Christian Bourgois – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Robledo » de Daniele Zito https://www.librairie-ptyx.be/robledo-de-daniele-zito/ https://www.librairie-ptyx.be/robledo-de-daniele-zito/#respond Tue, 26 Feb 2019 07:29:03 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8139

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Elle avait fini par travailler dix à douze heures d’affilée par jour pour le pur besoin de travailler, sans prétendre à la moindre rétribution ou satisfaction personnelle, acceptant des conditions souvent humiliantes qui étaient une offense à sa dignité de travailleuse et de femme. Dominée par cette obsession, elle avait décidé de s’ôter la vie précisément là où, selon ses propres mots, tout avait commencé, à savoir chez Décathlon.

Et si le travail, de valeur qu’il est encore souvent, se transformait en idéal. Et si, du désespoir désargenté dans lequel ils végètent, les sans-emplois s’adonnaient, jusqu’à ce que mort s’ensuivent, au travail pour le travail. Et si tout cela devenait bel et bien réel…

Constitués en groupuscules secrets, les membres de TPT (TravailpourleTravail) s’affublent des tenues de travail des grandes enseignes (Ikea, Décathlon, etc.) et prestent dans une joie retrouvée les heures normales d’une journée de travail normale. À la différence notable qu’ils n’ont ni contrat ni salaire. Seul compte le travail exercé pour lui-même jusqu’à la parfaite réalisation de celui-ci, le décès sur le lieu de travail même.

Personne ne se demandait qui il était. Personne ne lui demandait qui il était. Il n’avait pas de contrat, il n’avait pas de salaire, il n’avait rien, il se contentait de travailler, de manière irréprochable. Plus il travaillait, plus son inquiétude disparaissait. Il n’avait pas besoin d’autre chose.

Véritable lecture de ce qu’est le travail salarié lorsqu’il est pensé jusque dans les derniers retranchements de sa logique, Robledo est à la fois une fiction sur le monde du travail, l’une de ses analyses les plus lucides, et une fantastique mise en question des procédés par lesquels une réalité peut se dévoiler à nous. En se présentant comme une sorte de rapport-expertise-testament d’un journaliste dont il est rappelé constamment qu’il convient de s’en méfier, Robledo joue intelligemment sur les fractures infimes qui séparent parfois la réalité la plus triviale et le fantastique gore. L’absurde naît ainsi moins de la contradiction d’avec le réel que d’avec sa continuation abrupte la plus naturelle. Le travail décrit dans Robledo est bien le nôtre…

ce sont les mots qui créent les faits et non le contraire.

Daniele Zito, Robledo, 2019, Bourgois, trad. Lise Chapuis.

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« Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau » de Antonio Lobo Antunes https://www.librairie-ptyx.be/jusqua-ce-que-les-pierres-deviennent-plus-douces-que-leau-de-antonio-lobo-antunes/ https://www.librairie-ptyx.be/jusqua-ce-que-les-pierres-deviennent-plus-douces-que-leau-de-antonio-lobo-antunes/#respond Tue, 05 Feb 2019 07:15:56 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8043

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et sur la route en bas personne, je n’ai pas ramené mon fils d’Afrique à cause de sa mère ou de son père, je l’ai ramené je pense parce que je me sentais seul, parce que, quelle idiotie de parler

À la veille d’une fête traditionnelle de la montagne portugaise pendant laquelle est mis à mort un cochon, les souvenirs et les douleurs qu’elle charrie assaillent une famille. La mère est gravement malade et n’en a plus pour bien longtemps. Le père lutte encore contre les traumatismes de son engagement lors de la guerre d’Angola. La fille paraît plus mutique que jamais. Le fils, l’adopté, le « nègre » ramené de « là-bas » par son père, ressasse l’histoire de son adoption et des abominations dont elle a découlé. Peu à peu, on en vient à penser que le cochon ne sera pas seul à être saigné…

et mon père sans les mots vu qu’occupé à couper des mains, couper des oreilles, me laissant seul alors qu’il y a des moments où tout un chacun a besoin de compagnie même celle d’un nègre quelconque, de quelqu’un dont le sort nous importe et qu’on essaie d’aimer, il pouvait prendre soin de lui à travers moi,

La tragédie, définie comme genre, nous a légué nombre de personnages et de situations qui, par-delà les éléments conscients de reconnaissance culturelle qu’ils offrent, continuent à irriguer en profondeur nos subconscients. On n’a plus besoin de connaître Phèdre pour connaître sa douleur ou sa détermination. Les figures tragiques paraissent immuables, l’émotion qui les accompagne paraissant garantie par leur éternité même. Le tragique paraît l’être d’autant plus qu’il est figuré par quelque chose de figé. Et rares sont ceux qui, s’y frottant dans le désir de les renouveler, ne s’y sont pas brûlé.

Antonio Lobo Antunes fait partie de ces quelques auteurs qui parviennent à éveiller dans le lecteur d’une tragédie le sentiment que ce qu’il lit parait tout à la fois définir la tragédie et y échapper. Non pas que quelque chose ferait verser le roman du tragique vers son contraire, le comique, ou d’autres formes dûment instituées, mais que d’autres façons tragiques s’y développent. La figure du fils « nègre » n’est pas que celle du fils livré au destin implacable de sa couleur de peau ou des circonstances de son adoption. Celle du père n’est pas que celle de la rédemption impossible. L’auteur portugais joue de la figure tragique et l’approfondit en sondant son objet même. Mais, aussi, par une mise en forme dont il confie les rênes au lecteur, il la fait sortir de son cadre institutionnel. Et ainsi la forme tragique, redéfinie, semble-t-elle à même de coller mieux que jamais à notre réalité la plus triviale.

peut-être serai-je capable de mettre le feu à ma famille et à la maison au village en aspergeant d’essence la penderie, le coffre, les draps, les meubles, tous ces rebuts inutiles qui traînent là et moi aussi tant que j’y suis, dès que vous aurez fini la dernière ligne de ce livre grattez donc une allumette afin qu’il ne reste plus rien de nous, de ce qui a été écrit ici et oubliez-nous,

Antonio Lobo Antunes, Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau, 2019, Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

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« Réservoir 13 » de Jon McGregor. https://www.librairie-ptyx.be/reservoir-13-de-jon-mcgregor/ https://www.librairie-ptyx.be/reservoir-13-de-jon-mcgregor/#respond Fri, 11 Jan 2019 08:11:05 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8046

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Au milieu de l’hiver, au début de ce siècle, une adolescente de treize ans en vacances dans un village du cœur de l’Angleterre disparaît. Les villageois partent à sa recherche, organisent des battues. La police érige des barrages routiers, des journalistes se rendent dans ce village habituellement calme. L’affaire fait grand bruit.

En treize chapitres de treize paragraphes chacun, Jon McGregor fait le récit des treize années qui suivent l’événement. L’enquête qui s’enlise puis repart, les jeunes du village qui grandissent, s’aiment, partent, reviennent, les espoirs des uns, les tristesses des autres, les renardeaux qui grandissent et deviennent renards, les réservoirs qui s’emplissent et se vident au gré des saisons et des pluies. En phrases courtes où s’entremêlent les destins des choses, des animaux et des êtres humains, Jon McGregor détaille avec mesure et précision la vie comme elle passe. Alors que toujours, tous se souviennent.

Les gens voulaient que la fille revienne pour qu’elle puisse leur dire où elle était allée. Il y avait trop de façons dont elle avait pu disparaître, et on y réfléchissait, souvent. Elle avait pu descendre de la colline en courant et un automobiliste avait pu l’arrêter pour lui proposer de la déposer quelque part, puis l’emmener, puis enterrer son corps dans un dense fourré d’arbres à côté d’un échangeur à cent cinquante kilomètres au nord, où elle devait encore reposer aujourd’hui, dans le sol humide et froid. On rêvait qu’elle marchait jusqu’à chez elle. Quelle marchait à côté de l’autoroute, qu’elle marchait à travers la lande, qu’elle grimpait pour sortir de l’un des réservoirs, qu’elle émergeait de l’eau gris foncé, les cheveux flottants et les vêtements enveloppés de longues algues vertes.

Comment la vie, toujours, prend-t-elle le dessus? Comment un fait, aussi marquant et sordide soit-il, peut-il peu à peu, sans cependant jamais disparaître tout à fait, laisser la place aux actes les plus dérisoires qui soient? Comment accorder une importance quelconque, aussi bénigne soit-elle, au vent, à un jeu de lumière, à un geste banal, alors que le pire drame qui puisse être se joue encore? Un enfant disparaît, tout le reste ne devrait-il pas suivre?

Jon McGregor réussit à enfoncer son lecteur dans le corps même de son récit. Comme chaque habitant du village, il veut voir revenir la jeune fille, ou du moins, les années passant, apprendre ce qui lui est arrivé. Au début, peu après l’événement, rien d’autre que lui ne compte. Tout le reste paraît incongru. Et ce qui gêne l’inquiétude de l’habitant parait venir déranger le récit du lecteur. Mais peu à peu, année après année, comme les habitants du village retournent à leurs occupations – et ce alors même que les gestes, in fine, restent les mêmes – le lecteur en vient à considérer, page après page, que ce qui fait le sel de sa lecture n’est peut-être pas le traumatisme qui l’avait déclenchée. En subtil virtuose, Jon McGregor est parvenu à faire s’épouser le rythme de la lecture et celui de la vie.

Ça continuait comme ça. Voilà comment ça continuait.

Jon McGregor, Réservoir 13, 2019, Christian Bourgois, trad. Christine Laferrière.

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« Ceci est ma ferme » de Chris de Stoop. https://www.librairie-ptyx.be/ceci-est-ma-ferme-de-chris-de-stoop/ https://www.librairie-ptyx.be/ceci-est-ma-ferme-de-chris-de-stoop/#respond Mon, 24 Sep 2018 12:21:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7834

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Chris de Stoop est une personnalité connue du monde flamand. Grand journaliste, il s’illustra par ses reportages aussi engagés que risqués sur la « traite des blanches », sur les phénomènes migratoires clandestins ou sur la première femme occidentale ayant perpétré un attentat-suicide en Irak. Ici, sous des abords paraissant d’emblée strictement personnels, il nous propose le récit de son retour dans la ferme familiale, après le placement de sa mère dans un institut de soins et le suicide de son frère.

La Flandre dont nous parle Chris de Stoop est celle des polders, la Flandre profonde, agricole, rurale, encore très marquée de son empreinte catholique, attachée à sa terre et à ses bêtes. Un bout de Flandre qui disparaît peu à peu sous les coups de butoir conjoints de l’industrialisation tentaculaire du port d’Anvers et du « retour à la nature » prôné par une certaine idée de l’écologie.

À un bon kilomètre d’ici, se trouvent une douzaine de panneaux qui signalent pourquoi nous devons attribuer une telle valeur à cette région ; ils indiquent ce qu’il faut regarder et expliquent ce qu’on voit. Leur présence fait de moi un passant, un spectateur, et du paysage un décor, comme dans un film de Disney.

Pour chaque parcelle de terrain concédée au projet de développement du port d’Anvers en est concédée une autre à la défense de l’environnement. Entre les deux logiques, qui se rejoignent finalement très bien, le paysan flamand se retrouve souvent dépossédé, en sus de ses terres, de son histoire, de sa raison d’être et même de celle d’avoir été. Il est nié. Dans son désir de « rendre à la nature » des terres – la dépolderisation est devenue un processus d’ampleur – la logique environnementale est ici devenue folle. Expulsant l’homme de la nature, elle fabrique sur les bases aujourd’hui décriées de la séparation nature/culture, une nature bien plus artificielle que celle qu’elle vise à remplacer. Plutôt que se fier aux savoirs qui s’étaient forgés au contact d’un territoire, des écologistes hors sol appliquent à celui-ci des principes de laboratoire. Et rien n’y fonctionne plus. L’homme en est exilé, souvent aux prix de terribles drames. Et la « nature », forcée, tourne sot.

Mais quelle est cette vision d’une nature dont l’homme ne ferait pas partie, mais lui serait plutôt étranger?

Pour qui lirait ce livre sans connaitre le contexte de la gestion écologique flamande, Chris de Stoop pourrait apparaître comme un contempteur farouche de l’écologie. Il n’en est rien. Comme il ne s’oppose pas non plus à une lutte environnementale radicale. Ce qu’il décrit et dénonce avec force c’est l’absurdité inhumaine – vraiment « inhumaine », c’est-à-dire dont l’homme a été décrété par principe indésirable –  d’une nature pensée comme devant se priver, pour fonctionner, d’une de ses parties essentielles. Une « nature » de démiurge, sans savoirs mais abreuvée de science, plus artificielle que les terrains industriels auxquels elle est censée donner un répondant. Une nature anthropomorphe mais qui refuse l’homme.

Chris de Stoop, Ceci est ma ferme, 2018, Christian Bourgois, trad. Micheline Goche.

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« La douce indifférence du monde » de Peter Stamm https://www.librairie-ptyx.be/la-douce-indifference-du-monde-de-peter-stamm/ https://www.librairie-ptyx.be/la-douce-indifference-du-monde-de-peter-stamm/#respond Tue, 04 Sep 2018 07:42:41 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7776

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Pour la première fois j’avais senti en écrivant que je créais un monde vivant.

En trente sept courts chapitres, Peter Stamm nous conte l’histoire d’un homme qui rencontre une femme, Lena, à qui – cette dernière lui faisant penser à la femme passionnément aimée – il se propose de raconter l’histoire d’amour qu’il a vécue avec Magdalena, il y a bien longtemps. Histoire dont, écrivain, il s’empara par après pour écrire un livre.

 Ce sont les erreurs, les asymétries qui rendent notre vie possible d’une façon générale.

À l’heure où la « marge », « l’écart », le « différent », « l’informe » ont tendance à devenir les tartes à la crème d’une création artistique qui déclare haut et fort se méfier de toute forme pouvant apparaître comme trop systémique (ce qui leur permet, au passage, de légitimer leur paresse à en construire une), Peter Stamm a l’intelligence de toujours manier l’une – la « marge » – et l’autre – le « système » – avec autant d’intelligence que de bienveillance. Il s’agit bien, dans La douce indifférence du monde, de dire une identité qui vacille, qui devient incertaine. Et qui, ce faisant, entraîne dans ses incertitudes le monde dans lequel elle semble se diffracter ainsi que ceux qui y évoluent. Et ainsi se saisit-il bien de ce qui dérange la normalité. Mais c’est bien la structure qu’il crée pour exprimer ces vacillements, aussi imparable que subtile, qui rend perceptible l’acuité de cette identité en perte d’équilibre. Et cela en plongeant le lecteur dans les mêmes affres que ses personnages.

un texte littéraire a besoin d’une forme, d’une logique, que notre vie n’a pas.

Si notre vie, effectivement, n’a pas de structure, ce fait même ne paraît être perceptible qu’en lui dédiant une forme. En cela, le trouble qu’elle génère semble rejoindre celui de la vie en dérive dont elle rend compte.

Peter Stamm, La douce indifférence du monde, 2018, Christian Bourgois, trad. Pierre Deshusses.

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« Que ferai-je quand tout brûle? » de Antonio Lobo Antunes. https://www.librairie-ptyx.be/que-ferai-je-quand-tout-brule-de-antonio-lobo-antunes/ https://www.librairie-ptyx.be/que-ferai-je-quand-tout-brule-de-antonio-lobo-antunes/#respond Tue, 19 Jun 2018 07:45:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7678

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Maintenant que mon père est mort j’aimerais savoir ce qu’il était, mais je ne sais pas. Je ne sais pas. J’ai beau tourner et retourner le problème, la réponse est je ne sais pas. Tout me paraît si compliqué, si bizarre : un clown qui était en même temps un homme et une femme ou tantôt un homme tantôt une femme ou parfois une sorte d’homme parfois une sorte de femme

Le père, Carlos, clown de cabaret, travesti à la poitrine gonflée qui ne sait comment être père ou époux et qui collectionne les amants. Judite, la mère, obsédée par les mimosas, alcoolique qui noie sa peine et ses désillusions dans les bras de qui lui paie à boire. Rui, le jeune amant. Helena, la tante naïve et aimante. Couceiro, l’oncle érudit et tendre. Et Paulo, le fils, drogué, qui tente de reconstruire, au travers d’une conscience chahutée, les souvenirs et les sentiments de sa vie de tragédie.

ce que je veux vous dire madame Aurorinha c’est que même si vous êtes vieille, même si vous êtes malade, même si vous ne pouvez plus bouger laissez-moi m’asseoir un moment contre ce mur éboulé, m’asseoir un moment par terre, allumer le briquet, trouver l’aiguille, aidez-moi à serrer le garrot autour de mon bras, à presser le piston et ensuite, si ça ne vous ennuie pas, restez un moment près de moi jusqu’à ce que je

pardon

m’endorme

Le fragment de Lobo Antunes n’est jamais un pis-aller. Il n’est jamais la réponse ou l’excuse prétendument romantique à la faillite d’un système. Le roman d’Antunes est fragmenté comme le sont nos consciences, nos vies. Il ne fragmente rien. Il n’éclate rien qui ne soit déjà éclaté. L’éclat n’y est ni une sophistication esthétique, ni une défaite transformée en concept. Il est, au sens plein du terme, réaliste. Et c’est quand il conte, comme ici, une identité écartelée jusqu’au dans son genre qu’il se révèle avec le plus de force et de justesse.

Antonio Lobo Antunes, Que ferai-je quand tout brûle?, 2003, Christian Bourgois, trad. Carlos Batista.

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« Cette putain si distinguée » de Juan Marsé https://www.librairie-ptyx.be/cette-putain-si-distinguee-de-juan-marse/ https://www.librairie-ptyx.be/cette-putain-si-distinguee-de-juan-marse/#respond Tue, 06 Feb 2018 08:47:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7423

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Sicart, ne cultivez pas votre mémoire, cette fleur vénéneuse, il nous est arrivé à tous des choses qu’il vaut mieux oublier.

Quelle place peut bien occuper la fiction dans la problématique mémorielle? Quelles possibilités particulières offrirait-t-elle, et à quelles conditions, de pallier à la défaillance du souvenir? Qu’apporterait-elle à qui veut se souvenir que la recherche par des voies strictement documentaires de la vérité passée ne permettrait pas?

je gardais très présent à l’esprit que se rappeler, c’est interpréter, voir et assumer les faits du passé d’une façon déterminée.

En 1949, une prostituée est assassinée à Barcelone par un opérateur dans la salle de projection d’un cinéma. Tout de suite, l’opérateur admet le meurtre, mais déclare ne pas avoir gardé souvenir des raisons qui l’ont poussé à commettre son acte. Condamné à trente années de réclusion, il est libéré après avoir purgé  le tiers de sa peine. En 1982, un écrivain reconnu se voit confié la mission d’élaborer le pré-scénario d’un film qui s’inspirera librement de ce fait divers. Alors que sa femme et ses enfants sont en vacances, il reçoit chez lui, en compagnie de sa femme de ménage cinéphile, l’assassin à la mémoire défaillante.

Les motifs de l’assassinat étaient-ils politiques, ou ne sont-ce pas plutôt les obsessions du réalisateur qui, se greffant sur ceux-ci, le forcent dans ce champ-là? Quelle est la responsabilité morale de celui qui invente sur ce qui a été oublié quand sa matière est de traiter l’oubli même? La fiction peut-elle révéler? Faut-il un mobile à chacun de nos actes, et s’il manque, la fiction peut-elle lui en créer un? Et à quel prix, et à l’aune de quoi peut-elle en être jugée digne?

Avec les lambeaux d’une mémoire, Juan Marsé interroge subtilement les rapports qu’entretiennent vérité et fiction. Et, en filigranes, construit avec lucidité et humour un brillant roman sur le roman…

Je ne saurais dire quelles sont les limites de la fiction lorsqu’on recrée une vérité historique ; ce n’est probablement pas appliquer une plus grande lumière sur le fait réel, mais rehausser les clairs-obscurs, les ambiguïtés et les doutes, tout ce qui constitue l’expression la plus vive de la vérité.

Juan Marsé, Cette putain si distinguée, 2018, Bourgois, trad. Jean-Marie Saint-Lu.

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« Pour celle qui est assise dans le noir à m’attendre » de Antonio Lobo Antunes. https://www.librairie-ptyx.be/pour-celle-qui-est-assise-dans-le-noir-a-mattendre-de-antonio-lobo-antunes/ https://www.librairie-ptyx.be/pour-celle-qui-est-assise-dans-le-noir-a-mattendre-de-antonio-lobo-antunes/#respond Thu, 04 May 2017 07:35:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6783

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Une ancienne actrice, atteinte d’une maladie dégénérative, se souvient. Entre les soins prodigués par la « femme d’un certain âge », les visites du « neveu du mari » désigné tuteur, les souvenirs d’un père, la sensation d’un chat se glissant contre la jambe, le son d’un crucifix battant contre un mur, les impressions fugaces et celles rémanentes, entre passé et futur, entre vie et morts, Antonio Lobo Antunes nous immerge comme jamais dans la psyché d’une fin de vie. Et, par l’entremise tragi-comique et bouleversante de ce flux de conscience nous convie à nous interroger, entre autres, sur notre faculté à fabriquer de la mélancolie ou à déceler et reconnaître ce « peu qui reste quand tout le reste s’en va ».

Alors, certes, on pourrait gloser et gloser encore – et peut-être pas inutilement – sur l’esthétique de ce gigantesque écrivain contemporain. Mais, à trop s’y essayer, on craindrait d’écarter de sa lecture d’aucuns à qui répugne l’exercice exégétique. On s’arrêtera dès lors à cette invite amicale et confiante : Lisez Antunes!

je suis seule notez bien, je suis seule, restent le lévrier qui ne lèvera pas le petit doigt pour moi, le moteur du chat qui de temps en temps me console mais un lévrier et un chat ont beau avoir envie et par moments j’ai l’impression qu’ils ont envie ne peuvent pas grand’chose pas vrai, le neveu de mon mari en a ras-le-bol et je le comprends, je suis une femme seule en train de perdre les pédales, la mer à Faro rien qu’un souvenir quand je jetais des pierres dans les vagues, très loin, jusqu’à ce que personne d’autre que moi puisse les voir, la mer à Faro, les bateaux, les lanternes la nuit, la voix de mon père dans l’obscurité

-C’est pas beau ça ma grande?

si, c’était beau papa, c’était beau, je regrette juste qu’il reste si peu de temps avant la fin, que je m’éloigne petit à petit de moi-même au point de me perdre, vide, creuse, assise dans un coin sans avoir envie de rien, sans me souvenir de rien, n’attendant même pas, me contentant de durer, le médecin en parlant de moi à la personne qui l’accompagnait

-On va voir on va voir

avec une espèce de grimace que j’ai bien remarquée mais ce n’est pas grave, ma mère me serre dans ses bras et mon père est fier que je lance des pierres avec autant de force malgré le cœur qui ceci qui cela enfin bref, je suis sa jolie, dites-moi juste encore une fois ma jolie

-Ma jolie

et même dans très longtemps je serai encore et toujours sa jolie et à présent tous les deux de retour vers la maison main dans la main sans avoir besoin de nous donner la main, l’un à côté de l’autre ça suffit, rentrant manger sous la suspension chromée, en silence vu qu’entre nous les mots ne sont pas nécessaires, en entendant le vent dans les caroubiers dehors nous faire ses adieux.

Antonio Lobo Antunes, Pour celle qui est assise dans le noir à m’attendre, 2017, Christian Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

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« La pièce obscure » de Isaac Rosa. https://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/ https://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/#respond Fri, 16 Sep 2016 07:42:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6180

Lire la suite]]> Carré noirQui donc avait proposé d’aménager une pièce obscure. Qu’importe, n’importe lequel d’entre nous, nous tous.

Lors d’une chute de tension sur le réseau électrique, des colocataires font l’expérience, dans une pièce plongée brièvement dans la pénombre, de la liberté que n’être plus visible permet. Fasciné par celle-ci, et déterminés à la vivre à nouveau, autant que voulu, ils décident d’équiper une pièce en la soustrayant hermétiquement à toute lumière et à tout bruit extérieur. Lieu de désinhibition en acte ou de retrait du monde, d’expérimentation sensuelle libre ou de ressourcement quasi-érémitique, la pièce obscure devient alors pour eux comme un centre autour duquel graviter. Isaac Rosa fait s’alterner de longs chapitres pendant lesquels il conte l’évolution de ces colocataires, leurs vies professionnelles, intimes, rythmées par les désillusions de temps toujours plus difficiles, avec de très courts chapitres (nommés REC), simples descriptions de scènes captées par des webcam à l’insu de ceux qu’elles cadrent. Au fur et à mesure d’un récit qui prend des teintes policières, se dessine une méditation subtile et nuancée de ce pouvoir que confère le fait de voir sans être vu.

Ça c’était le pouvoir, se disait-il : voir sans être vu.

Par l’absence de latence rétinienne et sonore qu’elle institue, l’obscurité silencieuse permet tout à la fois une désinhibition de l’individu (je ne suis plus reconnaissable donc je peux faire ce que je veux vraiment) et une dilution choisie de celui-ci dans un collectif (l’indiscernabilité préalable des corps oblige à tenter l’expérience des autres). L’expérience de la pièce obscure est l’expérience de la liberté. Mais, si savoir qu’il n’y aura pas de preuve visuelle et sonore de mon acte en permet la liberté, ce qui y met aussi radicalement un terme, c’est de savoir qu’un et un seul œil, une et une seule oreille puisse, sans que la réciprocité soit possible, le documenter. Dans la parfaite obscurité, la moindre parcelle de lumière est un instrument redoutable de pouvoir. En opposant le récit fictionnel de cette pièce obscure et celui, bien réel, des moyens de surveillance généralisés dans lesquels nous baignons, Isaac Rosa fait ressortir, par contraste, toute l’ambiguïté de l’antédiluvienne concaténation des termes « liberté » et « lumière ». Et, en parallèle, dresse le tableau de nos illusions perdues.

Nous menons une guerre, et la guerre est toujours laide, sale.

Isaac Rosa, La pièce obscure, 2016, Christian Bourgois, trad. Jean-Marie Saint-Lu.

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« La fille aux papiers d’agrume » de Hanns Zischler. https://www.librairie-ptyx.be/la-fille-aux-papiers-dagrume-de-hanns-zischler/ https://www.librairie-ptyx.be/la-fille-aux-papiers-dagrume-de-hanns-zischler/#respond Fri, 22 Apr 2016 07:36:34 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5983

Lire la suite]]> La fille aux papiers d'agrumes.Dans une région montagneuse de l’Allemagne d’après-guerre, une petite fille collectionne les papiers d’agrumes. Depuis peu arrivée à Marstein, Elsa, qui souffre d’un handicap à la hanche,  se lie d’amitié avec une jeune anglaise comme elle à peine arrivée. Pauli, un jeune garçon de leur classe, se rapproche peu à peu d’Elsa.

Combien de fois ne prophétise-t-on pas la fin du monde pour tel ou tel jour, à cause de je ne sais quel supposé concours de circonstances, et quand arrive la date annoncée, le monde pourtant ne s’effondre pas, mais lorsque, du jour au lendemain, une étoile de cette taille resplendit soudain comme une traînée de craie dans le ciel, alors là…

Il est difficile d’en dire beaucoup plus. D’une écriture essentiellement factuelle, Hanns Zischler déroule un récit tout empreint des mystères, des craintes et des désirs de l’adolescence. Où ce qui lui est extérieur – la reconstruction d’un pays, le deuil d’une mère… – n’est présent que par touches discrètes, comme si rien ne devait peser réellement sur « ce qui s’ouvre à la sortie de l’enfance », mais ne l’influencerait qu’en l’effleurant.

Il y a peu, les agrumes étaient presque systématiquement emballées dans ces fins papiers aux illustrations colorées. Protections moins que publicités, les fines feuilles carrées vantaient la marque en enveloppant la rondeurs des fruits, en vantant les ailleurs ensoleillés. Si la tradition s’est quelque peu perdue aujourd’hui, demeurent les souvenirs. Et ce livre, discret joyau, dont la subtile écriture en rappelle la soyeuse légèreté.

Hanns Zischler, La fille aux papiers d’agrumes, 2016, Christain Bougois, trad. Jean Torrent.

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