Monsieur Toussaint Louverture – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 Vrac 3. https://www.librairie-ptyx.be/vrac-3/ https://www.librairie-ptyx.be/vrac-3/#respond Tue, 29 Jul 2014 07:58:37 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4287

Lire la suite]]> A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

PriceSteve Tesich, Price, 2014 (à paraitre ce 21 août), Monsieur Toussaint Louverture, trad. J.Hérisson.

Le prix à payer sera terrible.

Alors que Freund (surnommé Freud), Larry et Daniel Boone Price terminent leur dernière année de lycée dans la ville industrielle de East Chicago, ce dernier rencontre la belle Rachel.  Immédiatement, il en tombe amoureux.  Parallèlement à son éveil amoureux, son père tombe gravement malade.  Avec cette facilité trompeuse qu’on lui connaissait déjà dans Karoo, Tesich plie et déplie l’image de cette Amérique industrielle et peint, avec une cruauté subtile et maîtrisée, des portraits de la relation au père d’une vérité troublante et dérangeante.  Et tisse un récit initiatique dont émerge ce Price, figure de l’adolescence qui parvient, par l’imagination dont on lui dit tant de se défier, à toucher du doigt, non la réalité, le réel, ou quel que soit le nom que l’on donne à ce « ça » mais une possibilité de vérité qui lui permette de vivre cette tragédie qu’est la vie.

« Pourquoi vivre un malentendu quand on peut vivre une tragédie? »

HeinichNathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain, 2014, Gallimard.

On peut trouver à redire sur la collecte de données qui sous-tend l’analyse de Heinich.  Se centrant sur « les excès de l’art » actuel, sur son côté médiatique, sur ce qui en émerge par surplus, elle semble réduire d’autant son sujet d’étude.  Ainsi circonscrit-elle celui-ci en lui donnant un cadre précis : est art contemporain ce qui répond à la définition qu’elle en donne…  Sorti du musée, détaché de la matière, éloigné de la figure d’un artiste à l’œuvre, intégrant dans sa conception sa propre marchandisation, etc…, loin d’en relever la diversité et de s’ancrer dans sa définition plus strictement temporelle (l’art après 1945), elle en soustrait une partie, la plus visible, qu’elle définit du nom du tout.  Mais au-delà d’une pratique un peu facile qui consiste donc à asseoir la légitimité d’une étude en la circonscrivant d’abord dans l’évidence du médiatique, en ré-investissant le sujet de l’étude par une redéfinition sémantique (une chose peut toujours être ce qu’on veut en faire si l’on commence par la redéfinir), et au-delà des attaques, parfois elles aussi très faciles, à laquelle elle prête le flanc, Le paradigme de l’art contemporain offre cependant un panorama, parmi d’autres et par ce qui l’excède, de l’art d’aujourd’hui.  Panorama dont l’intérêt repose sur la mise en exergue des contrastes que cet art entretient avec le « moderne » ou le « classique ».

GrenouilleauOlivier Grenouilleau, Qu’est ce que l’esclavage?, 2014, Gallimard.

L’image que l’on a de l’esclavage, spontanément, est celle de corps émaciés noirs fouettés dans des champs de coton.  Inextricablement lié à l’exploitation dans le sud des Etats-Unis, l’esclavage se trouve être, dans l’imaginaire collectif, presque défini par ce qui n’en est pourtant qu’une de ses formes.  Réduction qui permet, sous l’empire d’un appel à un imaginaire édifiant communément partagé, à qui veut, de regrouper certaines pratiques (telle l’exploitation réelle ou supposée de travailleurs salariés, par exemple) sous la dénomination d’esclavage, sans parfois beaucoup de discernement.  Avec intelligence et méthode, Olivier Grenouilleau revient donc ici d’abord sur la construction même de cette figure particulière de l’esclavage.  Avant d’en détailler, une fois détachée de l’emprise des particularismes, ces constantes.  Qui renvoient alors à la sa nature même, son essence, qui est de fabriquer de l’autre.  S’il demande à s’enrichir  d’une mise en perspective plus « philosophique » (l’œuvre se présente comme historique, certes, mais, le choix d’un prisme d’étude n’oblige pas forcément à occulter tout ce qui peut l’éclairer), le travail d’Olivier Grenouilleau offre des éléments incontournables à tout qui s’intéresse à quelque forme que ce soit d’exploitation de l’homme par l’homme .

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Vrac 2. https://www.librairie-ptyx.be/vrac-2/ https://www.librairie-ptyx.be/vrac-2/#respond Tue, 15 Apr 2014 07:49:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3905

Lire la suite]]> A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

Mailman« Mailman » de J.Robert Lennon (Monsieur Toussaint Louverture, 2014, trad. Marie Chabin)

Monsieur Toussaint Louverture a pris la très bonne habitude de nous faire côtoyer de temps à autre des destins tourmentés.  Ce fut le cas avec Karoo ou Exley, par exemples, qui déjà offraient des « gueules » atypiques, sombres, où se révélait aussi beaucoup de ce qui les entourait.  A travers Mailman, facteur voleur de lettres, un peu phobique, un peu illuminé, archétype du anti-héros toujours sur le fil, perpétuellement au seuil de la douleur comme de la conscience, c’est une image de l’Amérique de province, désabusée, engoncée dans ses paradoxes qui se découvre.  Et qui tout comme Mailman, nous émeut entre rires parfois grinçants et larmes souvent amères.

connaissance de soi« Autorité et aliénation, essai sur la connaissance de soi » de Richard Moran (Vrin, 2014, trad. Sophie Djigo)

L’acte de connaître peut-il s’appliquer à soi-même? Et si oui, comment?  Quels en sont les modes?  Se connaître n’est-il qu’un prolongement, une application particulière de la connaissance de l’autre?  Alors que la transparence à soi de sa propre conscience est une évidence pour Descartes, il y a, chez Freud ou d’autres, impossibilité de principe à atteindre une quelconque conscience de soi vraie.  Et entre ces deux extrêmes, d’autres s’entremêlent encore.  Dans cet entrelacs Richard Moran démontre avec brio, en s’appuyant sur Wittgenstein ou Sartre (oui, c’est possible!) que, non pas la vérité bien sûr, mais la possibilité de la connaissance de soi est à puiser dans une forme de moyen terme (qui ne se veut pas consensus entre les tenants de l’une ou l’autre position) entre l’autorité d’un je qui se perçoit immédiatement et l’aliénation qui permet de se percevoir à distance.  On résume très fort ici, et à gros traits, un livre dont l’importance se trouve aussi dans les ponts qu’il jette entre philosophie analytique et continentale.

neige noire« La neige noire d’Oslo » de Luigi Di Ruscio (Anacharsis, 2014, trad. Muriel Morelli)

Luigi Di Ruscio est un poète italien métallurgiste exilé en Norvège dès 1957.  Mais son intérêt dépasse très largement ce seul prisme documentaire.  S’il revendique haut et fort ces « dualités » poésie-travail manuel, invention formelle-milieu populaire, il aide avant tout à démontrer qu’elles sont aisément dépassables.  Et que la richesse de leur rencontre, si elle est utilisée pour imprégner la langue tout entière, permet surtout de construire un ailleurs qui, en retour, éclaire les pans dont il est issu.  Entre roman, récit, poésie, scansion, l’écriture de Luigi Di Ruscio, comme en perpétuelle accélération, se veut secousse qui bafoue la platitude du langage de la communication de masse.

Je vois un coucher de soleil par jour, mais en réalité, c’est nous qui crépusculons.

neige noire

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« Et quelques fois j’ai comme une grande idée » de Ken Kesey. https://www.librairie-ptyx.be/et-quelques-fois-jai-comme-une-grande-idee-de-ken-kesey/ https://www.librairie-ptyx.be/et-quelques-fois-jai-comme-une-grande-idee-de-ken-kesey/#respond Tue, 08 Oct 2013 08:02:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3214

Lire la suite]]> Et quelques foisSTOP!  DU CALME.  FAIS JUSTE UN PETIT PAS DE COTE POUR VOIR LES CHOSES SOUS UN AUTRE ANGLE.

Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Menés par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rangs…  Le retour de Lee, l’autre fils parti douze ans plus tôt à New-York et revenu pour se venger, va bouleverser un peu plus ce fragile équilibre.

Construit autour d’une intrigue haletante qui n’est pas sans puiser à la fois dans l’antiquité grecque et les croyances américaines, Et quelques fois j’ai comme une grande idée, sans faire de la référence un artifice, est hanté par l’animisme indien autant que par Œdipe, les satyres ou la lune qui, sous la plume de Kesey, devient un personnage à part entière, unifiant les croyances dans sa riche symbolique et ses rôles physiques.

au diable ce monde qui refuse de rester le même.

Tel le fleuve héraclitéen autour duquel s’articule son roman (et le fleuve sillonne les champs tel un oiseau de proie scintillant), tour à tour véhicule et barrage, un jour enrichissant ses berges de son limon, l’autre les érodant de sa violence, la phrase de Kesey glisse d’un de ses personnages à l’autre, du je au il, du plus profond du sujet à l’objectivité sans fard d’un narrateur sans cesse changeant.  On navigue ainsi d’une conscience à l’autre, la trame de l’histoire se dévoilant au rythme du dévoilement de chacun, non pas malgré leurs non-dits mais grâce à eux.

Vous savez quoi?  C’est dur de parler à quelqu’un que vous avez pas vu pendant longtemps, et c’est dur de pas le faire.  Particulièrement quand on a plein de choses à dire et aucune de comment s’y prendre?

La magie (au sens plein) opère.  Le vrai talent se mesure aussi à l’absence de la marque de l’auteur.  A ce que sa phrase ne nous apparaisse pas lue mais entendue.  A ce qu’elle ne nous apparaisse pas comme un médium, qu’elle disparaisse même derrière l’existence qu’elle atteste sans la proclamer.  Qu’il n’y ait pas d’écriture mais juste une oreille.

rien de tout cela n’aurait jamais existé, comme le bruit qu’un arbre ne fait pas quand il tombe dans la forêt s’il n’y a personne pour l’entendre.

Et peu à peu, la phrase de Kesey arrache bout à bout de chaque personnage son essence, les émonde plutôt, nous donnant à les entendre tous sous leur écorce, les dévoilant dans toute leur profondeur, leur complexité, leur différence.  Et comme le fleuve qui le traverse de part en part, Et quelques fois j’ai comme une grande idée se gonfle des consciences et inconsciences de ses personnages pour atteindre au sublime.

mais chaque mot qu’il chante, chaque saut et chaque geste, semble participer d’un rituel pour effacer le retour d’un démon féroce à la surface de la terre, rituel qu’il ne peut arrêter car chaque action calculée pour en courber l’ascension irrésistible finit par n’être qu’un nouvel élément d’une autre cérémonie subconsciente, elle-même nécessaire à cette irrésistible ascension.

Ken Kesey, Et quelque fois j’ai comme une grand idée, 2013, Monsieur Toussaint Louverture, trad.

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« Enig Marcheur » de Russel Hoban https://www.librairie-ptyx.be/enig-marcheur-de-russel-hoban/ https://www.librairie-ptyx.be/enig-marcheur-de-russel-hoban/#respond Tue, 23 Oct 2012 08:18:26 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1480

Lire la suite]]> Cest juste une histoire et cest ça les histoires.

Enig Marcheur, vit dans un monde de l’après.  L’après du « Grand Boum », moment destructeur (guerre chimique?, évènement destructeur?).  L’après du décès de son père, mort écrasé sous une pierre.  Et cet après, Enig décide d’en coucher par écrit son expérience.

C’est pour ça que final ment j’en suis venu à écrire tout ça.  Pour penser à ce que l’ydée de nous purait être.  Pour penser à cette chose qu’est en nous ban donnée et seulitaire et ivrée à elle même.

Dans ce monde où tout est boue, peur (preuh), ignorance (gnorance), où des chiens noirs rôdent et attaquent tout qui s’aventure en dehors des villages, dans ce monde qui a perdu jusqu’à ce qui le situe dans le temps, dans ce monde uchronique et clanique où seul survivre compte, Enig Marcheur, du haut de ses douze ans, par ses actes et par le fait d’en rendre compte en les écrivant, se lance dans une fabuleuse quête de la « Vrérité » .  Et il découvre un monde fondé sur l’apparence, où tout le système politique repose sur des spectacles de marionnettes presque doctrinaux.

Mais le tour de force de Russel Hoban (et de son traducteur Nicolas Richard) est d’arriver à nous faire découvrir ce que découvre Enig Marcheur dans le même temps.  Car la langue de cet après est elle aussi comme revenue à une forme de préhistoire où toute tradition se veut orale.  La langue dans laquelle Enig Marcheur rend compte de son expérience est donc comme bâtarde, écrite mais phonétique, décomposée à l’extrême.  Et cette langue éclatée, qui fait déborder la signification et qui ne se recompose que dans la voix, cette langue ralentit la lecture.  Et donc elle permet de calquer le temps de la lecture sur le rythme de compréhension du héros.

J’avé dans l’ydée d’y aller mollo et de fer du solide.  Une pansée à près l’aurt chac chose en son tant d’abord les picqué en rond dans la fauss en suite les picqué porteurs en suite les chevrons sur les pixqué porteurs et la rêvel dssus le tout comme le chaume.  Donc on pourè tout jour fer le trajet à l’en vers à partir de la rêvel et bien voir comment toul truc été bâti et voilà ce quallè être le style de Enig Marcheur.

La langue ainsi créée pour ralentir la lecture peut alors regorger de sens.  Elle est mise en scène de son propre éclatement.  Elle est trace et moyen de recomposer ce dont elle est issue.  Le génie tient ici à accoler à la recomposition phonétique qui permet au lecteur de s’y « retrouver », un découpage qui l’entraîne vers une abondance de signes qui forment un ailleurs autre et inconnu.  Ainsi la lecture recompose t’elle dans la voix les termes âme mi en « ami », ou l’amer moi en « mémoire », sans que les deux termes connus et rassurants ne viennent épuiser ni recouper pleinement les premiers.  La page est alors le lieu véritable de la création.

J’ai rien d’aurt que des mots à mtt sul papier.  C’est si dur.  Par fois y a plus sur le papier vyde qu’il y a quand l’écrit couche dessus.  Tes sayes des sprimer les ganrr choses et elle te tournent le dos.

Dans la lenteur de la lecture, qui recrée aussi un temps autre, on découvre un enfant qui découvre ce qui l’entoure et lui-même.  Mais aussi que cette découverte reste toujours limitée, car nous sommes parties de cette Vrérité à découvrir.

On verra jamais le tout de couac ce soit on est tout jour en son mi lieu à vivre de dans ou en meuve ment à le traverss.

Un chef d’oeuvre!

Russel Hoban, Enig Marcheur, Monsieur Toussaint Louverture, 2012, trad. Nicolas Richard.

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« Journal ambigu d’un cadre supérieur » de Etienne Deslaumes https://www.librairie-ptyx.be/journal-ambigu-dun-cadre-superieur-de-etienne-deslaumes/ https://www.librairie-ptyx.be/journal-ambigu-dun-cadre-superieur-de-etienne-deslaumes/#comments Tue, 03 Jul 2012 17:05:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=725

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si le portrait que je dresse d’Ysabelle peut sembler à charge, je rappelle que je n’ai pas voulu dénoncer des individus en tant que tels.  J’ai voulu mettre en scène un système et des individus dans ce système.

Le ton est donné.  E*** est cadre supérieur chez Minerve Immobilier.  Il décrit de l’intérieur la vie de l’entreprise et uniquement la vie de l’entreprise.  Ysabelle, « Kaka la cochonne », Paul « Bourré », la « Fofolle », ne se limitent (probablement) pas aux portraits décapants et sans concession qu’en dresse froidement Etienne Deslaumes.  Mais seul l’être en entreprise l’intéresse.  Et ce qu’il nous en donne à voir est drôle, certes, mais aussi à la fois éclairant et terrifiant.

Les abus de pouvoir, le harcèlement moral sont régulièrement dénoncés depuis plus de dix ans.  Ils perdurent, mais dissimulés sous le masque du compromis pervers, de la soumission en partie consentie, voire souhaitée.

L’individu en entreprise est fourbe, sans pitié, lâche.  Son infamie n’a d’égale que celle du système qui l’emploie.  Tous les actes posés en son sein ne sont animés que par l’intérêt, la couardise.  Toute tête qui dépasse doit être coupée.  Les différences que représentent le pédé, l’alcolo, ne sont tolérées que dans la mesure où elles permettent de mieux les asservir.

L’entreprise est une formidable machine à uniformiser.  La différence y est traquée, humiliée, souvent matée : ce qui distingue est forcément problème.

Mais le pire est que cette asservissement s’incarne à ce point dans l’individu qui le sert, que, telle une victime attachée à son bourreau, l’employé, le cadre, en devient son plus fervent défenseur.  Et le constat, drôle et incisif, que dresse l’auteur de cette servitude volontaire est sans appel.

 Je ne sais pas si l’homme est bon, au naturel, mais une chose me paraît certaine : il ne l’est pas et, probablement, il ne peut pas l’être, dans une organisation.

Etienne Deslaumes, Journal ambigu d’un cadre supérieur, 2012, Monsieur Toussaint Louverture.

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« Karoo » de Steve Tesich https://www.librairie-ptyx.be/karoo-de-steve-tesich/ https://www.librairie-ptyx.be/karoo-de-steve-tesich/#comments Sat, 31 Mar 2012 08:54:03 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=462

Lire la suite]]> Saul Karoo est réparateur de scénario à L.A.  Ce qui veut dire qu’il expurge des scénarios qu’on lui confie tout ce qui peut faire réellement sens, cela seul étant gage d’un succès commercial.  Il massacre l’art.  Saul Karoo est très riche.  Saul Karoo, fumeur invétéré, a aussi un immense problème avec l’alcool.  Non qu’il boive beaucoup trop depuis trop longtemps.  Mais bien plutôt qu’il ne puisse mystérieusement plus atteindre à l’ivresse, quelles que soient les quantités absorbées.  Saul Karoo est menteur à un point tel que toute vérité lui semble insupportable.

C’était une maladie, la maladie de la vérité dont l’un des symptômes faisait que je me sentais plus à l’aise avec la vérité des autres qu’avec la mienne.

Saul Karoo ne conçoit l’intimité que comme un partage public.

Ce n’était pas la peur de l’intimité.  J’étais prêt et désireux d’être totalement intime en public.

Saul Karoo est incapable d’aucune relation sincère avec quiconque.  Dont sa femme (dont il ne parvient pas même à divorcer) ou son fils.  Et de tout cela, Saul Karoo, dans une auto-analyse frisant le vertige, prend conscience.  Chaque geste qu’il tente de poser alors est un geste de rédemption.  Mais dans le creux de ce permanent retour sur soi sourd une et une seule résistance à l’omniscience, celle de ne savoir qu’en faire. 

Saul sait tout sauf ce qu’il faut faire avec ce qu’il sait.

Et ce désir de rédemption de se transformer alors en une chute implacable, une impitoyable farce.

Steve Tesich, Karoo, 2012, Monsieur Toussaint Louverture.

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