Michaux, Henri – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Par des traits » de Henri Michaux. https://www.librairie-ptyx.be/par-des-traits-de-henri-michaux/ https://www.librairie-ptyx.be/par-des-traits-de-henri-michaux/#respond Mon, 04 May 2015 12:08:22 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4900

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Par des traits 2

Si nos langues nous semblent formées, stables autant bien sûr que peuvent l’être les évènements baignant dans ce que l’on nomme présent, si nous ne pouvons avoir connaissance que de langues qui ont réussi, qui ont donné lieu à un alphabet, à des systèmes normés qu’ils soient consonantiques ou pictographiques, nous est-il même seulement possible d’imaginer ce qu’elles furent à leurs débuts, ou ce que d’autres furent qui se résumèrent à des tentatives, et sombrèrent dès leur ébauche?

Non pas, comme se proposent déjà de le faire des disciplines comme la morphologie ou la phonétique historiques, établir des généalogies, recourir à des constructions mentales (telle celle de l’indo-européen) pour « remonter le temps », mais bien simplement concevoir ces premiers traits qui désiraient ou non référer à quelque chose, faire ressentir, indépendamment peut-être de toute utilité.  Ce que creuse Michaux c’est cet espace là, cette envie, ce désir toujours bien présent du trait, du signe premier.

Insignifier par des traits.

Edité en 1984 chez Fata Morgana, Par des traits est le dernier recueil publié du vivant de Henri Michaux.  Constitué de deux séries de signes?, gestes?, mouvements?, entrecoupées d’un « poème » et suivies d’un « essai plus prosaïque », il propose, par l’exemple, une tentative de désaliénation du langage.  A ne le concevoir que dans le cadre de ses « fonctions pratiques », à n’imaginer l’écriture que comme organisation de mots, de lettres, de phrases, d’idéogrammes, on en oublie qu’elle ne fut d’abord probablement qu’un jet désordonné sur un support.  Probablement dénué d’intention, sans doute geste guidé par le hasard, peut-être trace involontaire qu’un être se chargea de doter après coup d’une signification (voire d’une intention), ce premier trait fut d’abord hors-signe.  La tentative (l’ultime presque) de Michaux passe d’abord par une invitation à se défaire du pouvoir de l’écriture, et donc aussi se défaire des pouvoirs politiques qu’elle institue naturellement.

Les menottes des mots ne se relâcheront plus.

En cherchant à concevoir (et dessiner, et exprimer) ce que fut ce premier geste, ce premier trait, il réinvestit la langue de ce qui sans doute la fonda : le désir.  Et un désir entier.  C’est-à-dire dénué de toute intention.  Attaché à rien.  Désir pur.

Alors, certes, il échoue.  Comme ces langues qui n’ont pas réussi, qui n’ont pas essaimé en systèmes, ses traits sont condamnés à retourner à leur encre.  Ils ne s’érigeront jamais en système, ils disparaitront sans que leurs gestes ne puissent construire de relations qui signifient.  Mais ils auront laissé l’essentiel, peut-être : une invitation au désir.

Signes qui permettraient d’être ouvert au monde autrement, créant, et développant « une fonction différente » en l’homme, le désaliénant.

Dans cette œuvre, Henri Michaux ré atteste, par la grâce de ce sublime échec, que la tâche du poète, son seul geste « utile », est d’offrir de nouveaux hasards.

Henri Michaux, Par des traits, 1984, Fata Morgana.

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« Nous deux encore 1948 » de Henri Michaux. https://www.librairie-ptyx.be/nous-deux-encore-1948-de-henri-michaux/ https://www.librairie-ptyx.be/nous-deux-encore-1948-de-henri-michaux/#respond Tue, 28 Oct 2014 08:42:48 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3625

Lire la suite]]> Nous deux encoreLou, je parle une langue morte, maintenant que je ne te parle plus.

Il est parfois difficile de s’attaquer à certains textes.  Tant les lire semble entrouvrir un gouffre.

En 1948, Michaux connaissait un drame qui allait profondément marquer sa vie comme son écriture.  Sa femme, alors que lui était en voyage à Bruxelles, était victime d’un terrible accident.  Après avoir allumé un feu, sa robe de chambre en nylon s’enflamme.  D’un mauvais réflexe, elle ouvre précipitamment la fenêtre.  L’appel d’air fait s’embraser sa chevelure.  Malgré qu’elle parvienne à s’enrouler dans une couverture, les pompiers l’emmènent à l’hôpital brûlée au deuxième degré, partiellement au troisième.  Après un mois de souffrances atroces, elle s’éteint le 19 février.

« Nous deux encore 1948 » qui paraît en automne de la même année chez son ami et libraire Fourcade (sous un nom d’emprunt), s’adressant à Marie-Louise, l’épouse défunte, est en prise directe avec cet évènement.  Peu de temps après la parution, Henri Michaux se ravise et fait usage de son droit de retrait.  Il retire les exemplaires déjà mis en vente et en interdit la diffusion.  Jusqu’à sa mort, il en interdira toute publication.  De nos jours, il est seulement disponible dans l’édition « Pléiade » des Œuvres Complètes.

Qu’est ce que lire ce texte implique?  Peut on faire fi de la volonté de l’auteur de soustraire une partie de son œuvre?  Y a-t-il indécence à le lire?  Ne s’agit-il pas du viol d’une intimité?  Les questions que soulève l’accessibilité à ce texte ne sont pas directement en lien avec la littérature mais avec la morale.  Et comme l’on peut s’interdire de le lire par des paradigmes moraux, on peut aussi se justifier de le lire en ayant recours à la morale.  « Après tout, si Michaux l’a édité, c’est qu’il a jugé bon de le faire.  Son revirement n’exclut pas sa première intention.  Et celle-ci nous exonère donc de notre culpabilité ».  « L’auteur est mort.  Son intimité ne lui appartient plus ».  Etcetera…  Toutes questions relevant en fait de ce qu’est l’intimité et des raisons qui président ou non à sa préservation.

Or, s’arrêter sur ces questions, c’est s’arrêter au seuil de ce qui fonde l’importance de ce texte.  Faire abstraction du drame.  Faire abstraction du con-texte (à partir du moment ou celui-ci en vient occulter le texte, ce pourrait être une règle à suivre).  Car le texte, précisément, tout s’y trouve.  Rien n’y échappe ici.  Il n’y a pas de gras.  Il n’y a pas d’évènement en dehors des mots sur la page.  Nulle tentative de rendre compte d’un extérieur à la page qui la légitimerait, en serait la cause.  Juste la volonté (et le désarroi, et l’impossibilité) d’un poète de joindre par les mots ce que le feu a séparé.

me joindre à toi, pauvrement, pauvrement certes, sans moyens, mais nous deux encore, nous deux…

C’est d’un gouffre tissé de mots qu’est fait « Nous deux encore 1948 ».  Certes issu du tragique, de la souffrance.  Mais s’y arrêter, s’arrêter à l’intime, c’est précisément s’arrêter à la tragédie, à la brutalité du fait.  Sans y déceler ce qui le fonde : la tentative du poète d’y échapper.

Sur l’exemplaire adressé à Adrienne Monnier, Michaux a écrit, en dédicace : « Quelque chose qu’on ne peut pas se pardonner de ne pas avoir mieux réalisé. » A quoi, Adrienne Monnier répondit : « J’ai lu et relu les pages que vous avez écrites pour votre femme.  Elles sont très belles.  Il me semble que vous avez dit tout ce qu’il fallait dire.  Vous ne pouviez faire mieux – mieux aurait peut-être été moins bien.  Je suis sûre que Marie-Louise en tire du bonheur.  Elle a gagné par sa mort un chant de vous à faire périr d’envie je ne sais combien de mortelles. »

Henri Michaux, Nous deux encore, 1948, Ed. J.Lambert & Cie.  On peut penser raisonnablement ici à cet autre sublime tentative, plus récente, de Hubert Lucot, dans Je vais, je vis.

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« Les commencements » de Henri Michaux. https://www.librairie-ptyx.be/les-commencements-de-henri-michaux/ https://www.librairie-ptyx.be/les-commencements-de-henri-michaux/#respond Thu, 14 Feb 2013 09:00:25 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2112

Lire la suite]]> dessin d'enfantAu commencement est la REPETITION.

L’enfant qui trace un cercle est au début du livre de Michaux mais surtout d’autre chose, qui épouse bien plus que la seule naissance du dessin chez l’enfant.  Il y a d’abord cette ligne qu’il trace puis qui vient s’enclore sur elle-même pour délimiter, figurer la tête d’un homme.  Cercle qui fait visage, juste troué de deux autres pour un regard.  Cercle, simple fil qui sépare le vide de l’être. Cercle qui vient ensuite se parer de traits qui le prolongent en mains, en jambes, l’homme étant d’abord envisagé sans sa mobilité.  Puis c’est une maison que l’enfant, en ses dessins, évoque, la pense pour y aller, pour y retourner quand il faudra, répète son plaisir d’y revenir. 

Là où la psychologie, la psychanalyse, peinent à expliquer les traits de l’enfant car les circonscrivant en des modèles qu’il s’agit sans cesse d’inventer pour y coller mieux, la poésie de Michaux montre toute son essentielle force, son irremplaçable originalité, car nous ramenant au commencement de la poésie.  Celle dont le mot n’explique pas mais dit.  Dont le dire est le seul objet.  Car avant d’expliquer, il faut exister.  Et exister ne s’opère que par le dire.

Emprise

seuls les cercles font le tour

le tour d’on ne sait quoi

de tout

du connu, de l’inconnu qui passe

qui vient, qui est venu,

et va revenir

Circulantes lignes de la démangeaison d’inclure

(de comprendre? de tenir? de retenir?)

Fouillis finalement

fibrilles fouillis fourmillant

Et c’est cela qui, chaque fois, chez Michaux fonctionne, agit, ce dire, ce verbe-démiurge.

Henri Michaux, Les commencements, 1983, Fata Morgana.

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