PUF – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Magic » de Laurent de Sutter. https://www.librairie-ptyx.be/magic-de-laurent-de-sutter/ https://www.librairie-ptyx.be/magic-de-laurent-de-sutter/#respond Wed, 02 Sep 2015 07:54:25 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5470

Lire la suite]]> MagicS’introduisant par Rousseau, Montesquieu ou Durkheim où l’auteur observe l’arrimage par ce dernier du concept de lien à celui d’obligation, Magic revient aux sources du nexum romain. Et y décèle, dans ce qui fondait l’obligation entre un débiteur et son créancier, sa composante magique. Les mots prononcés rituellement y créaient l’obligation. Non pas simple validation publique d’un engagement, ni formule ayant valeur de promesse, le rituel de langage (et de gestes) fabriquait l’obligation, la scellait, « décidait de sa nécessité ».

La magie était la condition requise pour l’instauration d’un lien de droit.

L’obligation est un lien de droit qui oblige et acquiert du coup, de par sa seule « constitution », une existence réelle, un statut de chose. L’obligation est plus que ce qu’elle institue ou garantit. L’obligation fait quelque chose. Elle est chose en soi. Ce recours au droit pour éclairer ce qu’est le lien permet de le fonder mieux. Un lien, comme l’obligation « légale » qui n’en serait qu’une de ses variantes – ou tout lien ne serait-il pas une variante de cette obligation? -, ne fait pas que permettre un accord, un rapport entre deux êtres. Dès qu’un lien s’est tissé, il existe. Il est. Le lien n’est pas qu’une description d’un possible du réel. Il en est une des modalités.

S’il est impossible de dire la nécessité immanente d’une obligation, alors il n’est aucune nécessité qui ne puisse être dite nulle part – alors la nécessité n’existerait tout simplement pas, puisqu’elle dépendrait toujours de la contingence de ce qui la rendait possible. Est-il possible de vaincre la contingence?

Nous savons qu’un lien ajoute au monde. Qu’il n’en est pas qu’un arrangement, une distribution des possibles. Est-il pour autant nécessaire?

Droit et magie s’interpénètrent, car le problème qu’ils ont à résoudre est identique : celui de l’établissement d’une continuité (entre personnes par le droit, entre mondes par la magie) qui puisse prétendre à une robustesse minimale.

Si Dieu crée le monde, que rend son geste possible qui ne soit sous-tendu par quelque chose qui lui préexiste? Au Fiat divin doit préexister un principe lui permettant de déployer ses effets. Sans lien, rien.

Le lien précède la création.

De Rousseau à Dieu en passant par Mauss et Quentin Maillassoux!

En 35 chapitres denses mais accessibles, érudits mais presque facétieux, qui nous parlent du lien en en déployant les effets dans sa lecture même, Laurent de Sutter nous enserre dans les rets jouissifs de ses rigoureuses virevoltes. Et, faisant mine de nous parler de droit – mais en nous parlant vraiment de droit! -, il questionne subtilement nos rapports à l’autre et à ce qui les fondent.

Est nécessaire ce qui porte à conséquence.

Magic aura des conséquences!

Laurent de Sutter, Magic, 2015, PUF.

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Vrac 5. https://www.librairie-ptyx.be/vrac-5/ https://www.librairie-ptyx.be/vrac-5/#respond Tue, 30 Sep 2014 06:25:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4462

Lire la suite]]> A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

avant demainCatherine Malabou, Avant demain, Epigénèse et rationalité, 2014, PUF.

Alors que les dernières trouvailles de la biologie, qui annonce un cerveau tout entier machine, simple produit de l’évolution, sapent l’a priori kantien par son pan matérialiste, les tentatives du réalisme spéculatif, quant à elles, en attaquent la face corrélative.  D’un côté le transcendantal se mue en une matière qui évolue, de l’autre on affirme la possibilité d’atteindre le vrai par le seul pouvoir de la raison.   Las de se complaire depuis Kant dans l’idée d’une impossibilité à connaitre autre chose que notre relation à la chose, jamais la chose elle-même, scientifiques et philosophes n’ont eu de cesse de chercher à dépasser ce qu’ils prenaient pour une contrainte.  Et, le plus souvent, en désirant quitter Kant.  Catherine Malabou montre que les racines de ce qui prépare la défaite du transcendantal se trouvent déjà chez Kant.  Ainsi s’appuie-t-elle sur le paragraphe 27 de la Critique de la Raison Pure, mentionnant l’épigénèse, pour démontrer que Kant demeure essentiel à toute tentative de dépasser les failles devant lesquelles le kantisme lui-même et tous ceux cherchant à en sortir s’arrêtent, indécis et interloqués.  Brillamment construit en forme d’épigénèse, Avant Demain est l’occasion de jeter un regard actuel sur 250 ans d’histoire du transcendantal.  Et de revenir sur cette question essentielle qu’est notre accès au réel.

Le transcendantal.  Le sauver ou le déconstruire, le transformer ou le dériver, le temporaliser ou le rompre? […] le plus souvent, conservation et abandon coïncident.

Par ailleursLinda Lê, par ailleurs (exils), 2014, Christian Bourgois.

Istrati, Tsvetaeva, Akhmatova, Saint-John Perse, Pizarnik, Avide, Said, Blanchot, Levinas, Hesse, Gide, Perec, Brecht, Mann, Segalen, Gauguin, Gaspar, Gombrowicz, Adorno, Nabokov, Cioran, Fondane, et combien n’oublie-t-on pas de citer.  Linda Lê explore l’ailleurs qui gît dans l’œuvre d’écrivains.  Sans jamais prendre les atours d’une démonstration savante, s’apparentant plus à la promenade, elle fait surgir la part d’exil qui constitue toute littérature qui vaille.  Car si l’exil, lorsqu’il est érigé en fétiche, recèle en son sein les racines de l’exclusion, il se révèle irrémédiablement créateur dans l’obligation du rapport à l’autre qu’il institue.  Véritable barrage d’intelligence dressé à l’encontre de l’homogénéisation, le nationalisme et le protectionnisme, par ailleurs sublime une littérature qui, lorsqu’elle se saisit des possibles que lui offre l’exil contraint ou choisi, permet de donner de « l’empan à ce qu’il y a d’étriqué en nous ».

L’absolument étranger seul peut nous instruire.

Rouge ou mortDavid Peace, Rouge ou mort, 2014, Rivages, trad. J-P. Gratias.

Tout système a ses limites.  Tout projet, même abouti, peut générer l’ennui.  En bref, un chef-d’œuvre peut être limite chiant.  Et en rester un.  Dans Rouge ou mort, David Peace retrace l’existence de Bill Shankly, mythique entraîneur de Liverpool, depuis ses débuts pour le club anglais.  Ecrit à la manière d’une geste, Rouge ou mort en reprend certains des éléments la structurant.  La désignation d’un personnage par des traits récurrents (Athéna « aux yeux pers » devient Bill Shankly « aux pas vifs, aux pas pesants »), la construction par répétition (sémantique et syntaxique), l’obsession pour certains détails (le nombre des combattants d’une bataille/le nombre de spectateurs de chaque matche)…  Sensé épouser par sa forme la lignée épique dans laquelle il s’inscrit, Rouge ou mort, s’il réalise parfaitement son projet, paraît expurgé de tous les autres possibles que recelait cette inscription dans une tradition.  Au-delà de l’intérêt que soulèvent la découverte et le décodage de sa forme, fondée sur la répétition, il s’empêtre dans son propre procédé.  Car, si, en effet, l’itération maniaque permet de bien traduire cette aventure ad minima que permettent les temps actuels et dont le football offre un subtil succédané, il n’en demeure pas moins que le procédé lassera d’autant mieux qu’il sera mené plus avant.  Au lieu de profiter de la construction par la répétition pour mettre en exergue ce qui y échappe, David Peace semble parfois se prendre les pieds dans le tapis d’une idée et d’une seule.  Et lui sacrifier, en en exploitant à l’extrême son potentiel le plus évident, la richesse qui lui est inhérente.  Et pourtant…  Et pourtant cet engoncement radical dans une forme fonctionne autant qu’il laisse de côté.  Rouge ou mort lasse et séduit pour les mêmes raisons.  Ennuyeux et sublime, construit sur l’autel du plaisir, il démontre peut-être que l’artifice est une des manières les plus justes d’atteindre le vrai de nos temps.

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« Heidegger et l’antisémétisme. Sur les Cahiers noirs » de Peter Trawny. https://www.librairie-ptyx.be/heidegger-et-lantisemetisme-sur-les-cahiers-noirs-de-peter-trawny/ https://www.librairie-ptyx.be/heidegger-et-lantisemetisme-sur-les-cahiers-noirs-de-peter-trawny/#respond Thu, 11 Sep 2014 07:58:01 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4451

Lire la suite]]> HeideggerEst-il possible de penser sans Heidegger?  Sans doute.  Mais il est plus compliqué de le faire après Heidegger.  Est-il possible de penser avec Heidegger après la parution de ses Cahiers noirs?  La question émeut et clive.  Et d’autant plus depuis les « fuites » relatives aux assertions supposées d’un Heidegger supposé antisémite.

Nous sommes assurément voués aux suppositions.

Alors même que d’aucuns trouvaient dans des on-dit, des informations de seconde main ou divers documents privés, de quoi instruire des procès, moins à charge et décharge, qu’il ne procédaient souvent d’une intention, l’ambition de Peter Trawny est bien de s’ancrer dans les faits d’un discours désormais disponible pour le confronter à la construction philosophique de qui l’a tenu.

Il y a un antisémitisme dans la pensée de Heidegger qui, comme on peut s’y attendre de la part d’un penseur, reçoit une justification philosophique (impossible), mais qui, malgré cela, ne va pas plus loin que deux ou trois lieux communs stéréotypés.  La construction ontologique aggrave son cas.  C’est elle qui a mené à la contamination de cette pensée.

La pensée heideggérienne, selon Trawny, fut donc contaminée par l’antisémitisme. Et cela, sous les « ors » les plus vulgaires de celui-ci.  « Concept » du complot juif internationaliste, de la juiverie, inhérence des rapports convulsifs avec l’argent à une race juive fantasmée, le juif de Heidegger qui nous est donné à lire dans les Cahiers noirs est bien celui du commun.  Là ou le bât de la pensée blesse, c’est où elle fut le plus chargée du vulgaire.  Le « on » condamné par Heidegger est celui-là même où il se complaît lorsqu’il évoque le juif.  Si, effectivement, les citations extraites des Cahiers noirs laissent peu de marge quant à leur interprétation stricte (oui, elles sont antisémites), elles ouvrent le champ (comme tout peut l’ouvrir) à nombre d’hypothèses.  Il a dit cela parce que ceci.  Il a dit cela parce que ça.  Tout est œuvre d’hypothèse.  Mais le propre de l’hypothèse est bien aussi que s’y reconnaît la possibilité, à même échelle de validité, de son exact contraire.  Et qui s’échine à vouloir sauver (ou couler) Heidegger à tout prix en vient alors à en tenir d’aucunes qui ne peuvent trouver de légitimité qu’en elles-mêmes.  Jusqu’à supposer (encore supposer), dans le chef de qui a tenu les propos faisant débat, pour le sauver mieux encore, une interprétation de l’interprétation future de ceux-ci.

La dissimulation des Cahiers noirs ainsi que la demande de les publier à la toute fin des œuvres complètes n’étaient-elles pas liées à l’intention de Heidegger de nous montrer à quel point sa -la- pensée a pu s’égarer?

A force de vouloir expliquer, qui plus est à la lumière de sa propre philosophie, la teneur de propos si bêtement communs, on en oublie que peut-être, justement, ils n’éclairent ni n’obscurcissent rien.  Peut-être sont ils juste bêtes et communs?  Peut-être ne sont ils tenus que pour cela?  Parce que communs, ils sont, c’est un truisme, partagés par tous.  La pensée a ses trous, ses vides, ses manques.  Comme qui pense a ses absences.  Faut-il pour cela faire de ceux-ci, de ces penseurs, des fabricants de gouffres?  A force d’apparenter des propos à des énigmes qu’il s’agit absolument de déchiffrer, de résoudre, on en oublie souvent une (d’hypothèse) : qu’il n’y ait pas énigme.  Que hors l’économie d’une pensée, ces propos ne seraient alors, glacials et abominables, que l’expression de l’inscription (et non sa contamination) de celle-ci dans un temps.

Peter Trawny, Heidegger et l’antisémitisme. Sur les Cahiers noirs, 2014, trad. Julia Christ et Jean-Claude Monod.

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Vrac 4. https://www.librairie-ptyx.be/vrac-4/ https://www.librairie-ptyx.be/vrac-4/#respond Wed, 03 Sep 2014 07:15:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4444

Lire la suite]]> A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

Selon VincentChristian Garcin, Selon Vincent, 2014, Stock.

Le moi se dilue dans quelque chose de plus vaste que lui.

Christian Garcin nous convie à suivre (mais suivre, chez lui, se fait par d’incessants détours) Vincent, disparu volontaire.  Le lecteur est invité à découvrir, avec qui cherche dans l’espace du roman la trace de Vincent comme celle des causes de sa disparition, qu’il y a peut-être plus de « raisons » de disparaître que de rester « en pleine lumière ».  A la logique du statut quo, de l’immobilité, du même, répond en écho celle de la disparition. Dans ce récit vif et palpitant, jouissif, sophistiqué sans arrière-goût d’artifice, fait d’enchâssements, de mises en abymes, migrant dans le temps et l’espace avec un égal bonheur, puisant subtilement à nombre de sources narratives, se dévoilent encore une fois les thèmes chers à l’auteur qui, tous, renvoient à l’irréductible importance de l’Autre.

Reductio ad HitlerumFrançois De Smet, Reductio ad Hitlerum, 2014, PUF.

Le postulat sous-jacent à la « loi » de Godwin lorsqu’elle se transforme en « point » est que toute invocation d’Hitler et des nazis dans une discussion est nécessairement inappropriée, car rien ne peut valablement se comparer au Troisième Reich et au poids maléfique que celui-ci fait durablement peser sur la conscience collective.

La « loi » de Godwin (qui dit qu’au plus une discussion se prolonge, au plus la probabilité que le nom d’Hitler y surgisse se rapproche de 1), loi de constat s’il en est, comme les lois, instituées celles-là et dites mémorielles, démontre la prise en compte, par la collectivité elle-même, de sa propre faiblesse, ou de ce qu’elle s’imagine comme telle.  Rassemblés en une communauté édictant des lois, les hommes en élaborent donc une qui se fonde sur le constat de l’inféodation de l’individu au groupe.  En clair, la communauté des hommes redoute qu’une idée dite, proclamée, partagée, puisse, par effet de meute, aboutir au passage à l’acte.  Cette communauté, aveuglée par l’originalité abominable de la Shoah, interdit à chacun en son sein de manifester une intention dont elle craint qu’elle ne la fasse redevenir meute.  Mais, se faisant, en créant de l’indicible, en confondant intention et acte, elle fait du nazisme « un cache-sexe commode et unique du mal […] qui peut conduire, par obnubilation, à négliger ce même mal lorsqu’il prend d’autres formes ».  François De Smet, parfois brouillon mais toujours intelligent et (malgré le sujet, disons, sensible) sans excès de prudence, livre ici un plaidoyer intelligent pour, si pas les embrasser, du moins accepter la contingence et le chaos, en lieu et place d’une cohérence érigée en dogme.

JBarrages de sableean-Yves Jouannais, Les Barrages de sable, Traité de castellologie littorale, 2014, Grasset.

Rien n’est à créer.  On n’invente rien.

Que font les enfants sur la plage équipés de leurs pelles et seaux?  Que sont leurs châteaux?  Qu’est ce qu’un barrage de sable si ce n’est un monument dressé à son échec?  Construisez-le loin du bord de mer, à l’abri des flots, il décevra, paraîtra inutile.  C’est sur le chemin de la marée qu’il a vocation à être.  Car il n’est, depuis l’élaboration de son projet, que le désir d’être détruit, de n’être rien.  Comme il l’a toujours été et le sera toujours.  Construit autour de son érudition guerrière (Jean-Yves Jouannais poursuit depuis 2008 un cycle de conférences-performances, l’Encyclopédie des guerres), elle même fruit de son obsession, Les Barrages de sable recèle en son creux la question de son propre projet.  Pourquoi construire quelque chose dont le sens même est d’être détruit?  Mais aussi pourquoi l’auteur du livre est-il à ce point questionné par les barrages?  Ce qui revient à poser la question : pourquoi faire œuvre?  Donc comment?  A l’opposé d’une quête effrénée et souvent bêtifiante de la nouveauté, s’en dégage une très belle évocation du seul échec qui vaille : l’épuisement.  Car en désirant épuiser un sujet, sans espoir d’y arriver jamais, on ne cherche qu’à embrasser à bras le corps, sans espérer y trouver de réponses, les questions que posent notre propre attrait pour ce sujet.  Un magnifique minimum.

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« En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou » de Adrien Candiard. https://www.librairie-ptyx.be/en-finir-avec-la-tolerance-differences-religieuses-et-reve-andalou-de-adrien-candiard/ https://www.librairie-ptyx.be/en-finir-avec-la-tolerance-differences-religieuses-et-reve-andalou-de-adrien-candiard/#respond Tue, 11 Feb 2014 07:30:23 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3811

Lire la suite]]> En finir avec la toleranceEntre 711 et 1492, l’Andalousie fut sous domination musulmane.  Cette période de l’histoire, sous le nom d’al-Andaluz, est de nos jours utilisée soit comme exemple de cohabitation pacifique entre les trois religions sous l’islam, soit son exact inverse.  Tout simplement car, comme toute période (à fortiori longue) détachée du flux de l’histoire, ses propres variations permettent d’abreuver toutes les idéologies.  Ainsi, si l’ensemble du 12ème siècle, ou la ville de Tolède après sa prise par le roi de Castille, ou encore le califat de Cordoue, peuvent montrer des exemples de vie en harmonie et de tolérance ; d’une part ce n’est nullement le cas de l’ensemble ni de la période ni du territoire ; d’autre part les critères du vivre ensemble respectés à l’époque sont très loin des standards d’aujourd’hui.  Donc, oui, la coexistence pacifique de toutes les croyances, coexistence respectueuse de l’autre, tolérante, désintéressé, enrichie d’une liberté totale de rite, dans un territoire administré par des musulmans, est bien, selon les critères d’aujourd’hui, un mythe…

La dénonciation du mythe n’est pas moins politique que le mythe lui-même ; elle promeut son propre programme et s’intéresse elle aussi au présent bien plus qu’à l’histoire, aux banlieues plus qu’aux Omeyyades.

Le premier (grand) mérite de cet essai essentiel est de re-contextualiser un discours sur l’histoire.  Et de bien montrer qu’il n’est, précisément, que discours.  Et non l’histoire.

Partant de ce premier constat, Adrien Candiard, avec intelligence et mesure, essaie de montrer en quoi al-Andaluz peut, cependant, encore nous servir aujourd’hui.  Et ce service provient justement, non de la volonté des différentes parties clivées actuelles d’y retrouver à tout prix chacune ses propres fondements, mais bien, au contraire, comme exemple de différence radicale d’avec notre époque.  Ainsi, avec Locke, puis Kant, s’est constitué un modèle de tolérance religieuse qui repose sur une forme de différenciation des statuts de la vérité.  Il y a une vérité forte, issue du savoir.  Il y en a une autre, ne pouvant être éclairée que faiblement en raison, qui ressortit de la foi.  La première est affaire de vivre-ensemble, d’état.  La seconde est privée.  Et donc : tu as ta vérité, j’ai la mienne.  Ce rejet de la question de la vérité dans la sphère privée l’a assimilé de fait au registre identitaire.  La croyance, et tout ce qui peut en découler, ne peut donc plus être discuté simplement.  Car si l’on peut discuter du vrai, il est plus complexe de le faire si ce vrai est ressenti comme nous constituant.

On peut débattre de ce que je pense, mais peut-on accepter de débattre de ce que je suis?

Ce rejet de questions du registre de la vérité à celui de l’identité, s’il a porté de nombreux fruits, dont l’un des moindres n’est pas d’avoir fortement réduit les manifestations de violence religieuse, semble selon l’auteur atteindre aujourd’hui ses limites.

en Andalousie […], la religion n’est pas affaire d’identité, mais de vérité.

Al-Andaluz était théâtre de disputes, de débats, voire de combats, parfois virulents entre les tenants des diverses religions révélées. Chacun y mettait toute son énergie dans la volonté de convaincre l’autre.  Mais la plupart (et la vitalité intellectuelle de cette époque en découle entièrement) saisissait bien qu’imposer la vérité (saisie comme LA vérité et non la sienne, saisie relativement) ne pouvait passer qu’en connaissant les arguments et les postulats qui sous-tendaient la thèse du vrai soutenue par le contradicteur.  La connaissance de l’autre, loin d’affaiblir à priori mon système de vérité, était vue comme l’affermissant.

La polémique se révèle plus productive pour la connaissance de l’autre.  C’est peut-être la principale raison que nous pouvons tirer de l’histoire intellectuelle andalouse : la polémique n’est pas nécessairement dangereuse.

La vitalité de cet essai, dense et didactique, ne peut être résumée ici.  Par delà les clichés (et ce texte éclaire qu’ils sont souvent le plus présents là où on s’en doute le moins), il démontre qu’une vraie dispute est d’abord une écoute réciproque.  Certes.  Mais une écoute dont est expurgée toute nécessité à priori d’aboutir à un consensus.  Et qu’accepter la différence ne se peut qu’en acceptant le désaccord.

Car le syncrétisme, qui veut ramener à l’unité toute diversité, a beau paraitre plus tolérant, il est véritablement plus totalitaire : il interdit jusqu’à la possibilité théorique de désaccord!

Adrien Candiard, En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou, 2014, PUF.

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« Global burn-out » de Pascal Chabot. https://www.librairie-ptyx.be/global-burn-out-de-pascal-chabot/ https://www.librairie-ptyx.be/global-burn-out-de-pascal-chabot/#comments Sat, 19 Jan 2013 09:10:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1910

Lire la suite]]> global  burn-outLes humains se voient modifiés par leur outils.

La plupart des discours portant sur le burn-out sont psychologiques.  Ils ancrent donc la réflexion dans le sujet.  Comme si toute explication sur ce problème devait être expurgée de toute tendance sociétale.  Le propos est ici de d’abord rompre avec ce point de vue et de remettre ce phénomène sur le terrain de la philosophie qu’il n’aurait jamais du quitter.  Cela alors même que tel le laboureur dans « La chute d’Icare » de Breughel, nous détournons les yeux des raisons sociales de la chute de nos contemporains, alors donc que se brûler les ailes par excès est devenu banal.

Le comble de la vacuité est de s’adapter toujours, de ne se réaliser jamais.

A l’époque où est demandé à chacun de s’adapter à outrance, sans tenir compte que l’adaptation n’est qu’une étape de la réalisation d’un individu dans le monde avant d’y laisser sa marque, le burn-out fonctionne comme le piège d’un perfectionnisme impossible.  Il est l’issue où nous pousse une civilisation toute technique dont l’idéal est de faire de nous ce qu’elle considère comme son apogée : une machine.  Et d’ainsi vaincre cette humaine approximation.

Terme d’abord sensé décrire l’état de certains drogués, le burn-out est passé du soigné au soignant, éreinté par sa charge de travail.  Il trouve un parallèle avec la notion d’acédie dans son rapport avec une foi (en Dieu pour les acédiques, en le techno-capitalisme pour les victimes contemporaines du burn-out).  Il en trouve un autre avec ces « burn-out cases », noms par lequel on nommait certains lépreux amputés, dans son rapport avec l’exil (comme le lépreux l’était en son temps, notre victime contemporaine est placée au ban de la société, loin d’elle, comme un signe inavouable de sa fragilité).

Entre essoufflement du perfectionnisme et épuisement de l’humanisme, il est d’abord, comme pour l’acédie catholique, le trouble qui touche les plus fidèles serviteurs du système.  Peut-être est-ce pour cette raison d’ailleurs que dans la parole de celui qui en souffre est difficilement remis en cause le système même.  Il y croit, il s’y consacre tellement, qu’à la fois il s’en essouffle et se rend invisible les causes de son essoufflement.

Il est le trouble des fidèles au système, le mal des « croyants ».   

Mais, en nos temps où  l’heure est partout, le temps […] nulle part, l’intérêt du recentrage philosophique est aussi de constater qu’en atteignant les membres les plus fervents du techno-capitalisme, le burn-out témoigne des possibilités d’une émancipation des conditions qui le crée.

il génère les nouveaux athées du techno-capitalisme.

Pascal Chabot, Global burn-out, 2013, PUF.

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« Introduction à la métaphysique » de Henri Bergson. https://www.librairie-ptyx.be/introduction-a-la-metaphysique-de-henri-bergson/ https://www.librairie-ptyx.be/introduction-a-la-metaphysique-de-henri-bergson/#respond Mon, 30 Jul 2012 16:49:37 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=923

Lire la suite]]> On a récemment entendu quelques conneries radiophoniques sur Henri Bergson (on dira pas qui, on va pas faire de la pub non plus).  Du genre, Bergson, fallait « un peu le remettre à sa place », « dans son contexte », qu' »à force d’oublier Kant, on en arrivait à un relativisme ambiant », que « l’intuition, c’est bien beau, mais un peu court, un peu fumeux ».  Et gnangnangnan et gnangnangnan… Alors, plutôt que de verser dans le commentaire du commentaire, on a ouvert L’introduction à la métaphysique et on l’a lu.  Et on y a lu exactement l’inverse de ce que ce médiatique commentateur y aurait décelé.  Comme quoi, un livre (oui, même un livre de philo), ça sert plus à être lu qu’à être commenté.  On se contente de citer, donc :

[La métaphysique] n’est proprement elle-même que lorsqu’elle dépasse le concept, ou du moins lorsqu’elle s’affranchit des concepts raides et tout faits pour créer des concepts bien différents de ceux que nous manions d’habitude, je veux dire des représentations souples, mobiles, presque fluides, toujours prêtes à se mouler sur les formes fuyantes de l’intuition.

La grande erreur est de croire qu’on pourrait , en restant sur le même terrain, trouver derrière le mot une chose.

Ou il n’y a pas de philosophie possible et toute connaissance des choses est une connaissance pratique orientée vers le profit à tirer d’elles, ou philosopher consiste à se placer dans l’objet même par un effort d’intuition.

[Notre esprit] peut s’installer dans la réalité mobile, en accepter la direction sans cesse changeante.

Philosopher consiste à invertir la direction habituelle du travail de la pensée.

Voilà.

Henri Bergson, Introduction à la métaphysique, 2011, PUF.

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