Graciano – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 17 May 2019 06:15:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.2 « Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/embrasse-lours-et-porte-le-dans-la-montagne-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/embrasse-lours-et-porte-le-dans-la-montagne-de-marc-graciano/#respond Fri, 17 May 2019 06:15:47 +0000 https://www.librairie-ptyx.be/?p=8292

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Et l’évêque dit que si Dieu avait fait les hommes à son image c’était nullement pour que l’on crût qu’ils descendissent des ours par lignage, mais que Dieu avait placé les hommes au rang supérieur et les animaux à celui inférieur, en lequel ils se devaient de servir l’Homme, et que, pour cette raison, avait dit l’évêque, si les bêtes domestiques plaisaient à Dieu, il n’en était rien pour les farouches bêtes fauves, les bêtes sauvages qui, toutes, étaient malfaisantes pour l’homme, et qui, toujours, cherchaient à tourmenter l’homme, comme elles l’avaient fait pour le Seigneur durant les quarante jours qu’il avait passés au désert, durant son suprême carême, et qui cherchaient toujours à fuir l’ordre divin par leurs méfaits, qui cherchaient, en tout temps et tous lieux, comme cela se savait, à saccager les cultures des hommes, ou à détourner le bétail des hommes, en cette dernière nuisance, coupable d’abigeat, crime depuis toujours puni de mort, ainsi encore que cela se savait, avait dit l’évêque, en cela adeptes du maufait, avait encore dit l’évêque, en cela créatures du maufait, de nuisibles malebêtes, avait proféré l’évêque, et que, avait proclamé l’évêque, il fallait être infidèle au plus haut point et non seulement hérétique ou adepte des anciennes croyances fausses pour penser que des humains pussent avoir été engendrés par une ourse, à cause, avait dit l’évêque, que cela aurait alors signifié que Dieu avait figure d’ours, pensée absurde et inepte que, seul, l’esprit insane des païens qu’ils étaient restés, ceux qui croyaient en de telles fariboles, pouvait enfanter, et qui, bien certainement, leur aurait fait mériter l’anathème, si une telle malédiction pouvait avoir quelque effet sur leur esprit natif, si bien qu’il ne pouvait, lui l’évêque, seulement que les en admonester.

En un temps et un lieu non précisés, une ourse s’apprête à hiberner. Puis il y a des oursons, des oursaillers, des balladins…

Au risque de retirer beaucoup de l’agrément de lecture, il ne nous est pas possible de nous étendre plus sur l’histoire ce dernier livre de Marc Graciano. L’un des mérites remarquables de celui-ci étant bien non pas seulement de ménager ses effets (comme on dit) mais aussi de dissimuler ce sur quoi même ces effets se greffent. Fable, conte trash ou initiatique, histoire naïve, roman moral, d’un chapitre à l’autre, l’auteur transporte son lecteur dans des événements sans jamais laisser deviner, en passant d’un « genre » à l’autre, quelle pourrait en être la suite. Et ainsi, peu à peu, se donnent à lire rien moins qu’une forme de kaléidoscope de nos rapports à la nature. C’est mené de main de maître. C’est porté par une écriture qui parvient, oh gageure complexe, oh quadrature du cercle, à conjuguer poésie et efficacité narrative. Et c’est, sans doute, l’oeuvre par laquelle il sera le plus aisé de rentrer dans l’univers fascinant de l’un de nos rares auteurs contemporains essentiels.

Marc Graciano, Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne, 2019, José Corti.

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« Le Sacret » de Marc Graciano https://www.librairie-ptyx.be/le-sacret-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/le-sacret-de-marc-graciano/#respond Fri, 04 May 2018 07:34:02 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7596

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Le sacret est le mâle du faucon sacre, espèce d’oiseau de proie très répandue que l’on utilisait en fauconnerie, notamment pour la chasse en vol. Si le nom « sacre » provient de l’arabe « çaqr », le nom « sacret » dérive lui du latin « sacer ».

A une époque non datée mais que l’on reconnaît comme médiévale, un jeune garçon aperçoit un oiseau de proie blessé et gravement affaibli. Il le recueille et l’amène à l’autourserie de son domaine. L’autoursier, très pessimiste quant à son rétablissement possible, lui en confère la propriété. Après des soins méticuleux et obstinés, le garçon parvient à redonner vie et prestance à l’oiseau de proie. Vient alors l’instant de vérifier aux yeux de tous, et pour le plus grand honneur du jeune garçon, les capacités de chasseur du prestigieux rapace.

L’oiseau de proie était tellement figé que, de loin, il avait semblé au garçon une motte de terre, et l’oiseau était tellement faible qu’il laissa s’approcher le garçon sans réagir

Après une remarquable incursion dans la violence contemporaine, Marc Graciano revient ici au contexte plus ancien qui avait abrité avec succès ses deux premiers récits. Si l’inscription médiévale permet à l’auteur d’investir un univers sémantique différent et la rythmique qui en émane, le but poursuivi n’est nullement « historique ». Si la trame est ancienne, si les mots qui la disent le sont parfois, si la scansion qui les articule est un procédé ancestral, le projet, lui, est résolument original. Ainsi est-ce à un démontage en règle de certaines de nos attentes de lecture – et, surtout, de ce que celles-ci révèlent de nous – auquel se livre ici l’auteur. Qu’attend-t-on en effet de ce qui suit la lecture du sauvetage par un jeune garçon d’un animal apprivoisé? Et que cela dit-il de notre façon de concevoir la liberté animale? La littérature qui, traditionnellement, prétend mettre l’animal au centre de son propos, n’en met-il pas en exergue sa version fantasmée par l’homme?  Et ce faisant, alors même qu’elle figure souvent comme ce qui permet au mieux d’y atteindre, n’endigue-t-elle pas irrémédiablement tout accès vrai au « naturel »? Comme l’est le sacret dans le récit, le lecteur est captif de sa lecture. Et la liberté de l’un, dépouillée de ses oripeaux anthropomorphes, se fait au prix, parfois douloureux, de celle de l’autre…

Marc Graciano, Le Sacret, 2018, Corti.

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« Enfant-pluie » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/enfant-pluie-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/enfant-pluie-de-marc-graciano/#respond Mon, 17 Apr 2017 16:24:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6777

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Né lors d’une pluie diluvienne, l’Enfant-pluie, fils d’un chef, est rapidement pris sous la protection de Celle-qui-sait-les-herbes. Sous ses conseils et son enseignement distillés avec une sage ironie, l’Enfant-pluie grandira, voisinera avec la mort, fera la connaissance de l’autre et prendra conscience de sa trace dans le monde.

Celle-qui-sait-les-herbes a dit que les gens étaient petits et seulement petits face au vaste monde puis elle a dit que quelqu’un, un jour, avait représenté dans une grotte, elle a avoué ne savoir exactement où, un homme couché et blessé, sans doute un grand chasseur ou un grand chef, et elle a craché au sol de dépit pour dire qu’une telle représentation humaine dans une salle de dessin qui devait être considérée comme un vrai et intouchable sanctuaire était vraiment la plus grande et haïssable manifestation d’orgueil et de vaine gloire.

Depuis ses premiers livres, Marc Graciano fraie dans les parages du conte. Ancrant ses récits dans des temps et des lieux détachés de marquages trop clairs et les exploitant d’une langue toute de rythme et de scansion, il leur donne une teinte d’étrangeté mais qui ne soit pas radicale. N’est étrange que ce qui garde avec l’habituel suffisamment de liens que pour lui offrir un contraste. Dans ces « avants » ou « ailleurs » indéterminés, il fait éclore depuis trois romans déjà, en une langue qui semble elle-même en sourdre, les origines et les désirs dont nous provenons. Dans Enfant-pluie, plus directement peut-être que dans ses précédents, mais tout aussi subtilement, il questionne notre genèse de la représentation. Dont l’ineffable beauté, sans doute, tenait aussi à la retenue, à la pudeur avec laquelle, un jour lointain, l’être humain envisagea sa présence dans le monde. Dans ce quatrième opus (enfant admis, qui plus est!), on peut constater encore une fois, et l’en remercier, que Marc Graciano a conservé, intacte et délicate, cette grâce originelle.

les gens étaient petits et seulement petits face à toute cette beauté.

Marc Graciano, Enfant-pluie, 2017, José Corti.

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« Au pays de la fille électrique » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/au-pays-de-la-fille-electrique-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/au-pays-de-la-fille-electrique-de-marc-graciano/#respond Tue, 13 Sep 2016 07:46:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6130

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Au pays de la fille électrique

A force de considérer l’originalité comme un paradigme cardinal de l’art, d’aucuns n’en voient plus que cet aspect et s’enferrent dans une forme de fuite en avant se voulant toujours plus radicale. En rupture, voire en ban, contestateur, l’acte artistique se pense alors d’abord uniquement en relation avec sa réception future. Il doit faire neuf. Il doit choquer. Il doit être audacieux. Malheureusement, très souvent, ce qui n’en devait être qu’un des moyens devient l’unique fin. S’oubliant dans sa seule quête d’originalité, forcément transgressive, l' »artiste » s’englue dans cette seule intention, qu’il contribue alors à ériger en banal procédé – et quoi de plus ironiquement absurde que de faire verser dans la procédure ce qui, par définition, se proposait de l’en extraire. Mais parfois, rarement, l’extrême audace, car nécessaire et servant un propos qui lui préexiste, permet de faire aboutir, comme miraculeusement, un projet qui tout à la fois la subsume et la légitime.

Au pays de la fille électrique s’ouvre sur une scène d’une absolue violence : le viol d’une jeune femme par quatre hommes dans un hangar. Contant par le menu, sans pudeur aucune, au plus près des sévices, d’un réalisme cru, sans la distance que pourrait instaurer une bancale esthétisation de l’acte, Marc Graciano plonge le lecteur d’emblée dans la réalité d’une horreur sans nom. Passée l’abjection de ce prologue éreintant, écrit d’un bloc, sans point, rythmé par des « et » incessants, nous retrouvons en 84 scènes – où c’est le « puis » qui scande la phrase – la jeune fille errant par les routes, en direction de l’océan. Le roman se clôturant sur un épilogue dont nous ne dévoilerons rien.

et elle possédait un petit nez écrasé et dévié à sa base, et elle possédait, sur la lèvre inférieure, une mince cicatrice qui serait restée invisible si la pâleur de sa cicatrice n’avait pas contrasté avec le hâle de son visage, et ses yeux étaient bleus comme le ciel et continuellement brillants et comme électrisés, et son regard semblait si perdu à tous ceux qu’elle croisait sur sa route que, lorsque qu’ils l’observaient passer, ils avaient l’impression qu’elle ne les voyait pas, ou que, même, elle aurait eu la bizarre certitude, telle elle n’aurait pas existé, que c’étaient les autres qui ne la voyaient pas.

Aux antipodes d’une simple volonté de marquer le coup, en heurtant plus que d’autres, Marc Graciano parvient à nous enserrer dans les fils d’un projet d’une audace et d’une ambition rares. Comment donner une consistance et un sens autre à la violence du monde? Qu’est-ce que la pureté? En les abordant de front, en leur offrant des contrastes inédits – dont le lecteur est lui-même un acteur -, il offre à ces questions des développements radicalement neufs. Car sous la crudité des faits qu’il évoque se loge une subtilité, un art de la nuance, qui fonctionne d’autant mieux que ces effets ne sont décelables qu’en passant le filtre de notre écœurement premier. Ainsi s’aperçoit-on que les quatre agresseurs peuvent préfigurer un assemblage archétypal du violeur tout entier résumé… dans leurs type de chaussure. Ou que cette jeune fille serait l’image idéale que tout homme peut se faire de la beauté et de la grâce féminines. Que la nature évoquée n’est jamais inviolée. En donnant au lecteur un accès brut et directement confrontant au réel, tout en ciselant finement un langage pour en rendre compte, le contrastant mais sans apprêts, l’auteur bouge légèrement nos lignes de sa perception. Marc Graciano est l’un des plus impressionnants magiciens actuels du langage. Magicien au sens premier. C’est-à-dire de ceux qui, maniant des outils et des matériaux dont nous disposons tous, parviennent à en faire sourdre, on ne sait jamais vraiment comment, quelque chose d’unique et de précieux.

Marc Graciano, Au pays de la fille électrique, 2016, José Corti.

Les bruits accompagnant cette chronique ont été enregistré lors des Glaneurs sur Musique 3, une émission pilotée par Fabrice Kada, mise en onde par Katia Madaule et squattée, ce soir là, par Septembre Tiberghien et Edgar Szoc.

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« Une forêt profonde et bleue » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/une-foret-profonde-et-bleue-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/une-foret-profonde-et-bleue-de-marc-graciano/#comments Wed, 25 Mar 2015 08:39:37 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5039

Lire la suite]]> Une-foret-GracianoMarc Graciano écrit des contes de fées.  Mais il n’est dit nulle part que la fée ne puisse y subir les pires avanies.  Et pourtant, elle reste une fée et l’espace où elle évolue un conte.  De même Marc Graciano nous émerveille-t’il.  Mais émerveiller ne veut pas forcément dire créer les conditions d’une joie béate.  Et ce n’est pas parce que l’émerveillement, l’enchantement, au lieu de nous plonger dans un univers éthéré nous en éloigne, qu’il n’est pas, précisément, un émerveillement.

et tous ces mouvements à la surface de l’eau étaient cause que la fille savait que l’eau était là parce que l’eau était si pure que, immobile, elle eût paru inexister.

Dans le conte qu’il orchestre ici, Marc Graciano nous convie à suivre les aventures d’une jeune fille dans un monde sans lieu ni date dont la beauté insondable ne semble trouver de pendant inverse que dans l’infinie cruauté des hommes.

tous veillaient scrupuleusement à porter leur regard uniquement vers celui des autres de là pourquoi la plus haute pudeur régnait parmi les membres du groupe même s’ils étaient intégralement nus et rassemblés dans la plus grande promiscuité

Organisé en parties brièvement nommées (La ruche, Le cerf, La borde, etc…), chacune divisée en chapitres d’un paragraphe et d’une phrase (en clair : un chapitre = un paragraphe = une phrase), « Une forêt profonde et bleue » est, certes et même s’il semble en pervertir les codes (alors qu’il les réalise peut-être simplement autrement), un conte.  Mais il est aussi un exercice formel radical.

Comme le mège qu’il met en scène dans son récit, l’écrivain est un médium.  Et, médium, il se doit, avant de restituer quoi que ce soit, de se faire réceptacle.  Le mège doit, pour pouvoir peser sur ce qui l’entoure, pour que ces actes soient utiles, pour subsister et aider l’autre à subsister, accueillir ce qui l’entoure.  Dépositaire d’un savoir dont il ne connait plus l’origine, il l’articule sans en rien refuser au risque que son action demeure stérile.  Tel est l’écrivain qui s’arroge la fonction de dire le monde.  Pourquoi ainsi se couper du langage qui n’a plus lieu?  Est-ce parce qu’il n’est plus « commun » qu’il n’est plus censé remplir de fonction?  Ne serait-ce pas ainsi du ressort de celui qui vise à en dire la complétude, de réintroduire dans ce monde des mots qui, non usités couramment, ne continuent pas moins de l’exprimer?  Ainsi de « leude », « mège », « rain », « aronde », « borde », « noctiluque », « vit ».  A l’antipode de l’artifice littéraire nostalgique, le mot « oublié » est ici un outil du merveilleux.  Et l’écrivain ce magicien qui, par la grâce d’un rythme épousant le réel dans ces moindres méandres, parvient à le dire dans tout son infinie complexité.

Les herbes autour du lac étaient devenues rouges, presque purpurines, et pareillement rouges étaient devenues les feuilles des arbres marcescents dans la forêt mixte autour du lac et, plus haut dans la montagne, dans la sapinière, certains rameaux étaient devenus roux et les eaux du lac devinrent colombines et lourdes et grasses et lisses et les eaux plates reflétaient à la perfection le monde autour et l’air devint pur et frais et comme extraordinairement liquide et comme très brumeux et de grands vols de grues en migration commencèrent )à passer dans le ciel embrumé et ce fut le signe que l’hiver serait bientôt là.  

Marc Graciano, Une forêt profonde et bleue, 2015, Corti.

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