Verticales – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Derrière le Cirque d’hiver » de Xavier Person. https://www.librairie-ptyx.be/derriere-le-cirque-dhiver-de-xavier-person/ https://www.librairie-ptyx.be/derriere-le-cirque-dhiver-de-xavier-person/#respond Fri, 16 Mar 2018 08:34:55 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7496

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Décontenancé. Ainsi se trouvera au premier regard tout lecteur qui se sera décidé à arpenter ces chemins derrière le cirque d’hiver.  Micro-récits d’un quotidien banal, souvenirs d’un grand-oncle,  de lectures de Dora Bruder de Modiano, évocations de quelques rencontres impromptues, petites histoires de lieux… Le récit de Xavier Person ne paraît pas au premier abord pouvoir être ramené à la logique rassembleuse et rassurante d’un sujet ou d’un thème. Peu à peu cependant, emmené par une écriture à la beauté précise – qui aura presque fait oublier que rien apparemment n’en venait subsumer les fragments épars (et qu’importe après tout si c’est beau…) – quelque chose apparaît qui vient donner à cet éclatement un éclairage.

Il va pour s’avancer et quelque chose le retient. Sur le quai du métro à République, il voudrait progresser mais une force trop grande l’en empêche. Tout ce à quoi il parvient est de rester debout. Il se concentre pour ne pas tomber, son avancée se réduit à son immobilité si fragile et menacée. Ce qu’il désire peut-être, on peut l’imaginer, ce à quoi il aspire serait de se laisser tomber à même le sol, au milieu de la foule : quoi qu’il puisse arriver, s’allonger et dormir, céder au trop grand remuement qui telle une tempête invisible l’assaille. Je le vois si démuni face à cette rafale, il vacille dans son ivresse et que faire sinon chercher à ne pas le perdre de vue quand déjà mon métro s’éloigne?

Ce que nous saisissons par le regard, l’ouïe, la mémoire sont toujours des parcelles d’autre chose. Comme le lecteur du livre même, chacun des « personnages » qui y est saisi, du narrateur au grand-oncle mort, en passant par les « personnages » des livres qui y sont lus, est, intrinsèquement, un composé. Un composé dont le lecteur est d’autant mieux à même de faire lui-même l’expérience qu’il est invité à recomposer les pièces du puzzle. L’acte de lecture devient ainsi prise de conscience et de soi et de l’autre.

Un rire me traversait de me découvrir un parmi les autres, n’importe qui et cependant moi-même, personne sans doute et quelqu’un cependant, qui était moi et aussi bien aurait pu être un autre et j’aurais pu me mettre à tourner sur moi-même, la tête jetée en arrière et les bras écartés, comme le font les enfants qui savent ainsi n’être que le centre dérisoire, et prodigieux, d’un vertige qui pourrait être toute leur vie.

Nous sommes tissé de celui qui nous précède et de celui qui nous entoure. On peut en « être convaincu », le « savoir », considérer cela comme une « évidence », en faire l’exercice vraiment et s’y livrer tout entier est toujours la seule voie qui permette de s’en assurer. Et c’est peu dire que nous en avons besoin…

Xavier Person, Derrière le cirque d’hiver, 2018, Verticales.

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« Achab (séquelles) » de Pierre Senges. https://www.librairie-ptyx.be/achab-sequelles-de-pierre-senges/ https://www.librairie-ptyx.be/achab-sequelles-de-pierre-senges/#respond Fri, 21 Aug 2015 07:39:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5428

Lire la suite]]> Achabil y a toujours une rive, quelque part, pour permettre à un survivant de faire le récit du naufrage.

De même qu’on ne connait de Moby Dick qu’un (ou une) Moby Dick chassé(e) par un certain Achab, on ne connaît d’Achab qu’un Achab obsessionnel chasseur d’une baleine. Ni avant Péquod, ni après épisode mammifère marin, ni Achab enfant tétant le sein maternel, ni Achab vieillard contant ses pérégrinations au coin d’un feu allumé pour ce faire. D’aucuns prétexteront que la dernière vision rapportée d’un Achab crucifié sur le dos d’une baleine blanche avant que celle-ci ne plonge sous les flots ne plaide pas en faveur d’un « Achab après Moby Dick », d’autres que la crainte et le respect qu’il inspire aux marins du péquod ne s’accommodent que fort peu d’un Achab au hochet. Et pourtant! Ne passerait-on pas à côté de l’essentiel? Car, pour celui qui n’est présenté que comme l’outil de sa propre obsession baleinière, n’est-il pas précisément judicieux de chercher ce qu’il fut avant et après? Et de se poser cette question universelle : qu’est ce qu’une vie dépourvue de cétacé?

la permanence des choses n’est plus une dérisoire forme d’éternité, elle est l’insistance nécessaire afin de mettre au jour, allez savoir, des vérités ignorées jusque là à notre corps défendant, mais qui, c’est à parier, ne nous rendront pas meilleurs.

On apprend ici (merci Pierre Senges) qu’Achab fut liftier, prêtre, comédien, qu’il rencontra (de bien des manières) Francis Scott Fitzgerald, Fred Astaire, Melville (himself), ou Orson Welles, qu’une baleine, de chassée peut devenir inépuisable chasseresse, et l’on répond précisément et entre autres aux questions suivantes :

– Que manque t’il à un ascenseur pour être un véhicule?

– Où poser son regard dans ce même non-véhicule bondé?

– Quel « to be » et quel « not to be » exprimer dans le fameux « to be or not to be »?

– Comment survivre münchlausennement?

le retour des mêmes paroles est l’amélioration des paroles de la veille

Toute littérature est palimpseste, ornement, commentaire, et commentaire du commentaire. Plutôt que prétendre y ajouter, comme en douce, l’air de rien, une pierre à une construction, Pierre Senges sculpte à même l’édifice. Nulle feinte ou prétention d’achèvement chez lui, juste une littérature qui s’affirme comme reprise et reprise de reprise et reprise de reprise de reprise. Une drôle, subtile et – ô combien! – jouissive arabesque.

quand la baleine se pique à un oursin, la douleur est si lente à traverser son corps immense, elle lui parvient sous forme de nostalgie.

Pierre Senges, Achab (séquelles), 2015, Verticales.

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« Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal. https://www.librairie-ptyx.be/reparer-les-vivants-de-maylis-de-kerangal/ https://www.librairie-ptyx.be/reparer-les-vivants-de-maylis-de-kerangal/#respond Tue, 07 Jan 2014 08:50:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3735

Lire la suite]]> echographie-du-coeurSimon Limbres meurt.  Cet évènement, s’il est philosophiquement investi de bien des manières, semble techniquement poser peu de questions.  La mort c’est la mort.  Notre siècle technique élève la tautologie au rang de décret.  Et pourtant.  Qu’est ce qui prend fin quand on meurt?  Si, en France depuis 1959, c’est un encéphalogramme qui atteste de la mort administrative et déclenche entre autres les procédures de don d’organe, il n’en demeure pas moins que cette préséance nouvelle du cerveau sur le cœur peut paraître plus culturelle que strictement scientifique (et l’importance accordée au scientifique n’est-elle pas elle-même simple résultante culturelle?).

En d’autres termes : si je ne pense plus alors je ne suis plus.  Déposition du cœur et sacre du cerveau.

Le corps est pourtant chaud encore.  Le mouvement l’anime.  Ce que nous dit cette déposition, cette fin de règne du cœur, c’est que tout ce qui fait signe de vie ne doit plus être pris pour la vie.  La chaleur, le mouvement, le sang qui circule et teinte la peau, tout cela n’est qu’illusion.  Cette déposition, c’est celle du corps devant la raison.

le cœur excède le cœur.

Mais ce que les temps ont versé dans cet organe le dépassent.  Et en font bien autres chose qu’un organe.  Ce que questionne ici l’auteure, c’est, au travers du trajet d’un cœur, l’ambivalence de notre monde technique.  Où est la mort?  Dans la réalité de l’observation clinique ou dans le regard qu’ont posé des siècles sur le cœur?  Et si la science (et laquelle?) nous dit que le siège de la vie n’est plus le cœur, de quoi le cœur reste-t-il dépositaire?

Sa présence récurrente en ce point magique du langage toujours situé à l’exacte intersection du littéral et du figuré, du muscle et de l’affect.

Si le cœur excède le cœur, le mot aussi excède le mot.  C’est de langage qu’il s’agit d’abord ici.  Celui de la clinique.  Tout tendu vers un but.

langue où parler signifie d’abord décrire, autrement dit renseigner un corps, rassembler les paramètres d’une situation afin de permettre qu’un diagnostic soit posé, que des examens soient demandés, que l’on soigne et que l’on sauve : puissance du succinct.

Le langage aussi de celui qui doit dire la mort.  La dire, alors que le cœur bat encore, étant un peu la faire advenir.

rien ne lui a jamais semblé plus violent, plus complexe, que de venir se placer à côté de cette femme afin qu’ils viennent dans cette zone fragile du langage où se déclare la mort.

Dans un récit maîtrisé à la perfection (la ponctuation est l’anatomie du langage.), polyphonie où c’est le cœur de Simon Limbres qui fait lien, Maylis de Kerangal parvient à saisir nos atermoiements, nos contradictions les plus profondes, et donc les plus humaines.  Où susurrer à l’oreille de qui est déclaré mort mais dont le cœur bat revêt un sens.  Où l’on a beau nous dire et marteler qu’un être est mort quand son cerveau est décrété l’être, l’émotion nous saisit encore quand c’est le cœur qui s’arrête.

on entend leurs cœurs qui pompent ensemble la vie qui reste.

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, 2014, Verticales.

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« Le ring invisible » de Alban Lefranc. https://www.librairie-ptyx.be/le-ring-invisible-de-alban-lefranc/ https://www.librairie-ptyx.be/le-ring-invisible-de-alban-lefranc/#respond Tue, 02 Apr 2013 09:11:32 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2330

Lire la suite]]> mohamed aliLe 27 août 1955, Roy Bryant, J.W.Milam, et quelques autres étaient allés chercher Emmett Till chez son oncle Moses, à 3 heures du matin.  Ils avaient défiguré l’adolescent, ils avaient jeté son corps à la rivière.  Les jours suivants, le shériff jouait aux cartes, personne n’avait rien vu, mille choses pressantes pressaient les esprits.  Des vaches mettaient bas, la moisson accaparait les mains.  Et pourtant, les preuves étaient si flagrantes et les assassins tellement couverts de sang qu’il fallait bien, par une espèce de dérision, faire semblant de les arrêter.  Une fois acquittés en moins d’une heure par un jury blanc, et bien certains qu’ils ne pourraient plus jamais être inculpés, ceux-ci racontaient la nuit avec force détails au reporter du Look Magazine, contre quatre mille dollars.  « That’s what happens to smart niggers, concluait Roy Bryant.  Well, what else could we do? »

Cassius Clay junior a treize ans alors.  Et il voit la rage de son père Cassius Clay, ce fabriquant d’enseignes publicitaires dont on sait (c’est leur but) ce qu’elles proclament mais jamais le soin qu’un artisan y a mis, il voit la rage donc de ce père se muer en une violence qui ne sera que de mots, qui se fera sourde, profonde mais stérile, « boue de mots charriés par des litres de bière ».  Et de cette rage qu’il lit dans son père, Cassius Clay en fera le moteur de ses combats.

Ecoute Emmett, écoute ma promesse : toi qui n’as plus de visage, je te donnerai le mien.

Cassius Clay, ce sera aussi l’histoire de la découverte d’un phrasé.  D’une parole qui vient d’abord au boxeur pendant le combat.  Puis qui le précède, comme s’il voulait lui faire acquérir la valeur d’une prophétie.  Comme si les insultes ne pouvaient adopter leur valeur entière que dans l’incantation d’un oracle.  Et son verbe, comme sa vie, prend la force des coups qu’il assène.

les mots qui sont au fond du silence quand on se penche au fond du silence.

Et la phrase d’Alban Lefranc est tout entière au service de ce rythme.  A la fois celui des mots d’Ali et celui de ses pas, comme de danse, qui tournoient autour de l’adversaire.  Où l’on sent le craquement des phalanges, le grincement des muscles, le souffle des poings qui se frôlent.

tes adversaires qui se précipitent dans la brèche en piaffant mais ne rencontrent que le vide, l’ancien corps de Cassius, le corps du moment d’avant, qui n’est déjà plus.

Alban Lefranc, Le ring invisible, 2013, Verticales.

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« L’usage des ruines » de Jean-Yves Jouannais. https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-ruines-de-jean-yves-jouannais/ https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-ruines-de-jean-yves-jouannais/#respond Sat, 07 Jul 2012 08:44:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=808

Lire la suite]]> Le spectacle des ruines est à même de faire chanter votre obsession, de lui donner voix.

Ce sont moins les ruines que le regard porté sur elles, tel une obsession tournant autour de son sujet, qu’intéresse le narrateur.  Chaque chapitre sera donc moins lecture d’une ruine qu’analyse d’un regard particulier s’y attelant.  Ce sera Albert Speer, le tailleur de pierre d’Hitler, pour qui toute architecture à composer au présent ne vaut qu’en regard de la ruine qu’elle deviendra à l’avenir.  Déviance romantique, la ruine (c’est-à-dire ici la perception du détruit) devient alors l’idéal.  La construction n’est qu’une des étapes.   Ce sera Naram-Sîn d’Akkad qui passera la ville d’Ebla par le feu, 3000 ans avant notre ère.  Dans le but, moins d’une revanche, que d’annihiler le souvenir de la ville pour mieux y laisser le sien.  Mais le feu cuit l’argile dont les tablettes d’Ebla sont faites.  Et les traités commerciaux de la ville, ses hymnes religieux, ses fragments d’épopée sont ainsi préservés.  Et Ebla reste, la figure de Naram-Sîn s’efface.

Voilà ce qu’avait fait Naram-Sîn, il avait annulé une ville et lui avait offert de n’être plus jamais oubliée.

Les ruines sont aussi parfois simple désir esthétique (Quand on fait une ruine, il faut la bien faire).  Ou ancrage d’une science, où c’est l’interprétation des décombres de guerre qui serait à même d’éclairer l’avenir des nations et des êtres.  Les ruines sont aussi un espace de vie.  Comme pour cette femme, tenancière de cinéma dans le Hambourg bombardé de la seconde guerre mondiale.  Alors qu’à quelques rues d’elle un artiste construit une oeuvre fondée sur l’accumulation de déchets et de gravats, elle ne songe, sous le déluge de feu et de fer, qu’à permettre la continuité des projections d’image de destruction.

L’énergie compulsive, têtue, que Mme Schrader dépense à faire disparaître les gravats obstruant l’écran de son cinéma a pour ambition de permettre la projection d’autres images de cataclysme.  Elle ne peut accepter que la guerre en vienne à menacer le spectacle de la guerre.

La langue de Jean-Yves Jouannais est de celle qui permet ces « obsessions ».  Non pas simples histoires sur l’Histoire, mais perspectives, mises en lien, où les gravats forment des entrailles dans lesquelles se donnent à lire l’Histoire, dont peut-être celle à venir.

Jean-Yves Jouannais, L’usage des ruines, 2012 (à paraître le 30/08/2012), Verticales.

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