Cent Pages – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Centurie » de Giorgio Manganelli. https://www.librairie-ptyx.be/centurie-de-giorgio-manganelli/ https://www.librairie-ptyx.be/centurie-de-giorgio-manganelli/#respond Fri, 10 Jun 2016 06:33:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6062

Lire la suite]]> Centurieles coups de téléphone viennent du monde, ils sont, en définitive, l’unique preuve qui lui soit concédée de l’existence du monde. Mais pas de son existence à lui.

Dante, Boccace, Chaucer… D’autres, prestigieux, s’y sont essayés avant Girgio Manganelli. Rassembler en un ensemble précisément une centaine de chants, de poèmes ou d’histoires. Soit s’articulant simplement autour d’une symbolique dont l’histoire est riche, soit y mêlant des considérations plus immédiatement formelles, ces illustres exemples servent moins à Manganelli comme piédestal que comme lointain mais utile rappel. L’ascendance fonctionne ici comme un référent parmi d’autres. Centurie est bien plus qu’une énième reprise formelle ne trouvant son sens que dans un héritage dont l’auteur prétendrait « rénover », « actualiser » ou « révolutionner » l’origine.

L’absence, cela va de soi, n’a rien à voir avec le vide.

Centurie se compose donc bien de cent « nouvelles », « fragments », « histoires ». Un homme qui décide de ne plus parcourir l’espace, mais uniquement le temps, un autre qui a décidé depuis toujours d’être « killer », un autre encore qui a découvert la preuve irréfutable de l’existence de Dieu, une femme qui a accouché d’une sphère. A chaque fois, sur une page, Giorgio Manganelli nous déroule le fil complet d’un récit. Jamais tout à fait i- ou sur- réalistes (car alors discrètement placé sous le signe d’une possibilité d’onirisme ou de « dérangement »), ni platement « positivistes », chacun de ces récits louvoie subtilement entre les genres et les ambiances. Complets par eux-mêmes, achevant (parfois en en annulant l’effet originel) l’action qui s’y initie, chacune de ces parties est résolument indépendantes de l’autre. Si peuvent s’y déceler des thèmes récurrents (la défiance en l’amour, le doute d’exister, la dichotomie entre le « sentir » et l’ « être »,…) ou des traits communs dans ses personnages, il apparaît vite que rassembler l’extraordinaire diversité de ces histoires sous quelque étendard que ce soit s’apparenterait à un forçage. Centurie a comme sous-titre cent petits romans-fleuves. Et c’est bien de cela dont il s’agit. D’une suite de fleuves, prenant source, suivant leur cours et débouchant quelque part. Centurie est une mer et il n’est pas d’étendard qui le résume car il est infini.

il sait qu’il est, comme tous les autres, le centre du monde qu’abandonnent infiniment des quantités d’infini.

Giorgio Manganelli, Centurie, 2016, Cent Pages, trad. Jean-Baptiste Para.

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« L’Abîme de l’illusion humaine » de Gilbert Sorrentino. https://www.librairie-ptyx.be/labime-de-lillusion-humaine-de-gilbert-sorrentino/ https://www.librairie-ptyx.be/labime-de-lillusion-humaine-de-gilbert-sorrentino/#respond Fri, 27 Nov 2015 09:29:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5574

Lire la suite]]> Abîme de l'illusion humaineIl n’y a pas de signification.

Peu d’écrivains se sont défait des codes de la littérature avec la radicalité d’un Gilbert Sorrentino. Narration suivie, nécessité de la signification, continuité dans le profil psychologique des personnages, construction d’un cadre séparant réel et fiction, limites claires entre auteur et narrateur, entre lecteur et chose lue : toutes conventions qu’il prend un malin plaisir à saper. Comme le rappelle intelligemment et à propos le quatrième de couverture – chose finalement assez rare -, mettant l’accent « sur le refus d’écrire des histoires réalistes avec une intrigue minutieusement composée, intéressante, pleine de suspense, des personnages plausibles, plein de substance et de motivation, un décor qui vous rappelle quelque chose, au contraire, il insiste sur le fait qu’il n’y a là que de l’encre sur du papier, que sa création est pure imagination. » Et rompt ainsi avec l’une des conventions fondatrice de toute histoire : le contrat de crédibilité.

Constitué de 49 situations (ou fragments), chaque fois un peu plus longue, L’abîme de l’illusion humaine ne propose donc aucune histoire suivie et n’articule pas même au sein des diverses capsules qui s’y succèdent un quelconque suivi narratif. De la vinaigrette française Kraft, l’Ombre, des femmes, des vieillards, des alcooliques, des écrivains déchus (ou qui ne sont pas même arrivés bien haut) en sont les personnages.

Mais comme la vie est, pour l’essentiel, et de façon exaspérante, une série d’erreurs, de mauvais choix, de bêtises, d’accidents et d’incroyables coïncidences, tout se déroula comme il se devait.

Le monde n’est pas cette suite bien ordonnée que donne à lire le réalisme. Les accidents, souvent présentés comme ce qui en dérangeraient l’unité, en constituent en fait l’essence même. S’approcher du réel ne se peut dès lors en faisant l’économie de ce qui le déstabilise, le manque d’équilibre en étant son fondement.

il n’avait pas lu, ni cherché à lire ce qui avait, toujours été devant lui.

Toutes ces situations mettent en scène, peu ou prou, des techniques de fabrication d’illusion. Par lesquelles les être humains cherchent à asseoir plus tangiblement leurs existences, les rendant moins insupportables en sacrifiant le réel sur l’autel du consensus : je m’invente une vie en mirage, tu fais de même ; je fais semblant de croire à la tienne, tu fais de même. Mon illusion renforce la tienne, la tienne la mienne. Et ce que nous appelons réel tient à ce consensus, cette illusion commune. Et comment se défaire de ces illusions, les exposer au regard de qui lit sans se défaire de celles que le roman fait peser de tout le poids de ses traditions?

Il existe des aliénations plus graves sur lesquelles méditer, mais nous sommes, pour le moment, pris dans les rets de celle-ci.

Gilbert Sorrentino parvient, en s’éloignant toujours plus loin des conventions littéraires, à ne jamais se défaire de son lecteur. Il le chambre, l’indispose, le dérange, mais, par sa dérision et la profonde humanité qu’il dévoile en chacun, se le gagne toujours.

Gilbert Sorrentino, L’Abîme de l’illusion humaine, 2015, Cent Pages, Trad. Bernard Hoepffner.

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« Le Reporter Enragé » de Egon Erwin Kisch. https://www.librairie-ptyx.be/le-reporter-enrage-de-egon-erwin-kisch/ https://www.librairie-ptyx.be/le-reporter-enrage-de-egon-erwin-kisch/#respond Tue, 26 May 2015 07:24:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5268

Lire la suite]]> egon erwin kisch« Regarde, le deuxième, sur le deuxième banc, on dirait Kisch! » « Oh, ça serait bien de lui, ça… »

Comment les hasards du football peuvent mettre un journaliste sur la piste d’une énigme particulièrement sensible de l’histoire, quelles sont les coulisses d’un lieu de culte tel que Lourdes, a quoi ressemble la prison de Sing Sing de l’intérieur, ou les lieux d’accueil pour sans-abris de Whitechapel : si l’information peut vous arriver favorisée par la destinée, la plupart du temps elle se déniche.

Nous ne nous expliquons pas pourquoi la grille que nous franchissons est dorée, mais ce dont nous sommes sûrs c’est que nous n’avons jamais vu un spectacle d’horreur comparable à celui qui s’offre à nos yeux.  Nous avons beaucoup vu, lu et entendu, mais nous ne nous attendions pas à cela.

Le journalisme de E. E. Kisch est d’abord le récit de expérience d’un homme confronté à son objet d’enquête.  Il « mouille sa chemise » et c’est d’abord cela qui transparaît.  Résolument de terrain, le journalisme du Praguois ne se limite cependant jamais au catalogue de faits. S’il exhume les faits, en allant les extirper au plus profond, ce n’est pas pour eux, mais pour ce dont ils sont la marque. Lourdes n’est pas le signe d’une croyance mais de sa marchandisation, Sing Sing est une prison, certes, et sans doute l’une des pires, mais par les excès dont elle témoigne, elle renvoie à l’exclusion de facto de certains de ses membres sur lequel se fonde notre société, l’organisation des centres d’accueil pour sans-abris de Whitechapel, « offrant » à ceux-ci un gîte aussi étroit qu’un cercueil, semble les assimiler déjà à des rebuts.  Des faits crus n’émerge rien.  Il leur faut une rage sourde qui les fait signifier.

Les affaires sont les affaires.

Irrévérencieuse, resserrée, la plume du journaliste enragé, si elle prend ouvertement position, n’en occulte pas pour autant la rigueur d’observation qui la nourrit.  Et la précision du langage qui en rend compte, si elle permet à cette rage de mieux sourdre, ne retire rien à la valeur strictement documentaire des faits.  Egon Erwin Kisch réussit la gageure d’être au plus près du réel, de s’y montrer soi-même engoncé, d’en poindre précisément l’injustice, mais sans le dépareiller, sans, dans le désir de mieux l’outiller pour la révolte, en faire autre chose que ce qu’il n’est.  C’est de la rage ET du document.  Mais aussi, comme dans cet article sur Chaplin, dans lequel il parvient à faire surgir une émotion « à la Chaplin » en le décrivant précisément à la recherche de cette émotion, une immense tendresse…

Pourquoi n’a t’on jamais tenté de fixer Charlie Chaplin au travail, dictant, ordonnant, mettant en scène, interprétant, lui dont l’influence n’a pas d’équivalent dans toute l’histoire de la scène.

Egon Erwin Kisch, Le Reporter Enragé, 2015, Cent Pages, trad. Danièle Renon & Alain Brossat.

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« Le petit bossu » de Roberto Arlt. https://www.librairie-ptyx.be/le-petit-bossu-de-roberto-arlt/ https://www.librairie-ptyx.be/le-petit-bossu-de-roberto-arlt/#respond Tue, 17 Sep 2013 07:59:39 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3274

Lire la suite]]> petit bossuTu as besoin de fouiller profondément dans la plaie.

Où réside la preuve de notre existence si ce n’est dans l’autre?  Et dans ce qu’il éprouve pour nous?  Chercher les preuves de l’amour de l’autre, pour nous, est bien plus qu’un acte de jalousie ou qui pallie à celle-ci.  C’est y chercher la preuve que nous existons.

Lorsque je prononce son nom, je sens sur mes joues une rafale de vent chaud.  Et pourtant la neige grise recouvre la crête des montagnes.  Et là-bas, tout est noir dans les abîmes.

Un homme cherchant la preuve de l’amour d’une femme dans la demande qu’il lui fait d’embrasser un laid difforme, un proxénète, un tuberculeux, un homme à la veille de se marier et pesant ses possibilités de rompre ; tous les personnages sont ici plongés au creux d’abymes dont le sordide est à ce point prégnant qu’ils en deviennent douteux, presque irréels.

Parfois, quand je considère le stade où j’en suis, il me semble que de grands espaces d’ombre se meuvent dans mon cerveau, je marche comme un somnambule et le processus de mon avilissement m’apparaît comme enchâssé dans l’architecture d’un rêve qui ne s’est jamais réalisé.

La violence que chacun de ces êtres met à tout simplement être, implacable, aliénante, nous rappelle qu’à force de chercher les preuves d’une « chose » (un amour, une amitié, une vie), on en arrive parfois à étouffer ou briser la chose même.  A trop vouloir s’attester, on en vient à disparaître.

Chacun d’eux est en soi un mystère, inexplicable, un nerf non encore classé, brisé dans le mécanisme de la volonté.

Mais chacun de ces personnages est aussi, même dans sa perte, profondément unique.  Dans ces nouvelles (et Roberto Arlt est, à notre avis, avant tout un nouvelliste, et des plus grands), tout est sombre, plongé dans les ténèbres.  Mais dans les ténèbres aussi, l’on peut rire.  Et si tout est tapissé de noir, le talent, l’art de disposer des matières, comme chez un Soulage ou un Vandercam, ou des mots qui sont d’autres matières, peut donner à lire des nuances qui donne à toute cette noirceur la saveur inattendue de la vie.

Tableau de notre existence.  Gris comme le fond d’un four.

Roberto Arlt, Le petit bossu, 2013, Cent pages.

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« Salmigondis » de Gilbert Sorrentino. https://www.librairie-ptyx.be/salmigondis-de-gilbert-sorrentino/ https://www.librairie-ptyx.be/salmigondis-de-gilbert-sorrentino/#respond Mon, 18 Feb 2013 07:29:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2065

Lire la suite]]> SALMIGONDISLa seule chose à faire, évidemment, est de commencer par le commencement.

Commençons donc.  Nous avons en présence un écrivain, Antony Lamont, qui tente d’écrire un livre dans lequel un personnage, nommé Halpin, ne se souvient plus s’il a ou non tué Ned Beaumont qui gît près du feu ouvert.  On y apprend rapidement que cette situation est liée à une histoire d’amour (avec Daisy) et de sexe (avec deux « entraîneuses »).

Qu’ai-je donc fait pour être tiré de note de bas de page désabusée et amusée dans laquelle j’avais résidé, sans visage, pendant toutes ces années au sein de l’oeuvre de ce gentleman irlandais, Mr Joyce.

Car Halpin provient bien d’une note de bas de page d’un roman de l’écrivain irlandais.  Ca se complique donc.  Car non seulement, Halpin en provient mais il le sait.  Et non content de le savoir, il s’en plaint, l’auteur sous la plume duquel il a à jouer n’étant pas du calibre souhaité.

Toute l’histoire vous sera racontée, je vous le promets.

Ca se complique d’autant plus que raconter toute l’histoire, l’auteur n’y parvient pas.  Une ex-compagne, un chercheur, une soeur, un auteur jaloux, les personnages du livre entre autres, s’ingénient à faire échouer son projet.  « Salmigondis » est donc le récit d’un échec, un échec absolu, terrible, complet et total.  Mais c’est aussi une suite de listes, une vengeance contre les personnages d’un livre, un exercice de pornographie appliquée, une méthode pour échanges épistolaires, une « Défense et illustration de la langue anglaise », une gigantesque rigolade…

Le flegme trembla et bouillonna sableusement dans la gorge de Deuces Noonan lorsqu’il le rassembla paisiblement au fond de son bec, puis il le décocha dans la rue avec la précision de serpent à sonnette qui était la sienne quand il lançait son Bowie Knife étincellant lors de ses missions mortelles et plus qu’occasionnelles.

C’est donc aussi peut-être le seul livre dans lequel trouver ce style de phrase est excusable parce que s’inscrivant dans ce que le livre se propose d’être : un bout du bout du modernisme littéraire.  Un roman qui ne peut plus même espérer à l’originalité.  Un livre dont l’objet même ne peut plus être de se détacher de ce qui l’environne, mais de se fondre dans ce dont il provient et qu’il continue, en en revendiquant l’influence, s’en laissant phagocyter : la littérature.  Mais surtout, « Salmigondis » est un immense, brillant, baroque, artificiel et jouissif foutoir où, par delà l’énervement du lecteur religieusement patient, le faux absolu de l’artifice se transforme par magie en vérité.

Je vais continuer, parce qu’il n’y a rien de mieux à faire. Je m’amuse un peu quand même, à mettre ces mots dans la bouche de Halpin.

Bah! entasse sur nous les misères, enchevêtre nos arts de rire bas!

Gilbert Sorrentino, Salmigondis, 2007, Cent Pages, trad. Bernard Hoepffner.

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