Tristram – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « La Course » de Nina Allan. https://www.librairie-ptyx.be/la-course-de-nina-allan/ https://www.librairie-ptyx.be/la-course-de-nina-allan/#respond Mon, 16 Oct 2017 06:00:49 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7141

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L’exercice de la chronique, s’il n’a d’autre ambition que d’amorcer chez le lecteur une envie d’aller y voir d’un peu plus près, peut parfois, s’il est mal dosé, couper cet élan. On pourrait dire trop peu et teaser alors à peu de frais. Ou dire trop et déjà épuiser la lecture.

J’ai encore certaines de ces babioles, rangées dans des boîtes avec le reste, du bric-à-brac dont on n’a plus besoin mais dont on ne veut pas se débarrasser. Ces choses-là ne sont pas tant des objets qu’un langage, un langage secret de la mémoire que tout le monde parle et comprend.

Dans une ville gazière d’Angleterre ruinée par la pollution, la population s’est tournée vers un autre moyen de subsistance : les courses de smartdogs. « Guidés » par des pisteurs dont a cherché à renforcer les capacités empathiques par des implants, ces lévriers transgéniques sont devenus le seul attrait de la ville de Sapphire. Alors qu’il mène la vie confortable d’un éleveur de smartdogs, Del Hoolman voit sa fille, Luz Maree, se faire enlever. Endetté jusqu’au cou, il fait le pari, pour payer la rançon qu’on lui réclame, de remporter la course la plus importante de la saison avec son chien le plus prometteur. C’est oublier que les apparences sont souvent trompeuses…

C’était comme si je vivais à l’intérieur d’un récit.

L’une des grandes forces de Nina Allan est d’avoir parfaitement compris, et de s’en être saisi dans sa pratique de l’écriture même, qu’un rien suffit à faire basculer toute chose, aussi inamoviblement établie qu’on la croyait. En entremêlant adroitement les voix et les genres, elle parvient à la fois à tenir en haleine le lecteur et à lui proposer une mise en scène abyssale de son propre acte de lecture. C’est sans doute cela que l’on peut appeler une grande leçon de littérature.

Le meilleur moyen de susciter la magie, c’est de la décrire.

Nina Allan, La Course, 2017, Tristram, trad. Bernard Sigaud.

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« Brand’s Haide » de Arno Schmidt. https://www.librairie-ptyx.be/brands-haide-de-arno-schmidt/ https://www.librairie-ptyx.be/brands-haide-de-arno-schmidt/#respond Mon, 20 Feb 2017 10:16:40 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6673

Lire la suite]]> l’homme est bizarre, Schmidt inclus…

1946 : alors qu’il vient d’être libéré d’un camp de prisonniers, le dénommé Schmidt est confié aux « bons soins » d’un instituteur d’un village reculé de la lande de Brand. Celui-ci l’installe dans la remise à outils d’une maison déjà occupée par deux autres réfugiées, Lore et Grete. Alors qu’il tente de profiter de ce séjour forcé dans un lieu autrefois fréquenté par le grand auteur romantique Friedrich de la Motte Fouqué pour travailler à l’écriture de sa biographie, il doit aussi, en compagnie des deux femmes dans l’Allemagne exsangue de l’après-guerre, lutter pour sa survie. Peu à peu, sans doute la faim et l’amour aidant, l’univers merveilleux de l’auteur romantique imprègne le misérable logis et la forêt proche.

: demande à un petit hérisson sur la route s’il veut devenir meilleur ou plus intelligent : il aura un sourire ironique ; mais chuchote plein de promesses : veux-tu devenir plus puissant?!!! : hé, hé, comme ils brillent, les quinquets!!)

Certes, Brand’s Haide est l’occasion, pour Schmidt, le personnage comme l’auteur, d’une critique acerbe de l’Allemagne défaite. Les fonctionnaires, s’ils en dissimulent les attributs extérieurs, sont des ersatz nazis, les gens d’église déguisent leur soif de puissance d’une pudibonderie mâtinée de bêtise et les paysans engraissent leur plaisir satisfait de ce qu’ils soutirent aux réfugiés. La plume schmidtienne est crissante et son encre mordante.

Les abrutis! : la liberté relevait la tête, et eux se trituraient les mains, comme terrorisés devant un revenant!

Mais, dans Brand’s Haide, comme dans ses autres oeuvres, la prose du génial allemand ne peut être réduite à l’expression vitupérante et cynique d’un aigri moral, aussi talentueux et inventif soit-il. La forme, directement remarquable, et radicalement originale, n’est ni là pour elle seule – comme s’il ne s’agissait pour lui que d’habiller un exercice de style – ni exclusivement réservée à la féroce diatribe. Schmidt n’est pas qu’un génial excité, il est aussi – et ô combien! – capable d’émouvoir.

: gens dans la longue-vue : l’idéal : on les voit sans les entendre, sentir, toucher. (Les sans-bruit, les sans-tambour, les paisibles.)

Dans cette histoire d’amour (peu de livres d’Arno Schmidt ne sont pas des histoires d’amour!) où se mêlent le trivial et l’onirisme, le passé glorieux et le présent assombri par la défaite, les préoccupations traditionnelles de l’artiste et celle de ses entrailles, c’est, in fine, de l’éternelle tragédie d’aimer dans un monde qui ne semble pas fait pour cela dont il s’agit.

Je franchis le silence.

Arno Schmidt, Brand’s Haide, 2017, Tristram, trad. Claude Riehl.

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« Soir bordé d’or. Une farce-féerie. 55 Tableaux des Confins Rust(r)iques pour Amateurs de Crocs-en-langue » de Arno Schmidt. https://www.librairie-ptyx.be/soir-borde-dor-une-farce-feerie-55-tableaux-des-confins-rustriques-pour-amateurs-de-crocs-en-langue-de-arno-schmidt/ https://www.librairie-ptyx.be/soir-borde-dor-une-farce-feerie-55-tableaux-des-confins-rustriques-pour-amateurs-de-crocs-en-langue-de-arno-schmidt/#comments Thu, 08 Oct 2015 08:35:58 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2785

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Arno Schmidt

Nous en parlions il y a quelques temps déjà : ce chef d’oeuvre n’était plus disponible depuis plus de 20 ans. Chronique radio performative? Ondes positives? Puissance suggestive de notre colère? On ne sait. Mais il se fait que l’éditeur a enfin compris l’intérêt de réimprimer ce tapuscrit essentiel. Précipitez-vous donc chez votre libraire sans tarder. Au vu du tirage (300), du prix (oui, 200 €, ça parait cher, mais si vous connaissiez le prix de l’édition originale…) et du délai d’attente projeté pour la troisième fournée (au bas mot 60 ans, à notre humble avis), il n’y en aura pas pour tout le monde! Pour vous y inciter un peu plus, nous vous rappelons ici bas en mots écrits, et ici haut en mots parlés, ce que nous en disions il n’y a pas si longtemps :

 

j’ai vu qu’on a vite fait de franchir les frontières du Beau, et qu’on se précipite à tombeau ouvert dans le pays du saugrenu.

A la fin de sa « carrière », Arno Schmidt s’est presque exclusivement consacré à la composition de ses grands livres tapuscrits.  Tel Zettel’s Traum, monstre littéraire de 1300 et quelques pages, encore indisponible en français ou ce « Soir bordé d’or » que la folie conjointe d’un immense traducteur (Claude Riehl) et d’un génial éditeur (Maurice Nadeau) ont porté jusqu’au lecteur de langue française.

En format A3 de plus de 200 pages (allez lire ça dans le métro!), composé de 55 tableaux, « Soir bordé d’or » conte trois journée très chaudes d’octobre autour de trois soixantenaires (et plus) : Eugen, l’amputé des deux jambes, Olmers, le beau-frère, A&O, l’ami écrivain.  Mais aussi Grete, la femme d’Eugen, Asa, la servante, Martina (15 ans), la fille d’Eugen, Ann’Eve, la visiteuse de 21 ans, Bastard Marwenne, rustre au membre d’exeption, Egg, son acolyte, Babilonia, 11 ans et déjà veuve à plusieurs reprises.  Entre autres.  Et chez chacun, la chaleur torride réveille une concupiscence trop longtemps retenue.  Peu à peu, la campagne environnante se transforme en Mont Eryx.  Chaque parcelle de bosquet devient lieu d’émoi sexuel.

9 rousses, filles de leur père ; bourgeonnant avec une agilité simiesque ; et par vent sud, quand elles s’onanisent, tu en prends plein les narines.

Comparé à ça le Jugement Dernier c’est du boulevard.

Si tout vire au débordement sexuel, si tout en prend le chemin, dans les humeurs et les odeurs, on est bien loin cependant de l’expression simpliste de l’ordure des temps.  Le débordement, s’il est ordurier, est aussi spirituel.

C’est bien sûr effroyablement ordurier-spirituel.

Car c’est Arno Schmidt qui est à la barre (et sait la tenir).  Ses personnages, comme tous, quoi qu’on en dissimule, s’ils n’ont en tête que le stupre, l’ont raffiné.  Car, chez Arno Schmidt, l’ordure est ciselée.  Le retour au corps, dans ce qu’il a de plus graveleux, s’il est encore l’occasion de contrer la pudibonderie ambiante (et de la tourner en dérision), ce retour s’accompagne, plus inédit, d’un rappel de tout ce que l’inculture du temps a occulté.  De l’enfouissement de ses propres racines sous la crasse d’un temps voué à la bêtise.

Des médecins qui n’ouvrent jamais un livre ; des mam’selles vétérinaires qui prennent racine devant la télé ; un prolétariat de diplomés à qui on fait croire : que l’hominisation est le résultat de questions de salaire et ce au moins depuis le pré-cambrien.

A l’inculture sans fond du temps qui ne lésine pas à créer des subterfuges sans cesse plus spécieux pour enterrer son ignorance (Oh ; docta ignorentia), Arno Schmidt oppose avec une férocité sans fard sa gigantesque érudition.  Et pour qui sait le lire, ce sont des satyres, des cortèges dionysiaques, c’est Pan, Syrinx, Ondine ou Daphnis que l’on voit s’agiter dans une haine sans cesse renouvelée de la bêtise.  Où la figure de l’auteur, de l’artiste, accointe avec celle du prophète, forcément incompris, logiquement martyr.

Le non-succès de mes livres démontrera un jour à quel point la culture allemande était tombée bas et qu’elle n’a jamais compris ses meilleurs esprits ; (et pendant ce temps les éditeurs mangeaient leur bisque de homard dans les crânes des auteurs -mais cela soit dit en passant).

A la férocité acerbe démolissant tout ce qui porte le conformisme (et la politique n’y échappe jamais : Les gens de droite sont des petzouilles encore plus cons que ceux de gauche.) répond une inventivité formelle radicale.  L’auteur doit retranscrire sur la page la dispersion et la discontinuité qui sont la marque de son contemporain.  Et la page des tapuscrits de la fin le lui permet parfaitement.  Le sens s’y dissémine.  Entre les colonnes, les inserts, les images commentées, les graphiques, les plans, viennent se greffer les néologismes (tringlamorer, phalloir, somnolire) et les essais de ponctuation.  Sans que jamais la variété des niveaux de lecture, la langue toute en mouvement, ne viennent déforcer une poésie entre farce et féerie d’une cohérence rare.  Et qui démonte, pour mieux l’exalter, ce minimum qu’est la littérature.

Je crois tout au plus à la littérature.

Arno Schmidt, Soir bordé d’or. Une farce-féerie. 55 Tableaux des Confins Rust(r)iques pour Amateurs de Crocs-en-langues, 1991, Maurice Nadeau.  Ce monument est depuis longtemps indisponible (ben non, plus maintenant).  

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« On a marché sur la Lande » de Arno Schmidt. https://www.librairie-ptyx.be/on-a-marche-sur-la-lande-de-arno-schmidt/ https://www.librairie-ptyx.be/on-a-marche-sur-la-lande-de-arno-schmidt/#respond Fri, 13 Jun 2014 07:46:08 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3862

Lire la suite]]> on a marché sur la landeNotre langue est chuinterie et sorcellerie.

Karl Richter, employé de gestion des stocks de 46 ans et Hertha, sa compagne depuis deux ans, passent un week-end à la compagne en Basse-Saxe, dans la Lande, chez la tante de Karl, Heete.  Comme Hertha s’ennuie dans ce paysage froid et pluvieux, Karl lui raconte une histoire pour la distraire, et cela à chaque fois qu’elle menace de s’abandonner à ses idées noires.  Cette histoire – véritable roman dans le roman – se passe sur la Lune après la destruction totale de la Terre.  Les Américains (notamment Djordch et Tcharlie) et les Russes, installés dans leurs bases respectives, y mènent une guerre froide après que la guerre « chaude » a anéanti leur planète.  Parallèlement à ces récits enchâssés qui ne cessent de se contaminer l’un l’autre, Tante Heete, sorte de Séléné qui ne connaît aucune inhibition, tout en essayant de se rassurer sur son propre avenir solitaire, tente d’intercéder auprès des deux membres du couple, leur prodiguant d’innombrables conseils d’ordre sexuel.  Car Karl, bavard impénitent, est aussi fringuant quarantenaire (Et à qui d’autres que nous, esclaves des glandes, importerait un sein à taches de rousseur pesant une livre et demie?).  Et la froideur d’Hertha qu’ennuient ses transports incessants n’est pas toujours pour lui plaire.

Oksépaclair.

Composé en pleine euphorie alors qu’Arno Schmidt vient de s’installer à Bargfeld, « On a marché sur la Lande » est d’une truculence sans égale mais aussi, comme toujours chez lui, profondément ancré dans la réalité de l’époque.  Critique féroce de la militarisation, de la déliquescence des systèmes politiques qui s’affrontent dans une guerre qui n’est froide qu’en apparence (Raie=publique fait=des=râles), son génie est comme toujours mis au service d’une peinture de la réalité dont la drôlerie féroce, précisément, vient appuyer l’absurde des temps.  Mais ici, avec souvent une nostalgie, une douleur liée à la guerre précédente, qui, plus encore que dans ses autres romans, laissent apparaître, sous le vernis de l’ironie certes parfois acerbe, presqu’un espoir.

si seulement 51% des êtres humains faisaient preuve de sagesse, 100% seraient heureux.

Mais c’est bien sûr d’abord de langue qu’il s’agit.  D’une langue à créer.  Dont toutes les circonvolutions si typiquement schmidtiennes sont autant d’expédients à mieux dire la réalité mouvante qui l’entoure.  Où le parler populaire s’inscrit dans la page par ses phonèmes.  D’où un déchiffrage faisant s’arrêter plus longuement le lecteur sur un sens qui émerge peu à peu.  Et sous la saveur, la drôlerie de ce parler populaire, peuvent alors plus finement éclore sa sagesse souvent méprisée, sa virulence et son immense inventivité.

Che lès domèstiques, i lor a soûyeu lès pieuds avant des chaises de biais pour qu’i=z=avich’te du cop eùl neùz cor pus preus d’l’assiète : ç’qui accourcit l' »kemin » d’eùl nôritûre à l’bouche èt évite ène pièrte de tans inutile.

Dans ses tonitruants méandres où se mélangent Joyce (Twa, toujours avec ton Jo=hisse), Verne, Karl May, les références les plus triviales à l’érudition la plus subtile, la prose d’Arno Schmidt atteint ici, virtuose, des niveaux inégalés.  Et peut-être aussi, juste avant la composition de ses grands tapuscrits (Zettels Traum ou Soir bordé d’or), s’y découvre t’il, en Karl Richter plus qu’en aucun autre des protagoniste schmidtien, un alter ego halluciné et émouvant de son auteur.

Herta.- / il n’est pas encore trop tard pour que les races à venir apprennent la forme, la couleur & la taille de tes seins, et si tu y tiens sous la forme de rimes tiercées ; et, jalouses de toi pour les femmes, de moi pour les hommess, les lisent : l’imm=ortalité n’est pas une petite idée, Darling…

Arno Schmidt, On a marché sur la Lande, 2005, Tristram, trad. Claude Riehl.

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« Dix yuans un kilo de concombres » de Celia Levi. https://www.librairie-ptyx.be/dix-yuans-un-kilo-de-concombres-de-celia-levi/ https://www.librairie-ptyx.be/dix-yuans-un-kilo-de-concombres-de-celia-levi/#respond Tue, 28 Jan 2014 07:23:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3706

Lire la suite]]> Dix yuansrien ne fonctionne, nous sommes nous-mêmes comme des objets branlants.

Xiao Fei vit à Shangaï avec sa vielle mère et ses sœurs.  Dans ce Shangaï bien éloigné des images de modernité clinquante, alors que sa lointaine cousine d’Amérique leur rend visite, Xia Fei voit peu à peu sombrer le peu qu’ils possédaient encore.  Les lattes défaites du plancher laissent passer les cafards qui lentement colonisent la maison.  Les canalisations, non entretenues, se bouchent irrémédiablement, comme le trou dans le toit, non réparé, s’agrandit.  Tout cède.  Et doucement, le pire s’installe.

ce qui était étrange c’était que cette situation exceptionnelle n’empêchait ni le jour de se lever ni la nuit de tomber.

Tout est extérieur à Xiao Fei et son entourage.  Rien ne les légitime par eux-mêmes seuls, pas même leurs raisons de continuer (à vivre, à espérer).  Ils ne sont que rouages.  Et, pour continuer à vivre quand même, Xiao Fei a choisi le conditionnel d’une vie rêvée.

Il sentait son âme tendre à de grandes actions, à de grandes idées.

Se remettre à la calligraphie.  Se rêver en dissident.  Connaître l’amour avec la cousine américaine.  L’imagination ne lui sert pas de ferment pour l’action, mais de refuge.  D’où la réalité se doit d’être expurgée comme un détail gênant.  Où le quotidien sert d’excuse (Comme il lui arrivait si fréquemment, il imputa au quotidien la cause de son incapacité à créer).  Où l’absence de réaction (l’ataraxie) n’est plus le résultat d’un long cheminement mais un déjà-là que l’évocation de la sagesse vient légitimer (si je ne réagis pas, c’est parce que je suis sage).

Sa recherche d’un absolu se limitait à la projection d’un mythe dans un monde où il était non seulement obsolète mais irréalisable.

Célia Levi, d’une écriture subtile et implacable, nous plonge dans la psychologie d’un anti-héros, oublié de la mondialisation.  Dont les dégâts se lisent aussi dans les tourments de nos hésitations à encore arpenter les chemins du réel.

Il referait ce qu’il avait fait la veille, et la nuit il repenserait à sa journée inlassablement, jusqu’à l’écœurement.

Celia Levi, Dix yuans un kilo de concombres, 2014, Tristram.

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« Cosmas ou la Montagne du Nord » de Arno Schmidt https://www.librairie-ptyx.be/cosmas-ou-la-montagne-du-nord-de-arno-schmidt/ https://www.librairie-ptyx.be/cosmas-ou-la-montagne-du-nord-de-arno-schmidt/#respond Tue, 03 Apr 2012 16:06:21 +0000 http://ptyx.argon7.net/?p=108

Lire la suite]]> En l’an 541 après J-C, non loin de Byzance, un jeune homme, Lycophron, étudie auprès de son maître, Eutokios, un savant grec revenu clandestinement dans l’Empire après en avoir été banni par Justinien 1er.  La ferme-forteresse où ils résident semble offrir un refuge sûr aux recherches du vieux savant et à l’épanouissement intellectuel du jeune homme.  L’arrivée dans leur région de Gabriel de Thisoa, un curé bigot et intrigant, et de Anatolios de Berytos, un politique opportuniste accompagné de sa fille, Agraulé, va venir bouleverser cet équilibre. 

Car le curé et le politique arrivent en inquisiteurs, porteurs moins d’une religion que de dogmes, servant plus à asseoir un pouvoir qu’une foi.  Et rien n’est de trop pour affermir cette emprise de la nouvelle croyance institutionelle.  Les marbres représentant les divinités païennes sont amputées de leur paganisme pour figurer des anges.  Une cosmologie, celle de Cosmas, est mise en avant, les théses chrétiennes s’accomodant parfaitement de ses hypothèses délirantes.  L’art et la science n’ont plus de rigueur, n’existent plus d’eux-mêmes, mais uniquement dans le service qu’ils peuvent rendre, dans leur travestissement, à l’institution religieuse.

C’est justement ça, le problème ! : une religion qui dénigre l’art et la science en les traitant de « vanités » se révèle incapable de produire aucune oeuvre d’art !  Elle peut tout juste retailler et ravauder nos grands Anciens! -Oui, produire du kitsch international, comme votre laineux « Bon Pasteur » là-bas !

Lycophron face à l’obscurantisme chrétien, c’est l’emblème de tout intéllectuel menacé par un collectivisme tournant à vide.  C’est l’écho d’un Arno Schmidt dans sa furieuse défense de l’individu.  Un individu qui, face à la menace d’un collectif toujours plus avide, doit revenir à l’essentiel.  Qui fait de lui qui il est et non un autre.   

Qu’est-ce qui fonde l’existence? : le paysage ; l’intellect ; l’éros !

Par sa seule scansion, le paysage vient comme dénoncer les délires d’une cosmologie qui était censée en rendre compte.

Dans le matin gris-fer, la tache de rouille du soleil.  Vaches coassent.  Un arbre nu aux membres nègres tordus en sueur.

Sur le chemin du retour : et des nuages par des nuages poursuivis.  Une troupe de perdrix s’envola avec fracas d’un sillon.  Le crépuscule massif et pataud ; un hybride de jour et de nuit.

L’intellect, lui, défait ce que fait le religieux.  Là où ce dernier s’ingénie à dissimuler les origines sur lesquelles reposent sa foi, une existence qui cherche à se fonder doit, au contraire, travailler à les retrouver.  La langue qui en rend compte, forcément bâtarde, doit dès lors afficher ses racines.  Les mêler en montrant qu’elles se mêlent.  L’érudit et le trivial.  Le grec ancien et l’anglais contemporain.  Jusqu’au vertige généré par un vers (« Oh Captain, my Captain !!! ») de Walt Withman, en anglais, dans la bouche d’un Thrace du 6ème siècle!

Mais Lycophron, en la personne d’Agraulé, découvre l’amour aussi.  Dans le tâtonnement des gestes :

Donc : toucher : nous nous entremêlâmes, lugubres, nous étions des débutants, avec des grimaces ; le vent s’en mêla ; des doigts étranglaient et foraient, ma main en savait plus que moi –

Dans la naïveté des rêves :

Mes pensées agraulèrent encore un peu.

Le paysage, l’intellect, l’éros fondent une existence.  Arriver à les dire fondent l’art.  Et Arno Schmidt, érudit quasi maniaque, maître génial de l’éllipse, inventeur voluptueux de néologismes, en est un de ses plus sublimes serviteurs.

Arno Schmidt, Cosmas ou la Montagne du Nord, 2006, Tristram.

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