la-disparition-de-jim-sullivan-de-tanguy-viel/ https://www.librairie-ptyx.be/la-disparition-de-jim-sullivan-de-tanguy-viel/#comments Fri, 08 Mar 2013 09:14:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2144

Lire la suite]]> disparition de jim sullivanLe personnage principal d’un roman américain est forcément prof d’université, de littérature si possible.  Il est inévitablement divorcé, plongé jusqu’au cou dans une relation adultère avec une de ses étudiantes.  Il a des problèmes d’alcool et de relations avec son collègue concurrent de la faculté de littérature.  Il sacrifie au rite du baseball ou du hockey sur glace.  Et sa vie a bien entendu changé radicalement lors de l’assassinat de Kennedy le 22/11/1963, de l’effondrement du WTC le 11/09/2001 ou lors de la guerre en Irak.  Qui veut écrire un roman américain se doit d’en connaître les us et coutumes.  Et le narrateur de « La disparition de Jim Sullivan », lorsqu’il décide d’écrire un roman américain, le fait en toute connaissance de cause et sans volonté d’y déroger, à ces grands principes qui ont fait leur preuve dans le roman américain.

Son héros s’appelera donc Dwayne Koster, prof de littérature à l’université de Ann Arbor, divorcé de Susan Fraser, dans une relation adultère avec sa très jolie étudiante Milly Hartway.  Dwayne sera alcoolique et détestera cordialement Alex Dennis, son collègue plus beau et plus talentueux.  Le tout sur fond musical d’un mythe américain, Jim Sullivan.

J’ai longtemps réfléchi au genre de pages qu’il aurait écrites, le romancier américain, à seulement suivre Susan dès seize heures éplucher ses carottes et répartir le guacamole dans les coupelles, à vérifier cent fois la cuisson des aubergines pendant que Dwayne, en bermuda dans le jardin, se préparait déjà à enflammer le journal, avais-je fini par écrire, vu qu’à un moment, oui, bien sûr, j’étais obligé de faire comme un romancier américain, décrire vraiment les coktails dans les verres et chaque objet dans la cuisine, depuis le Kitchenaid que Susan s’était vu à offrir à Noël jusqu’à l’abri de jardin que lui, Dwayne, avait construit de ses propres mains, oui, de ses propres mains, insistait Susan tandis qu’elle faisait visiter la maison à Kimberley, ainsi qu’on le fait aux Etats-Unis, où les femmes font visiter leur maison beaucoup plus qu’en France, pendant que les hommes, dans leur transats essaient de trouver des sujets communs.

Nous suivons dès lors la fiction ainsi que sa construction.  La fiction avance au même rythme qu’en sont démontés les clichés.  Moins ceux d’ailleurs de la littérature américaine que ceux dont on s’imagine qu’elle porte et qui la rendrait directement reconnaissable et délimitable par rapport à d’autres littératures.  Moins donc un démontage d’une littérature-cliché (ici l’américaine, presque par hasard) qu’une déconstruction de ce qui fait le cliché en littérature.  Cliché qui consiste aussi à penser qu’il puisse exister des blocs littéraires, des identités littérairement irréductibles, la française et l’américaine, la slave et l’orientale, celle d’alors et celle de maintenant.  La vérité, ici jouissive à lire, est dans le lien de l’une à l’autre, ce qui les mêle jusqu’à non pas les indifférencier mais rendre même caduque le fait de parler de « l’une » par rapport à « l’autre ».

Après tout, même si j’ai regardé vers l’Amérique tout le temps de mon travail, je suis quand même resté un écrivain français. Or ce n’est pas notre habitude à nous, Français, de mélanger les vraies personnes avec les personnages de fiction. C’est pourquoi je n’ai pas mentionné le nom de Barack Obama dans mon roman.

Un pied de nez moins à qui veut lire « américain » qu’à celui qui veut lire « made in »!

Tanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan, 2013, Minuit.

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« Peuples exposés, Peuples figurants. L’oeil de l’Histoire, 4 » de Georges Didi-Huberman. https://www.librairie-ptyx.be/peuples-exposes-peuples-figurants-loeil-de-lhistoire-4-de-georges-didi-huberman/ https://www.librairie-ptyx.be/peuples-exposes-peuples-figurants-loeil-de-lhistoire-4-de-georges-didi-huberman/#respond Fri, 28 Dec 2012 11:56:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1801

Lire la suite]]> Peuples exposésD’abord absents de la représentation, juste figurants d’images mettant sur le devant le personnage important de la « cité », le peuple se voit proposé aujourd’hui une permanente représentation de lui qui n’en est qu’un pâle succédané.  Alors que le peuple n’avait pas d’image, qu’il n’accédait pour ainsi dire pas à sa représentation, les images qu’on lui propose où se mirer le débordent maintenant sans plus jamais s’y attacher, le cernent sans le toucher.  Ces images sont celles d’une « culture » institutionnalisée, étatisée, presque policière, qui n’autorise à voir que les images qu’elle permet, c’est-à-dire domestiquées, aseptisées, vidées d’elles-mêmes, « sages comme des images ».  Cette surexposition (dont la télévision est l’agent redoutable), ce spectacle permanent réalise ce que même le fascisme n’avait pu que rêver : un nivellement, une adhésion entière et inconditionnée en un « même » vulgaire.

Les peuples sont exposés à disparaître parce qu’ils sont « sous-exposés » dans l’ombre de leurs mises sous censure ou, c’est selon, mais pour un résultat équivalent, « sur-exposés » dans la lumière de leurs mises en spectacle.

De cette sur-exposition, il convient d’en saisir l’étalement des mots imposant à tous sa dictature du même, exploités et exploiteurs, sans-papiers et services d’ordre.  Il s’agit de discerner ce même à l’oeuvre pour y résister.

Il faut donc résister à ces langues. Résister dans la langue à ces usages de la langue.

Et cette résistance, Georges Didi-Huberman, en trouve trace entre autre chez Philippe Bazin dont les photographies « froides », extrêmement maîtrisées, retrouvent précisément un visage là où c’est un type que l’on tente d’imposer, créant, à l’irréductible opposé de la photo d’identité, une photo d’altérité.  Dans ses séries de nouveaux-nés ou de vieillards se donnent à voir des regards interrogeant cet informe duquel ils viennent et/ou auquel ils retournent.

Chaque fois […] le visage se souvient d’où il vient, chaque fois il attend l’informe où il va. La communauté de nos aspects humains ne tiendrait-elle pas à la fragilité de cette condition spatiale et temporelle?

Pasolini, Philippe Bazin, (et que la première image en mouvement soit celle d’un peuple sortant de l’usine des frères Lumière n’est-il pas plus qu’un simple hasard, ne résulte t’elle pas d’un choix?) et Wang Bing par exemple ne font rien d’autre que de rendre à l’image du peuple une place qui lui revient, un lieu du commun là où régnait le lieu commun des images du peuple.  Et cette remise en place du peuple passe obligatoirement par l’exposition de ses opprimés, de ses sans-noms.

Pour que soient rendus visibles, pour que soient « exposés » leur impouvoir même « et  » leur puissance, malgré tout, à silencieusement transformer le monde qui commence toujours par deux ou trois gestes : soulever un fardeau, ramasser des crottes sur la route, tasser la terre à ses pieds, recueillir l’eau d’une flaque, cueillir une courgette, protéger la solitude de son repas dans une anfractuosité de la montagne.

Georges Didi-Huberman. Peuples exposés, Peuples figurants.  L’oeil de l’Histoire, 4. 2012. Minuit. 

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« L’invisible » de Clément Rosset. https://www.librairie-ptyx.be/linvisible-de-clement-rosset/ https://www.librairie-ptyx.be/linvisible-de-clement-rosset/#respond Sat, 10 Nov 2012 08:27:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1558

Lire la suite]]> Il y est question de ces choses (bien plus nombreuses que l’on croit) que l’on voit alors qu’elles sont invisibles, que l’on entend alors qu’elles sont inaudibles.  Il est donc beaucoup question d’illusions mais encore plus de cet exploit qui consiste à ne penser à rien. Et surtout de faire de ce rien quelque chose.

Et de cela, Roussel ou Mallarmé, s’en sont révélés les Maîtres;

les objets qui « peuplent » – si l’on peut dire – l’univers mallarméen, mais qui ne peuvent peupler aucun univers réel, sont nécessairement d’une fragilité ou plutôt d’une porosité, qui les confine à la frontière du visible et de l’invisible, de l’existant et de l’inexistant, du concevable et et de l’inconcevable.  Le modèle le plus achevé en est sans doute le célèbre « ptyx » dont il est question dans le sonnet qui commence par Ses purs ongles très hauts dédiant leur onyx […].  Non seulement ce ptyx ne possède, comme tous les objets « purement » mallarméen, d’autre consistance que celle d’un aboli bibelot d’inanité sonore, mais en plus il a la particularité de n’avoir pas de nom, sinon celui que lui invente Mallarmé qui a besoin d’une rime en « ix » ou « yx » pour compléter son poème : il est donc deux fois fictif et irréel au second degré ; il l’est même trois fois, puisque par comble il est absent du « salon vide » où il siège d’habitude.  C’est donc en toute justice que Mallarmé peut déclarer à son sujet qu’il constitue ce seul objet dont le Néant s’honore.

« Modèle le plus achevé », « célèbre », vous conviendrez qu’il nous fut difficile de ne pas clairement « égocentrer » pour la première fois une chronique!

Clément rosset, L’invisible, 2012, Minuit.

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