Simon – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Photographies » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/photographies-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/photographies-de-claude-simon/#respond Mon, 30 Sep 2013 07:06:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3334

Lire la suite]]> photographies2On ne va pas faire son Sainte-Beuve.  Ni son Proust.  La vie de Claude Simon est bien entendu indissociable de son œuvre.  Mais c’est par delà ce truisme qu’entrent en jeu les véritables mécanismes propres à l’expérience littéraire nouvelle qu’offre toute l’œuvre de Claude Simon.  Ce n’est pas sa « petite vie », sa « petite guerre » qui forme le matériau de ses livres.  Mais bien la manière dont il les articule.  Ce n’est pas ce qui s’est passé dans un certain laps de temps de la vie de Claude Simon dont il s’agit, c’est du temps lui-même.

Et ses photos en sont aussi une parfaite « illustration ».  Certes éclairant par ses sujets l’œuvre écrite par les recoupements et rencontres qu’elle organise avec elle, la photographie de Simon continue (ou précède) son écriture dans sa volonté même.  Certes, on y retrouve, comme dans ses romans, des chevaux, des laissés-pour-compte, des corps nus, des breloques, des traits écrits sur des murs…  Mais ce n’est pas fixer un cheval, une nudité qui intéresse le photographe.  C’est avant tout de rendre compte du temps.

Et la photographie offre à Claude Simon un espace expressif qui lui permet, par les contraintes inhérentes à sa technique, de prolonger celui de la page.  Si, en effet, la page permet d’exprimer un temps forcément révolu (à la question relative à son obsession supposée pour le passé, Simon répondait que « la question posée était déjà engloutie derrière nous »), la photographie l’exprime en le fixant mais différemment.  Alors que l’espace de la page permet d’émonder mais aussi de rajouter, la photo quant à elle ne permet pas l’ajout.  On peut ajouter un paragraphe dans un livre, non un être sur de l’argentique.  Et le rapport au temps, ce sujet essentiel (le seul qui vaille?) s’en trouve questionné, mais autrement.

toute production d’image s’élabore dans une durée, est le résultat d’une médiation, d’une addition et d’une combinaison de présents accumulés, même s’il s’agit d’un peintre non figuratif, et seule, à ma connaissance du moins, la photographie peut saisir et garder une trace de ce qui n’avait encore jamais été et ne sera plus jamais.

C’est ce rapport au temps que permet la photographie qu’interroge Claude Simon.  Tout comme son écriture interroge son propre processus d’avènement, sa photographie, dans ses ombres, ses reflets, se met elle-même en jeu.  Ce qui, par delà la notoriété du photographe et l’éclairage qu’elle permet sur un autre pan de l’Œuvre, fonde son importance.

Claude Simon, Photographies, 1992, Maeght Editeur.

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« Le tramway » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/le-tramway-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/le-tramway-de-claude-simon/#respond Tue, 13 Aug 2013 07:37:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3179

Lire la suite]]> TramwayEt de nouveau cela s’est produit.

Le narrateur se souvient du tramway qui le ramenait de l’école à la demeure que sa mère louait sur la Côte d’Azur quand une douleur l’extirpe à son flot des souvenirs et le ramène au lit d’hôpital où il gît en transit.

Alors qu’il est entouré de tout ce qui le ramène à sa finitude inexorable, tel ce vieillard du lit d’à côté, envisageant chacun de ses gestes avec l’économie absurdement prudente du dernier souffle ;

Ce misérable acharnement qu’il mettait non seulement à vivre mais à nier une déchéance qu’il incarnait jusqu’à un insupportable degré d’indécence.

Alors que comme tout malade, il s’ingénie à concentrer sa mémoire sur ce qui pourrait l’éloigner de cette expérience de sa mort, [sa] vie de malade tout entière concentrée sur une multitude de ces infimes détails, tout comme son voisin figurant d’autant mieux la mort qu’il cherche à la tromper, le narrateur n’exhume du passé que des images qui le ramènent à sa condition mortelle.  Le brancard le ramène au tramway, qui le ramène à sa mère mourante, qui le ramène aux homme-troncs, ces stigmates montés sur roues de 14-18, qui le ramènent aux châsses portées à dos d’homme, qui le ramènent à Charon…  Et l’image qui peu à peu émerge est celle de la servante, massacreuse de rats et de chatons, qui veilla jusqu’à son terme, en Erinye consciencieuse, la mère du narrateur jusqu’au bout.

Comme si entre l’animal survivant de la préhistoire et la femme qui portait sur elle cet impénétrable visage de cuir desséché, avec la même sauvage tendresse que lorsqu’elle  s’occupait de maman, existait une sorte de pacte ou de lien occulte, de silencieuse connivence, comme on ne savait quelle alliance scellée du fond des âges, plus forte que le temps et la mort.

C’est cela qu’est Le tramway.  Un exercice de mémoire.  Ou plutôt, Proust hantant ce livre-ci de Simon plus encore que les autres, une recherche du temps.  Où la mémoire, telle une vague (pouvant en même temps sentir au-dessus de moi cette chose puissante qui soulevait avec douceur la grosse barque puis l’accueillait mollement comme dans un berceau liquide puis montait de nouveau) fait affleurer sur la page en les mêlant passé et présent.  Au creux de cet impalpable et protecteur brouillard de la mémoire, le temps se retrouve tout entier comme en des points de saisie, sur un visage, un objet, rompant avec l’idée du temps-continuum.

Comme si rien – ou presque – n’avait changé.

Claude Simon, Le Tramway, 2001, Minuit.

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« Les géorgiques » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/les-georgiques-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/les-georgiques-de-claude-simon/#respond Tue, 23 Jul 2013 07:59:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3080

Lire la suite]]> GéorgiquesDe la feuille, de la feuille, du fumier et beaucoup.

Un général de la révolution, un jeune adolescent de onze ans fasciné par une représentation de l’Orféo de Monteverdi, un combattant à cheval fuyant l’avancée des troupes allemandes, un combattant républicain lors de la guerre civile espagnole.  Peu à peu émergent des éclats trois « ils » :  Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel (LSM), Georges Orwell (O.) et « l’auteur ».  Ou plutôt un il dont les contours se font et défont sans cesse, ce qu’il recouvre se fondant dans une « réalité » qu’on ne laisse jamais parfaitement advenir avant de tendre vers une autre encore.  Comme d’habitude, Claude Simon code.

Il est évident que la lecture d’un tel dessin n’est possible qu’en fonction d’un code d’écriture admis d’avance par chacune des deux parties, le dessinateur et le spectateur.

Lentement, ce il se sédimentant des êtres qu’il hante tour à tour se fixe (mais imparfaitement, s’y déposant plus que s’y fixant) sur l’aïeul de l’auteur, ce Jean-Pierre Lacombe-Saint-Michel jamais complétement nommé.   Participant de la prise de la Bastille, général d’artillerie, député du Tarn, membre du comité du Salut Public, votant de la mort du roi, sa vie sera faite de campagnes guerrières.  Loin de celle du Tarn que son éloignement ne lui permet de soigner que par les lettres de directives qu’il envoie à ceux supposer s’occuper de son domaine en son absence.

il corrigeait, embellissait, labourait, plantait par procuration, usant non de charrues ou de herses mais de cette encre brune, couleur rouille.

Alors qu’un Mécène confie à Virgile la mission d’éduquer l’agriculteur par la poésie, ici c’est Mars qui, de nouveau, éloigne des champs à cultiver.  Dans son exil guerrier, LSM, dont les missives parsèment le texte, sarcle et sème par le mot.  Mais, dans l’urgence des combats et de son incertitude, le mot de ces Géorgiques-ci est lui-même d’urgence et d’ordre surtout.

Comment voulez vous que j’aie la tête à tout quand je ne suis pas là et que je suis occupé des affaires de la guerre.

Car, au creux d’une nature qu’il s’agit de troubler par le fer et le feu, comment LSM pourrait-il encore vouloir peser, faire éclore et fructifier cette nature sans recourir à cet autre fer, cet autre feu des mots?

l’horreur, l’ahurissement, le scandale, la soudaine révélation qu’il ne s’agit plus là de quelque chose à quoi l’homme ait tant soit peu part mais seulement la matière libérée, sauvage, furieuse, indécente.

Que ce soit l’aïeul combattant, ou O., ou Claude Simon fuyant la déferlante allemande, ce sont les mêmes prés, les mêmes champs, les mêmes vignes, les mêmes haies à regarder, les mêmes clôtures à vérifier, les mêmes villes à assiéger, les mêmes rivières à traverser ou à défendre, les mêmes tranchées périodiquement ouvertes sous les mêmes remparts.  Et la phrase de Simon se doit alors de répéter sur le papier (pour que la feuille soit ce fumier d’où puisse sourdre le réel) ce même mouvement des saisons, comme celui des troupes armées d’Europe, s’empêtrant au travers des temps, dans les mêmes bourbiers, au mêmes endroits, pour les mêmes causes ou peu s’en faut.

On dirait que les mots assemblés, les phrases, les traces laissées sur le papier par les mouvements de troupes, les combats, les intrigues, les discours, s’écaillent, s’effritent et tombent en poussière, ne laissant plus sur les mains que cette poudre impalpable, couleur de sang séché.

Comme une tentative de négation de progrès, comme un projet parménidien d’expression de l’illusion du mouvement, la phrase s’enroule dans des limites comme souples, diffuses, auxquelles la définition même de limite semble se refuser.  Et à l’immobilité d’une humanité s’empêtrant dans les mêmes bourbiers répond celle de la phrase qui la dit, qui ne doit son apparence de mouvement qu’au désordre scintillant qui l’habille

cette quantité de remous, de retours en arrière, de boucles décrites dans des plans verticaux ou obliques donnant l’impression d’un désordre qui n’influe cependant en rien sur le déplacement de l’ensemble.

Claude Simon, Les géorgiques, 1981, Minuit.

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« La bataille de Pharsale » de Claude Simon. https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-de-pharsale-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-de-pharsale-de-claude-simon/#respond Fri, 24 May 2013 08:01:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2693

Lire la suite]]> Bataille de Pharsalebataille de comment déjà mot qui veut dire, les Têtes de Chien bataille de Pharsale bataille conte les Turcs quel nom avant après Jésus-Christ pendant comment savoir le sort du monde pillum frappant entrant sortant dans.

Un narrateur imagine alternativement ou en même temps la manière dont sa maîtresse le trompe et la bataille de Pharsale.  Comme l’imagination ne se déploie qu’à partir de ce qui fait corps avec soi-même, il fait appel, pour évoquer la bataille, à des souvenirs de guerre personnels ou à des tableaux qu’il a vu et sur lesquels il projette d’écrire un essai.  S’y mêlent l’évocation d’une recherche du site exact de la bataille avec un ami grec, les souvenirs d’un décodage d’une version latine, et d’autres infimes parcelles de sens…

Le détail masque toujours l’ensemble, leur univers n’est pas continu, mais fait de fragments juxtaposés.

La page est déflagrée.  A une citation de Lucain, succède une scène de coït, la description d’une peinture de Poussin ou de Della Francesca se mêle à celle d’une fuite du narrateur à cheval devant les balles allemandes, l’analyse minutieuse, presque obsessionnelle d’un billet de banque, forme étrange écho avec la description sans cesse reprécissée du passage d’un pigeon devant les yeux de qui décrit.  Le graveleux fait place à la précision érudite, l’érudition maladive au quotidien.  La phrase se fait d’éclats, de fragments.

regardant en réalité un spectacle intérieur, peut-être la forme la couleur des mots qu’elle vient de dire comme s’ils lui apparaissaient non pas imprimés et enfermés dans des bulles mais surgissant du néant l’un après l’autre avec leurs sinuosités leurs barres leurs verticales leurs méandres leurs ondulations leurs coupures abruptes se complétant se reliant grossissant puis s’immobilisant restant là suspendus dans l’air lui aussi immobile continuant à vibrer silencieusement redoutables énigmatiques chargés de sens multiples jusqu’à ce que la phrase la réplique suivante les repousse s’installe à leur place.

Car c’est bien d’elle qu’il s’agit.  De la phrase.  Et de la bataille à mener pour la former.  Qui fait écho à celle déjà menée, enfant, pour venir à bout de la version.  De la phrase de Bataille, aussi, celle qui conjugue amour et cruauté dans l’indifférence de leur nature.

Le massacre aussi bien que l’amour est un prétexte à glorifier la forme dont la splendeur calme apparaît seulement à ceux qui ont pénétré l’indifférence de la nature devant le massacre et l’amour.

Bataille de Pharsale.  Bataille de la phrase.  Phrase de Bataille.  Alors que le je du début devient O. (zéro ou Orion?), le tout baigné d’une lumière jaune (celle de la jalousie auxquels les rappels à l’Odette de Proust nous renvoient sans cesse), dans le génie d’une phrase fragmentée dont l’unité?, le sens ? se recomposent comme magiquement dans le sujet lisant, Claude Simon nous convie à une bataille qui ne peut aboutir qu’à la répétition, qu’au retour du même.  Une phrase qui n’est que la trace d’un sublime échec.

Couchés à plat sur le sol parmi les fûts de colonnes brisés et les fragments d’architrave, les deux silhouettes enlacées aux entrailles de pierre semblent s’enfoncer dans les entrailles grisâtres et compliquées de la pierre, du temps, où seule la rumeur silencieuse de leur respiration, la trace minérale de leurs formes, rappellent leur existence.

Claude Simon, La bataille de Pharsale, 1969, Minuit.

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« Le palace » de Claude Simon https://www.librairie-ptyx.be/le-palace-de-claude-simon/ https://www.librairie-ptyx.be/le-palace-de-claude-simon/#respond Tue, 17 Apr 2012 09:41:44 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=484

Lire la suite]]> Au travers des regards et souvenirs croisés d’un étudiant, d’un Américain, de deux Espagnols et d’un Italien « Le palace » nous plonge au coeur de la révolution espagnole de 1936.  Mais l’évènement, comme toujours chez Claude Simon, n’est bien sûr pas abordé de front.  On ne conte pas le fait.  On n’en conte pas plus son souvenir.  Ce qui nous est donné à en connaître est précisément cette difficulté qu’ont tous les protagonistes à eux-mêmes l’aborder.  Claude Simon nous donne à connaître un évènement (la révolution espagnole) par la représentation de personnages qui, eux-mêmes, cherchent à se représenter cet évènement.  D’où cette phrase, comme un leitmotiv :

Mais comment était-ce, comment était-ce?

Chaque personnage, comme chaque lecteur, glane alors ici et là de quoi rendre compte de l’évènement.  Toujours éparses, parcellaires, les traces parsèment le texte, se redoublant, se complétant.  C’est la moitié d’une manchette de journal aperçue au début.  Puis l’autre moitié qu’un autre personnage lit plus loin. Le texte de Simon est tel un ressac qui, dans son lent et incessant mouvement de va-et-vient, fait affleurer, sur la grève de nos mémoires, ce qui peut y faire sens.  Comme le protagoniste construit l’évènement, le lecteur construit le texte en rendant compte.

Tout cela dans un temps comme arrêté, suspendu.  Ou plutôt un temps de l’avant ou de l’après.  Comme celui de l’acteur avant d’être saisi par la pellicule.  Mieux même, cet espace-temps où reste coi ce même acteur au sein de notre mémoire, comme en attente, avant la même scène éternellement rejouée.

la foule jacassante qui semblait avoir ressurgi (…) comme si elle s’était tenue (ou plutôt comme si on l’avait rangée) quelque part toute prête pendant la nuit, comme ces ensembles de marionnettes, d’automates figés au milieu d’un geste, d’un sourire, et qui tout à coup, au déclenchement de la mécanique, se mettent tous en même temps à se mouvoir et à babiller…

Par cette construction en oeuf, en cycle s’accomplissant, par cette phrase faite de temps (toute en participe), c’est l’autre signification de la révolution qu’exprime ici Claude Simon.  Celle, donnée en exergue au livre :

Révolution : Mouvement d’un mobile qui, parcourant une courbe fermée, repasse successivement par les mêmes points.

Et cette signification vient peser sur l’autre de tout son poids.  D’une promesse de rupture, saisie dans la radicalité d’un instant, la révolution devient son contraire : une répétition, un retour du même.

Claude Simon, Le palace, 1962, Minuit.

On notera (peu et en passant) la sortie d’un volume reprenant quatre conférences prononcées par Claude Simon entre 1980 et 1993.  Ce recueil redondant, bien loin d’un véritable intérêt documentaire, sent effectivement le fond de tiroir à plein nez.   Il laissera donc le spécialiste sur sa faim et le lecteur avisé sur la douloureuse impression de s’être fait inutilement délester de 13,50 €. 

Claude Simon, Quatre conférences, 2012, Minuit.

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