Vies Parallèles – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Les Tablettes » d’Armand Schwerner. http://www.librairie-ptyx.be/les-tablettes-darmand-schwerner/ http://www.librairie-ptyx.be/les-tablettes-darmand-schwerner/#respond Thu, 04 Oct 2018 15:39:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7861

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Chaque poème est un nouveau départ à partir d’un lieu à peine différent.

Les Tablettes se présentent comme la traduction de tablettes sumerio-akkadiennes vieilles de 4000 ans. Abîmées, incomplètes, pour partie intraduisibles, elles sont complétées dans leur version traduite par des signes (« …. »pour signifier l’impossibilité à traduire un passage, « ++++ » pour indiquer les passages manquants, etc.) ainsi que par les annotations et les commentaires du Chercheur/Traducteur. Tout cela formerait un ouvrage – certes passionnant – d’assyriologie, s’il ne s’agissait d’une imposture! Le chercheur, le traducteur, les recherches savantes, les découvertes révolutionnaires, les tablettes vieilles de 4000 ans, tout cela est une fiction!

Et suppose que la peur que provoque toute découverte du monde soit si grande qu’elle rende l’écriture presque impossible ?

Ouvrage écrit sur plus de trente années, dans la grande tradition des long poems américains, Les Tablettes croisent génialement archéologie, anthropologie, philosophie, sémiologie et poétique. En interrogeant, via une imposture, les rapports qui régissent le réel au langage, Armand Schwerner explore les fondements mêmes de ce qui nous constitue en tant que sujet. Et, à l’époque où se développait un nouveau langage qui révolutionnerait notre rapport aux choses – l’informatique – il cherchait dans les origines de « l’ancien langage » ce qui ce fait de nous ce que nous sommes.

Mais aussi et surtout, tout en nous confrontant, aussi facétieusement que subtilement, à ces questions érudites et vertigineuses, il nous convie à une superbe leçon de poésie.

Cette oeuvre sans précédent et aujourd’hui toujours originale, est encadrée par une préface de Yves di Manno et une postface de Olivier Bertrand. Yves di Manno, poète, traducteur et éditeur, prend soin de remettre en perspective le contexte poétique dans lequel s’insère l’oeuvre de Armand Schwerner. Olivier Bertrand, graphiste de son état – dont la qualité du travail saute ici aux yeux – détaille quant à lui les enjeux graphiques qui sont partie intégrante de l’oeuvre et en soulignent l’actualité.

le poète est celui qui nomme.

Dans leur diversité, les mots vous perçoivent.

 

Armand Schwerner, Les Tablettes, 2018, Vies Parallèles, trad. Emmanuel Requette.

 

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« Anna & moi » de Adelheid Duvanel. http://www.librairie-ptyx.be/anna-moi-de-adelheid-duvanel/ http://www.librairie-ptyx.be/anna-moi-de-adelheid-duvanel/#respond Tue, 21 Aug 2018 09:01:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7745

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Après Délai de grâce, premier recueil traduit en français de l’auteure suisse disparue en 1996, nous continuons la découverte de cette oeuvre majeure. Publié en 1985 chez l’éditeur munichois Luchterhand Literaturverlag, Anna und ich explorait déjà avec une inventivité radicale la forme courte. Souvent un peu plus longs que ceux du recueil précédent, les petites proses d’Anna & moi présentaient déjà peu ou prou les ingrédients qui allaient asseoir l’auteure bâloise parmi les noms essentiels de la forme courte : extrême précision de la formule, des personnages « différents », une émotion toute en réserve, une apparente simplicité qui dissimule un travail de polissage forcené…

Mes désirs ou mes appréhensions, par exemple, se dissimulent en un rien de temps dans les objets et les animent.

L’ami d’un poète, saoul, qui passe à travers une vitre. Une nourrice dont l’époux déteste l’enfant qu’on lui a confié et qu’elle aime. Une mère qui rêve toujours d’un avenir radieux pour son fils alcoolique. Les êtres qu’Adelheid Duvanel parvient à saisir en quelques traits sont certes « étranges », « affaiblis », « inaptes », mais, quel que soit le vocable sous lequel on cherche à nommer leur différence, leur histoire éveille inévitablement en nous la sensation d’un connu commun. Comme si, par la magie de sa prose, elle parvenait à rejoindre au fin fond de l’expression la plus précise des êtres les plus « en marge » cette infime mais si belle essence que nous partageons tous. Comme si ces monades, ces petites histoires suspendues au bord d’un abîme, fonctionnaient comme de redoutables machines à créer de l’empathie.

Troublé comme quelqu’un qui a vu de ses propres yeux une fleur boire l’eau d’un verre en quelque secondes, il se leva et quitta la femme pour prendre le bateau et retourner sur son île. Là, il dit à son perroquet : « J’ai fait un détour ». 

Ni conte, ni fable, ni roman, ni nouvelles, ces miniatures ne ressemblent à rien de connu. Mais c’est dans ce rien que tout se joue…

Mais il se passe à présent quelque chose d’inattendu : des phrases qui affluent se soulèvent des mots qui, deux par deux, s’élancent vers le ciel où ils s’immobilisent sous formes de lettres de feu.

Adelheid Duvanel, Anna & moi, 2018, Vies Parallèles, trad. Catherine Fagnot.

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Cadeau. http://www.librairie-ptyx.be/cadeau/ http://www.librairie-ptyx.be/cadeau/#comments Fri, 29 Jun 2018 07:10:34 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7698

Continue reading]]> Depuis 6 ans maintenant, nous vous tenons informés via ce blog des essais, des romans ou des recueils de poésie qui se dégagent naturellement de la production éditoriale actuelle. Sans consensualisme (on l’espère) ni élitisme (on l’espère aussi, même si on sait très bien que là, on ne fera pas l’unanimité…), notre objectif n’y est autre que de vous avertir de ce qui s’édite de mieux de nos jours. Parfois aussi, rarement, nous profitâmes de la notoriété inattendue de cet outil pour donner libre cours  à l’une ou l’autre de nos indignations. Ce qui ne fut pas sans résultat. Aujourd’hui, ce blog fut visité plus d’un million de fois. Ce qui fait un sacré paquet… On ne sait s’il faut nous en réjouir (ça veut peut-être dire qu’on est pas inutile) ou s’en inquiéter (si c’est utile de nous lire, ça veut aussi peut-être dire que c’est parce que ce qu’on écrit n’est plus lisible ailleurs). Le temps est venu de prendre un peu de repos (sur le blog hein, la librairie, elle, reste bien entendu ouverte comme d’habitude). Ce sera l’occasion pour nous de se concentrer sur d’autres tâches : conseiller des clients en restant attentif au tour de France et à la coupe du monde de Football, remplir des dossiers de demandes d’aides à l’édition et/ou à la traduction, traduire de la poésie néerlandaise, tenter de comprendre comment un gars qui dit qu’il est « de gauche » en arrive à commander ses livres sur Amazon et/ou à circuler en Uber, traduire de la prose américaine, replonger dans le mécanisme passionnant d’attribution des aides à l’édition de la Fédération Wallonie Bruxelles, lire des services de presse de la rentrée littéraire, ricaner en lisant des services de presse de la rentrée littéraire, s’extasier en lisant des services de presse de la rentrée littéraire, faire des livres, lire et relire tout Aristote, maintenir la forme pour le Tuscany Trail et la Frend Divide de l’année prochaine, contempler les engins de chantier qui vont bloquer la rue pendant six mois… Bref, le blog (et le blog seul hein, la librairie, on le répète, reste bien ouverte comme d’habitude) ferme pour un mois.

Mais comme on est gentil et qu’on désirait vraiment vous remercier d’une fidélité à laquelle on ne s’attendait pas (et qu’on n’est pas sûr de mériter), on vous donne à lire ici un inédit absolument splendide d’Adelheid Duvanel dont le prochain recueil, Anna & moi, sort ce 21 août 2018, chez Vies Parallèles bien sûr, traduit par Catherine Fagnot bien sûr! Qui, comme toute l’oeuvre de l’immense suissesse, est à lire un minimum de deux fois…

 

Sansmoi

            Le jeune homme essaie de prendre pied dans la nouvelle ville. Au café, il dit souvent : « Sans moi » quand ses collègues conviennent de quelque chose. On l’appelle bientôt Sansmoi ; on oublie son véritable nom. Après chaque phrase qu’il prononce, Sansmoi est pris de crainte et d’effroi : il est persuadé qu’il ne pourra plus dire une phrase de sa vie. Parler le fatigue : il doit reconstituer son âme image par image. Mais ses images sont vagues, confuses. L’arbre dénudé danse dans le vent froid. Sansmoi est debout devant la baie vitrée, le coude levé, le verre de bière à la main. Dans la rue, la lampe qui se balance à un fil soudain s’allume : il est cinq heures et quart. Une demi-heure plus tard, il fait nuit et le tramway fait entendre sa cloche. « C’est oppressant, tout ce que tout le monde attend de moi », dit Sonja au fond de la pièce en tirant violemment sur sa manche. Sansmoi veut qu’elle soit maternelle avec lui : par mère, il entend une femme aux pieds enflés qui porte de petites pantoufles. Il essaie de faire savoir à Sonja qu’il est presque aveugle et presque sourd, mais elle n’en croit rien. Bien qu’il ait loué un grand appartement, Sonja n’est pas autorisée à vivre chez lui. Elle s’occupe de son ménage et couche à l’occasion avec lui, mais il ne permet pas qu’elle passe la nuit là. Sonja demanda un jour dans quoi il travaillait : « Piscine », répondit-il. Elle s’imagina qu’il était maître-nageur, un de ces hommes qui font les cent pas le long du bassin en surveillant les nageurs, pour sauter illico dans l’eau et sauver quelqu’un qui serait en train de se noyer. Mais Sansmoi ne fait pas partie des sauveteurs : il construit des piscines. Quand elle s’aperçut de son erreur, Sonja fut déçue. On entend un craquement dans le mur. Sansmoi est toujours immobile à la fenêtre. Sonja, qui n’a pas le droit d’allumer la lumière, vacille soudain et heurte violemment du bras la porte de l’armoire, qui s’ouvre. En fait, Sonja voudrait dire : « Je suis enceinte », mais elle remet sans cesse cela à plus tard. Elle craint que son ami ne lui dise : « Sans moi. »

 

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« Délai de grâce » de Adelheid Duvanel http://www.librairie-ptyx.be/delai-de-grace-de-adelheid-duvanel/ http://www.librairie-ptyx.be/delai-de-grace-de-adelheid-duvanel/#respond Fri, 09 Mar 2018 08:48:48 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7314

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Née à Bâle en 1936, Adelheid Duvanel eut une vie marquée par les épreuves. Très tôt diagnostiquée schizophrène, internée, traitée à l’insuline et aux électrochocs, elle dut encore affronter la toxicomanie de sa seule fille, puis le décès de celle-ci dans les années 80. En 1996, par une nuit de juillet exceptionnellement froide, elle est trouvée en état d’hypothermie par un cavalier dans une forêt non loin de Bâle. Elle avait absorbé une grande quantité de somnifères. Elle mourra le 11 juillet.

Toute petite déjà, Adelheid Duvanel écrivait de très courts textes, assortis de dessins, qu’elle lisait à ses frères et sœurs. Malgré la douloureuse tragédie que fut sa vie, elle n’eut de cesse d’explorer et d’explorer encore la forme courte. Jusqu’à lui créer un écrin radicalement neuf. Peu lue de son vivant, son oeuvre fait aujourd’hui l’objet d’une véritable redécouverte.

C’est étonnant comme un mouvement de paupières efface le monde entier.

Chacune des très courtes proses qui composent Délai de grâce met en scène un personnage « différent ». Une enfant attardée lors de la rentrée des classes. Une jeune femme dont les parents ont obtenu la garde de sa fille. Un vieil homme dans un hospice. Un SDF. Tous sont ce que l’on pourrait nommer des êtres dérangés, radicalement autres, des « inaptes à la vie » dont le seul maintien dans le monde qui les entoure tient du défi permanent ou du miracle.

Grolo voulait acheter des cartouches pour son stylo à encre, mais le mot « cartouche » ne lui revenait pas à l’esprit, aussi écrivait-il au stylo à bille.

En une page, une page et demi, rarement plus, Adelheid Duvanel parvient à nous enserrer dans ces vies bancales et à nous les rendre proches. Et, en nous permettant de percevoir l’équilibre fragile qui les rend malgré tout possibles, elle nous renvoie subtilement à nos propres tâtonnements. Maîtresse incontestée de la forme courte, elle est parvenue à conjuguer dans un même espace tout à la fois étrange, facétieux et bouleversant, l’extraordinaire originalité du regard « différent » (qu’il soit celui de l’enfant, du « dérangé » ou du rêveur) et la rigueur pointilliste d’une conteuse hors pair.

Chacune de ces histoires forme un monde en soi. Une monade. Tout y est. Rien n’y manque. Elles sont comme des petits cercles dessinés à la main. Des petits cercles hésitants, délicats, qui entourent quelque chose. On ne sait pas toujours bien quoi. On sait juste que c’est infiniment précieux.

La fin était toujours en même temps un début. Il n’y avait pas de droites, il n’y avait que des cercles. Elle ne peignit plus dès lors que des cercles.

Adelheid Duvanel, Délai de grâce, 2018, Vies Parallèles, trad. Catherine Fagnot.

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« Europa Minor » de Miklos Szentkuthy. http://www.librairie-ptyx.be/europa-minor-de-miklos-szentkuthy/ http://www.librairie-ptyx.be/europa-minor-de-miklos-szentkuthy/#respond Fri, 09 Feb 2018 08:40:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7311

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Toute culture commence avec un conte – la nôtre, apparemment, finira avec une légende où cultures, peuples, dieux maîtrisés ou non, paysages et logiques danseront comme des lutins ou comme des nymphes, et nul ne saura dire s’il s’agit d’une danse macabre ou d’un ballet optimiste, de résignation ironique ou du fondement d’une nouvelle santé.

Quatrième tome du Bréviaire de Saint-OrphéeEuropa Minor s’ancre comme le tome précédent dans l’Espagne du 16ème siècle. Mais, en lieu et place du François Borgia de Escorial, c’est de Saint Toribio qu’il opère l’hagiographie. Né en 1538 et mort en 1606, ce saint très particulier fut nommé président du Tribunal d’Inquisition en 1552 par Philippe II alors qu’il était… laïc, puis Archevêque de Lima dès 1581. Dès cette date, il n’eut de cesse, toute sa carrière, d’œuvrer pour ses pauvres. N’hésitant pas, pour ce faire, à heurter les puissants en place et à utiliser, fort adroitement, toutes les ficelles du pouvoir. Ainsi ce personnage est-il aujourd’hui encore célébré, dans nombre de chansons populaires américaines, comme une sorte de Robin des Bois hispanique. Cette alliance entre le temporel le plus incarné et le spirituel ne pouvait que plaire à l’Ogre de Budapest.

Placé sous cet exergue, toute la suite du tome s’articule autour de trois personnages principaux : Elizabeth de Valois (1545-1568), Akbar (1542-1605) et Marie Tudor (1516-1558). Chacun de ceux-ci recevant une voix à laquelle vient bien entendu se mêler celle de l’auteur, cette dernière s’entremêlant elle-même de textes censément ramenés par Francis Drake  (1540-1596). Et dans l’entrelacs, peu à peu, se dessine une idée, un thème : l’Europe est bien plus la résultante de l’Orient qu’un reliquat de l’Antiquité. Et l’avenir de l’Europe – si un avenir est encore possible – ne pourrait dès lors tenir en un retour, forcément illusoire, à une Héllade fantasmée, mais ne serait possible que par la prise en compte, pleine et entière, de cette origine. L’Europe sera orientale ou elle ne sera pas…

Composé alors même que l’Europe sombrait dans le chaos (Europa Minor fut écrit originalement en 1937, puis revu en 1973), ce quatrième tome est bien entendu l’occasion, pour son auteur, de nous donner à lire des fantaisies de son cru (les histoires tirées du livre d’Akbar ne sont pas loin de la fantasy la plus délirante) et des considérations esthétiques définitives et éclairées (le mondain est perfection, l’ornement est l’art ultime) mais il est donc aussi l’occasion d’une réflexion, toujours nécessaire, sur nos origines.

En rendant à ses personnages leur complexité (Drake, serviteur de la couronne et corsaire ; Akbar, machiavel moghol et premier instigateur d’un syncrétisme des trois monothéismes ; Toribio, religieux et voleur, etc…), il leur rend aussi leur historicité. Et par là même, aux antipodes d’un érudit (si besoin en était encore, ce tome-ci est l’occasion parfaite pour vérifier l’ampleur sans fond de sa culture) glosant en chambre close, par ses tentatives – réussies – d’épouser le réel dans sa totalité, il fait ô combien œuvre utile.

Miklos Szentkuthy, Europa Minor, 2017, Vies Parallèles, trad. Georges Kassaï et Robert Sctrick avec la collaboration d’Elizabeth Minik.

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« Le Maitre des miniatures » de Jim Shepard. http://www.librairie-ptyx.be/le-maitre-des-miniatures-de-jim-shepard/ http://www.librairie-ptyx.be/le-maitre-des-miniatures-de-jim-shepard/#respond Wed, 13 Sep 2017 12:34:31 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7060

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Japon, juillet 1954. Eiji Tsuburaya, directeur des effets spéciaux de la Toho Films est censé, en seulement deux mois,  donner une apparence à Gojira, roi des Monstres. Débordé, il n’a de temps ni pour Massano, sa femme, ni pour Akira et Hajime, ses deux enfants. Il n’a pas même de temps pour se souvenir de sa fille, Miyako, morte quand elle avait deux ans, ou de son père, décédé 21 ans plus tôt dans le terrible tremblement de terre de Kantō. Sa vie se limite à créer un monstre.

Et pendant toute sa carrière, Tsuburaya fut l’objet de plaisanteries pour avoir été plus fasciné par le projecteur que par les images sur l’écran, la première fois qu’il était allé au cinéma.

Le Maitre des miniatures ne fait pas le récit d’une relation amoureuse difficile. Le Maitre des miniatures ne documente pas précisément la création d’un des êtres  les plus populaires de l’histoire du cinéma. Le Maitre des miniatures ne nous explique pas comment Gojira est devenu Godzilla. Le Maitre des miniatures n’est pas un roman sur le nucléaire. Le Maitre des miniatures n’est pas un des livres les plus subtils qui ait été écrit sur la relation père-fils. Le Maitre des miniatures n’est pas l’histoire d’une obsession. Le Maitre des miniatures ne se laisse réduire ni à un sujet ni  à une forme.

Il s’agissait de faire quelque chose à partir de rien.

En enchevêtrant la « grande Histoire » et l’intime, en mêlant à la rigueur du document les possibilités de la littérature, Jim Shepard nous bouleverse. Que faire de ce qui nous effraie ? Que faire de ce dont on se souvient ? Que faire de nos morts? Comment aimer ? Comment être père ? Comment ne pas faire mal, à l’autre comme à soi-même ? S’il est certes impossible de trouver réponse à ces questions, Jim Shepard nous montre, avec subtilité et simplicité, que vivre avec elles ne se peut qu’en les abordant l’une avec l’autre.

Il n’est question ici que du paradoxe entre l’effroi et la nostalgie.

Jim Shepard, Le Maitre des miniatures, 2017, Vies Parallèles, trad. Hélène Papot.

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« parler aux frontières » de David Antin. http://www.librairie-ptyx.be/parler-aux-frontieres-de-david-antin/ http://www.librairie-ptyx.be/parler-aux-frontieres-de-david-antin/#respond Fri, 12 May 2017 07:40:41 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6830

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Nous sommes en avril 1972. Cela fait déjà quelque temps que David Antin, linguiste, critique d’art, traducteur, est invité par des musées, des galeries d’art, des universités, à donner des conférences sur des sujets très divers. Ce soir-là, au Olloma College, dans la lointaine banlieue de Los Angeles, il doit parler à des étudiants en art de ce que signifie encore « faire de l’art » à cette époque. Avant de se lancer dans son entreprise, il appuie sur le bouton « REC » de l’enregistreur récemment acheté. Le lendemain, sur la old highway 395, dans la voiture qui les ramène vers  leur domicile de Solana Beach, au nord de San Diego, David Antin et son épouse, Eleanor, écoutent l’enregistrement. Après un temps Eleanor s’exclame : « Mais c’est un poème ! ». Le talk poem était né.

Le procédé est bien balisé : invité à donner une conférence sur divers sujets, sans notes, il se place face au public. Sur la table, un dictaphone. Tout du long, sans interruption aucune, environ une heure durant, il monologue. Une fois enregistré, le talk poem est inscrit sur la page par Antin lui-même. Sans marge fixe, sans ponctuation, sans majuscule. Les respirations qu’il entend sont reproduites par des espaces entre les mots. Entre monologue et méditation, rares et courts silences et reprises, entre évocations érudites et souvenirs personnels, farces parfois potaches et subtilités conceptuelles, imperturbablement, un fil se déroule. D’où, peu à peu, émerge une idée renouvelée du problème posé au départ.

Ainsi, dans Parler aux frontières, le talk poem qui donne son titre au recueil, est-il question, en vrac, de guerre, de traduction, du Mur des Lamentations, du voyage d’un anthropologue en Australie, d’une mère qui a possiblement décidé de vivre par terre, d’une tante hémophile ou d’un ancien fumeur de joints aux cheveux longs devenu US Marine. Mais par-delà ces tours et détours, ou plutôt grâce à eux et à l’émotion et l’érudition qui les traversent, c’est bien de questionner les frontières qu’il s’agit. Celles des états, des langues, des corps. Et de les questionner, non pas d’un ailleurs surplombant son sujet, mais précisément du lieu même de ce qui pose question. Car parler aux frontières c’est s’adresser à elles, les questionner, engager un dialogue avec elles, mais aussi parler à partir d’elles, auteur et lecteur placés sur l’intersection même des différents lieux qu’elles instituent.

Entre anthropologie, philosophie, esthétique ou performance, entre littéralité et oralité, David Antin nous rappelle que la poésie est un acte de survie, un acte urgent.

 

ainsi je suis convaincu                       vous devriez croire que j’en suis
           convaincu        que parler c’est penser            du moins mon genre de
                                           parler c’est une forme de pensée

 

David Antin, parler aux frontières, Vies Parallèles, 2017, trad. Jean-François Caro & Camille Pageard.

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« Escorial » de Miklos Szentkuthy. http://www.librairie-ptyx.be/escorial-de-miklos-szentkuthy/ http://www.librairie-ptyx.be/escorial-de-miklos-szentkuthy/#respond Mon, 13 Mar 2017 13:41:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6175

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Il me faut à présent me délivrer de tout et de tous : pape, époux, parents, amis, princes et paysans vendangeurs, professeurs d’université, écrivains et artistes, saints et baroques conventionnels : il me faut rester seul, comme jamais ne l’ont été les vieux routiers de la solitude ; il faut que je sois jusqu’à ma mort, et au-delà, absurdité provocante aux yeux de tous.

Troisième tome de l’immense Bréviaire de Saint-Orphée, Escorial, comme le fait justement supposer son titre, nous emmène cette fois – alors que les deux premiers avaient pour cadre Venise – en Espagne. Et plus précisément dans l’Espagne du XVI ème siècle, par l’entremise de l’un de ses personnages les plus énigmatiques : Saint François Borgia. Neveu de la célèbre Lucrèce, duc de Gandie, Vice-Roi de Catalogne, Grand Général des Jésuites, grandement estimé par Charles-Quint puis par Philippe II, confident de la très belle Isabelle de Portugal – dont il sera chargé (épisode célèbre et tragique) de reconnaître le corps -, canonisé en 1671, il offre une image toute en nuances des « paradoxes » de son temps. S’exerçant à élever l’âme tout en sachant se garder, mais aussi se servir de sa chair, serviteur de la foi et de l’Empereur, solitaire et déterminé à servir le collectif, tenté par l’acédie et l’amour, l’illustre saint offre une image à la fois exemplative et radicale de son époque. Mais, et surtout, il paraît être, pour Miklos Szentkuthy comme pour son lecteur, une des images idéales de cet Orphée sanctifié que tente de dessiner l’Ogre de Budapest. Preuve en est, le cadrage, peu habituel dans le reste de l’oeuvre de l’auteur hongrois, sur la figure du jésuite. Alors que dans les deux premiers tomes les digressions, jouissives et innombrables, en diluaient toute possibilité affirmée d’un centre, ici le centre est bien et solidement campé par François Borgia. Ainsi, pour la première fois dans ce Bréviaire, l’hagiographie du saint qui ouvre chaque tome n’est ni plus ni moins que celle du personnage principal. François Borgia en Orphée. Orphée en François Borgia.

Une vieille Aspasie fardée pourpre de Toletan fut lutinée jusqu’à ce que, multipliant ses appâts babyloniens sur son hameçon, en compagnie de Bial doré de Catalogne, qui chassait loin de lui les hommes pieux avec une couronne noire entre ses cornes en toupet, ce dernier, hébété, défaillît dans les nombreux poisons de la dame, et acheminât sa bosse sous le joug d’icelle. Leur rejeton fut mort-né et, sur sa physionomie se trouvait une telle “mors evidens” que tous les nobles lardés d’onctions et aromatisés d’huile prirent la poudre d’escampette de dégoût, cependant qu’un juif “lunaticus” pris de pitié jouait un simulacre du rite de Jean, au bénéfice des bâtards diaboliques hispaniques Albaracin, Sanlucar et Sahagun, car que Notre Seigneur ne pût point y être, c’est aussi sûr que lourdement certain.

Délire baroque, folie du langage, oeuvre historique, histoire d’amour, catalogue esthétique occidental que complète une première et longue incursion en Asie, Escorial, car moins profus et plus empathique que ses autres parties, tout en en conservant l’étrange et folle beauté, est sans doute l’une des voies privilégiées pour entrer dans ce mastodonte de la littérature.

Je ne me considère pas comme un être vivant, mais comme un observateur absolu.

Miklos Szentkuthy, Escorial, 2016, Vies Parallèles, trad. Georges Kassaï & Robert Sctrick.

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« You » de Ron Silliman. http://www.librairie-ptyx.be/you-de-ron-silliman/ http://www.librairie-ptyx.be/you-de-ron-silliman/#respond Mon, 14 Nov 2016 07:43:25 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6177

Continue reading]]> Cover_YOU_DEF-page-001Comprendre ces mots non comme un flot mais comme une chute depuis la majuscule jusqu’à la précipitation du point.

Après plus de 25 années d’écriture, Ron Silliman mit en 2004 un point final au millier de page d’Alphabet. Composé, comme son nom l’indique, sur le modèle de l’alphabet, ce poème fleuve dans la lignée des long poems de Carlos Williams, Olson ou Zukofsky, et unanimement considéré comme l’une des grandes œuvres de la poésie américaine contemporaine, est réparti en 26 sections, 26 lettres, dont You forme donc la 25 ème. L’une des plus importantes en volume et l’une des plus essentielles pour accéder à la moelle d’une des œuvres principales d’un immense auteur des lettres américaines. Le principe formel de You est très simple. Il se compose de 52 sections de 7 paragraphes chacune. Un paragraphe = une journée. Une section = une semaine. You = une année. Et plus précisément l’année 1995, au cours de laquelle l’auteur quittera Berkeley, Californie, pour aller s’installer à Paoli, Pennsylvanie.

Les détails déferlent, bourdon de mille traits, chacun infiniment spécifique, apparent. L’art du temps à la teneur des tons. Engrenages et leviers d’une seule main, cachés sous la chair, convergent pour soulever ce stylo. Ce que je n’écris pas c’est le choc de te voir malade.

You se présente donc bien comme une forme de journal. Où se mêlent à l’histoire de l’an 1995 le travail du poète, ses obsessions, ses observations. Ancré dans une nature omniprésente (le recueil est par endroits un véritable catalogue ornithologique), You égrène le quotidien. Mais, surtout, scrupuleusement délimité dans le temps et le découpage d’une année, You permet de faire affleurer l’originalité des principes mêmes de la poésie de Ron Silliman. La poésie ne peut pour lui être un placage sur le réel de filtres linguistiques éthérés. La poésie se doit d’être une documentation de la pensée. Pour ce faire – comme la pensée elle-même – aucune suite logique ne vient légitimer nécessairement l’ordre des phrases. C’est leur articulation dans une structure qui les englobe et qu’elles habitent qui vient leur donner sens. Perception après perception, You en est un parangon d’une saisissante beauté!

Le dompteur emmène le tigre gigantesque dans nos locaux, l’installe près des photocopieuses avant que nous puissions approcher, un par un, pour caresser l’animal énorme, qui nous regarde avec des yeux que, s’ils étaient humains, nous dirions nostalgiques, sa fourrure épaisse, luxuriante nous surprend presue, le processus nous absorbe tant, caressant à tour de rôle un peu plus vigoureusement à chaque fois, que nous ne voyons pas que le dompteur a disparu.

A l’occasion de cette première édition* en français d’un de ces recueils, Ron Silliman s’est fendu d’une postface qui permet d’en éclairer les enjeux avec clarté et simplicité.

Parmi la riche cacophonie de chants d’oiseaux du matin, choisissez-en d’abord un, puis un autre, et servez-vous de chacun tour à tour en guise de premier plan par quoi entendre le tout.

Ron Silliman, You, 2016, Vies Parallèles, trad. Martin Richet.

*Signalons la parution chez Eric Pesty, dans les semaines qui viennent, de la première partie de Alphabet, Albany, traduite par Martin Richet.

En tant que taulier également de la chose, on s’en voudrait de ne pas attirer votre attention sur le site tout neuf, tout frais, tout beau des éditions Vies Parallèles, ainsi que sur la brillante recension de You par Christian Désagulier sur Sitaudis.

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« La Cage » de Kerry Howley. http://www.librairie-ptyx.be/la-cage-de-kerry-howley/ http://www.librairie-ptyx.be/la-cage-de-kerry-howley/#respond Tue, 23 Aug 2016 08:02:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6083

Continue reading]]> Cage_Cover_300dpi« Oui, mais ça fait quoi? »

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« C’est comme se réveiller ».

De passage à Desmoines, Iowa, à l’occasion d’une conférence sur la phénoménologie, Kit, une jeune étudiante en philosophie, assiste par hasard à un combat de la MMA Cage Fighting. Subjuguée par la violence de ce duel au cours duquel tous les coups semblent permis, mais aussi par sa propre réaction à celle-ci, elle décide de s’y intéresser de plus près – jusqu’à l’obsession… Pendant un peu plus de deux années, elle suivra au quotidien Sean Huffman et Erik Koch, deux combattants de ce sport-spectacle de l’extrême. L’un est un dur au mal routinier, en perpétuel surpoids, porté sur la fumette, qui accepte benoîtement tous les combats qui s’offrent à lui, l’autre est un jeune prodige, gracieux, méthodiquement entraîné et promis à un bel avenir. Deux années durant, ils se casseront des os, seront maintes fois recousus, fonderont des familles, aimeront, espéreront, seront déçus, espéreront encore.

J’observe et j’écris. Et tandis que je commençai à élaborer le récit de chaque coup, au ralenti, je compris qu’il fallait aussi que j’écrive sur le monde que ce coup allait ébranler.

Avec ce récit du quotidien tantôt banalement cruel tantôt violemment exaltant de deux combattants, dont on découvre, haletant, les destins croisés, Kerry Howley réussit la gageure de nous entraîner nous-mêmes dans ces combats tout en nous faisant réfléchir aux raisons et causes de notre propre fascination. Pourquoi sommes nous exaltés par les souffrances des autres ? Qu’en coûte-t-il de chercher l’extase par la violence ? Qu’est ce qu’un corps réduit au pur acte de perception? Au-delà du simple spectacle, ces combats ne sont-ils pas la trace de rites antiques disparus? Quelles excuses rassurantes ne se trouve-t-on pas pour se satisfaire de rester confortablement sous l’emprise d’une fascination?

Existe-t-il un endroit où le corps peut être davantage une chose qu’on utilise – qu’on pousse et qu’on pénètre – qu’une chose dont il faut sans arrêt de soucier?

Kerry Howley fait de Sean Huffman et Erik Koch deux anti-héros contemporains. Qui, tour à tour absurdes et attachants, pathétiques et grandioses, ridicules et profonds, en disent bien plus sur nous-mêmes que nous ne serions près à leur concéder de prime abord. Car nous y redécouvrons que le spectateur façonne au moins autant le spectacle que celui-ci ne le définit. Avec humour, brio et subtilité, elle nous rappelle que le ridicule de notre monde est issu, tout comme le beau dont nous le parons, des rapports que nous entretenons avec lui.

A mon avis, les narrateurs sont tous des fictions. Tous. Les plus fiables ont au moins la décence de le reconnaître.

Kerry Howley, La Cage, 2016, Vies Parallèles, trad. Sophie Renaut.

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