Cambourakis – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Seiobo est descendue sur terre » de Laszlo Krasznahorkai https://www.librairie-ptyx.be/seiobo-est-descendue-sur-terre-de-laszlo-krasznahorkai/ https://www.librairie-ptyx.be/seiobo-est-descendue-sur-terre-de-laszlo-krasznahorkai/#respond Fri, 30 Mar 2018 07:46:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7524

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il lui aurait pourtant suffi de regarder

Un gardien de musée tombé sous la fascination de la Vénus de Milo. Un rite shinto gardé secret pendant plus d’un millénaire que l’on dévoile peu à peu à des chercheurs. Les difficultés qu’éprouvent des spécialistes à attribuer à un auteur peu connu une oeuvre exceptionnelle de la Renaissance italienne. Un sans-abri praguois qui découvre, lors d’une exposition à Barcelone, la copie d’une icône majeure. Voyageant dans le temps, l’espace, et se défaisant des frontières culturelles, Laszlo Krasznahorkai nous enjoint à regarder autrement ce que nous nommons l’art, quelles qu’en soient les formes.

l’Alhambra se dresse sans but et sans raison, et personne ne comprend pourquoi il se dresse là, et personne n’y peut rien

Comme l’Alhambra en est un exemple paradigmatique, l’art conjoint, dans un entrelacs souvent indémêlable, les causes et les effets de l’admiration qu’on lui porte. Cette admiration, l’oeuvre la suscite-t-elle seulement elle-même? Ou ne sont-ce pas nos propres allégeances culturelles, conscientes et inconscientes, qui, une fois projetées dans l’oeuvre, en viennent à lui bâtir un piédestal? Ou y a t-il quelque chose qui soit inhérent à l’oeuvre, qui ne dépende de rien qui lui soit extérieur, et qui la constitue comme telle digne du regard? Et aussi, l’essence même de ce qui la rend unique ne dépend-t-elle pas inéluctablement de quelque chose d’inconscient dans l’acte qui l’a créée? Pourquoi l’Alhambra a-telle été posée là? Quelle fut sa fonction? Qui l’a construite? Alors que, dans le cas de cette merveille architecturale par exemple, aucune « raison » définitive ne peut venir « justifier » sa construction, nous ne pouvons nous contenter du simple constat de sa beauté – le « c’est beau et puis voilà ». Sans doute parce que nous sommes désemparés par cette beauté, nous nous sentirons toujours enclins, à défaut de pouvoir lui en « trouver », à lui « créer » des raisons. Cette quête venant alors participer de la construction  du beau. Peut-être est-ce alors justement cela, ce désarroi ancestral mais toujours vécu comme neuf, mêlé d’un savoir érudit et de ce qui toujours y échappe, qui nous saisit devant la chose « belle », qui forme alors notre plus sure manière de la reconnaître comme telle et dire que oui, décidément, elle est « vraiment belle »…

Ne pas savoir quelque chose est un processus complexe, dont l’histoire se déroule dans l’ombre de la vérité. La vérité existe. Puisque l’Alhambra existe. Il est la vérité.

Laszlo Krasznahorkai est de ces rares écrivains qui parviennent à dire ce qui, sinon, demeurerait dissimulé. En nous permettant d’approcher – en lui donnant une « expression » – le beau, il démontre que c’est de cela qu’une littérature se nourrit, de la possibilité qu’elle offre, lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements, de toucher au caché, au sacré. La littérature devient alors, pour notre plus grande joie, un acte qui révèle…

Tenue secrète dans son essence, révélée dans son apparence.

Laszlo Krasznahorkai, Seiobo est descendue sur terre, 2018, Cambourakis, trad. Joëlle Dufeuilly.

 

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« Contrenarrations » de John Keene. https://www.librairie-ptyx.be/contrenarrations-de-john-keene/ https://www.librairie-ptyx.be/contrenarrations-de-john-keene/#respond Tue, 06 Sep 2016 08:13:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6226

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Contrenarrations

 

Naturellement, il y a des enfers et il y a des enfers, ce qui est vraiment une affirmation de banalités, car il existe des degrés d’horreur, d’horreurs dont nous sommes tous témoins et que nous vivons, parfois directement, souvent indirectement, et c’est l’immédiateté de l’horreur, sa sublimité et notre incapacité à même y réfléchir, bien que nous puissions nous en souvenir indélébilement, qui forment notre sens de ce qu’un enfer particulier, ou l’Enfer lui-même, pourrait être.

Contrenarrations se composent de 13 « récits », répartis en trois parties. De l’un à l’autre on ne retrouve ni personnages récurrents, ni suite narrative ou fictionnelle. De longueur variable, de principes formels, de registres du discours très variés, un regard distrait les apparenterait au genre classique de la nouvelle. Et pourtant s’en dégage un irrésistible sentiment d’ensemble, celui-ci débordant celui, très classique aussi, de la simple thématique commune.

Qu’est ce que savoir, savoir profondément? Le savoir n’est-il pas toujours une forme de pouvoir qui, mené trop loin, ne peut être retourné contre lui-même?

Dans chacun de ces récits un(e) noir(e) du continent américain a affaire, sous ses formes les plus variées, des plus assumées aux plus sournoises, à l’oppression. Un femme-canon à Paris; Jim, l’esclave affranchi de Mark Twain qui rencontre à nouveau Huckleberry Finn et Tom Sawyer; un domestique de Philadelphie qui devient aéronaute; Carmel, l’esclave personnelle d’une jeune blanche américaine qui se découvre une passion dévorante pour l’art; Bob Cole… Réelles ou fictives, toutes ces figures, éclairées de main de maître par John Keene, nous dessinent une extraordinaire contre-histoire des esclaves africains. De leur arrivée sur le continent à la mise en scène du jugement d’un coupable, Contrenarrations est d’abord bien, comme l’indique son titre, la nécessaire contamination par la parole de ceux qui en ont souffert, de celle, toujours officielle et institutionnalisée, de ceux qui les font souffrir. La seule lecture de cette oeuvre démontrant ô combien nous restons façonnés par une lecture ô combien partiale de l’Histoire.

il vaut mieux parler / en se souvenant / que nous n’étions pas supposés survivre.

A confisquer la parole de qui fut opprimé, l’oppresseur, bien que battant sa coulpe, maintient son joug. A qui fut retiré la parole pour mieux l’asservir pendant des siècles, on refuse l’affranchissement en le maintenant sous le flux et la garde de la sienne. Reste toujours la domination de qui raconte. Et sortir du cycle d’enfermement que consacre cette parole ne se peut qu’en en inventant une basée sur des principes neufs.

Les pieds d’abord pour qu’ils ne puissent jamais s’enfuir. Puis les mains, ainsi même pas les plus simples des outils. Puis les yeux, aucun souvenir donc d’un seul endroit où vous les avez cachés. Mais garder la langue et les cordes vocales jusqu’à la fin parce qu’elles peuvent avoir quelque chose d’autre capable de vous surprendre.

Ce n’est pas Le Noir, La Négritude, L’opprimé qui est le cœur de Contrenarrations, mais sa parole. Brimée, bridée, brisée, mais jamais éteinte, conservant dans la possibilité de son advenue toute sa force. Mieux encore, enfouies sous des couches de silence forcé, semblent y avoir mûri des manières plus subtiles et fécondes de rendre compte. Jamais inutilement post-moderne, ni victimaire, ni doloriste, Contrenarrations consacre génialement le rôle impertinent et salvateur de la forme.

John Keene, Contrenarrations, 2016, Cambourakis, trad. Bernard Hoepffner.

Les 34 minutes de blabla ci-dessus sont le résultat des échanges que nous avons commis avec l’excellent Alain Cabaux lors de la matinale de Radio Campus où il officie de voix de maître.

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« Palais de glace » de Tarjei Vessas. https://www.librairie-ptyx.be/palais-de-glace-de-tarjei-vessas/ https://www.librairie-ptyx.be/palais-de-glace-de-tarjei-vessas/#respond Fri, 17 Oct 2014 07:46:45 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4553

Lire la suite]]> Palais de glaceUn grand calme – qui n’en était pas un.

Dans une Norvège prise par les glaces, deux jeunes filles, Unn et Siss, scellent un soir, devant un miroir, un pacte aussi inexplicable qu’indéfectible.  Peu après, Unn disparaît.

La glace qui s’épaississait jouait à creuser des failles sur des distances infinies.

Détaillant les recherches qui s’organisent, les rapports qui changent entre les élèves de la classe de la disparue, sondant les questions qui submergent Siss, Vesaas construit un récit tout en retrait.  Certes projetant les fils de celui-ci dans les parages des grandes questions universelles, il le tisse comme avec notre propre désarroi devant celles-ci.  Que vaut une promesse à qui est mort?  Qu’opposer à ce qu’on ne peut changer?

Les hommes s’affairaient.  Ils avaient avec eux la vie et la lumière.  Et ils visitaient une forteresse inconnue qui avait tout de la forteresse de la mort.  Si on cognait le mur avec son bâton, la paroi se révélait dure comme la pierre.  Les coups rebondissaient et vibraient jusque dans les bras.  Rien ne s’ouvrait.  Les hommes frappaient quand même.

Quoi de plus douloureux, de plus torturant, que les doutes qu’éveille la disparition d’un enfant ?  L’émotion que ce seul fait contient se suffit à elle-même.  La mettre en scène, la nommer au plus près, y coller, n’y apporte rien de neuf qui ne la constituait déjà.  Le fait raconté met la larme à l’œil.  Point n’est besoin d’un écrivain pour l’en faire couler.  L’écriture de Vesaas introduit de la distance entre le fait et qui le lit.  Ni tout à fait fable, ni à vocation psychanalytique, ses récits, usant sans abuser d’une métaphore discrète, nous arrivent comme sans gras, émondés.  Seul lui suffit de rendre compte de l’action des hommes pour en faire saillir ce qui la fonde.  Ni témoignage, ni compte-rendu, son écriture ouvre grand, par la grâce de son étrange magie, des espaces où le lecteur peut trouver place.

Personne ne peut être témoin de ce moment : quand le palais de glace s’écroule.

Ce palais de glace, c’est le lecteur qui l’habite!

Tarjei Vessas, Palais de glace, 2014, trad. J.B. Coursaud.

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« La caisse » de Aris Alexandrou. https://www.librairie-ptyx.be/la-caisse-de-aris-alexandrou/ https://www.librairie-ptyx.be/la-caisse-de-aris-alexandrou/#comments Tue, 25 Mar 2014 07:40:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3999

Lire la suite]]> arisDans le cas qui nous intéresse, il y a beaucoup plus important que le style.

Nous sommes en Grèce, en 1949.  La guerre civile s’achève.  Le narrateur est enfermé dans sa cellule.  Chaque jour, un gardien rentre dans celle-ci et y dépose, en même temps que du pain et de l’eau, des feuillets et de l’encre.  Et en repart avec les feuillets que le narrateur aura rempli la veille.  La caisse est la retranscription fidèle du contenu de ces feuillets.

L’essentiel est de relater les faits dans l’ordre.

Nous lisons donc la déposition du narrateur des faits qui l’ont amené dans sa cellule.  On y apprend ainsi qu’il fut chargé avec une trentaine d’autres, après une courte formation, de convoyer jusqu’à la ville de K une caisse dont on sait juste que son contenu (ou elle-même) est sensée être déterminante pour l’issue de la guerre.  Le narrateur est le seul survivant de ce « commando-suicide ».

J’avais décidé au départ que ma déposition serait sans ratures, puisque chaque rature serait synonyme de doute.

Mais la déposition du survivant, sensée rendre compte au plus près des événements de la mission, dans sa quête d’objectivité (feinte ou réelle), s’empêtre dans l’impossibilité d’y atteindre (le raisonnement, c’est comme une perceuse, il avance en tournant).  Chaque fois, le narrateur (qui ne sait lui-même s’il est simple accusé ou déjà condamné) se doit de revenir sur ce qu’il a déjà écrit pour le préciser ou l’amender.  Son récit se contaminant peu à peu des souvenirs plus personnels du narrateur.  Ce que dit la caisse, c’est l’impossibilité du témoignage.

Et puisque vous vous obsinez à ne pas me répondre, j’ai songé, pour passer le temps en attendant (car je continue à attendre), j’ai songé à combler certaines lacunes qui subsistent dans le récit que j’ai déjà fait des événements, et pourtant, je sais très bien que tout ce que je pourrai ajouter ne sera jamais qu’un abrégé du texte définitif.

Et lentement, au-delà de cette impossibilité à dire que ressent le narrateur, le doute s’étend non pas même à qui s’adresse cette déposition, mais si elle s’adresse à quelqu’un.

J’ai déjà fait une longue déposition, j’ai cité des faits précis, des noms, des dates, je suis revenu sur de détails pour éclaircir des points qui pouvaient prêter à confusion, j’ai avoué que dans certains cas il m’est arrivé de ne pas dire toute la vérité et vous, vous ne trouvez rien de mieux que de vous taire, vous ne semblez pas vouloir  jouer votre rôle, vous ne semblez pas vouloir me questionner, vous me laissez deviner ce qui peut vous intéresser – or, est-ce que je suis devin?

Incertitude à pouvoir exprimer le passé qui s’étend à la réalité du passé lui-même, d’où l’espoir d’avoir un jour été aimé est lui-même mis à mal par la folie guerrière, incertitude du dire-vrai, ce que parvient à toucher sublimement du doigt Aris Alexandrou, entre Kafka et Beckett, par delà le contexte politique aliénant, c’est l’angoisse d’être.  Où seules des règles, qu’on sait (vertige intranquille) n’être là que pour cela, nous maintiennent douloureusement à flot.

J’ai décidé de respecter jusqu’au bout les règles du jeu, même si je suis seul à jouer et à établir ces règles.

Aris Alexandrou, La caisse, 2014, Cambourakis, trad. Colette Lust.

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« Guerre & Guerre » de Laszlo Krasznahorkai. https://www.librairie-ptyx.be/guerre-guerre-de-laszlo-krasznahorkai/ https://www.librairie-ptyx.be/guerre-guerre-de-laszlo-krasznahorkai/#respond Wed, 18 Dec 2013 08:49:32 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3571

Lire la suite]]> guerre-guerre-couvpourquoi l’auteur ne prenait-il pas la peine de se soumettre aux contraintes minimum imposées par toute œuvre littéraire?

Korim, archiviste de son état, triste par nature, découvre un manuscrit dans une chemise référencée IV- 3/10/1941-42.

il avait ressenti le besoin de relire ce que le hasard avait placé entre ses mains, le relire immédiatement […] car les trois premières phrases avaient suffi pour le convaincre qu’il détenait là un ouvrage peu ordinaire.

Rapidement, l’objectif devient clair.  Ce texte, il doit le recopier, lui donner une vie, une pérennité.

ce manuscrit devait […] être porté « en avant » vers l’immortalité, là où était sa place, et il avait alors pris la décision de mettre sa vie en jeu pour cela.

On suit alors le trajet du copiste d’une région reculée au nord de Budapest jusqu’à New-York (New York, là où il avait décidé de réaliser son projet d’accéder à l’immortalité, puis de mourir.), au travers de ses rencontres.  Réellement au travers de celles-ci.  Car, tout dans Guerre & guerre, n’avance que par celles-ci.  Si Korim parle et parle encore, sans cesse, sa logorrhée ne nous est jamais donnée directement.  Elle ne nous est rapportée que par ce qu’en dit quelqu’un qui l’a rencontré à un autre.  Chaque personnage rencontré prenant la narration à son compte, contant l’action à un autre qui prendra éventuellement à son tour le relais.  Se tisse ainsi une histoire à la fois toute en tension et en mouvement.  Le sol sur lequel repose l’acte de narrer même étant lui-même mouvant (la question de qui raconte à qui étant ici aussi un enjeu), le lecteur est toujours comme en terrain étranger, à la fois indécis, et tendu dans la résolution de cette incertitude qu’il sent approcher.  A la narration des aventures de Korim, s’enchevêtre celle du texte qu’il copie peu à peu.  Mais là aussi par l’expédient de ce que le copiste en ressent.

Pourquoi inventer, même secrètement, même dans une tour d’ivoire, même sans intention de la rendre publique, une histoire pareille […] quel était le sens, l’intérêt de tout cela?

Le seul but ici est de faire une œuvre de beauté.

il ne fallait pas faire le bon ou le mauvais choix mais admettre que rien ne dépendait de nous, accepter que la justesse d’un raisonnement, aussi remarquable fût-il, ne dépendait pas de son exactitude ou de son inexactitude, puis qu’il n’y avait aucun modèle de référence auquel le mesurer, mais de sa beauté

Laszlo Krasnahorkai ne relate pas une histoire.  Il écrit une histoire de relations.

Il existe une relation forte entre les choses proches, une relation faible entre les choses distantes, et entre les choses très éloignées, il n’y aucune relation, et là, on touche au divin.

Et dans ces mises en doute et l’étrange dans lequel il plonge le lecteur, se dessinent peu à peu des mondes aux traits incertains, comme diffus.  En faisant reposer sa fiction sur le croisement des paroles de tous ceux qui l’interprètent, le réel dont il rend compte apparaît comme chancelant sans cesse.  Renversant la théologie, il fait de ce même réel une question de croyance, où le monde n’est et subsiste que par la foi en son existence.

le manuscrit n’avait qu’un seul propos : écrire la vérité en boucle jusqu’à la folie.

Laszlo Krasznahorkai, Guerre & Guerre, 2013, Cambourakis, trad. Joëlle Dufeuilly.

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