Allia – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 De la préface. https://www.librairie-ptyx.be/de-la-preface/ https://www.librairie-ptyx.be/de-la-preface/#respond Thu, 05 Oct 2017 13:25:28 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7189

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Il arrive parfois que des textes se télescopent, par delà même les langues, les temps ou les volontés réciproques de leurs auteurs. Placés côte à côte sur une table – après lecture bien entendu -, c’est parfois simplement cette proximité de hasard qui révèle au libraire un texte grâce à un autre, leur mise en rapport physique éclairant ce qui jusque là, dans leur lecture séparée, avait laissé le lecteur gêné, insatisfait, voire indifférent.

 

Dans Heidegger, Une introduction critique, Peter Trawny, spécialiste reconnu mais polémique du philosophe allemand, se propose, comme l’indique le titre de son livre, d’introduire à la pensée d’Heidegger en n’occultant rien des dernières découvertes à son propos. Ce livre, lui-même enrichi d’une double introduction, peut donc être lu comme la préface critique et circonstanciée à l’oeuvre du génie allemand. Dans Préface aux œuvres posthumes de Spinoza, Jarig Jelles traduit et introduit le texte latin (lui-même traduit du néerlandais) qui préfaçait les Œuvres posthumes de Spinoza, parues en novembre 1677. Cette préface, pourtant écrite par des proches de l’illustre auteur et faisant partie constituante de notre première découverte de l’Ethique, ne fut jusqu’à aujourd’hui jamais traduite en français.

Dans les deux introductions comme dans le corps du texte de Heidegger, Une introduction critique, il est fait à ce point abondamment référence à l’antisémitisme exhumé dans les désormais fameux Cahiers noirs, que ce début de lecture critique de l’oeuvre heidegerienne en fait plus que son filtre de lecture privilégié. Non seulement lire Heidegger ne se peut sans omettre sa haine du juif, mais celle-ci en devient de facto le seul prisme éthiquement possible. Qu’on s’en défende (comme Trawny) ou qu’on y fonde les raisons de s’en interdire la lecture, par les commentaires seuls qui s’y attellent, la haine du juif innerve toute l’Oeuvre. Dans la Préface aux œuvres posthumes de Spinoza, Jarig Jelles nous donne à lire, par l’entremise de son préfacier, un Spinoza chrétien, attaché à sauver Dieu, la foi et le Christ. Aux antipodes de la lecture agnostique que fera le vingtième siècle français de son oeuvre, le préfacier du dix septième inscrit bien celle-ci, non dans une volonté de rébellion ou de refonte religieuse, mais dans le projet de construire un système qui soit bien conforme aux impératifs religieux de son temps.

D’un côté nous avons une introduction qui pèse et soupèse les conséquences sur l’oeuvre de l’engagement antisémite de son auteur. De l’autre nous avons une préface, oubliée depuis 350 ans, qui atteste de l’ancrage chrétien d’un auteur. Le premier texte, pourtant désireux de marquer qu’elle ne s’y limite pas, borne in fine une oeuvre aux errements les plus coupables de l’époque qui l’a vu naître. Le second réaffirme l’inscription dans son temps d’une oeuvre dont la postérité l’en avait radicalement disjointe.

Ce que nous rappelle la juxtaposition de ces deux préfaces, par le contraste qu’instituent les  réceptions des livres qu’elles introduisent respectivement, « l’oubli » (oubli bien plus souvent forcé qu’aveugle) du con-texte est au moins aussi imbécile que sa surenchère. Une Ethique débarrassée de Dieu est aussi absurde qu’un Etre et temps essentiellement antisémite. « Dépoussiérer » une oeuvre des marques du temps de son écriture, la rendre « actuelle », compréhensible en dehors de son carcan temporel, ne peut se faire au mépris de sa réalité. Lui dessiner des contours précis, l’incarner dans son époque et les schémas socio-politiques que partageait son auteur avec ses contemporains ne doit pas revenir à l’ensevelir sous ces contours. A défaut, on fait de Spinoza un athée, de Heidegger un antisémite et juste un antisémite, de Nietzsche un prophète de la gauche et d’Alexandre Jardin un écrivain…

Peter Trawny, Heidegger, une introduction critique, 2017, Le Seuil, trad. Marc de Launay.

Jarig Jelles, Préface aux œuvres posthumes de Spinoza, 2017, Allia.

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« Au palais des images, les spectres sont rois » de Paul Nougé. https://www.librairie-ptyx.be/au-palais-des-images-les-spectres-sont-rois-de-paul-nouge/ https://www.librairie-ptyx.be/au-palais-des-images-les-spectres-sont-rois-de-paul-nouge/#respond Mon, 10 Apr 2017 12:52:14 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6679

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Pourquoi il m’arrive d’écrire, pourquoi j’imagine que l’on écrive avec une certaine pertinence? Mais pour déranger son lecteur, pour troubler ses petites ou ses grandes habitudes, pour le livrer à lui-même.

Une Oeuvre peut exister séparément de la volonté qu’il y a eu à la faire, ou de celle qu’il y eut à ne pas voir s’en constituer une. Il n’est pas nécessaire, dans le chef de qui les commet, que ces écrits soient rassemblés, organisés, voire même publiés, pour qu’une logique d’ensemble puisse se dessiner à son propos. Parfois même, il est indispensable que ce ne soit pas le cas, le désordre étant l’une des raisons fondatrices de chacune de ses parties. S’affrontent alors deux logiques opposées, celle de sa constitution et celle de sa réception, les causes présidant à la première compliquant la seconde.

Transformer le monde à la mesure de nos désirs suppose cette croyance que les hommes, dans leur ensemble, sont animés à des degrés divers du même besoin profond d’échapper à l’ordre établi. La validité de l’expérience est liée à l’existence d’un tel désir. 

Paul Nougé était un écrivain de circonstances. Prologues à des expositions de Magritte ou de Jane Graverol, ou des concertes d’André Souris, pamphlets, tracts politiques, lettres pastiches, détournements d’œuvres courtes existantes, appels à souscription, la plupart des écrits de Paul Nougé sont de l’ordre de la réponse ou de l’occasion. Très rares sont ceux qui ont germés d’une intention propre et indépendante de toute circonstance. A cela il faut y voir, en sus d’un probable désintérêt congénital pour sa propre gloire, une conscience décuplée de ce qu’implique l’acte d’écrire. Pour Nougé, écrire c’est agir. Et, pour qui, avant tout, cherche à faire, peu chaut de faire oeuvre.

Comprendre le monde en le transformant, telle est, sans aucun doute, notre authentique fonction. Penser un objet, c’est agir sur lui.

Mais ce n’est nullement parce qu’on écrit titillé par les circonstances, que l’on est écrivain-amateur. Qu’il réponde, potache, à un ministre, qu’il se propose d’introduire à un peintre surréaliste, qu’il détourne un roman érotique populaire ou qu’il propose des aphorismes, toujours, Nougé sait combien son matériau, le langage, est malléable et retors. Et qu’il convient, forts qu’ils sont de vous mener à l’inverse du chemin sur lequel vous croyiez les diriger, de savoir se garder des mots pour les faire peser mieux sur le monde.

La défiance que nous inspire l’écriture ne laisse pas de se mêler d’une façon curieuse au sentiment des vertus qu’il lui faut bien reconnaître. Il n’est pas douteux qu’elle ne possède une aptitude singulière à nous maintenir dans cette zone fertile en dangers, en périls renouvelés, la seule où nous puissions espérer de vivre.

Avec cette édition complète des œuvres anthumes de l’immense Paul Nougé, Allia rend enfin grâce à l’un des plus brillant ciseleur de langue du siècle dernier. S’y devinent certes la gouaille du surréaliste ou les convictions radicales d’un communiste en acte, mais aussi un sémiologue exceptionnel, un « aphoriste » de génie, un maître absolu de la métaphore, et donc – car tout cela, in fine, y revient – l’un des plus brillant et émouvant poète qui soit.

Jamais occasion ne fabriqua si subtil larron!

L’admirable dans l’amour auquel je crois est de tenir dans une vie quelconque, aussi sordide qu’on l’éprouve ou qu’on l’imagine.

… Mais si l’Occident s’enfonçait dans la nuit, l’affreuse nuit de l’indifférence, dont nous ne serions que les dernières et tremblantes lueurs.

La chambre pure qu’il habite ne regarde pas du côté du village. il semble que n’y mène aucun chemin tracé et que les choses qui l’environnent ne soient pas de ces objets que l’on palpe pour s’assurer de vivre. il écoute avec soin le bruissement léger que fait au bord de l’ombre le passage de toutes les couleurs. ce n’est pas le bruit de sa voix qui pourrait entraver le pas si vif de ce monde fragile.

La métaphore ne relèverait pas d’une difficulté à nommer l’objet, comme le pensent certains, ni d’un glissement analogique de la pensée. C’est au pied de la lettre qu’il conviendrait de la saisir, comme un souhait de l’esprit que ce qu’il exprime existe en toute réalité, et plus loin, comme la croyance, dans l’instant qu’il l’exprime, à cette réalité. Ainsi des mains d’ivoire, des yeux de jais, des lèvres de corail.

Il est temps de se rendre compte que nous sommes capables aussi d’inventer des sentiments, et peut-être, des sentiments fondamentaux comparables en puissance à l’amour ou à la haine.

On le sait, la mathématique est un langage, donc un moyen d’agir. Nous sommes délivrés par un langage parfait. Mais n’est-ce pas là le propose de la poésie? La solution heureuse nous délivre de la même façon que le feraient en d’autres circonstances, une image peinte, certaine musique, un authentique poème, – et aussi, à la manière d’un cri, d’une injure, d’un sourire.

Paul Nougé, Au palais des images, les spectres sont rois, 2017, Allia.

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« La fin du monde n’aura pas eu lieu » de Patrick Ourednik. https://www.librairie-ptyx.be/la-fin-du-monde-naura-pas-eu-lieu-de-patrick-ourednik/ https://www.librairie-ptyx.be/la-fin-du-monde-naura-pas-eu-lieu-de-patrick-ourednik/#respond Mon, 16 Jan 2017 11:46:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6538

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Vous avez acheté mon livre? Vous avez eu tort.

La fin du monde reste une question sensible. Comme l’est, et pour des raisons peut-être pas si différentes, celle du futur antérieur. A notre époque où fleurissent les allusions eschatologiques, recoupant toutes les tendances – idéologiques, écologiques, religieuses, etc… – il n’est pas vain de rappeler que l’apocalypse est une mode ancestrale, qu’il n’est donc plus – du moins dans son acception commune – « à la mode » et donc que la fin du monde est un sujet éminemment original… Dans le même registre tortueux, qu’implique une négation appliquée à une phrase conjuguée au futur antérieur, si ce n’est que le fait qu’elle conjuguait – ici, la fin du monde – n’est pas certain? Ou plutôt, n’est plus certain, la négation impliquant le retour sur la certitude préalablement posée? Poser donc la non-certitude de la fin du monde en utilisant pour ce faire le futur antérieur dans un livre de fiction qui tournerait autour de la question de l’eschatologie reviendrait dès lors à placer le lecteur dans cette situation : si je lis cela, c’est donc que la fin du monde n’a pas eu lieu. Situation ubuesque, certes, mais sommes toute classique. On ne compte pas les romans, contes, fables, proses poétiques en vers, et autres genres qui ne s’y soient essayés avec plus ou moins de malheur.

-C’est bien triste, tout ça.

-Disons que ce n’est pas gai.

La différence, notable, est qu’ici le projet est bien de ne nous le faire regretter! Oui, da! Le constat, franc du collier, est en effet glaçant : comment se réjouir de la persistance d’un monde aussi crétin, où plaisanter ne se peut plus qu’en prévenant qu’on plaisante, où les crétins mous sont tués par les crétins sanguinaires, où les abrutis démocrates, devenus démocratiquement majoritaires, dénoncent, du fond de leur canapé, l’impossibilité à pouvoir exprimer librement une opinion dans les pays non démocratiques, alors qu’ils ont perdu la faculté de s’en forger une depuis belle lurette, et dont l’essence peut être tout entière résumée dans cette assertion :

La devise du Luxembourg était « Nous voulons rester ce que nous sommes ». 

Franchement, un monde pareil, il faudrait soi-même être devenu un parfait crétin, pour – à l’identique du luxembourgeois aspirant à demeurer ni plus ni moins qu’un luxembourgeois – aspirer à le voir perdurer…

Alors oui, évidemment, un dilemme se fait jour. Car regretter que la fin du monde n’a pas eu lieu impliquerait de facto, regretter notre lecture de La fin du monde n’aura pas eu lieu, rendue seule possible par la non-survenue de cette fin du monde ardemment souhaitée. Reste alors, à défaut de résoudre ce dilemme et de regretter qu’elle n’a pas eu lieu, ni qu’elle n’aura pas eu lieu, à espérer qu’elle aura bien lieu et à se réjouir, en lisant La fin du monde n’aura pas eu lieu, qu’elle vienne mettre un terme, définitivement, à ce à quoi elle n’aura, jusqu’alors, pas encore mis un terme.

Si c’est pas chouette.

Patrick Ourednik, La fin du monde n’aura pas eu lieu, 2017, Allia.

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« Esquisses » de » Jean-François Billeter. https://www.librairie-ptyx.be/esquisses-de-jean-francois-billeter/ https://www.librairie-ptyx.be/esquisses-de-jean-francois-billeter/#respond Fri, 22 Jan 2016 08:48:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5803

Lire la suite]]> EsquissesIl est vain d’affirmer que l’homme est né libre ou que c’est sa vocation de devenir un être libre tant que l’on ne s’entend pas sur une idée positive de la liberté.

Une opposition se fait souvent jour qui adosseraient à ceux qui professent un retour aux Lumières d’autres qui l’honniraient. Mais, et en cela ce texte de Jean-François Billeter est déjà éclairant, ce clivage – comme toute division imperméable – est selon lui avant tout une réduction du terme qui les occupe tous deux. La raison des Lumières n’est pas celle qu’ils croient. Limitée à sa réduction adjectivale, elle n’est plus perçue que comme un succédané du « rationnel » ou du « raisonnable ». Avant tout tentative de connaissance du sujet en tant que sujet, une philosophie des Lumières pensée pour ce qu’elle est nous apporterait bien plus que les dichotomies stériles auxquelles on la réduit.

Deux sésames ouvrent donc la voie de l’observation de notre activité : nous abstenir de bouger, nous abstenir de parler.

Le retour du sujet au sujet, à ce qui le constitue en propre, ne peut se faire qu’en le fixant. Dit autrement, toute pensée de ce que nous sommes vraiment n’émergera que dans et par l’arrêt. Arrêt de l’activité professée pour elle-même, arrêt aussi d’une pensée se concevant sans bornes et sans buts ; la liberté ne peut naître et se développer qu’en dehors d’un mouvement continu.

une activité qui se résume à faire fonctionner un système « n’a pas de fin », dans les deux sens du terme : elle n’a ni terme, ni but. Elle condamne à « l’infini » celui qui s’y livre.

Certes ce ne sont que des esquisses. Certes, certains raccourcis sont parfois tentés un peu abruptement. Certes la conclusion peut paraître – justement – par trop arrêtée. Mais, en puisant allègrement chez Spinoza, en ne jargonnant jamais, en nous permettant de mieux saisir le « geste » respectif à l’oeuvre dans les langues orientales et européennes, ces Esquisses se révèlent être un exercice de philosophie pratique toujours stimulant. Et donc oh combien utile!

Rien ne sert de parler, il faut dire.

Jean-François Billeter, Esquisses, 2015, Allia.

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« Radio Happenings » de John Cage & Morton Feldman. https://www.librairie-ptyx.be/radio-happenings-de-john-cage-morton-feldman/ https://www.librairie-ptyx.be/radio-happenings-de-john-cage-morton-feldman/#respond Fri, 13 Nov 2015 08:36:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5612

Lire la suite]]> John-Cage-and-Morton-Feldman

Entre juillet 1966 et janvier 1967 furent enregistrées et diffusées sur les antennes de la radio new-yorkaise WBAI, quatre conversations entre John Cage et Morton Feldman. Ce sont celles-ci, traduites et illustrées en marge par des photographies de personnages dont parlent les deux larrons, que nous propose de découvrir l’éditeur.

ce son pourrait entrer par une oreille et sortir par l’autre, ou pourrait entrer par une oreille, imprégner l’être (il rit), transformer l’être, et ensuite peut-être sortir en laissant entrer le suivant (ils rient tous les deux). Et ce, qu’une idée soit ou non développée… tu sais, ce qu’il y a de plus dur au monde, c’est bien sûr d’avoir une tête sans idée à l’intérieur.

Sans modérateur aucun, ni imposition de sujet, les deux compères – amis dans la vie, et très liés dans l’idée qu’ils se font de leur profession –  sont juste invités à… faire causette. A bâton rompu, entrecoupée d’éclats de rire, leurs échanges ne versent cependant jamais dans l’insipide. Construisez ad minima des conditions d’échange et laissez y s’y ébattre librement deux penseurs de génie, et il s’y développera toujours quelque chose. Quelque chose d’hétérogène, d’achoppant, de non systématique, de coq-à-l’âne, certes. Mais un quelque chose dont la vitalité de la promesse qu’il contient se suffit à lui-même. Comme s’il lui suffisait le dynamisme de la main tendue. Ce qui se passe entre eux, et que nous sommes appelés à écouter – sans jamais avoir l’impression d’être l’hôte indiscret – est de l’ordre de la piste, d’une trace d’intimité, qu’ils nous inviteraient à rejoindre pour y continuer ce quelque chose.

Ici, à nouveau, je pense que, si nous nous concentrons sur la situation sociale, ou même individuelle, comme quelque chose qui a besoin d’une composition plutôt que d’une critique, nous parviendrons quelque part.

Qu’ils causent de musique, de politique, de « pensée », d’aides publiques, ce qui émerge de tout ce délicieux fatras, c’est l’extraordinaire générosité d’échanges, qui sont là pour inclure celui qui les écoute, et qui conservent, 50 ans plus tard, leur saveur et leur originalité.

John Cage & Morton Feldman, Radio Happenings, 2015, Allia, trad. Jérôme Orsoni.

On peut aussi écouter ces échanges…

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« Newton et la flûte de Pan » de James E. McGuire & Piyo M. Rattansi. https://www.librairie-ptyx.be/newton-et-la-flute-de-pan-de-james-e-mcguire-piyo-m-rattansi/ https://www.librairie-ptyx.be/newton-et-la-flute-de-pan-de-james-e-mcguire-piyo-m-rattansi/#respond Fri, 26 Jun 2015 08:04:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5146

Lire la suite]]> NewtonNewton, père de la physique moderne!  Newton, visage de la raison!  Newton, rupture par laquelle s’engouffra la modernité! Dans nos inconscients collectifs, la seule mention du nom de l’illustre anglais suffit à nous faire entendre le mot « science » dans son acception la plus contemporaine.  Newton est, pour nous, la science.  Mais, s’il en en fut l’un des jalons les plus incontestablement important, il n’en fut, précisément, qu’un de ses jalons.  Et non celui que la science, dans sa définition contemporaine, prétend nous donner à contempler.  En clair Newton ne fut pas ce scientifique que notre propre conception actuelle de la science nous incite à voir.

Les deux auteurs s’intéressent aux notes manuscrites de Newton retrouvées en marge du tome III des Philosophiae Naturalis Principia Mathematica.  Celles-ci furent systématiquement considérées par la postérité, moins comme des remarques, des ajouts au texte initial, des notes pouvant l’éclairer, que comme des pistes abandonnées par le penseur du XVII ème siècle.  Il est communément admis que ces notes ne seraient plus que les traces résiduelles d’une impasse de la pensée.  Comme une étape, mais avortée, de la réflexion.  Mais qu’en serait-il si celles-ci n’étaient plus prises comme un rebut mais comme parties prenantes d’un ensemble?

Défense d’un déisme bien moins voltairien que très classiquement puritain, volonté d’ancrer ses découvertes dans une antiquité dont il exalte moins les facettes traditionnellement « raisonnables » que « théologiques », développement du schème de la prisca theologia, tous développements bien éloignés de l’image que l’on peut se faire de nos jours d’une science « sèche », expurgée du magique, dépouillée des oripeaux du merveilleux…

il partageait cette croyance, commune au XVII ème siècle, que les connaissances divine et humaine pouvaient être harmonisées et se soutenir l’une l’autre

Considérer ces remarques comme des erreurs du grand savant permet de mieux « coller » à notre image actuelle de la science.  Et par là, à la légitimer mieux.  Mais dénature une autre conception de la science, différente de la notre, mais bien plus adéquate à rendre compte de ce qu’elle était au XVII ème siècle.

Avec finesse et talent, James E. McGuire et Piyo M. Rattansi interrogent, par ce biais « anodin » (comment, à travers le temps, peut-on lire des marges?), notre propre regard sur la science et l’idée de progrès.  Ainsi Newton nous apparait-il bien différent de ce « père de la science moderne », rupture radicale entre « monde magique » et « monde scientifique ».  Le XVII ème siècle ne connaissait pas cette science-là.  Elle était cette tentative de « retrouver l’unité de la Sagesse de la Création », et ce à partir de tous les matériaux possibles.

James E. McGuire & Piyo M. Rattansi, Newton et la flûte de Pan, 2015, Allia, trad. Alexandre Minski.

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« The yankee comandante » de David Grann. https://www.librairie-ptyx.be/the-yankee-comandante-de-david-grann/ https://www.librairie-ptyx.be/the-yankee-comandante-de-david-grann/#respond Fri, 16 Jan 2015 08:41:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4859

Lire la suite]]> yankee comandanteMorgan était-il un agent dormant des Soviétiques?  Un agent de la CIA sous couverture?  Ou encore un agent ayant décidé de faire cavalier seul?

Connu pour avoir été une des chevilles ouvrières de la révolution cubaine, William A. Morgan intrigue.  Non, précisément, qu’il soit un intriguant mais justement qu’aucune trace tangible de but intéressé, d’inféodation à une œuvre sournoise qui le dépasserait et sous la coupe de laquelle son action se trouverait toute légitimée, aucune trace de cela donc ne peut être valablement étayée par des faits.

Morgan ne travaillait pas pour la CIA, ni pour aucune agence de renseignements étrangère, pas plus que pour la mafia.  Il était là-bas de sa propre initiative.

Et c’est cela qui nous parait si étranger, si peu plausible.  Qu’un homme, sain d’esprit, intelligent, ayant grandi dans un contexte aimant et confortable, puisse accepter de courir de tels risques, jusqu’à en sacrifier sa vie, sans être sous la férule d’une idéologie ou de l’intérêt nous paraît être un non sens.  Et c’est un des premiers mérites de ce livre de David Grann que de nous dévoiler, nous-mêmes, lecteurs, en quête d’une explication, et de dévoiler donc à quel point la recherche de celle-ci ne se fait que dans un cadre bien précis.  Les filtres au travers desquels les actes de Morgan paraissent trouver si pas grâce, du moins explication à nos yeux, sont bien les nôtres, ceux que nous choisissons de lui apposer.  Soit l’endoctrinement, soit l’intérêt, soit la folie.  Si ces raisons ne fonctionnent pas, si elles ne peuvent rendre compte des actes de Morgan (et David Grann, s’aidant des matériaux déclassifiés des services secrets et de témoignages de première main, nous le démontre brillamment), nous en restons un peu ébahis, un peu désemparés.  Nos critères ne sont pas opérants. C’est un peu comme si William A. Morgan ressortait de la fable, du roman et n’avait plus rien de réel.

Herbert Matthews, dans une lettre à Hemingway, décrivit des événements « plus étranges que les péripéties d’un roman, mais néanmoins réels ».

C’est oublier que le réel déborde toujours des cadres avec lesquels nous tentons de l’appréhender.  Les explications « rationnelles », « rassurantes », car appartenant à un cadre (et non parce qu’elles le seraient par essence) n’épousent ni n’épuisent les possibles du réel.  Ce que nous montre David Grann (et Morgan) c’est que, dans ce monde qui semble entièrement gouverné par la « raison » ils se trouve toujours des « raisons » qui lui échappe.  Et qui, pourtant, lui donnent sens…

Pourquoi suis-je ici?  Je suis ici parce que selon moi, le plus important pour un homme libre est de protéger la liberté des autres.

David Grann, The yankee comandante, 2015, Allia, trad. Valeria Costa-Kostritsky

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« Les mots sans les choses » de Eric Chauvier. https://www.librairie-ptyx.be/les-mots-sans-les-choses-de-eric-chauvier/ https://www.librairie-ptyx.be/les-mots-sans-les-choses-de-eric-chauvier/#respond Tue, 26 Aug 2014 06:41:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4401

Lire la suite]]> Mots sans les chosesil faut parler précisément et […] il s’agit là d’un acte politique fondateur.

Imaginez un plombier (la métaphore est de l’auteur) faisant un devis sur une planète où il n’y a aucun problème de tuyauterie.  Poussée dans ses retranchements, l’image décrirait à merveille l’attitude de certains œuvrant dans les sciences sociales.  Pris dans les rets d’une habitude solidement ancrée (d’autant mieux qu’elle est bien souvent devenue inaccessible à la conscience), beaucoup s’entêtent à plaquer sur l’ordinaire, des concepts, des modèles théoriques, sans plus parfois s’inquiéter de ce sur quoi ils tentent de les appliquer ni de la correspondance entre le fait sensé être décrit et le modèle supposé en rendre compte.

Dans son enfance, l’être humain commence par parler des voitures pour tester le monde, mais cette phase d’expérimentation et d’autonomie ne dure pas ; à l’adolescence, il apprend déjà à la conduire ; à l’âge adulte, il les conduit effectivement ; puis, quelquefois, il les brûle, sans se rendre compte que cet acte se produit sur la ruine d’une pratique enfantine.

Tout jeune déjà, on apprend à plaquer des mots sur des choses, construisant peu à peu un réseau, non d’appropriation des choses par le nom, mais de distanciation d’elles par celui-ci.  Jusqu’à, s’y habituant, penser ne plus devoir requérir à l’expérience de la chose pour la saisir dans toute sa saveur.  Le modèle théorique (qui abouti, comme Eric Chauvier le nomme si justement à une « fiction théorique »), utilisé ou conçu par le chercheur en sciences sociales, n’étant qu’une des productions de cette psychopathologie du langage, qu’il vient sans cesse renforcer.

décrire précisément ce qui permettrait de saisir l’ordinaire ne fait pas l’ordinaire.

Les modèles théoriques viennent ainsi moins expliquer le réel ordinaire que le contraindre à se mouler dans les formes qu’ils lui construisent.  Non qu’ils ne soient utiles.  Mais jamais au sacrifice de l’expérience, ni du singulier.

Les seules limites du monde sont celles du langage.

S’interrogeant avec acuité sur la production de langage en sciences sociales, enrichissant Lévi-Strauss, Bourdieu ou Foucault de sa lecture attentive de Spinoza ou Wittgenstein, Eric Chauvier montre tout le poids d’une théorie qui s’aliène la pratique.  Réquisitoire parfois dur (et c’est quand il est le plus dur qu’il est aussi le plus drôle) contre le parler de l’à peu près, il attire l’attention sur cette irréductibilité de l’expérience de l’ordinaire, ordinaire que toute théorie faisant fi de son expérience singulière ne parviendra jamais à recouper.  Et, redoublant son analyse du discours qui la porte, il recourt à sa propre expérience, non bien entendu pour légitimer un autre modèle général qu’il proposerait, mais bien pour démontrer, dans un scepticisme joyeux, que l’expérience peut s’émanciper des modèles conceptuels qui ont tant tendance à les surplomber.  Rien qu’en cela, Eric Chauvier est un indispensable « casseur d’ambiance ».

C’est en cassant l’ambiance que le sens apparaît.

Eric Chauvier, Les mots sans les choses, 2014, Allia.

Nous parlions de son précédent livre ici.  Et on peut voir une présentation de son dernier livre qui le prolonge admirablement.

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« Farcissures » de François Tison. https://www.librairie-ptyx.be/farcissures-de-francois-tison/ https://www.librairie-ptyx.be/farcissures-de-francois-tison/#respond Tue, 11 Dec 2012 10:39:22 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1674

Lire la suite]]> La cage du rossignol sent la pourriture. Il faut le nourrir de lombrics tronçonnés et hachés.

Et si on poussait la logique consommatrice jusqu’à son paroxysme?  Et si on brouillait un peu les lignes si claires qui délimite le lieu d’un corps de celui de son déchet?

En son for intérieur, chacun sait marquer nettement la limite entre la marchandise, le bien et l’ordure.

A l’heure de l’aversion pour le vers, pour tout ce qui grouille, François Tison replace le déchet au centre.  De ceux issus de la consommation courante à la dépouille mortelle, voire ses cendres, il envisage de recentrer l’immondice, au lieu de l’expulser dans sa banlieue.

Avilir, s’avilir, avaler, s’avaler n’est pas à la portée du premier venu, se pousser dans le dos du plus haut de la roche et se tenir au-dessous, la geule grande ouverte.

Le projet, tour à tour farce et discours éminement politique, où la note de bas de page elle-même(cet autre déchet) quitte sa périphérie pour réoccuper le corps du texte, le projet donc est ici, en contrepoint du notre où tout est organisé autour de l’évacuation du déchet, d’imaginer un monde qui organiserait sa plus imperméable rétention.

François Tison, Farcissures, 2012, Allia.

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« Zibaldone » de Giacomo Léopardi. https://www.librairie-ptyx.be/zibaldone-de-giacomo-leopardi/ https://www.librairie-ptyx.be/zibaldone-de-giacomo-leopardi/#respond Mon, 27 Aug 2012 21:49:49 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1230

Lire la suite]]> Zibaldone est un terme intraduisible, signifiant approximativement « mélange ».  Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici, d’un ensemble relié de pensées, hétéroclites, sans lien entre elles, sans plan.  Léopardi (1798-1837) a tenu ce cahier tout au long de sa vie, l’annotant tantôt presque compulsivement de longs raisonnements, tantôt passant près d’un an sans y toucher.  Tout y est abordé, de l’histoire à la philologie, des tracas personnels aux considérations philosophiques, de la politique à la linguistique.  Composé sans aucune volonté d’édition, certains fragments sont d’une brièveté qui confine à l’aphorisme, d’autres se déroulent sur plusieurs dizaines de pages.  Et le tout forme un bloc colossal de plus de 2000 pages dans lequel Allia permet de nous perdre après plus de 150 ans d’attente.

Disons-le tout de go, on a pas tout lu.  Car le Zibaldone est de ces monstres de mots dont les entrées sont multiples et se doivent d’être pratiquées sur le long terme.  Comme Les Essais d’un Montaigne à qui la démesure du Zibaldone nous renvoie d’instinct.  Mais comparaison n’est pas raison.  Car si l’ampleur et l’inachèvement des deux les apparentent inévitablement, ils possèdent tous deux leur fulgurance propre.

La raison est une lumière.  La nature veut être éclairée par la raison, et non incendiée.

Giacomo Léopardi est bien de son siècle et, plus encore, le nôtre tient bien de lui.  Car toutes les remises en question de notre temps, radicales comme toute vraie remise en question, de notre temps comme finalement de tous les autres, mieux qu’y trouver un écho, trouve une source dans le Zibaldone.  La nécessité des illusions, la relativité de tout jugement esthétique ou moral, mais surtout un questionnement constant des « certitudes établies » sont les clés de voûtes d’une pensée à laquelle Nietzsche devra beaucoup.  On y reconnaît ce même travail de sape duquel « l’évidence » ressort déchiquetée.

Le réel n’étant rien, il n’est rien de réel ni de substantiel dans le monde que les illusions.

Apprenons à nous faire de la « possibilité » une idée plus étendue que l’idée commune, et de la « nécessité » et de la « vérité » une idée beaucoup plus restreinte. 

Que le Zibaldone n’ait pas été pensé en fonction d’une publication par son auteur, n’est pas anecdotique.  Car cette libération du poids qu’être lu suppose permet une rare proximité.  Pas d’artifice, seule la volonté de se rendre, par l’exercice de l’écriture, une pensée claire à soi-même.  Pas de mauvaise foi dans l’approximation d’une lecture ou dans l’approche d’un auteur, juste la volonté, pour soi-même, d’aller à l’essence du propos visé.  On est face à un penseur d’alcôve.  Et dont la pensée n’a pas pour vocation à en sortir.

Le Zibaldone est un texte essentiel dans lequel s’immerger rend autre.  Il est un texte immense, démesuré, et qui ne parvient pourtant jamais à se clore, pas même dans un lecteur, les etcerae innombrables renvoyant aux prolongements infinis auxquels il l’enjoint.

Le Zibaldone est un exercice d’accoutumance qui répète et se reprend sans cesse jusqu’à transformer la réflexion en habitude, c’est-à-dire en nature. […] la société isole l’homme parlant de sa racine substantielle, la civilisation assure la tranquillité et le maintien du néant de l’existence humaine; les oeuvres de génie, elles, ont le pouvoir de le représenter.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, 2004, Allia. (La dernière citation, parfaite, est reprise de la préface écrite par le traducteur, Bertrand Schefer, dont il faut louer l’exceptionnel travail.)

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