Peu le savent en dehors du paysage éditorial mais, quand on est éditeur, éviter le grand méchant Amazon* n’est pas aussi évident qu’on croit. En effet, si vous ne disposez pas d’un diffuseur/distributeur qui s’occupe pour vous de placer vos livres dans les librairies, en vous refusant à Amazon vous vous coupez d’un potentiel de vente devenu d’autant plus important que vous aurez moins facilement accès au circuit traditionnel des librairies. Et quand vous disposez des services d’un diffuseur/distributeur, les clauses du contrat qui vous lient à lui vous empêchent de facto de refuser à ce que vos livres soient vendus via Amazon. Car refuser de vendre ou de faire vendre vos livres à un libraire et un seul (hé oui, Amazon est bien juridiquement un libraire) est assimilé à un refus de vente. Et le refus de vente c’est interdit. Coincé entre le marteau commercial de l’auto-distribution et l’enclume juridique des dispositions légales de la distribution par un tiers, l’éditeur parait alors bien souvent aussi démuni financièrement qu’éthiquement.
Et pourtant…
Et pourtant, parfois, il est possible de retourner contre lui les exigences de celui qui vous domine de la tête et des épaules.
Il se trouve en effet qu’Amazon exige, entre autres choses, (l’avantage de la position dominante est de ne plus devoir reconnaître dans le client sa fonction de client, de partenaire celle de partenaire, de fournisseur de fournisseur, etc. le dominant peut juste se contenter d’exiger…) que chacun des livres qui lui parvient soit clairement identifiable par un code-barre dûment fonctionnel et directement visible. Pas de code-barre ou code-barre illisible ou code-barre à l’intérieur du livre, et votre livre ne sera pas vendu via Amazon**! Point! Libre alors au distributeur, en cas de commande reçue d’Amazon, d’étiqueter le livre lui-même avant de l’envoyer au « libraire » en ligne. Souvent, cette mesure est appliqué par défaut par le distributeur, sans remise d’ordre au cas par cas par l’éditeur, les coûts incombant cependant à ce dernier. Bref, pour qu’un des livres de son catalogue ne soit pas vendu via Amazon, il suffit à l’éditeur de rater lamentablement son code-barre, de le mettre à l’intérieur du livre ou de, tout simplement, l’omettre, et de donner ordre à son distributeur de ne pas l’étiqueter lui-même. Cqfd***. Ayant appris la chose il y a peu, nous avons décidé (nous c’est-à-dire Vies Parallèles. Attention : pub), à partir de la parution de La Mort par les plantes ****(attention : teasing) de foirer systématiquement le code-barre de chacun de nos livres, de le dissimuler à l’intérieur ou de ne pas en mettre et de faire savoir à notre bien-aimé distributeur (Belles Lettres Diffusion Distribution) de ne pas répondre favorablement à la demande d’étiquetage éventuellement reçue du « libraire en ligne ». Bref, en un mot comme en cent, les livres de Vies Parallèles parus après novembre 2018 ne seront plus disponibles sur Amazon. Voilà!***** & *******
* On ne va pas rappeler ici pourquoi Amazon c’est mal. À moins d’être aveugle, sourd, décérébré et mort depuis 1980, chacun est au courant d’au moins treize raisons qui peuvent venir appuyer ce constat sans appel.
** Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se retrouvera pas sur son site, bien entendu. L’objectif étant d’agréger à soi le maximum, tout, absolument tout, doit être mis sur la vitrine Amazon. À défaut alors du livre que vous cherchiez, c’est votre acte de recherche qui sera monétisé.
*** Cela ne résout bien entendu pas tout. Certains « libraires », s’adonnant aux joies du marketplacing sur Amazon pourront, eux, continuer à recevoir nos livres et à les placer sur le grand foutoir informatique. Mais cela complique quand même singulièrement les choses…
**** Franchement, il nous en aurait coûté de publier un livre se proposant de façon très pratique de renverser les mécanismes de pouvoir à l’oeuvre et de « devoir » vendre celui-ci sur le site honni d’un groupe qui travaille à sa perpétuation.
****** Libraire chéri, ceci équivaut à une déclaration d’amour en bonne et due forme.
******* N’étant nullement un « éditeur de gauche », il ne nous viendrait nullement à l’idée que nous puissions par notre démarche faire germer dans l’esprit des « éditeurs de gauche » l’idée de faire pareil. Car le catalogue de « l’éditeur de gauche », pour la seule raison suffisante qu’il est « éditeur de gauche », n’est bien entendu pas, ou plus, sur le site de l’ogre néo-libéral-fasciste. Hein?
]]>Comment encore attribuer un prix qui se veut anti-prix alors que Guyotat en a eu deux! Comment encore attribuer au prix ptyx la moindre once de sérieux alors qu’il se bornait à dénoncer l’hérésie du prix! Si des jurés écrivant comme Neymar tient debout peuvent reconnaître du génie à un génie*, c’est bien que le prix remplit bien son office! Puisqu’on a enfin compris que l’œuvre [de Guyotat] contribue de façon importante à illustrer la qualité et la beauté de la langue française, c’est qu’on se trompait et que le prix, s’il dit des choses aussi jolies, ne peut qu’avoir raison! Le prix c’est bien! Le prix ptyx est donc mort!
Nous avions pourtant déjà élaboré une première liste (758 livres), puis une deuxième (758 – Qu’appelle-t-on panser? de Bèbère), et une troisième encore (3), qu’il ne ne nous restait plus alors, conformément à nos statuts, qu’à réduire à un texte, récipiendaire du prix ptyx 2018. Mais c’est raté! Le prix a eu raison du prix. Nous en resterons donc pour cette année à l’avant-dernière étape qui devait consacrer Marie de Quatrebarbes pour Gommage de tête et 58 lettres à Ulrike von Kleist**, Dolorès Prato pour Bas la place y’a personne, ou Adelheid Duvanel pour Anna & moi et Délai de grâce***.
* Et non, contrairement à ce que susurrent perfidement les mauvaises langues, le juré médiocre ne cherche ainsi nullement à vêtir son œuvrette des quelques parcelles de l’importance que son geste confère à une Oeuvre qu’il savait – parce qu’on le lui avait dit – déjà importante sans lui. Comme si gratifier pouvait gratifier avant tout celui qui gratifie ou l’adoubeur s’adouber… Mauvaises langues, va!
**Il se fait que nous avions écrit un truc sur notre blog concernant Gommage de tête de Marie de Quatrebarbes mais qu’une mauvaise manipulation nous le fit effacer (vu le titre, c’était joué d’avance…). Comme c’était très intelligent et que l’intelligence c’est beaucoup d’effort et qu’on avait un tantinet la flemme, on vous renvoie chez la responsable.
***Le local, rien de tel!
]]>Prenons deux maximes : « Le ridicule ne tue pas » et « Ce qui ne tue pas te rend plus fort ». Accolons-les, nous obtenons : « Bernard Stiegler est vivant et son dernier livre fait encore plus fort ».
L’un des propres du pensum, à quoi qu’il s’attache, est de décourager d’emblée. Celui-ci à peine entrouvert et déjà l’amas informe de calembours, d’italiques, de néologismes, de suintante prétention, décourage qui tente de s’y frayer un chemin. Entendons-nous bien cependant : nous ne sommes par essence nullement découragés par l’apparence ardue d’un texte. On a fréquenté (et on fréquente encore) d’assez près la philosophie et ses pontes réputés casse-pipe (qu’il s’agisse des sacro-saints français ou des honnis analytiques) que pour ne pas baisser les bras devant ce qui s’annonce difficile. On sait trop combien le nouveau requière un effort de lecture neuf que pour y renoncer par principe ou par paresse. On irait même jusqu’à dire que cela fait plutôt partie de notre plaisir. Non. Ce qui décourage ici n’est pas notre crainte de l’effort à fournir pour accéder à la compréhension du texte bébérien mais bien que son apparence de difficulté ne dissimule… rien. Les calembours, les citations à l’emporte-pièce, le name-dropping, les italiques, le recours aux mots rares, tout cela n’est que la mise en scène de sa vacuité. Mise en scène qui fonctionne d’autant mieux qu’est toujours profondément inscrite en nous l’idée que plus c’est dur autour, mieux c’est dedans. À l’image de l’œuf factice destiné à encourager la poule dans son entreprise pondeuse, l’oeuvre bébérienne aura beau être picorée encore et encore, elle ne donnera accès à rien. La difficulté bébérienne n’est pas la coquille qui dissimule le génie, elle forme la substance de l’œuf bébérien. Et plus encore, contrairement à l’œuf factice dont la contemplation provoque l’œuf vrai, l’œuf bébérien, lui, ne produit chez qui le contemple qu’un ennui mâtiné de pouffements.
Il est donc non seulement illusoire mais aussi inutile de se lancer dans une exégèse du texte bébérien pour en goûter la substance. Ce serait, en sus d’une perte de temps fort dommageable, se laisser prendre au piège sournois qu’il nous tend. Un simple examen attentif d’une page ouverte au hasard suffit à dégonfler la baudruche bébérienne :
Un telle règle est l’arègle an-archique de l’absence de règle : la règle du défaut comme défaut de règle qu’il faut. Cela signifie que le pharmakon est toujours ce par rapport à quoi une bifurcation peut et doit s’opérer, telle qu’elle est offerte par le pharmakon, contre la toxicité de ce pharmakon, et comme sa quasi-causalité – par-delà toute Aufhebung, toute synthèse dialectique, « idéaliste » ou « matérialiste » : la quasi-causalité pharmacologique finit toujours par engendrer elle-même de nouveaux pharmaka, qui réactivent la situation tragique en quoi consiste l’exosomatisation telle qu’elle ouvre des promesses qu’elle ne tient jamais autrement qu’en en différant toujours à nouveau l’horizon.
Oufti. Passons à côté des cornichoneries néologisantes, des contrepèteries involontaires (ou pas, avec Bèbère on s’y perd), de la pseudo-science, rappelons-nous que tout cela non seulement n’a pas pour objectif d’être compris mais n’a d’autre finalité que de ne pas l’être (l’incompréhension du lecteur servant ici de gage au génie de l’auteur) et appliquons-nous sur la dernière partie de la pirouette bébérienne : « l’exosomatisation telle qu’elle ouvre des promesses qu’elle ne tient jamais autrement qu’en en différant toujours à nouveau l’horizon. » Vous pouvez retourner et retourner encore l’expression bébérienne, consulter l’un après l’autre tous les dictionnaires et Bescherelle les plus rigoureux, l’expression bébérienne ne signifie rien d’autre que « l’exosomatisation* ment »**. Vous aurez donc ainsi compris qu’une des grandes qualités du pseudo-philosophe est d’allonger la bêtise dans l’espoir de lui faire endosser les oripeaux de la sagesse.
Le reste étant à l’avenant, il ne vous restera plus alors qu’à ranger l’oeuvre bébérienne là où est sa place : dans le poulailler des idées reçues, des clichés, des prétentions pseudo-profondes, où, à côté de ses collègues pop-philosophiques et pseudo-deleuziennes, elle pourra plastronner et cotcotter à l’envi sur sa propre importance. Car tel est son seul but. Sacré Bèbère!
Bébére, Qu’appelle-t-on panser?, 2018, Les Liens qui Libèrent.
* il n’est d’aucun intérêt de traduire ce que « exosomatisation » peut bien vouloir recouper dans l’esprit de Bèbère. Tout au plus et tout aussi bien pouvez-vous le remplacer par « truc » ou « brol ». Ça fait certes moins inspiré…
** ce qui ne veut strictement rien dire, bien entendu, on vous rassure***
*** car l’oeuvre bébérienne a ceci de curieux et de vicieux, comme ses condisciples pseudo-profondes, de toujours laisser quand même germer en vous la possibilité, même infime, que c’est vous qui seriez responsable de l’incompréhension de ce que vous lisez, que vous seriez défaillant, bref, que vous seriez un con. Quod non! D’où l’expression : « prendre les gens pour des cons »…
]]>L’éditeur de gauche est une drôle de chose. Il y a l’éditeur de gauche qui s’affiche éditeur de gauche, qui, éventuellement, le proclame ou prétend en incarner la vérité ou l’acmé. Et puis il y a l’éditeur de gauche plus discret. L’éditeur de gauche qui l’est mais sans le dire. Voire qui l’est si discrètement qu’il l’ignore lui-même. Dont seul le programme éditorial se veut le garant de ses engagements. Ou dont ceux qui sont à ses commandes partagent ou disent partager des combats identifiés à gauche. Il y a donc bien des façons d’être éditeur de gauche. Néanmoins dans tout cet agglomérat diffus de l’édition de gauche, nous avons pu identifier un certain nombre d’éditeurs de gauche qui, tout à la fois, correspondaient parfaitement à l’image que l’on se fait de l’éditeur de gauche mais trahissaient également allègrement certains principes dits de gauche. Et cela en maintenant parfois mordicus continuer à être un éditeur de gauche. Parmi ceux-ci il y a :
Ce qui confirme donc que, non seulement, la gauche est plurielle mais aussi que l’aboutissement du capitalisme pourrait bien être l’éditeur de gauche…
]]>Alors qu’il y a peu sortait aux éditions de La Découverte (éditeur indépendant qui appartient au groupe Éditis qui appartient à Vivendi qui appartient pour 20.65% au groupe Bolloré) Sexe, race et colonies, parait ces jours-ci La Manufacture du meurtre d’Alexandra Midal dans la collection Zones (collection indépendante du même éditeur indépendant).
Dans Sexe, race et colonies, un collectif d’auteurs emmenés par Pascal Blanchard dit s’intéresser à la fabrication de la domination des corps. S’appuyant sur une riche iconographie, qui va de la peinture post renaissante d’un nu à la photographie pornographique d’un quidam colon assujettissant un corps colonisé, le livre prétend dévoiler enfin les tabous de la domination corporelle : il y a concomitance entre fantasme sexuel et extension des colonies et du capitalisme, nous sommes aujourd’hui encore sous l’emprise d’un imaginaire dont nous nions être les héritiers, la colonie (et plus largement la construction de l’image de l’autre) ne peut être pensée indépendamment de la pulsion sexuelle et des mécanismes de pouvoir, etc. Le problème n’est pas seulement ici que les auteurs enfoncent des portes ouvertes et se rendent coupables de quelques raccourcis mais qu’ils s’appuient sur de l’iconologie sans s’intéresser réellement à sa production et qu’ils fabriquent à celle-ci un écrin qui n’est pas celui de la critique. Sexe, race et colonies est ce qu’on appelle un « Beau-Livre ». Il en a le format, le prix, la mise en page, l’emballage sous plastique. La mise en avant de l’image (qui ne se trouve jamais questionnée en son sein alors même que son sujet l’impose) est dès lors pour le moins problématique. Elle est ici à la fois le « produit d’appel », la preuve matérielle d’un comportement et l’élément essentiel et illustratif d’une critique. Mais sans que soient déconstruites ses différentes fonctions par une réelle analyse de l’image, elle n’est plus lue, comme dans tout autre Beau-Livre, que comme la raison seule du livre lui-même. On n’est pas dans un livre critique. On est bien dans un Beau-Livre. On tourne alors les pages et on « contemple », mi-médusé, mi-dégoûté. Et on se prend à imaginer ce que donnerait un livre magnétique sur la Shoah ou un pop-up sur la vie de Michel Fourniret…
Avec La Manufacture du meurtre, Alexandra Midal entend nous montrer en quoi H.H.Holmes (1860-1896), considéré comme le premier meurtrier en série de l’histoire, peut être l’occasion d’une lecture du capitalisme. Entre raccourcis historiques et forçages idéologiques (du style j’ai bu un jus bio le matin des élections communales, les verts ont remporté ces élections → les verts on remporté les élections parce que j’ai bu un jus bio), ce livre n’aurait pu être que l’énième tentative avortée de faire passer l’obsession idéologique d’un chercheur pour une réalité objective si cette « analyse » n’était suivie de la « première traduction en français des Confessions du tueur ». La première partie, aussi indigente que brouillonne, est bien, au sens étymologique et sémantique, le prétexte de la seconde. Le lecteur appâté pourra alors se délecter d’un récit par le menu de meurtres sordides en habillant son voyeurisme des oripeaux de la critique politique. L’éditeur, quant à lui, pourra s’en frotter les mains.
Alors certes, on pourrait se limiter à dire que tout cela est fort maladroit. Et qu’il n’y faut pas voir, a contrario, une manière (adroite à défaut d’être subtile – car, tiens tiens, il peut parfois être adroit de se faire passer pour maladroit) de se faire des sous. Ce qui, pour un éditeur se clamant de gauche, serait un tantinet borderline. Si l’on franchit le pas cependant, on pourrait déclarer, à la suite de la « réflexion » d’Alexandra Midal, que si
[les] actes [de Holmes] dévoilent le visage extrême du capitalisme, dont la production est un parangon, le design industriel une des expressions, et le tueur en série un des états de sa production
, l’éditeur indépendant de gauche en est lui l’aboutissement…
Alexandra Midal, La Manufacture du meurtre, 2018, Zones.
Collectif, Sexe, Race et colonies, 2018, La Découverte.
]]>Hier, à la chambre des représentants, questionnée sur le sujet, Madame Zuhal Demir, secrétaire d’état à l’égalité des chances, « jeune femme issue de l’immigration étiquetée NVA »* a précisé qu’un plan allait « enfin » – sous-entendu « grâce à elle et son parti » – pouvoir voir le jour. Alors qu’elle s’est refusée en séance plénière à qualifier l’agression, elle a cependant tenu à préciser que :
Ce plan visera non seulement le racisme entendu dans sa forme classique mais également le racisme dont les « autochtones » peuvent être victimes de la part d’« allochtones », la trop faible participation au marché de l’emploi des femmes d’origine étrangère ou encore le harcèlement dont certaines sont les victimes en raison de leur habillement « trop occidental ».
Difficile de se montrer rétif à un tel programme. Protéger qui que ce soit contre ce que peut susciter l’expression de sa différence est plus que louable. Quant à profiter d’une énième agression qui touche une représentante d’une communauté déjà pas mal stipendiée pour déclarer envisager des mesures aptes à endiguer l’acte inverse… C’est, comment dire, un peu borderline, non? Du genre : « ouais bon, y en a une qui se fait lacérer au couteau parce qu’elle porte un voile et donc qu’elle est « arabe », c’est pas top top, mais bon, quand même hein, tout le monde sait bien que c’est les « arabes » qui sont coutumiers du fait », ou alors : « on sait tous combien il est difficile, voire dangereux, dans « certains quartiers »** de se promener en short ou en jupe, faut pas s’étonner que certains se rebellent », ou alors pourquoi pas : « si l’arabe voilée est voilée c’est parce que sa communauté l’oblige à porter un voile et aussi elle l’empêche de travailler et si elle travaillait elle se serait jamais retrouvée à se balader à Anderlues avec un voile à cette heure-là »…
Alors, oui, évidemment, tout ça c’est pas dit. Comme aussi, ne sont jamais nié les faits. On ne dit pas que cela n’a pas eu lieu. Comme on ne revient pas sur les circonstances. On se contente de n’en rien dire vraiment. On ne nomme pas. Plus fort encore : on ne nomme pas l’acte qui a eu lieu – l’acte islamophobe, l’acte de « l’autochtone » contre « l’allochtone » -, on en fait l’occasion de nommer ce qui, à ce moment-là, n’a pas eu lieu – l’acte « anti-blanc », l’acte de « l’allochtone » contre « l’autochtone ». Et ainsi, on fait mouche deux fois : on invisibilise l’acte réel, qui a bien eu lieu, et on actualise celui qui est fantasmé. L’arabe agressé devient l’occasion de renforcer la chimère de l’arabe agresseur. En toute décontraction, le voile déchiré devient ainsi l’occasion de défendre le port de la chemise brune. C’est dégueu. Mais c’est super efficace…
*l’islamophobicwashing n’est jamais aussi efficace que quand il est pratiqué par une « jeune femme issue de l’immigration étiquetée NVA ». La NVA, parti qui oeuvre activement au retour de la chemise brune, l’a très bien compris.
**le « certain quartier » est majoritairement « arabe », « turc », « maghrébin »…
***Oui oui, on sait. Ce blog est censé être en vacances. Mais bon…
]]>A moins de n’avoir rien à faire du livre – ce qui demeure le cas de l’immense majorité – ni de n’avoir jamais le regard attiré par toute information portant sur la haine du juif – ce qui demeure le cas d’une infime minorité -, il eût fallu être mort pour n’avoir pas eu vent de la rumeur, puis de l’information, de la réédition par Gallimard des pamphlets antisémites de L.F.Céline. Utile ou inutile, indispensable ou dangereuse, devoir cathartique ou renouveau haineux, oeuvre douloureuse mais nécessaire à l’historien ou travail coupé du réel du geek célinien, ce projet de réédition vaut nombre de débats qui, s’ils pouvaient être menés avec un minimum de bonne foi, d’intelligence et de respect de l’autre, ne seraient pas sans intérêts (les débats pas la réédition). Les conditions précitées n’étant souvent pas, de loin s’en faut, réunies, vous comprendrez que nous nous en sommes assez rapidement tamponné le coquillard. Jusqu’au jour où nous reçûmes, accompagné d’un bon de commande, ce mail du service commercial de Gallimard :
Fi du débat! Vive la polémique!
Ce que nous démontre cette perle décomplexée – et pas uniquement sa sémantique, car son objet seul en est lui-même un exemple éclairant – c’est que là où le débat, sur quoi qu’il porte, n’intéressera plus que l’universitaire, ce grincheux tatillon et frustré, la polémique, elle, aguichera le tout-venant en lui faisant miroiter qu’il aura vocation à donner son sacro-saint et pertinent avis, sur quoi qu’il porte. Ce que le service commercial de Gallimard nous prouve c’est, alors que le débat endormirait un pré-pubère dopé au redbull, que la polémique, elle, fait se redresser, vaillante comme au premier jour, la paupière du catatonique moribond. Mais aussi, ce que nous démontre à l’envi cette honorable vieille dame qu’est Gallimard, c’est que la polémique, ça vend!
Alors oui, certes, on pourrait dire que c’est pas très classieux. Qu’après tout, faire des sous avec l’édition de textes qui seraient juste, parmi d’autres, des délires sans intérêts littéraires, s’ils n’avaient représenté des idées (et incité à les mettre en oeuvre) responsables de la mort de millions de gens, idées toujours un peu en vogue actuellement, que tout ça, c’est quand même un peu limite. Que, personnellement, savoir que le succès commercial d’un livre qu’on édite ne sera du qu’aux milliers de bas-de-plafond qui l’achèteront pour se conforter dans leur haine de l’autre et non aux 48 spécialistes qui se plongeront dans l’appareil critique de la chose, que personnellement donc, ça nous empêcherait de dormir. On pourrait trouver qu’éditer juste pour des sous des textes ignobles qui proclament exécrer le juif et souhaiter son éradication, pour l’une des raison précise que le juif n’aime que lui-même et les sous, est aller un peu trop loin dans la joie du paradoxe. On pourrait dire en plus que l’avouer aussi crûment auprès des libraires, et les inciter à « judicieusement » participer pleinement à cette bonne grosse blague, est aller un peu trop loin dans la décomplexion. Que tout ça c’est quand même un tantinet putassier. Que c’est pousser le bouchon du cynisme un peu loin. On pourrait. C’est sûr. Mais ça serait quand même ringard. Non?
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Toi aussi, peut-être, rêves-tu de devenir Auteur-culte. Pas simplement auteur, non. Ni même lu. Ni particulièrement célèbre. Ni riche. Juste, et en toute modestie, Auteur-culte. Fort d’une longue et riche expérience en lecture d’Oeuvres-cultes, dont celle dont la couverture figure ci-dessus peut être considérée comme son acmé, nous avons décidé de vous détailler la recette qui vous permettra d’accéder au strapontin rêvé.
Auteur-culte padawan, tu sais ce qu’il te reste à faire.
Pacôme Thiellement, La victoire des sans roi, 2017, PUF.
* » [L’évangile de Jean] est un livre qui parle d’amitié entre les hommes et non de relation d’un maître à ses disciples » Pacôme Thiellement in « La Victoire des sans roi« . « Si vous demeurez vraiment dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » Évangile selon Jean, VIII, v.31. Et aussi : l’Auteur-culte oublie la dimension eschatologique d’une très grande partie des premiers textes relatifs à Jésus (qu’ils aient été « consacrés » ou non), l’Auteur-culte oublie l’aspect proprement rhétorique des apologies et autres textes des pères de l’Eglise, l’Auteur-culte oublie que l’histoire des débuts du christianisme n’était nullement faite d’une ecclesia dominant directement les autres et dès le départ désireuse de dicter sa docta (joli ça) à des hérésies, l’Auteur-culte oublie avec un tel aplomb et une telle constance tout ce qu’il lui est utile d’oublier qu’on peut en tirer la conclusion suivante : l’Oubli-Systématique est une autre face de la Grosse-Bêtise.
** Regarder Buffy The Vampier Slayer, c’est assez proche de la lobotomisation. Ça passe mieux si un Auteur-culte nous dit que c’est méga-top, car on peut y « penser le contemporain ». Ouf…
*** « Qui aurait la malhonnêteté de prétendre que tout ce qui, dans l’Histoire, s’est affublé du nom de « christianisme » ait pu avoir un autre sens que permettre souterrainement, par le miroir outrancier de sa contrefaçon, à la parole de Jésus d’être conservée pour, à tout moment, pouvoir être entendue par les personnes qui en auraient besoin? » Pacôme Thiellement in « La Victoire des sans roi« . Et hop, le tour est joué. Il n’importe pas de dire ici quoi que ce soit de compréhensible, juste de prétendre que celui qui lui opposera quelque critique que ce soit est forcément malhonnête.
**** « Jésus a raté son coup », Pacôme Thiellement in « La Victoire des sans roi », page 7. « Jésus a réussi son coup », Pacôme Thiellement in « La Victoire des sans roi », page 57.
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Prenez l’être le plus « mignon » auquel vous puissiez penser. Un chaton, un hamster, un dauphin, un panda rouge, un nouveau-né (défripé). Par exemple. Faites lui subir les pires avanies. Épuisez sur lui vos idées les plus perverses. Torturez-le, déchiquetez le. A feu doux, maintenez en lui un fifrelin de vie qui puisse juste témoigner de sa souffrance. On défie alors quiconque apercevra dans ces moments l’être miaulant ses douleurs, bavant ses miasmes et empuantissant l’atmosphères de ses sucs, de se défaire d’un mouvement de répulsion. Hé bien, en 2017, la littérature, c’est un peu ça…
En crise depuis de nombreux mois maintenant, le secteur du livre, inquiété dans son ensemble par cette colossale baisse de chiffre d’affaires (à deux chiffres tout de même), semble, pour partie, s’être libéré de toutes contraintes pour « prendre le problème à bras-le-corps ». Et, dans l’optique des joyeusetés de septembre, cela nous vaut de constater, s’il en était encore besoin, que l’être humain acculé, ne pouvant donc reculer, ne recule décidément devant rien. Modeste tour d’horizon…
– L’éditeur (et l’auteur) en danger croit mordicus que l’excès est propice à survivre. Comme le supplicié s’accroche à ses grincements de dents, l’auteur (et l’éditeur) en sursis s’accroche à ses métaphores :
J’ai encore sur mes lèvres carbonisées le goût des siennes – c’étaient des lèvres douces et tendres comme la chair des papayes, elles avaient la couleur rose du jus de grenade et le goût de noisette des graines de sésame qui parsèment les petits pains du matin et qu’elle aimait lécher le soir sur les doigts de ma main
la mer était très salée, mais déjà douce et tiède, sirupeuse : on aurait dit un mélange de miel et de lait dans lequel une salière géante se serait déversée
A vingt et un ans, à peine dépucelés de l’entrejambe, on était encore puceau de l’horreur.
Un siècle inconnu piaffait d’entrer dans l’histoire et de se faire un nom.
Pourquoi ne suis-je pas en toi, là, tout de suite, maintenant, tout au fond, bien au fond, mon épée de Zorro dans ton fourreau?
Ces quelques subtiles métaphores arrachées à la littérature septembrienne démontrent (attention, nous aussi on peut s’y coller lourdement) que la planche de salut est souvent glissante et que, seul, le nom de la tête de nègre ou du pet de nonne n’en donne pas le goût. Autrement dit l’excès d’une forme, plutôt que dissimuler un fond, en révèle souvent magnifiquement l’indigence.
– L’éditeur acculé sait aussi faire feu de tout bois. Ne pouvant plus se contenter de la qualité seule des pages noircies par ses « poulains » pour les fourguer au public de la rentrée, il cherche à « teaser ». Et pour ce faire, quoi de mieux qu’une bonne « bande-annonce » :
Non content d’y apprendre que Eric Orsenna est aussi un acteur manqué, qu’un auteur a des horaires pour écrire, que la dernière phrase d’un livre c’est « comme une petite mort », qu’écrire « c’est réinjecter de la vie dans la vie », que Simon Liberati écrit par ce « qu’il sait le faire » et « qu’au bout de sept romans, on peut dire qu’on est écrivain », non content d’apprendre toutes ces choses essentielles, donc, on y assiste surtout à une séance de poses d’une richesse rare. On se dit, après, que si c’est ça qu’on nous propose à – 14 %, à – 30 %, une bande-annonce Stock, c’est Youporn.
– Enfin (un « enfin » tout rhétorique, car la liste est longue), l’auteur à l’agonie, se dépêtrant dans les ennuis financiers, ne pouvant compter comme avant sur de confortables royalties, se doit de « diversifier ses revenus ». Heureusement pour lui, si la vente est en berne, l’aura de « l’Auteur » et l’espoir « d’en être » demeurent. Ce qui permet à l’auteur aux abois de faire miroiter à l’aspirant-écrivain (qui, rappelons-le, ne pourra se dire « écrivain » qu’au septième pensum) la gloire d’être édité. Ce dont l’ultime réalisation se donne à voir dans cette merveille absolue. Car la pire erreur pour un écrivain, c’est « d’écrire à côté de soi ».
L’empathie pour qui meurt a ses limites. Dont l’une, essentielle à notre humble avis, est de le faire sans s’épancher. Le spectacle de l’agonie convulsive de cette littérature qui nous tient quand même un peu à cœur, nous donnerait presque envie de l’achever d’un rageur coup de talon…
]]>R. a 27 ans. (Jusque là ça va). Il est gravement handicapé. (Ça se complique). Il est arménien. (C’est là que ça devient beaucoup plus problématique). La maladie évolutive rare et grave dont il souffre nécessite des soins constants (il ne peut ainsi se déplacer qu’en chaise roulante, ne peut se vêtir ni s’alimenter seul). L’aggravation de son état ne permettant plus de trouver des soins satisfaisants dans son pays, lui, sa mère (dont l’aide au quotidien lui est indispensable) et son frère ont introduit une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales à la Belgique. Ils ont obtenus à trois reprises un renouvellement de leur carte temporaire de séjour. Au cours de ce séjour, un diagnostic fut posé et un traitement débuté. Il a subi des opérations importantes. Aujourd’hui, malgré la gravité de son état, malgré les soins pointus qu’il nécessite et qui ne sont pas disponibles dans son pays, malgré la programmation d’opérations futures dans des hôpitaux belges, malgré les multiples rapports médicaux indépendants en attestant, malgré la énième condamnation de la Belgique par la Cour Européenne des droits de l’homme dans un cas similaire récent, malgré cette annonce officielle glanée sur le site des Affaires étrangères : « La qualité des soins et des infrastructures médicales [en Arménie] est largement inférieure à celle proposée en Belgique. Il est préférable de se faire rapatrier pour tout problème médical quelque peu sérieux. », malgré la mobilisation de nombreuses associations, malgré ce livre blanc paru il y a peu dénonçant les critères toujours plus restrictifs présidant à la reconnaissance d’un statut de réfugié pour raisons médicales qui aboutissent in fine à considérer l’humain comme quantité négligeable, malgré tout cela (sans parler d’éthique, parce que l’éthique c’est pas du tout à la mode et que nous on tient beaucoup à être à la page) il fut annoncé à R. et à sa famille qu’ils seront expulsés ce 19/12 à 19h25.
Alors, si votre conifère décédé clignote comme il se doit, si la peau du gallinacée se distend sous la pression truffière, si votre sourire est déjà figé au botox, nous ne saurions trop vous conseiller les quelques actions suivantes :
Trop d’appels tuant l’audibilité de l’appel, on n’est pas toujours d’avis de relayer les appels à l’aide ou à l’indignation. Mais on est ici à ce point devant un cas d’école…
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