La Barque – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Amulette » de Carl Rakosi https://www.librairie-ptyx.be/amulette-de-carl-rakosi/ https://www.librairie-ptyx.be/amulette-de-carl-rakosi/#respond Fri, 27 Apr 2018 07:46:31 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7582

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Quelqu’un doit parler?

Quels sont les faits?

Sous les feuilles du chêne,

toi et moi sommes allongés

loin des âtres éternels

et réalisons l’idéal

par une passion interne.

 

Le soir tombe doucement

sur la maison et l’herbe

et sur toutes les branches

et les sommets nous tombent

dessus comme nous sommes allongés

sur les feuilles du chêne

couvant les herbes nocturnes.

Carl Rakosi est connu en français comme l’un de ceux qui fut aux origines de ce que l’on nomme le mouvement objectiviste. Alors que les trois autres poètes américains objectivistes (sans parler même de ceux qui, sans en être à l’origine, peuvent peu ou prou y être rattachés, comme Pound ou Williams par exemple), Charles Reznikoff, Georges Oppen ou Louis Zukofsky, ont fait l’objet depuis longtemps de traductions en français, aucun livre n’avait encore été consacré à la poésie de Rakosi. De là à faire germer dans l’esprit du lecteur francophone de poésie (si si il y en a…) l’idée que Carl Rakosi n’était qu’un initiateur chanceux et rien de plus, il n’y avait qu’un pas. Comme si son mérite s’était limité à avoir été au bon endroit au bon moment et qu’il n’avait pu, par la suite, développer de ton propre qui eût pu rivaliser avec celui de ces illustres « collègues ».

Cette première traduction en français d’Amulette (premier recueil de la seconde partie de la longue carrière de l’américain, publié en 1967 après 25 années de silence éditorial) vient heureusement démontrer que Carl Rakosi est bien plus qu’un faire-valoir.

Ce sont les données brutes.

Un mystère les traduit

en sentiment et perception ;

puis vient l’imagination ;

finalement, le quartz

dur et inévitable

figure de la volonté

et du langage.

L’objectivisme de Carl Rakosi (objectivisme dont il n’eut de cesse de rappeler qu’il était loin de constituer un groupe cohérent et monolithique) semble plus profondément incarné que celui dont on se construit souvent une image. Certes les faits, les « objets », – et non les « images », les « idées » ou les « mots » – sont la matière du poème. Ce sont bien les données brutes qui en irriguent le propos. Mais l’ « objet » de Rakosi n’est jamais un objet pris parmi d’autres, censé en représenter, au choix, l’essence, l’idéal ou la quiddité. Il est ce qu’il a devant les yeux ou ce qui émerge de ses souvenirs. L’arbre d’un poème est un arbre réel. La jeune fille est bien une jeune fille réelle. Mais plus encore que réel – caractéristique dont tout poème objectiviste pourrait se voir dotée -, l’ « objet » semble plus personnel chez Rakosi. Comme s’il était parvenu, alors que le processus de composition poétique en travaille profondément la matière, à conserver à l’ « objet » sa réalité individuée. Entrent alors en résonance la prise de distance qu’institue l’objectivation qu’accomplit le poète d’avec son « objet » et l’intime personnalité propre qu’il lui conserve.

A l’opposé des long poems objectivistes, les poèmes les plus aboutis de Rakosi sont sans doute ses plus courts. Car c’est dans ceux-là que ce pas-de-deux entre « l’objectif » et « l’intime » parait le plus subtil et le plus fragile. Comme s’il était parvenu là, sans sortir de son programme « terre à terre », à mâtiner l’objet d’un mystère qui le révèle.

Carl Rakosi, Amulette, 2018, La Barque, trad. Philippe Blanchon.

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« Le Grand Cercle » de Conrad Aiken. https://www.librairie-ptyx.be/le-grand-cercle-de-conrad-aiken/ https://www.librairie-ptyx.be/le-grand-cercle-de-conrad-aiken/#respond Thu, 09 Nov 2017 09:57:34 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7255

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Hâte-toi – Hâte-toi – Hâte-toi – Tout se trouvait pris par la hâte. Le train se hâtait. Le monde se hâtait. Le paysage se hâtait.

Andrew Cather, dit Andy le Borgne, rentre plus tôt que prévu d’un voyage à New-York. Prévenu par un ami, il soupçonne son épouse Bertha d’entretenir une relation extra-conjugale avec Tom, un autre de ses amis. Le Grand Cercle débute alors qu’il est dans le train qui l’amène chez lui, déjà un peu ivre, imaginant la situation qui l’attend tout en questionnant son propre acte.

Il n’y a pas de rapport, pas de logique.

Chacun des quatre chapitres de ce Grand Cercle met en scène un narrateur différent s’exprimant dans des types et registres de discours eux aussi différents. Saisissant par des dehors formels très divers le protagoniste principal à un événement charnière de son existence, chaque chapitre peut se lire comme s’il eût pu se clore sur lui-même. Comme si chacun n’était qu’un cercle à l’intérieur d’un autre, ce Grand Cercle, qu’il constituait et prolongeait.

La vitesse doit remplacer la pensée. L’action doit remplacer l’idée. 

On s’étonne toujours que chaque livre de Aiken ne soit pas déjà devenu un classique. Dans la droite ligne de la prise en compte par l’art du début du vingtième siècle du « flux de conscience », l’américain n’a pas son pareil pour faire se mêler sur un même plan impressions fugaces, souvenirs, états d’âme, rêves et faits réels. Mais si chez beaucoup d’auteurs de l’époque et de cette « école-là » – comme de celles qui lui succéderont – l’empreinte formelle qu’ils apposent sur leur sujet peut aller jusqu’à dissimuler ce dernier sous un glacis formaliste, et par là, laisser au lecteur un vague goût d’artifice, chez Aiken, aucun formalisme n’impose jamais son diktat à l’objet sur lequel il s’ente. La forme nouvelle n’est ni artifice ni occasion d’esbroufe. Elle n’impose rien à un objet dont elle révélerait alors une part jusque là prétendument cachée. Elle n’est jamais cet outil façonné par l’auteur grâce auquel un lecteur pourrait arracher d’un fond ce qui en ferait la substance. La forme, chez Aiken, paraît naturelle, consubstantielle au fond. L’écriture, à l’opposé de l’instrument ex nihilo plaqué sur un monde qu’il s’agirait de décrire, est chez lui semblable à la lumière dont joue le photographe pour dévoiler un objet. Aiken ne crée pas. Il révèle.

la sensation que le temps ne passe pas, que l’espace n’a pas de limites, mais aussi cette merveilleuse, toujours renouvelée, de proximité et d’éclat et d’ampleur, la vivacité des petites choses, l’extraordinaire intensité des brins d’herbe et des feuilles de trèfle et des glands, la chaleur du sable dans la main, le bruit des feuilles tapotant les murs de bois de la cabane de jeu – l’étrange et nouvelle sensation d’être exposé avec éblouissement à tout cela, chaque année à notre retour comme si l’on avait oublié ce que c’était que de voir un nuage entraîné à travers le ciel bleu sans changer de forme d’ouest en est, ou d’essayer de fixer le soleil jusqu’à voir des taches violettes et vertes, d’être allongé dans l’herbe chaude et irrégulière comme si l’on en faisait partie, les sauterelles et les grillons rampant sur les jambes nues et les chatouillant ou pénétrant dans nos vêtements pour y faire des taches de jus de tabac – revenir à cela, se laisser une fois de plus surprendre par cela et s’y replonger, comme si encore une fois on s’intégrait au vent, au soleil, à la terre –

Écrivain de l’enfance et du tumulte, Aiken est de ces rares auteurs qui ont à la fois compris notre déchirante condition et réussi à lui donner un cadre ému et subtil. C’est sans doute pour cela que sa magie – au sens littéral du mot – nous bouleverse autant…

Mais où tout cela s’en était-il allé, où s’en était allé tout le tumulte? Dans quel son de lointain couchant, quel lent et distant et délicieux tonnerre d’éboulement comme d’un monde perdu dans une paix parfaite?

Conrad Aiken, Le Grand Cercle, 2017, La Barque, trad. Joëlle Naïm.

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« Ultime anthologie » de Idea Vilarino. https://www.librairie-ptyx.be/ultime-anthologie-de-idea-vilarino/ https://www.librairie-ptyx.be/ultime-anthologie-de-idea-vilarino/#respond Thu, 29 Jun 2017 07:23:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6970

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La pierre bleue

qui luit

reluit de mer

le voile rose violacé

de l’horizon clair

et la masse lugubre des pins.

Entre le poème qui ouvre le recueil et celui qui le ferme, la poétesse uruguayenne – devenue classique en son pays -, paraît nous guider, main dans la main, vers un nécessaire apaisement. D’une lumière provenant d’une source inattendue et reflétant son contraire, elle bascule lentement vers sa sereine absence. Jouant de l’ancestrale corde lyrique qui associe mort et amour, elle parvient, économe en moyens, prodigue en inventivité, à construire un univers formel dont l’extraordinaire profondeur n’a d’égale que sa générosité. La poésie d’Idea Vilarino est simple. Elle ne se hausse jamais sur un étal d’artifices. Elle s’offre à vous. Elle s’oppose à toute frénésie. Elle nous invite, plutôt qu’à y bâtir des leurres, à accepter qu’il n’y ait rien, que nous ne soyons nous-mêmes que des erreurs, que nos gestes mêmes ne soient qu’attente sans objet. Ainsi, libérés des fièvres agitées et bavardes de l’espoir, pourrons-nous nous laisser gagner enfin par l’agrément d’un silence rasséréné, cette autre appellation possible de la poésie.

Il fait noir pour toujours.

Les étoiles

les soleils et les lunes

et tous les débris de lumière

ce sont là de petites erreurs

saleté passagère

dans la noirceur splendide

intemporelle 

silencieuse.

Idea Vilarino, Ultime anthologie, 2017, La Barque, trad. Eric Sarner.

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« Étrange Clair de lune & Etat d’esprit » de Conrad Aiken. https://www.librairie-ptyx.be/etrange-clair-de-lune-etat-desprit-de-conrad-aiken/ https://www.librairie-ptyx.be/etrange-clair-de-lune-etat-desprit-de-conrad-aiken/#respond Thu, 27 Oct 2016 16:52:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6165

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Conrad Aiken

Comment était-ce possible que quelqu’un, que l’on connaissait vraiment, « mourût »?

Dans le premier récit de ce bref recueil, nous suivons un enfant qui fait la découverte de la mort. Dans le second, nous lisons une histoire de revenants pour adulte.

D’une curieuse manière tous ces événements semblaient aller bien ensemble.

La première confrontation avec la mort laisse d’abord pantois. L’enfant, chaque fois premier à éprouver ce mystère, l’éprouve intensément dans toute l’ampleur des questions qu’éveille cette disparition, qu’il ressent tout de suite radicale. Mais l’enfant est déjà le lieu des mystères. Le jeu et le sérieux s’entremêlent déjà en lui. De même les produits du monde et ceux de son esprit, les douleurs nocturnes et les plaisirs des jours, le terre-à-terre quotidien et les aspirations de la rêverie. Il mange et devant son regard passe l’indien de son jeu. Il converse avec sa mère et, dans la chambre à côté, la bataille de Gettysburg fait rage. Tout enfant est déjà l’endroit où viennent se conjoindre les ailleurs. Et quand en survient un nouveau, de lui jusqu’alors inconnu, peut-être même encore plus étrange, plus « incompréhensible » que les autres, n’est-il pas celui qui est le mieux armé pour le faire sien? Sans en atténuer la charge signifiante, exercé à « être » dans un monde où réalisme et onirisme ne sont pas encore les dénominations de domaines perceptifs clivés, il l’assimile, le modèle, l’incorpore à son monde. La morte n’est pas la disparue. Elle est une compagne. Au même titre que le père, un chardonneret ou une vague. Sans le dénaturer en l’expliquant, sans le faire autre que ce qu’il est, ce mystère il l’accepte comme tel.

Peu d’auteurs (sans doute aucun, en fait) sont parvenus à ce point à saisir dans toute sa complexité ce qu’est l’enfant. Et à nous en rendre une image aussi subtile, dans le miroir de laquelle se déploie une chance unique pour nous de nous appréhender plus pleinement. Conrad Aiken parvient, en tissant en quelques fils simples des récits d’une extraordinaire complexité, à nous rendre étranger à nous même. Comme si nous nous lisions vus de l’enfance.

Il parait que la perfection n’est pas de ce monde. Si tel est bien le cas, alors, décidément, les récits de Conrad Aiken apportent la preuve définitive de l’existence d’un autre.

C’est à cela que l’esprit ressemble – à un trottoirs jonché de flaques contenant des bricoles de ce genre.

Conrad Aiken, Étrange Clair de lune & Etat d’esprit, 2016, La Barque, trad. Joëlle Naïm.

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« Vie auprès du courant » de Tarjei Vesaas. https://www.librairie-ptyx.be/vie-aupres-du-courant-de-tarjei-vesaas/ https://www.librairie-ptyx.be/vie-aupres-du-courant-de-tarjei-vesaas/#comments Fri, 27 May 2016 07:30:08 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6020

Lire la suite]]> Aftenposten. Vinje i Telemark 19650307. Forfatter Tarjei Vesaas hjemme på gården i Vinje. Foto i arbeidsrommet. Masse papirer. Foto: Rolf Chr. Ulrichsen / Aftenposten *** FOTO IKKE BILDEBEHANDLET ***

Dernière oeuvre de l’immense romancier norvégien sortie l’année même de son décès, Vie auprès du courant est un recueil de poèmes. Où, comme dans les romans de sa « dernière période » se déploient les thèmes qui lui furent chers et furent à l’origine de son succès. On y retrouve ces atmosphères teintées d’onirisme, d’un absurde discret, d’un symbolisme tout en nuance. Mais surtout, se défaisant du fil narratif romanesque, émerge de ses vers une écriture décuplée de la nature.

Parmi des branches nues

s’est accomplie la vie.

Tous les rameaux,

toutes les branches,

sont là dans le sommeil.

A côté d’un monde mais profitant de cet écart pour le détailler mieux et plus profondément. Telle parait souvent la nature de Vessas. Très rarement métaphorique – ou si légèrement qu’il n’y parait guère -, sa poésie prend les teintes de récits ad minima pour faire germer chez qui la lit à la fois les images bien précises de ce qu’elle décrit, et l’écart qu’elles entretiennent avec ce que la poésie en dit. On est à côté. On est auprès. Et c’est dans cette distance d’avec le courant, dans cette vie proche de lui sans être prise dans son flux, que Vesaas lui procure les plus beaux vers.

La congère lourde comme un monde.

Ce qui fait la beauté de l’oeuvre de Vesaas semble échapper à toute catégorie préconçue d’analyse. A l’aune de l’attachement ému que lui témoigne ses lecteurs, la magie semble opérer d’autant mieux que ses causes demeurent cachées. Le lire est un acte de foi. Dont ce recueil est comme l’épure.

Tarjei Vesaas, Vie auprès du courant, 2016, La Barque, trad. Céline Romand-Monnier.

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