Guyotat, Pierre – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Idiotie » de Pierre Guyotat. https://www.librairie-ptyx.be/lidiotie-de-pierre-guyotat/ https://www.librairie-ptyx.be/lidiotie-de-pierre-guyotat/#respond Fri, 21 Sep 2018 07:25:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7807

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c’est notre bonté, notre hantise d’y manquer, l’improfondeur de notre urgence à vivre, notre désir qui habillent de beauté cet intérieur monstrueux ; comme nous voyons du plein dans l’agrégat d’atomes, de l’Art dans un cafouillis de pensée, de forme, mis au point.

Pour faire simple, on pourrait dire que l’œuvre de Pierre Guyotat se compose de deux pans : l’un, dit romanesque, fait de tentatives et d’expériences formelles souvent extrêmes, l’autre, dit autobiographique, où l’auteur fouille son passé avec une précision presque maniaque. Pour faire simple toujours, on pourrait classer Idiotie dans le second domaine. Pour toujours continuer sur cette voie dite simple, on pourrait présenter ce dernier opus comme celui qui renseigne sans doute le mieux sur les origines biographiques du pan romanesque de l’Oeuvre : le conflit avec le père, la découverte de la sexualité, la guerre d’Algérie, la révolte, la mise au secret… Tous ces événements pouvant être vus comme formant une sorte de genèse des livres à venir.

c’est de la bête que je dois faire une œuvre, de l’idiot qui parle, du « rien », encore un peu de psychologie française, de « personnages » […], et bientôt l’épopée de l’idiot

Mais cette division, sans doute utile à brosser une première approche, est aussi une réduction. Comme l’est aussi toute tendance à jauger l’Oeuvre de Guyotat sous l’égide de la sexualité sous prétexte qu’elle y serait proliférante. Pierre Guyotat n’est un écrivain ni de l’autofiction ni de la « déviance ». Cet aller-retour entre deux pratiques, l’une qui détaillerait le réel, l’autre qui y bâtirait une fiction, n’est une trajectoire qu’en apparence. Il n’y a pas de trajet en tant que tel chez Guyotat. Il y a la volonté, livre après livre et toujours mieux, de saisir cette compénétration de « l’abstrait » et du « concret », et de la dire.

La prolifération de tout ce qui touche mon pied, mon regard, mon ouïe, mon odorat et à quoi je dois fixer un état, bref ou millénaire et plus, précipite mon allure et le battement de mon cœur ; je suis hors de Paris ; dans le parc de Sceaux, avant la tombée de la nuit, devant la rocaille du Petit Château, une image, touchable, de la confusion des règnes, de l’abstraction par laquelle il faut que je passe pour que l’être reprenne sa place en moi.

Plutôt qu’une genèse dont il s’agirait d’exhumer les traces d’un passé enfoui, le travail d’Idiotie semble, presque a contrario, démontrer qu’il n’y eu finalement aucun début. Que tout a toujours été là. Que Rien n’est pur. Esprit et corps. Réel et fiction. Abstrait et concret. Et que la tâche de Pierre Guyotat, depuis toujours aussi, se limite à la dire. Et c’est ainsi que se dévoile au lecteur un lieu qui ne parait trouver place nulle part ailleurs. Comme si c’était cette voix unique, aussi précise que libre, qui formait la seule possibilité d’accès à des franges entières du réel, qui, à défaut, resteraient inaccessibles. Et donc inexistantes.

En cela, Pierre Guyotat réaffirme que ce que l’on nomme « art » n’est jamais un filtre du réel mais l’une de ses conditions essentielles.

L’Art le plus grand, mais dont l’immortalité est d’autant plus ressassée qu’elle n’est pas assurée, ne tient que sur un sursoiement de l’urgence de vivre, de survivre qui crée le réel et nous y oblige

Pierre Guyotat, Idiotie, 2018, Grasset.

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Revue Critique : Pierre Guyotat. https://www.librairie-ptyx.be/revue-critique-pierre-guyotat/ https://www.librairie-ptyx.be/revue-critique-pierre-guyotat/#respond Tue, 08 Mar 2016 07:28:45 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5877

Lire la suite]]> GuyotatAu risque de paraître péremptoire – qui ne risque rien… -, Pierre Guyotat est le seul écrivain qu’un lecteur devrait se donner la peine de lire si, pour diverses raisons, il n’en avait qu’un à lire. Pourtant, l’importance que la critique – du moins celle qui s’attelle à défricher l’espace littérature plutôt qu’à en vendre les pâles succédanés – lui reconnaît presque unanimement est à l’image inverse du nombre restreint de ses lecteurs. Cataloguée « avant-garde », « difficile », « obscure », « élitiste », « incompréhensible », son oeuvre parait ainsi condamnée à la discrétion maudite des expériences survenues trop tôt trop fort. Il n’est donc jamais trop d’une publication se donnant pour propos de l’éclairer. On ne peut donc que se réjouir que la revue Critique – qui a toujours fait montre d’une grande fidélité à l’oeuvre de Guyotat – ait décidé de lui consacrer un numéro spécial.

Ouvrant sur un inédit de 1962, La prison, suivi d’un autre, Parlerie du rat, toujours en travail et devant faire partie de Géhenne (ouvrage à paraître, depuis longtemps annoncé, et fébrilement attendu), la revue s’articule ensuite autour d’une douzaine d’articles critiques, s’intéressant chacun à une ou deux œuvres de Pierre Guyotat.

Un des premiers mérites de ce numéro spécial est, en donnant à lire ces deux textes inédits écrits à plus d’un demi-siècle d’écart, de mettre en perspective l’inlassable cheminement de son auteur. Moins essai d’y lire une évolution forcée, voire un progrès quelconque qui l’aurait fait glisser cinquante ans plus tard vers un choix différent d’écriture que mise en perspective de ses deux « façons » d’écriture, celle en langue française normative (Arrière-fond, Eden eden eden, par exemple…) et celle des textes dits « en langue » (Joyeux animaux de la misère, Prostitution, etc..), cette simple juxtaposition de deux textes permet en effet d’observer à la fois la continuité d’une recherche et la diversité des moyens mis en oeuvre pour la faire aboutir.

Une prison est l’endroit le plus bas du monde. La pensée y est couverte, le dos courbé. On s’y habitue au sordide. On ferait l’amour sur la terre battue.

Nullement obsession du sordide, ni fascination de l’abject, l’oeuvre de Pierre Guyotat est une tentative menée par son versant extrême de donner à la langue des moyens neufs pour exprimer la totalité et la beauté du monde. L’ampleur des moyens nécessaires étant à l’échelle de l’horreur qu’ils sont censés désamorcer, si le beau peut sourdre des lieux que parcourt l’auteur, alors il peut sourdre de partout.

Les textes proprement critiques, quant à eux, sont à l’image de la diversité des textes qu’ils s’essaient à couvrir comme de celle de leurs auteurs respectifs. Passionnés, jamais inutilement didactiques, souvent pertinents, ils pêchent cependant parfois par un manque d’ouverture. Plutôt destinés à un public de convaincus, ils leur apporteront plus de quoi les convaincre mieux encore qu’à élargir leur cercle. Par ailleurs – et l’exercice de la critique en revue en offre bien d’autres exemples -, ces exercices critiques sont parfois malheureusement moins une véritable tentative critique qu’une occasion prise par les exégètes de forcer le sujet « Guyotat » dans leurs catégories habituelles ou de se servir du nom « Guyotat » comme d’un piédestal sur lequel hisser le leur. On y trouvera ainsi une analyse fort inutilement « communiste » de Tombeau pour cinq cent mille soldats ou la vantarde et plus inutile encore référence au propre travail de l’exégète en mal de publicité, dans le sein de l’article même. Nonobstant ces bémols – qui finalement prêtent assez à rire -, ce numéro spécial est une excellente occasion de lire encore un peu plus à propos d’un auteur essentiel. Et, après tout, deux inédits du génial Guyotat valent largement bien quelques haussements d’épaules collatéraux…

Revue Critique, Pierre Guyotat, dirigée par Donatien Grau, avec des articles de A. Badiou, R. Brassier, C. Brun, P. Brunel, E. Coccia, M. Ferrier, T. Garcia, D. Grau, A. Jefferson, C. Malabou, T. Samoyault, E. White, M. Zink., 2016.

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Prix ptyx 2014! https://www.librairie-ptyx.be/prix-ptyx-2014/ https://www.librairie-ptyx.be/prix-ptyx-2014/#respond Thu, 18 Dec 2014 11:20:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4796

Lire la suite]]> prix ptyx 2014Fidèlement attachés à notre objectif de noyer le prix dans les prix, de restreindre la médiocrité par sa dilution dans encore plus de médiocre, de submerger l’obscène par sa surenchère, nous avons, comme l’année passée, décidé d’accorder, nous aussi, notre prix.  Si cette technique utilise peu ou prou les armes et outils de ce que nous nous proposons de combattre, il nous a semblé utile d’insérer dans celles-ci ses contrepoints mêmes.  Fi de la pluralité, de la démocratie et de l’œuvre pas-élitiste-susceptible-d’attirer-un-large-public-parce-que-se-couper-du-public-c’est-pas-bien-parce-que-le-plus-grand-nombre-c’est-forcément-bien donc.  Ce n’est pas parce que le prix est par essence bête (en ce compris le prix ptyx) qu’il se doit de consacrer la bêtise.  C’est ainsi qu’après une courte délibération, attablé confortablement devant une boîte de filet de maquereaux vide, lorgnant déjà sur une Rochefort 10°, le jury, à l’unanimité poutinienne de son seul membre décidant en son âme et conscience, au premier tour de son unique scrutin, a attribué le prix ptyx 2014 (qui, rappelons-le, ne donne droit strictement à rien) aux deux (ben oui deux!) ouvrages suivants :

« Joyeux animaux de la misère » de Pierre Guyotat.

Joyeux animaux de la misereEn une époque non précisée, dans un bordel mené par un jeune maître drogué qui l’a hérité de son père, trois putains (un père, son fils Rosario et une femelle gardée par un chien) « traitent » un tout-venant de travailleurs, de fugitifs, de meurtriers.  A intervalles réguliers le maître envoie Rosario visiter sa mère qui survit très loin.

que comment je vas vivre, chérie, en dehors de ton odeur?

Si la fiction avance, comme l’annonce le quatrième de couverture, s’il y a donc bien une « histoire » dans le sens conventionnel du terme, c’est surtout de mouvement qu’est tissé le roman.  Celui des êtres qui viennent aux corps des putains et s’en repartent, celui des corps sur, sous et dans les corps.  Et ce mouvement, ce flux des corps et de leurs fluides et remugles, c’est de sa mise en langue dont il est question.

« … que c’est quoi, ça, écrire? » – « … que c’est trouver des mots pour des actes…  » – « … et combien de mots que tu nous y mets par acte, mon homme? »

L’écriture de Guyotat se teinte depuis toujours d’un parfum de scandale.  Probablement car ce que n’ont pas compris ses contempteurs c’est que c’est précisément d’écriture qu’il s’agit.  Et non des actes pour lesquels ces mots sont trouvés (« … que tu nous oublies le principal, Petit Soleil! » – « … que c’est quoi, démone? » –  » La causette! » ).  Ceux-ci fonctionnant presque comme une contrainte.  Ce que ces mots « décrivent » existe bel et bien mais en faits éclatés, dans le temps et dans l’espace.  L’exercice de Guyotat est de d’abord les rassembler en un bloc compact qu’il taille ensuite à sa langue, qui est sa mesure.  Comme s’il s’agissait d’abord, pour lui, de saisir de la vie humaine ce qui parait être pour le commun le plus éloigné de l’idée de beauté.  Et de l’en faire surgir quand même.

que moi, toutes les écritures sont pareilles, que c’est du dessin pour les vrais humains, que moi je ne lis que dans les plis, les rides, les mouvements des poils, des cheveux, l’avancée de la larme hors de la commissure sur la joue…

Et cela comme en se défendant de la faire survenir, cette beauté, par le surgissement de la beauté convenue, normale, traditionnelle, du sordide.  C’est du sordide même (entendons : des mots qui la disent), non de sa suspension, que doit jaillir la beauté.

que c’est d’en haut que se fait la monte, en mots…

Tout vrai défi de littérature s’organise autour d’une langue neuve.  Dont la syntaxe est ici heurtée, la sémantique perturbée.  Mais dont les ruptures mêmes renvoient à une suite dans laquelle s’insérer.  Ainsi les « que » omniprésents qui ouvrent presque chaque phrase sont certes là pour marquer comme le manque d’un des termes d’une conjonction de subordination, mais rappellent aussi le « que » latin qui, lui, marquait la coordination.  De cette liaison nait un sens renouvelé.  Et de son itérativité un effet de scansion qui l’apparente à la musique.  De même en va t’il des créations sémantiques (qu’est ce que le mowey?).  Comme de ce qui est absent du roman.  Ainsi du mot « sexe » que vous ne trouverez pas une fois, alors que le texte, pour le lecteur distrait, semble y référer en entier.  Quod non.

Et lentement se dessinent, dans les entrelacs de l’ignominie même, dans ce grouillement d’êtres, les pendants de notre monde.  Un monde dont le scandale n’est pas dans les corps partageant leurs sucs, mais dans l’instrumentalisation que certains en font.

oui le maître il aime pas trop que mon jus qu’est son bien je le dépense hors de son regard!…

un homme ça vaut pas, qu’un putain ça vaut!

Un scandale qui réside dans l’apprentissage concomitant des mécanismes de soumission et des moyens à en rendre compte par le langage.  Qui enferrent d’autant mieux l’apprenant dans une servitude qui prend pour nom « norme ».

mon petit, c’est de moi que tu vas apprendre à te faire mettre et augmenter le bien de notre maître et à parler.

Un monde dont la vérité sourd moins de l’humain que du putain.  Un monde dont les excès, d’actes comme de langues, permettent le mieux de saisir la quintessence intranquille.  Un monde dont seule, la main d’un poète génial peut, le taillant, y fouaillant, faire surgir ce que peut-être on s’attendait le moins à y déceler : de la joie.

vois que c’est mes fesses que je t’ouvre et la voie de la joie.

Pierre Guyotat, Joyeux animaux de la misère, 2014, Gallimard.

& :

« Opéradiques » de Philippe Beck.

OPERADIQUESOs n’est pas l’idée de chair.

« Un souffle ouvre des brèches opéradiques » disait Rimbaud dans ses illuminations.  Et ce sont ces brèches que se propose d’entrouvrir Philippe Beck.

Pas de solo sans écho.

Pas de Narcisse sans Echo.  Pas de solitaire sans plusieurs.   Pas d’être seul sans tout ce qui est éparpillé sur terre.

Or, l’encre-de-monde invite le Pinceur Chargé, le Pesé Traçant ; il invite la main de l’idée.  Et il y a P.

Il y a poésie dans cet espace du plusieurs, où écriture, musique, peinture se conjoignent, se rencontrent.  Il n’y a poésie que dans l’ouverture aux autres arts.  La poésie de Philippe Beck cherche d’abord à ouvrir cet espace plural (ces plusieurs) qui, non content de l’enrichir, la fonde même.

La jachère plusieurs est vieille et continue, avec boue et éclat.

Pas de poésie sans provenance donc.  Et pas de poésie sans musique.  Ni de musique sans danse.

Quelqu’un a sifflé avant de chanter.

Orchestre sonne sous les pas d’abord.

C’est le vent soufflant sur la rive qui donne l’idée de souffler aux creux de roseaux souples.  Ce sont les corps dansant, se touchant, se cognant parfois qui, entre heurts et bruissements, font musique.  Comme le corps-instrument fait musique, c’est la matière même qui fait poésie.  Celle-ci n’est pas au départ ajout.  Le monde (Le monde entier + l’œuvre = le monde entier.) est un gisement qui nécessite le soc de l’art dont le sillon le fertilise (Soc est un brandon chercheur.  Loin de Clôture.).  Et l’artiste est d’abord un faisant, un dé-crivant, un peignant, un musiquant, qui ekphrase, expose en détail, et dont l’aboutissement est de dire cette matière.

Le filet remonte le filet.  Et montre l’eau.

Et l’art de Philippe Beck en est une des plus éclatantes réussite.  Dans ses flux, ses errances, ses amples chatoiements, c’est la page que la poésie de Philippe Beck révèle en l’encrant.

Le poème affiche quoi! La page même.

Philippe Beck, Opéradiques, 2014, Flammarion.

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« Joyeux animaux de la misère » de Pierre Guyotat.* https://www.librairie-ptyx.be/joyeux-animaux-de-la-misere-de-pierre-guyotat/ https://www.librairie-ptyx.be/joyeux-animaux-de-la-misere-de-pierre-guyotat/#respond Fri, 18 Apr 2014 08:08:50 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4076

Lire la suite]]> Joyeux animaux de la misereEn une époque non précisée, dans un bordel mené par un jeune maître drogué qui l’a hérité de son père, trois putains (un père, son fils Rosario et une femelle gardée par un chien) « traitent » un tout-venant de travailleurs, de fugitifs, de meurtriers.  A intervalles réguliers le maître envoie Rosario visiter sa mère qui survit très loin.

que comment je vas vivre, chérie, en dehors de ton odeur?

Si la fiction avance, comme l’annonce le quatrième de couverture, s’il y a donc bien une « histoire » dans le sens conventionnel du terme, c’est surtout de mouvement qu’est tissé le roman.  Celui des êtres qui viennent aux corps des putains et s’en repartent, celui des corps sur, sous et dans les corps.  Et ce mouvement, ce flux des corps et de leurs fluides et remugles, c’est de sa mise en langue dont il est question.

« … que c’est quoi, ça, écrire? » – « … que c’est trouver des mots pour des actes…  » – « … et combien de mots que tu nous y mets par acte, mon homme? »

L’écriture de Guyotat se teinte depuis toujours d’un parfum de scandale.  Probablement car ce que n’ont pas compris ses contempteurs c’est que c’est précisément d’écriture qu’il s’agit.  Et non des actes pour lesquels ces mots sont trouvés (« … que tu nous oublies le principal, Petit Soleil! » – « … que c’est quoi, démone? » –  » La causette! » ).  Ceux-ci fonctionnant presque comme une contrainte.  Ce que ces mots « décrivent » existe bel et bien mais en faits éclatés, dans le temps et dans l’espace.  L’exercice de Guyotat est de d’abord les rassembler en un bloc compact qu’il taille ensuite à sa langue, qui est sa mesure.  Comme s’il s’agissait d’abord, pour lui, de saisir de la vie humaine ce qui parait être pour le commun le plus éloigné de l’idée de beauté.  Et de l’en faire surgir quand même.

que moi, toutes les écritures sont pareilles, que c’est du dessin pour les vrais humains, que moi je ne lis que dans les plis, les rides, les mouvements des poils, des cheveux, l’avancée de la larme hors de la commissure sur la joue…

Et cela comme en se défendant de la faire survenir, cette beauté, par le surgissement de la beauté convenue, normale, traditionnelle, du sordide.  C’est du sordide même (entendons : des mots qui la disent), non de sa suspension, que doit jaillir la beauté.

que c’est d’en haut que se fait la monte, en mots…

Tout vrai défi de littérature s’organise autour d’une langue neuve.  Dont la syntaxe est ici heurtée, la sémantique perturbée.  Mais dont les ruptures mêmes renvoient à une suite dans laquelle s’insérer.  Ainsi les « que » omniprésents qui ouvrent presque chaque phrase sont certes là pour marquer comme le manque d’un des termes d’une conjonction de subordination, mais rappellent aussi le « que » latin qui, lui, marquait la coordination.  De cette liaison nait un sens renouvelé.  Et de son itérativité un effet de scansion qui l’apparente à la musique.  De même en va t’il des créations sémantiques (qu’est ce que le mowey?).  Comme de ce qui est absent du roman.  Ainsi du mot « sexe » que vous ne trouverez pas une fois, alors que le texte, pour le lecteur distrait, semble y référer en entier.  Quod non.

Et lentement se dessinent, dans les entrelacs de l’ignominie même, dans ce grouillement d’êtres, les pendants de notre monde.  Un monde dont le scandale n’est pas dans les corps partageant leurs sucs, mais dans l’instrumentalisation que certains en font.

oui le maître il aime pas trop que mon jus qu’est son bien je le dépense hors de son regard!…

un homme ça vaut pas, qu’un putain ça vaut!

Un scandale qui réside dans l’apprentissage concomitant des mécanismes de soumission et des moyens à en rendre compte par le langage.  Qui enferrent d’autant mieux l’apprenant dans une servitude qui prend pour nom « norme ».

mon petit, c’est de moi que tu vas apprendre à te faire mettre et augmenter le bien de notre maître et à parler.

Un monde dont la vérité sourd moins de l’humain que du putain.  Un monde dont les excès, d’actes comme de langues, permettent le mieux de saisir la quintessence intranquille.  Un monde dont seule, la main d’un poète génial peut, le taillant, y fouaillant, faire surgir ce que peut-être on s’attendait le moins à y déceler : de la joie.

vois que c’est mes fesses que je t’ouvre et la voie de la joie.

Pierre Guyotat, Joyeux animaux de la misère, 2014, Gallimard.

*Cette chronique est un peu longue.  On eût pu cependant la rallonger encore de nombreuses pages, tellement la matière est riche.  Inépuisable même.  C’est le propre des chefs d’œuvres…

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« Musiques » de Pierre Guyotat. https://www.librairie-ptyx.be/musiques-de-pierre-guyotat/ https://www.librairie-ptyx.be/musiques-de-pierre-guyotat/#respond Tue, 14 Jan 2014 07:50:26 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3564

Lire la suite]]> Musiques« Musiques » de Pierre Guyotat se présente comme un livre regroupant 12 cd, chacun brièvement introduit par un court texte le présentant.  L’ensemble est la somme non coupée, non retravaillée, des entretiens qui avait été réalisés dans le cadre d’une émission sur France Culture.  Le principe en est simple.  Pierre Guyotat parle de la musique dans l’ordre chronologique de sa découverte.  On n’y entend donc que lui parlant de la musique.  Seuls deux ou trois extraits de musique émaillent l’ensemble, par ailleurs parsemé de bruits de ville, ou d’un siège qui grince.

Qui connaît le Guyotat de « Progénitures » devine que le rapport de l’auteur à la musique n’est pas anodin.  La conjonction du son et du scriptural dans l’acte de signifier y devient un enjeu même de la littérature.  Au point qu’il semble impossible au lecteur de ne pas y trouver des fondements dans un rapport à la musique profond et vaste.  D’où l’un des intérêts de cet imposant livre.  Celui d’approcher l’œuvre par la genèse d’un rapport à un art de son auteur.  Non que cela fasse centre dans ce projet-ci.  Loin de là.  Les évocations de l’écriture sont très rares.  Elles résultent presque de l’accident inévitable de l’entretien « à bâton rompu ».  Mais, sans y faire référence directement, ce qui y est dit du vécu musical de son auteur en éclaire l’œuvre écrite peut-être plus intensément encore qu’une longue et plus directe exégèse de celle-ci.  On y ressent à quel point un art (ici, la musique) peut non pas être apprécié, connu ou approché, par quelqu’un mais le constituer.  Dans l’évocation de la vie musicale de Guyotat se découvre moins une influence (de la musique sur l’écriture ou de la musique sur l’existence) qu’une interpénétration de l’une et de l’autre.  Rien, bien entendu, du « hobby », de l’ordre de la détente ou du divertissement pascalien, dans la pratique musicale de l’auteur d' »Eden eden eden ».  C’est de fusion ou de dissolution qu’il faut parler.  Car, comment écouter Schumann, ou Berg, sans saisir, dans cette émotion qu’ils suscitent en nous, quelque chose qui y restera, s’y gravera profondément.  La musique, l’art véritable ne sont rien d’autre que ce phénomène par lequel nous accédons à un changement d’état.  Ecouter Guyotat parler de musique (SA musique, certes, mais LA musique ne va pas sans les rapports qu’elle entretient avec qui l’écoute et la constituent à son tour), l’écouter c’est d’abord cela : saisir, ressentir ce qu’est l’Art.

Plus prosaïquement, c’est aussi décupler ses envies de musique.  C’est, en côtoyant une parole s’y livrant tout entière, une mémoire phénoménale, une érudition débordante, découvrir ou redécouvrir, plus de douze heures durant, des musiciens qu’on croyait connaître.  « Musiques », c’est Roland de Lassus, Schumann, Schoenberg, Bartók, et tant d’autres, qui arrivent jusqu’à nous portés par la voix d’un des auteurs les plus radicalement inventifs d’aujourd’hui.

L’épopée traite le détail.  Le détail est révélateur du plus grand.  C’est ce que je tente de faire.

Pierre Guyotat, Musiques, 2002, Leo-Scheer-France Culture.

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