Corti – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Lynx » de Claire Genoux https://www.librairie-ptyx.be/lynx-de-claire-genoux/ https://www.librairie-ptyx.be/lynx-de-claire-genoux/#respond Fri, 31 Aug 2018 07:47:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7716

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Des événements sont racontés, des histoires anciennes, des rêves, le petit grandit doucement. La langue française lui arrive à travers la peau, par là il devine quelque chose du monde, de cette lumière et le soleil bouge, déploie des océans.

Alors qu’il vient de perdre son père dans des circonstances tragiques et mystérieuses, et qu’il hésite de la tournure à donner à son existence, Lynx voit arriver dans la taverne dont il est l’homme de main Lilia et son petit. Fuyant un conjoint violent et désirant se consacrer plus à l’écriture, Lilia parait suspendre toute décision. Entre violence contenue et apaisement inquiet, une menace pèse.En bordure de forêt, puis au sein même de celle-ci, par un été chaud et sec comme jamais, un drame se noue et se dénoue.

Il part dans ses pensées, écoute un vent qui pourrait devenir tout autre chose qu’un déploiement d’air. Il se demande comment Lilia le consignerait en mots.

Alors que la littérature « naturaliste », revenue, préoccupation environnementale oblige, en odeur de sainteté nous ressert souvent les mêmes bons vieux plats de la « nature-immanence-pseudo-deleuzienne », de l’héroïsme anthropomorphique ou d’une conception romantique de la nature, Claire Genoux évite soigneusement les écueils et les clichés. Tout est forêt dans Lynx. Mais tout est écriture aussi. Comme tout, finalement, est autre. Et c’est là, sans doute, que l’écriture de la suissesse touche au plus juste. En restant au plus près de ses personnages, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme, d’un enfant, d’un mort, d’une maison ou d’une forêt, sa langue à la fois précise et libre permet d’attester les liens indissolubles que tout cela noue. Voire même, cette écriture qui révèle ces nœuds en devient peut-être ce qui les renforce le mieux.

Le livre ne quitte pas la forêt, il ne pense pas à autre chose qu’à sa chaleur et ses fumées.

Claire Genoux, Lynx, 2018, José Corti.

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Exergue 4 https://www.librairie-ptyx.be/exergue-4/ https://www.librairie-ptyx.be/exergue-4/#respond Fri, 25 May 2018 07:21:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7456

Lire la suite]]> Très souvent on se pose la question de savoir quelle phrase issue de celui-ci pourrait illustrer le mieux un texte. Qu’elle ait prétention à le « résumer », à le « vendre », à « aguicher » le lecteur potentiel ou à « faire sentir le style de l’auteur », la phrase-clé, quelles que soient les motivations de qui la cherche, se veut toujours bien plus une réduction du texte à une supposée essence de celui-ci – que la phrase-clé déclinerait alors – que l’illustration que, possiblement, quelque chose y échappe.  Plus pertinente parfois nous semblerait alors la recherche de celle qui, pourtant placée en son sein et s’y insérant parfaitement, parait lui offrir un contrepoint inattendu. Cette phrase qui ouvre dans le texte même comme une possibilité d’en dévier, et qui, le faisant échapper à la surface lisse à laquelle le lecteur tenterait de le réduire, enjoint ce dernier à le lire autrement. Ainsi peut-être la phrase exhumée ici aura-t-elle d’autant plus de sens qu’elle servira mieux d’exergue à tout autre texte qu’à celui dont elle est issue. Alors même, aussi, qu’il n’est pas tout à fait innocent qu’elle en soit issue…

Je vais emporter ma vision avec moi, doucement, comme une toile d’araignée, comme une poignée de clair de lune, et je l’entremêlerai à mes rêves nocturnes. Chut! Chut!

Léonid Andreiev, Le Journal de Satan et autres récits, José Corti, 2002, trad. Sophie Benech.

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« Le Sacret » de Marc Graciano https://www.librairie-ptyx.be/le-sacret-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/le-sacret-de-marc-graciano/#respond Fri, 04 May 2018 07:34:02 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7596

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Le sacret est le mâle du faucon sacre, espèce d’oiseau de proie très répandue que l’on utilisait en fauconnerie, notamment pour la chasse en vol. Si le nom « sacre » provient de l’arabe « çaqr », le nom « sacret » dérive lui du latin « sacer ».

A une époque non datée mais que l’on reconnaît comme médiévale, un jeune garçon aperçoit un oiseau de proie blessé et gravement affaibli. Il le recueille et l’amène à l’autourserie de son domaine. L’autoursier, très pessimiste quant à son rétablissement possible, lui en confère la propriété. Après des soins méticuleux et obstinés, le garçon parvient à redonner vie et prestance à l’oiseau de proie. Vient alors l’instant de vérifier aux yeux de tous, et pour le plus grand honneur du jeune garçon, les capacités de chasseur du prestigieux rapace.

L’oiseau de proie était tellement figé que, de loin, il avait semblé au garçon une motte de terre, et l’oiseau était tellement faible qu’il laissa s’approcher le garçon sans réagir

Après une remarquable incursion dans la violence contemporaine, Marc Graciano revient ici au contexte plus ancien qui avait abrité avec succès ses deux premiers récits. Si l’inscription médiévale permet à l’auteur d’investir un univers sémantique différent et la rythmique qui en émane, le but poursuivi n’est nullement « historique ». Si la trame est ancienne, si les mots qui la disent le sont parfois, si la scansion qui les articule est un procédé ancestral, le projet, lui, est résolument original. Ainsi est-ce à un démontage en règle de certaines de nos attentes de lecture – et, surtout, de ce que celles-ci révèlent de nous – auquel se livre ici l’auteur. Qu’attend-t-on en effet de ce qui suit la lecture du sauvetage par un jeune garçon d’un animal apprivoisé? Et que cela dit-il de notre façon de concevoir la liberté animale? La littérature qui, traditionnellement, prétend mettre l’animal au centre de son propos, n’en met-il pas en exergue sa version fantasmée par l’homme?  Et ce faisant, alors même qu’elle figure souvent comme ce qui permet au mieux d’y atteindre, n’endigue-t-elle pas irrémédiablement tout accès vrai au « naturel »? Comme l’est le sacret dans le récit, le lecteur est captif de sa lecture. Et la liberté de l’un, dépouillée de ses oripeaux anthropomorphes, se fait au prix, parfois douloureux, de celle de l’autre…

Marc Graciano, Le Sacret, 2018, Corti.

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« Grand-Monde » de Aurélie Foglia. https://www.librairie-ptyx.be/grand-monde-de-aurelie-foglia/ https://www.librairie-ptyx.be/grand-monde-de-aurelie-foglia/#respond Tue, 17 Apr 2018 07:45:14 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7564

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on t’a si toujours vu

qu’on oublie de tenir à toi arbre écarté

par le temps

Voir autrement ce qui nous entoure peut servir à nous regarder plus profondément. Et à changer alors le regard que l’on porte en retour sur ce qui nous entourait. Aurélie Foglia monte dans les arbres, s’y introduit, s’y balance au gré des vents, plonge au cœur de ses racines.  On y (re?)découvre à sa suite ce qui s’y niche, la voix que les branches donnent au vent ou la fraîcheur qu’elle distillent en « brumatisant le divin ».

l’ar

bre est bref

La poésie qui prend pour théâtre la nature a une longue et riche histoire. Dont, malheureusement, certains de ses développement l’on fait verser dans le cliché par excellence. Utiliser en poésie l’oiseau, la fleur, la branche, la vague, bref tout ce qui peut entretenir un lien étroit avec ce qu’on appelle la « nature » est dès lors devenu un exercice périlleux. Cela alors même que, paradoxalement, il n’a peut-être jamais été plus urgent de réinvestir le « naturel » sous toutes ses formes et via tous les canaux d’expression. Aurélie Foglia réussit cette gageure avec un rare brio. Elle revient à ce « Grand-Monde », cet arbre qu’on a oublié de regarder vraiment, avec ce sentiment d’urgence légitime qu’il y a à revenir à l’essentiel tout en cherchant à l’aborder par des moyens nouveaux. Les lacunes introduites dans le texte, les blancs (je reviens à un arbre entrecoupé de blancs), les  coups de ciseaux donnés à même les mots, tout cela qui ouvre des espaces ludiques et/ou polysémiques n’est pas que la marque d’un changement de regard qui serait porté sur une chose – ici un arbre – et dont dépendrait toute poésie. Il y a dans ce Grand-Monde toute la différence entre une poésie sur et une poésie de. L’arbre, ici, n’est pas le sujet du poème. Tout comme le papier sur lequel on le lit, il en forme la matière.

l’ombre

ab

errante

qui

 

barre

 

l’allée

 

 

bas

Aurélie Foglia, Grand-Monde, 2018, José Corti.

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« Parce que l’oiseau » de Fabienne Raphoz. https://www.librairie-ptyx.be/parce-que-loiseau-de-fabienne-raphoz/ https://www.librairie-ptyx.be/parce-que-loiseau-de-fabienne-raphoz/#respond Tue, 02 Jan 2018 08:24:29 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7317

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Mais je préfère parler des oiseaux.

Nous vivons dans le bruit. Non nécessairement que ce soit le niveau sonore atteint qui rende la chose remarquable, mais bien plutôt l’indiscernabilité dans laquelle tout s’y fond. Un klaxon, un chant d’oiseau, un cri de haine, un murmure énamouré, rien n’en émergera pour l’auditeur qu’en raison de la façon dont son volume tranchera par rapport au fond. Le chant de l’oiseau est peut-être aussi cela qu’il convient d’arracher d’un fond dont on ne discerne plus rien. Pas même qu’il y en a un, de fond.

J‘écris comme d’autres dansent la tarentelle. 

Dans Parce que l’oiseau, nous suivons Fabienne Raphoz dans ses ballades ornitophiles. Nous apprenons à mieux connaitre ses hôtes du Quercy : Lady Hulotte, Front-Blanc, Tête noire, et d’autres. Entre divagation, journal, essai ornitophile et méditation sur les langues, Parce que l’oiseau nous parle bien d’oiseaux. Mais, à travers les oiseaux et surtout la relation qu’une amatrice entretient avec eux, c’est presque l’essence de toute relation qui nous est donnée à lire. Car la relation, c’est bien ce qui lie comme ce qui est raconté.

Nommer, ce n’est peut-être pas tant exercer du pouvoir sur ce qui nous entoure, que naître de concert avec ce qui nous en distingue : le langage, du moins notre langage. Nous parlons et ne comprenons pas ceux qui – nous – parlent peut-être aussi dans cette langue ésotérique de cris et de chants, et je me rêve souvent en Champollion décryptant la pierre de rosette orale de leur syrinx.

Nommer, c’est la première puissance de l’enfant qui a tôt fait de virer les ensembles, les regroupements, les généralités, pour affecter son « Teddy Bear » à lui d’un nom que ce « bear » partagera avec lui seul dans son latin d’enfant.

Nommer c’est peut-être posséder, mais sans dommage co-latéraux, voire, c’est aller plus loin, c’est dépasser le stade de la possession : l’enfant se dit d’abord « cet ours, c’est le mien », mais quand il le nomme, le considérant autre, pour parler avec lui, l’enfant sait que l’ours lui répond, l’enfant lui aura inventé les réponses qu’il entendra d’une fenêtre intérieure ouverte sur le langage de l’altérité, en confidence.

Et puis, surtout, nommer, c’est bien ineffacer ce qui nous entoure, parce que les espèces, comme les individus, évoluent, parce que les espèces et que les individus meurent.

L’exercice de l’ornitophile est d’entendre d’abord, de nommer ensuite. Double mouvement qui nécessite d’abord l’attention – celle qui permet d’à nouveau discerner le différent dans le champ du même – puis le langage – par lequel on transcrit dans un idiome partagé par d’autres la parole mystérieuse que l’on en aura extraite. Quelque chose nous échappera toujours de la signification des chants des oiseaux. Y être attentif, tenter encore et encore de les reconnaître et les nommer, permet de nous rappeler qu’il n’est parfois pas plus mal d’accepter, à défaut de la comprendre, l’irréductible part de mystère qui résidera toujours dans la différence.

Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, 2018, Corti.

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« Villes, suivi de Journaux » de Paul Blackburn. https://www.librairie-ptyx.be/villes-suivi-de-journaux-de-paul-blackburn/ https://www.librairie-ptyx.be/villes-suivi-de-journaux-de-paul-blackburn/#respond Tue, 03 Oct 2017 07:53:06 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7045

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je vais venir dans ton ventre et en faire une mer qui cogne contre moi venir dans toi douce comme le soleil / et être réel.

Il y a je ne sais quoi dans la poésie de Paul Blackburn qui semble participer d’une étrange ambivalence entre une inaliénable exigence et un amateurisme revendiqué. Comme si l’auteur se devait de faire montre d’une certaine gêne à exiger tant des mots.

Putain, j’ai pondu de la merde à la chaîne.

New York, les mouettes, le Baseball, les chats, le sexe, l’eau, les poètes amis, l’alcool, la fête, la maladie… Comme la mouette ne se pose sur l’eau que quand celle-ci s’agite, le poète ne pose ses mots que sur une surface mouvante, instable. Sa parole s’ente sur un désordre. Un désordre que le poète, quand il ne se charge pas de le provoquer, ne le contemple pas non plus d’un ailleurs distant. Le poète ne contemple pas, il perçoit. Et crée les conditions de sa perception. Et quand il nous revient alors avec son monde agité, dit dans ses mots, ceux-ci laissent percer ce qui l’a rendu dicible.

La vitre sale me rend mon visage.

Blackburn, finalement, ne raconte que sa vie. Universellement banale et tragiquement unique. Mais cette conjonction entre l’existence d’un quidam et le langage qu’il crée pour se dire, tour à tour cru et tendre, exigeant et dilettante, nous le rend proche comme rarement peut l’être un auteur de cette stature. Et la beauté qui s’en dégage est de celle qui, bien qu’immédiate, gagne encore et encore à être creusée.

Des floculations de cirrus suspendus

précipitent

dans le tube du ciel au-dessus de la rue,

couvrent d’un toit l’œil vieillissant dans sa flaque

          enfermant ses

reflets sous une croûte de glace

Crac

Sourd, mais

l’œil regarde dehors

et des rangées de moutons aléatoires paissant au-dessus du parc

se nourrissent

de la seule herbe qu’il y a en ce matin d’hiver

   /

                   dans l’esprit

L’œil, oui

                       vieillissant dans sa flaque,

mais ouvert  .

OUVERT

Paul Blackburn, Villes suivi de Journaux, 2011, Corti, Trad. Stéphane Bouquet.

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« Chansons du seuil » de Peter Gizzi. https://www.librairie-ptyx.be/chansons-du-seuil-de-peter-gizzi/ https://www.librairie-ptyx.be/chansons-du-seuil-de-peter-gizzi/#respond Tue, 09 May 2017 07:22:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6794

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l’eau est une façon de comprendre l’air

Le seuil est cet endroit qui, par excellence, se trouve au bord, non d’une mais de deux « choses ». A l’opposé d’un discours érigé dans la « marge » (cette « marge » qui tend à devenir la tarte à la crème d’une certaine création contemporaine), celui construit sur un seuil ne toise jamais, d’un dehors qui serait érigé en principe, ce dont il se sentirait irrémédiablement différent, et souvent supérieur. Sur le seuil, et conscient de s’y situer, on est fondamentalement entre. Entre l’extérieur et l’intérieur, entre un passé et un futur, entre une vie et une mort, entre un fond et une forme, entre un sens « pur » et un chant « pur ».

Rien que des mots pour remplir un espace plus vieux qu’une maison, un oiseau, que cette carafe et ma main.

Le seuil, c’est donc cet entre-deux. Et qu’il porte un nom accrédité – le « présent », le « ici » –  ou pas, Peter Gizzi se donne pour tâche dans ces chansons d’en explorer la trame. Que ce soit en affinant ces mots qui n’épuisent pas ce qu’ils représentent, qui ne suffisent pas à le définir, à le circonscrire – le « présent », le « ici » – ou en plongeant dans ce qui s’ouvre entre un fond et la forme qu’il « endosse », un sens et le chant qui est censé le « porter », à chaque fois, c’est ce travail même de dire l’entre-deux, de le chanter, qui est l’objet du poème. Il ne s’agit pas de « montrer une image », ni de la « dire », mais bien de « dire voir l’intérieur des images comme il est ».

Que vois-tu quand tu lis de gauche à droite, un garçon de bédé sur une pelouse de bédé, les bras en croix, quand tu vois le mot SOLEIL écrit là-bas en majuscules, un rai de brouillard au-dessus du lièvre qui bondit dans un cœur d’encre dans un garçon fantôme dans un rayon vert dans l’espace.

Souvent – et souvent une certaine poésie confirme cette impression – on croit qu’un sens doit s’arracher au poème. Qu’il se gagne de haute lutte et que son accès, défendu derrière des barrières d’hermétismes et de préciosités, se mérite forcément. Que sans ce sens, rien n’en demeure. A contrario existe-t-il cet autre pan poétique pour lequel un sens ne serait rien, y suffisant la seule et pure « forme ». D’un côté le « récit froid », de l’autre « un doux borborygme ».

Je ne suis pas sûr du sens

mais comprend la vague

Peter Gizzi, en questionnant ce qui se joue sur ces seuils, et en les habitant lui-même de ses poèmes, prouve que toute poésie est toute entière contenue dans ses éphémères espaces. Que là est son lieu. Entre main et voix, entre fond et forme, entre sens et son. Mais aussi, il démontre que dans la poésie – comme dans la vague, comme dans l’amour – réside quelque chose d’autre que des parties réunies. Et qu’à condition de ne pas la réduire à une fabrication ou à un accolement de contraires, accessible et profitable à chacun, elle touche à l’essentiel.

Comment vivre.

Que faire.

Peter Gizzi, Chansons du seuil, 2017, José Corti, trad. Stéphane Bouquet.

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« Enfant-pluie » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/enfant-pluie-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/enfant-pluie-de-marc-graciano/#respond Mon, 17 Apr 2017 16:24:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6777

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Né lors d’une pluie diluvienne, l’Enfant-pluie, fils d’un chef, est rapidement pris sous la protection de Celle-qui-sait-les-herbes. Sous ses conseils et son enseignement distillés avec une sage ironie, l’Enfant-pluie grandira, voisinera avec la mort, fera la connaissance de l’autre et prendra conscience de sa trace dans le monde.

Celle-qui-sait-les-herbes a dit que les gens étaient petits et seulement petits face au vaste monde puis elle a dit que quelqu’un, un jour, avait représenté dans une grotte, elle a avoué ne savoir exactement où, un homme couché et blessé, sans doute un grand chasseur ou un grand chef, et elle a craché au sol de dépit pour dire qu’une telle représentation humaine dans une salle de dessin qui devait être considérée comme un vrai et intouchable sanctuaire était vraiment la plus grande et haïssable manifestation d’orgueil et de vaine gloire.

Depuis ses premiers livres, Marc Graciano fraie dans les parages du conte. Ancrant ses récits dans des temps et des lieux détachés de marquages trop clairs et les exploitant d’une langue toute de rythme et de scansion, il leur donne une teinte d’étrangeté mais qui ne soit pas radicale. N’est étrange que ce qui garde avec l’habituel suffisamment de liens que pour lui offrir un contraste. Dans ces « avants » ou « ailleurs » indéterminés, il fait éclore depuis trois romans déjà, en une langue qui semble elle-même en sourdre, les origines et les désirs dont nous provenons. Dans Enfant-pluie, plus directement peut-être que dans ses précédents, mais tout aussi subtilement, il questionne notre genèse de la représentation. Dont l’ineffable beauté, sans doute, tenait aussi à la retenue, à la pudeur avec laquelle, un jour lointain, l’être humain envisagea sa présence dans le monde. Dans ce quatrième opus (enfant admis, qui plus est!), on peut constater encore une fois, et l’en remercier, que Marc Graciano a conservé, intacte et délicate, cette grâce originelle.

les gens étaient petits et seulement petits face à toute cette beauté.

Marc Graciano, Enfant-pluie, 2017, José Corti.

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« Au pays de la fille électrique » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/au-pays-de-la-fille-electrique-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/au-pays-de-la-fille-electrique-de-marc-graciano/#respond Tue, 13 Sep 2016 07:46:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6130

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Au pays de la fille électrique

A force de considérer l’originalité comme un paradigme cardinal de l’art, d’aucuns n’en voient plus que cet aspect et s’enferrent dans une forme de fuite en avant se voulant toujours plus radicale. En rupture, voire en ban, contestateur, l’acte artistique se pense alors d’abord uniquement en relation avec sa réception future. Il doit faire neuf. Il doit choquer. Il doit être audacieux. Malheureusement, très souvent, ce qui n’en devait être qu’un des moyens devient l’unique fin. S’oubliant dans sa seule quête d’originalité, forcément transgressive, l' »artiste » s’englue dans cette seule intention, qu’il contribue alors à ériger en banal procédé – et quoi de plus ironiquement absurde que de faire verser dans la procédure ce qui, par définition, se proposait de l’en extraire. Mais parfois, rarement, l’extrême audace, car nécessaire et servant un propos qui lui préexiste, permet de faire aboutir, comme miraculeusement, un projet qui tout à la fois la subsume et la légitime.

Au pays de la fille électrique s’ouvre sur une scène d’une absolue violence : le viol d’une jeune femme par quatre hommes dans un hangar. Contant par le menu, sans pudeur aucune, au plus près des sévices, d’un réalisme cru, sans la distance que pourrait instaurer une bancale esthétisation de l’acte, Marc Graciano plonge le lecteur d’emblée dans la réalité d’une horreur sans nom. Passée l’abjection de ce prologue éreintant, écrit d’un bloc, sans point, rythmé par des « et » incessants, nous retrouvons en 84 scènes – où c’est le « puis » qui scande la phrase – la jeune fille errant par les routes, en direction de l’océan. Le roman se clôturant sur un épilogue dont nous ne dévoilerons rien.

et elle possédait un petit nez écrasé et dévié à sa base, et elle possédait, sur la lèvre inférieure, une mince cicatrice qui serait restée invisible si la pâleur de sa cicatrice n’avait pas contrasté avec le hâle de son visage, et ses yeux étaient bleus comme le ciel et continuellement brillants et comme électrisés, et son regard semblait si perdu à tous ceux qu’elle croisait sur sa route que, lorsque qu’ils l’observaient passer, ils avaient l’impression qu’elle ne les voyait pas, ou que, même, elle aurait eu la bizarre certitude, telle elle n’aurait pas existé, que c’étaient les autres qui ne la voyaient pas.

Aux antipodes d’une simple volonté de marquer le coup, en heurtant plus que d’autres, Marc Graciano parvient à nous enserrer dans les fils d’un projet d’une audace et d’une ambition rares. Comment donner une consistance et un sens autre à la violence du monde? Qu’est-ce que la pureté? En les abordant de front, en leur offrant des contrastes inédits – dont le lecteur est lui-même un acteur -, il offre à ces questions des développements radicalement neufs. Car sous la crudité des faits qu’il évoque se loge une subtilité, un art de la nuance, qui fonctionne d’autant mieux que ces effets ne sont décelables qu’en passant le filtre de notre écœurement premier. Ainsi s’aperçoit-on que les quatre agresseurs peuvent préfigurer un assemblage archétypal du violeur tout entier résumé… dans leurs type de chaussure. Ou que cette jeune fille serait l’image idéale que tout homme peut se faire de la beauté et de la grâce féminines. Que la nature évoquée n’est jamais inviolée. En donnant au lecteur un accès brut et directement confrontant au réel, tout en ciselant finement un langage pour en rendre compte, le contrastant mais sans apprêts, l’auteur bouge légèrement nos lignes de sa perception. Marc Graciano est l’un des plus impressionnants magiciens actuels du langage. Magicien au sens premier. C’est-à-dire de ceux qui, maniant des outils et des matériaux dont nous disposons tous, parviennent à en faire sourdre, on ne sait jamais vraiment comment, quelque chose d’unique et de précieux.

Marc Graciano, Au pays de la fille électrique, 2016, José Corti.

Les bruits accompagnant cette chronique ont été enregistré lors des Glaneurs sur Musique 3, une émission pilotée par Fabrice Kada, mise en onde par Katia Madaule et squattée, ce soir là, par Septembre Tiberghien et Edgar Szoc.

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« Une forêt profonde et bleue » de Marc Graciano. https://www.librairie-ptyx.be/une-foret-profonde-et-bleue-de-marc-graciano/ https://www.librairie-ptyx.be/une-foret-profonde-et-bleue-de-marc-graciano/#comments Wed, 25 Mar 2015 08:39:37 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5039

Lire la suite]]> Une-foret-GracianoMarc Graciano écrit des contes de fées.  Mais il n’est dit nulle part que la fée ne puisse y subir les pires avanies.  Et pourtant, elle reste une fée et l’espace où elle évolue un conte.  De même Marc Graciano nous émerveille-t’il.  Mais émerveiller ne veut pas forcément dire créer les conditions d’une joie béate.  Et ce n’est pas parce que l’émerveillement, l’enchantement, au lieu de nous plonger dans un univers éthéré nous en éloigne, qu’il n’est pas, précisément, un émerveillement.

et tous ces mouvements à la surface de l’eau étaient cause que la fille savait que l’eau était là parce que l’eau était si pure que, immobile, elle eût paru inexister.

Dans le conte qu’il orchestre ici, Marc Graciano nous convie à suivre les aventures d’une jeune fille dans un monde sans lieu ni date dont la beauté insondable ne semble trouver de pendant inverse que dans l’infinie cruauté des hommes.

tous veillaient scrupuleusement à porter leur regard uniquement vers celui des autres de là pourquoi la plus haute pudeur régnait parmi les membres du groupe même s’ils étaient intégralement nus et rassemblés dans la plus grande promiscuité

Organisé en parties brièvement nommées (La ruche, Le cerf, La borde, etc…), chacune divisée en chapitres d’un paragraphe et d’une phrase (en clair : un chapitre = un paragraphe = une phrase), « Une forêt profonde et bleue » est, certes et même s’il semble en pervertir les codes (alors qu’il les réalise peut-être simplement autrement), un conte.  Mais il est aussi un exercice formel radical.

Comme le mège qu’il met en scène dans son récit, l’écrivain est un médium.  Et, médium, il se doit, avant de restituer quoi que ce soit, de se faire réceptacle.  Le mège doit, pour pouvoir peser sur ce qui l’entoure, pour que ces actes soient utiles, pour subsister et aider l’autre à subsister, accueillir ce qui l’entoure.  Dépositaire d’un savoir dont il ne connait plus l’origine, il l’articule sans en rien refuser au risque que son action demeure stérile.  Tel est l’écrivain qui s’arroge la fonction de dire le monde.  Pourquoi ainsi se couper du langage qui n’a plus lieu?  Est-ce parce qu’il n’est plus « commun » qu’il n’est plus censé remplir de fonction?  Ne serait-ce pas ainsi du ressort de celui qui vise à en dire la complétude, de réintroduire dans ce monde des mots qui, non usités couramment, ne continuent pas moins de l’exprimer?  Ainsi de « leude », « mège », « rain », « aronde », « borde », « noctiluque », « vit ».  A l’antipode de l’artifice littéraire nostalgique, le mot « oublié » est ici un outil du merveilleux.  Et l’écrivain ce magicien qui, par la grâce d’un rythme épousant le réel dans ces moindres méandres, parvient à le dire dans tout son infinie complexité.

Les herbes autour du lac étaient devenues rouges, presque purpurines, et pareillement rouges étaient devenues les feuilles des arbres marcescents dans la forêt mixte autour du lac et, plus haut dans la montagne, dans la sapinière, certains rameaux étaient devenus roux et les eaux du lac devinrent colombines et lourdes et grasses et lisses et les eaux plates reflétaient à la perfection le monde autour et l’air devint pur et frais et comme extraordinairement liquide et comme très brumeux et de grands vols de grues en migration commencèrent )à passer dans le ciel embrumé et ce fut le signe que l’hiver serait bientôt là.  

Marc Graciano, Une forêt profonde et bleue, 2015, Corti.

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