« Derrière le Cirque d’hiver » de Xavier Person.

Décontenancé. Ainsi se trouvera au premier regard tout lecteur qui se sera décidé à arpenter ces chemins derrière le cirque d’hiver.  Micro-récits d’un quotidien banal, souvenirs d’un grand-oncle,  de lectures de Dora Bruder de Modiano, évocations de quelques rencontres impromptues, petites histoires de lieux… Le récit de Xavier Person ne paraît pas au premier abord pouvoir être ramené à la logique rassembleuse et rassurante d’un sujet ou d’un thème. Peu à peu cependant, emmené par une écriture à la beauté précise – qui aura presque fait oublier que rien apparemment n’en venait subsumer les fragments épars (et qu’importe après tout si c’est beau…) – quelque chose apparaît qui vient donner à cet éclatement un éclairage.

Il va pour s’avancer et quelque chose le retient. Sur le quai du métro à République, il voudrait progresser mais une force trop grande l’en empêche. Tout ce à quoi il parvient est de rester debout. Il se concentre pour ne pas tomber, son avancée se réduit à son immobilité si fragile et menacée. Ce qu’il désire peut-être, on peut l’imaginer, ce à quoi il aspire serait de se laisser tomber à même le sol, au milieu de la foule : quoi qu’il puisse arriver, s’allonger et dormir, céder au trop grand remuement qui telle une tempête invisible l’assaille. Je le vois si démuni face à cette rafale, il vacille dans son ivresse et que faire sinon chercher à ne pas le perdre de vue quand déjà mon métro s’éloigne?

Ce que nous saisissons par le regard, l’ouïe, la mémoire sont toujours des parcelles d’autre chose. Comme le lecteur du livre même, chacun des « personnages » qui y est saisi, du narrateur au grand-oncle mort, en passant par les « personnages » des livres qui y sont lus, est, intrinsèquement, un composé. Un composé dont le lecteur est d’autant mieux à même de faire lui-même l’expérience qu’il est invité à recomposer les pièces du puzzle. L’acte de lecture devient ainsi prise de conscience et de soi et de l’autre.

Un rire me traversait de me découvrir un parmi les autres, n’importe qui et cependant moi-même, personne sans doute et quelqu’un cependant, qui était moi et aussi bien aurait pu être un autre et j’aurais pu me mettre à tourner sur moi-même, la tête jetée en arrière et les bras écartés, comme le font les enfants qui savent ainsi n’être que le centre dérisoire, et prodigieux, d’un vertige qui pourrait être toute leur vie.

Nous sommes tissé de celui qui nous précède et de celui qui nous entoure. On peut en « être convaincu », le « savoir », considérer cela comme une « évidence », en faire l’exercice vraiment et s’y livrer tout entier est toujours la seule voie qui permette de s’en assurer. Et c’est peu dire que nous en avons besoin…

Xavier Person, Derrière le cirque d’hiver, 2018, Verticales.

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