Gallimard – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le rêveur méthodique » de Verena von der Heyden-Rynsch https://www.librairie-ptyx.be/le-reveur-methodique-de-verena-von-der-heyden-rynsch/ https://www.librairie-ptyx.be/le-reveur-methodique-de-verena-von-der-heyden-rynsch/#respond Tue, 12 Feb 2019 07:38:28 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8083

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Quand, en 1528, Henri VIII constitue un tribunal destiné à examiner la légalité de son mariage avec Catherine d’Aragon, il n’est pas certain que seul l’amour qu’il voue à Anne Boleyn soit en jeu. Catherine d’Aragon, veuve d’Arthur Tudor, frère d’Henri VIII, avec qui ce dernier est marié depuis 1509, ne parvient pas à lui donner un fils. Anne Boleyn, qui résiste depuis longtemps à ses avances, y parviendra peut-être. Faire reconnaître la nullité du mariage qu’il contracta près de vingt ans auparavant avec Catherine, tante de Charles Quint, permettra alors peut-être de donner un héritier mâle à la couronne anglaise. Mais, pour ce faire, il convenait de faire reconnaître aux autorités ecclésiastiques de l’époque la primauté de la conception  du Lévitique – il n’est pas autorisé de contracter mariage avec la veuve de son frère – sur celle du Deutéronome – le mariage est possible si aucun enfant n’est né de la première union. C’est dans ce contexte que vont être convoqués les plus grands esprits du temps. Dont Francesco Zorzi, un franciscain vénitien.

On passa d’un coup du thomisme scolastique médiéval à la pensée critique moderne. Les premiers signes d’une remise en question ou d’une réforme fondamentale se firent jour, le dogmatisme jusque là « indiscutable » de l’Église se trouva ébranlé par certaines interprétations vétérotestamentaires, de nouvelles voies confessionnelles se dessinèrent.

Francesco Zorzi (1466-1540) est né à Venise dans une famille de notables. Franciscain, il s’intéressa très tôt non seulement aux auteurs latins et grecs consacrés depuis longtemps comme à ceux que la mode renaissante alors en vogue permit de redécouvrir, Platon en tête, mais aussi à des domaines bien moins courus comme la kabbale ou les textes araméens. Néoplatonisme, langues grecque, araméenne, hébraïque, latine, études pythagoriciennes, kabbale, Saintes Écritures, toutes ses connaissances vont s’agréger et faire de lui tout à la fois le représentant paradigmatique de la seconde renaissance et l’un de ses initiateurs les plus influents.

En faisant découvrir au lecteur un personnage bien moins connu – mais tout aussi important – que Thomas More ou Érasme, l’auteure peut revenir de façon plus apaisée sur la complexité de l’époque. Non, la renaissance ne fut pas que la re-découverte de textes platoniciens. Non l’érudition du 16 ème siècle ne servait pas qu’elle même. Qu’un franciscain érudit défavorable à la Réforme prenne le risque de défendre un roi dans ses vélléités de divorce en s’appuyant aussi sur la kabbale juive en dit long certes sur lui mais aussi sur le temps qui le permet. Et aussi, comme par réfraction, pas mal sur le nôtre…

Verena von der Heyden-Rynsch, Le rêveur méthodique, Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste à Venise, 2019, Gallimard, trad. Pierre Rusch.

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« De la mort sans exagérer » de Wislawa Szymborska. https://www.librairie-ptyx.be/de-la-mort-sans-exagerer-de-wislawa-szymborska/ https://www.librairie-ptyx.be/de-la-mort-sans-exagerer-de-wislawa-szymborska/#respond Wed, 02 Jan 2019 08:22:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8031

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Où court la biche écrite dans la forêt écrite?

Il y a la poésie qui est le fruit d’un questionnement sur le monde, et celle qui est issue directement de l’étonnement qui précède ce questionnement. La première cherchera à traduire dans le langage ce que l’on peut rassembler sous la dénomination de « grandes questions existentielles ». Qu’elle s’ingénie à le faire d’une façon ou d’une autre – et il en existe de multiples, excellentes ou exécrables – elle donnera à lire le monde comme un champ d’interrogations permanentes. La poésie qui se situe en deçà de ce questionnement, quant à elle, semblera offrir à qui la lit moins des questions – finalement toujours les mêmes – que la liberté de se les poser toutes.

Dur de prendre le monde en flagrant délit d’autrement.

La poésie de la prix nobel 1996 paraît dénuée de tout parti pris formel. Non qu’elle ne soit pas très précisément construite, « pensée » en fonction du matériau qui la compose, la langue, mais comme jamais le problème formel lui-même ne devient l’objet du poème, le lecteur est en prise directe avec ce qui l’a suscité. On ne lit pas une forme. La poésie de Wislawa Szymborska est née de l’étonnement de constater que les choses sont les choses et non autrement qu’elles mêmes. Et non seulement, cette poésie en est issue mais elle réussit à préserver cet étonnement. Comme si elle ne s’était donné comme tâche que de s’en faire le relais.

Seul ce qui est humain peut nous être étranger.

Le reste c’est forêts mixtes, travail de taupe et vent.

La poésie de l’auteure polonaise ne déconstruit rien. Elle ne pose aucune question métaphysique. Elle ne défend aucun concept intangible ni mode de représentation figé. Et même quand elle s’intéresse, justement, à ce qui est en oeuvre dans le principe de représentation, ce n’est jamais pour mieux asseoir le rôle du poète, mais pour, encore une fois, y puiser une nouvelle source de surprise. Sincère et accessible, sa poésie réactive l’étonnement qui fonde toute question. Et quel étonnement encore, quel miracle même, que « l’impensable se laisse penser », et que cela, grâce à la poésie, puisse se dire…

À travers ces contrées erre la pauvre âme en peine,

disparaît, s’en revient, s’approche ou bien s’éloigne,

étrangère à elle-même; toujours insaisissable,

une fois sûre, une fois doutant de son existence,

tandis que le corps, lui, ne peut qu’être, et être, et être,

et ne trouve nulle part où aller.

Wislawa Szyborska, De la mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009, Gallimard, 2018, trad. Piotr Kaminski.

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« Le travail des morts » de Thomas W. Laqueur. https://www.librairie-ptyx.be/le-travail-des-morts-de-thomas-w-laqueur/ https://www.librairie-ptyx.be/le-travail-des-morts-de-thomas-w-laqueur/#respond Tue, 16 Oct 2018 08:10:56 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7818

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Je pense que la mort n’est pas, ni n’a jamais été, un mystère ; le mystère réside plutôt en notre capacité, en tant qu’espèce, collectivités et individus, à accorder une si grande importance à l’absence, et plus particulièrement au corps inerte, nu et indigent du mort.

Il y a de cela bien longtemps, Diogène déclara que ce qu’il advenait à son corps mort lui était indifférent, proposant à ses disciples de se défaire de son enveloppe mortelle en la jetant par dessus le mur et en la donnant en pâture aux bêtes sauvages. Cette réaction à la mort, ou plus exactement, à ce qu’il reste après passage à trépas, fit scandale à l’époque. Et aujourd’hui, alors même que notre société – occidentale s’entend -parait s’être défaite de nombre des superstitions qui organisaient les rapports entre corps et mort, nous restons, souvent à notre corps défendant, profondément marqués du sceau de celles-ci. On a beau clamer notre indépendance du religieux, marteler que nous sommes héritiers du cartésianisme, nos propres comportements continuent intuitivement à trahir des positions que nous défendons pourtant haut et fort. Penser, dire et étayer qu’un corps n’est rien est une chose. Agir comme si un corps n’était vraiment rien en est une autre.

Les gens continuent de se soucier du sort des morts ; les morts continuent, en privé, mais aussi en public, d’effectuer un travail pour les vivants.

En s’intéressant à la dépouille elle-même (et non à la mort proprement dite) et en l’abordant transversalement tant dans le temps que dans l’espace (même si l’occident reste très présent), Thomas W. Laqueur éclaire certes d’un jour neuf son sujet déclaré mais il interroge également les façons dont nous nous attachons, envers et contre tout, à ce que nous déclarons obsolète. Comblant avec un bonheur rare les fossés qui peuvent séparer histoire et anthropologie, il nous convie à nous questionner encore et encore sur ce que peut représenter pour nous l’absence. Non seulement celle d’un corps. Mais aussi – et cela, seule une longue enquête précise et étayée le permettait – celle des convictions, des opinions, des croyances, qui continuent, malgré leur « disparition », à produire des actes désormais détachés de leurs causes…

Thomas W.Laqueur, Le travail des morts, une histoire culturelle des dépouilles mortelles, 2018, Gallimard, trad. Hélène Borraz.

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« Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique » de Edmund Husserl. https://www.librairie-ptyx.be/idees-directrices-pour-une-phenomenologie-pure-et-une-philosophie-phenomenologique-de-edmund-husserl/ https://www.librairie-ptyx.be/idees-directrices-pour-une-phenomenologie-pure-et-une-philosophie-phenomenologique-de-edmund-husserl/#respond Fri, 08 Jun 2018 06:50:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7653

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Loin de nous l’idée de vous résumer en quelques phrases ou extraits la quintessence d’une démarche philosophique aussi riche que la phénoménologie par le biais d’un de ses livres fondateurs. Ni de vous faire croire que nous en avons saisi toutes les subtilités dans chacune de ses nuances. Mais l’édition à neuf (et la nouvelle traduction) d’un livre aussi essentiel que cette œuvre d’Husserl, par les échos que cette sortie entretient avec un certain « état de la pensée actuelle », ne pouvait que nous interpeller. Et nous inciter à interpeller à notre tour…

L’erreur de principe de l’argumentation empiriste consiste à identifier ou à confondre l’exigence fondamentale d’un retour aux « choses mêmes » avec l’exigence de justifier toute connaissance par l’expérience (Erfahrung). Il considère sans plus, en vertu de la compréhensive restriction naturaliste du domaine des « choses » connaissables, que l’expérience est l’unique acte qui donne les choses elles-mêmes. Mais les choses (Sachen) ne sont pas, sans plus, choses de la nature ; l’effectivité au sens habituel n’est pas sans plus l’effectivité en général, et c’est seulement à l’effectivité de la nature que se rapporte cet acte donateur originaire que nous nommons « expérience ».

Un pan important des recherches philosophiques en cours a pris comme principe cardinal, depuis un certain temps déjà, de s’opposer, sous le prétexte qu’il innerverait tout, au « positivisme ».  Sans entrer dans les détails et en s’empêchant, à l’inverse, de généraliser ou de caricaturer, il nous faut reconnaître que beaucoup de positions avancées  en réaction à ce « positivisme » nous paraissent manquer et leurs objectifs, et les possibilités de se doter de fondements solides qui puissent rivaliser avec ceux qui forment la base des positions « positives ». A suivre certains – et là, oui, on caricature un tantinet – il nous faudrait « renoncer à la raison » ou « se défaire de la logique », ces vieilleries n’étant que les reliquats inutiles d’un monde à renverser. De là à « causer avec des arbres », « ouvrir ses chakras » et « penser les possibles en communiquant avec les lombrics », il y a des pas que d’aucuns semblent avoir franchis. Le « refus de la raison », au départ simple façon – par ailleurs sans doute nécessaire – de se démarquer d’un « positivisme » plénipotentiaire,  en est venu à autoriser, sous le déguisement de la philosophie, l’ésotérisme le plus échevelé.

[La réalité, aussi bien la réalité de la chose matérielle prise individuellement que la réalité du monde tout entier] n’est pas en soi-même quelque chose d’absolu, qui se lie secondairement à quelque chose d’autre, mais ce n’est, au sens absolu, rien du tout (gar nichts), elle n’a pas du tout d’ « essence absolue », elle a l’essentialité (Wesenheit) de quelque chose qui, par principe, est seulement de l’intentionnel, seulement du conscient, du représenté en conscience, de l’apparaissant.

L’intérêt qu’il y a à lire (ou relire) aujourd’hui ce texte fondateur est donc aussi là : il est possible de développer une pensée vive et vivifiante qui puisse différer d’un discours « scientifique » dominant – et, partant, en atténuer/gommer/éradiquer les effets dommageables – sans en sacrifier la rigueur qui fit son succès. Comme le démontrent, par exemple donc, Husserl avec la phénoménologie, ou Dewey ou James avec le pragmatisme, des voies existent qui permettent de rompre d’avec un système dominant sans verser dans l’opinion. Pour autant qu’on les lise – sans se contenter de leurs métatextes ni d’extraits « soigneusement » choisis* en fonction des biais de confirmation que ses extraits permettraient – des textes tels que celui-ci prouvent qu’il est tout à fait possible d’organiser des alternatives qui soient et radicales et crédibles.

la fiction est la source à laquelle s’alimente la connaissance des « vérités éternelles ».

Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, 2018, Gallimard, trad. Jean-François Lavigne.

*il y a ainsi une véritable culture de l’extrait qui paraît s’être implantée jusque dans les « milieux autorisés ». A tel point que des citations de penseurs aussi déterminants que Nietzsche, Deleuze ou Spinoza, viennent de plus en plus fleurir les discours de nombre d’études dites « sérieuses », alors même que remis dans le développement desquelles on les a arrachées, ces extraits appuyaient parfois le contraire de ce que l’auteur de l’étude entend affirmer. Non lus, Deleuze est résumé par « ritournelle » ou « lignes de fuite », Spinoza est athée et Nietzsche est de gauche… De penseurs, certains ont fait des fabricants d’aphorismes.

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Exergue 3 https://www.librairie-ptyx.be/exergue-3/ https://www.librairie-ptyx.be/exergue-3/#respond Fri, 11 May 2018 07:14:53 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7419

Lire la suite]]> Très souvent on se pose la question de savoir quelle phrase issue de celui-ci pourrait illustrer le mieux un texte. Qu’elle ait prétention à le « résumer », à le « vendre », à « aguicher » le lecteur potentiel ou à « faire sentir le style de l’auteur », la phrase-clé, quelles que soient les motivations de qui la cherche, se veut toujours bien plus une réduction du texte à une supposée essence de celui-ci – que la phrase-clé déclinerait alors – que l’illustration que, possiblement, quelque chose y échappe.  Plus pertinente parfois nous semblerait alors la recherche de celle qui, pourtant placée en son sein et s’y insérant parfaitement, parait lui offrir un contrepoint inattendu. Cette phrase qui ouvre dans le texte même comme une possibilité d’en dévier, et qui, le faisant échapper à la surface lisse à laquelle le lecteur tenterait de le réduire, enjoint ce dernier à le lire autrement. Ainsi peut-être la phrase exhumée ici aura-t-elle d’autant plus de sens qu’elle servira mieux d’exergue à tout autre texte qu’à celui dont elle est issue. Alors même, aussi, qu’il n’est pas tout à fait innocent qu’elle en soit issue…

Chercher le plaisir, n’est-ce pas trouver l’ennui?

Honoré de Balzac, La Fille aux yeux d’or, 1977, Gallimard.

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Exergue 2. https://www.librairie-ptyx.be/exergue-2/ https://www.librairie-ptyx.be/exergue-2/#respond Tue, 06 Mar 2018 08:53:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7354

Lire la suite]]> Très souvent on se pose la question de savoir quelle phrase issue de celui-ci pourrait illustrer le mieux un texte. Qu’elle ait prétention à le « résumer », à le « vendre », à « aguicher » le lecteur potentiel ou à « faire sentir le style de l’auteur », la phrase-clé, quelles que soient les motivations de qui la cherche, se veut toujours bien plus une réduction du texte à une supposée essence de celui-ci – que la phrase-clé déclinerait alors – que l’illustration que, possiblement, quelque chose y échappe.  Plus pertinente parfois nous semblerait alors la recherche de celle qui, pourtant placée en son sein et s’y insérant parfaitement, parait lui offrir un contrepoint inattendu. Cette phrase qui ouvre dans le texte même comme une possibilité d’en dévier, et qui, le faisant échapper à la surface lisse à laquelle le lecteur tenterait de le réduire, enjoint ce dernier à le lire autrement. Ainsi peut-être la phrase exhumée ici aura-t-elle d’autant plus de sens qu’elle servira mieux d’exergue à tout autre texte qu’à celui dont elle est issue. Alors même, aussi, qu’il n’est pas tout à fait innocent qu’elle en soit issue…

En vérité l’on voit et l’on entend croître l’herbe.

Leon Tolstoï, Anna Karénine, 1951, Gallimard, trad. Henri Mongault.

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« Les Aveux de la chair » de Michel Foucault. https://www.librairie-ptyx.be/les-aveux-de-la-chair-de-michel-foucault/ https://www.librairie-ptyx.be/les-aveux-de-la-chair-de-michel-foucault/#respond Tue, 27 Feb 2018 08:49:50 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7464

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La conception que l’on se fait souvent aujourd’hui des rapports qu’entretiennent (et ont entretenu de tous temps) religion et sexualité est foncièrement duale et exclusive. Pour qui n’a aucune connaissance des textes des pères de l’Eglise ou de leurs commentaires, l’équation sexuelle dans le champ chrétien est on ne peut plus simple : le sexe, c’est mal et on peut pas. Tous les discours ayant alors germé au cours de l’histoire sur ce constat simplissime n’ayant alors eu d’autre objectif que d’organiser cet interdit. Un des premiers mérites de l’oeuvre de Foucault est de sortir ces textes chrétiens de la gangue normative et juridique dans laquelle seules nos impérities et nos méfiances laïques les y confinaient (et les y confinent encore).

La « chair » est à comprendre comme un mode d’expérience, c’est-à-dire comme un mode de connaissance et de transformation de soi par soi, en fonction d’un certain rapport entre annulation du mal et manifestation de la vérité. Avec le christianisme, on n’est pas passé d’un code tolérant aux actes sexuels à un code sévère, restrictif et répressif.

Alors que seule une lecture partielle et partiale (plus partiale que partielle d’ailleurs) de la littérature chrétienne peut déceler dans le rapport que la religion entretient avec la sexualité une rupture radicale et dogmatique d’avec celui qu’entretenait la sexualité et, par exemple, la philosophie grecque, une analyse comparée savante et rigoureuse des textes nous apprend que le contraire est bien plus vrai. Ainsi l’organisation chrétienne du rapport à la chair (que ce rapport s’actualise dans les questions de la virginité, du mariage, de la concupiscence, de la pénitence, etc…) s’est-elle bâtie sur des fondements qui, qu’ils lui préexistent ou qu’ils en soient concomitants, ont été bien plus enrichis qu’affaiblis (d’aucuns diront même abêtis) par l’approche chrétienne.

le contrôle externe des pénitents a joué un rôle relativement accessoire par rapport à une autre procédure de vérité, beaucoup plus centrale dans la pénitence : celle par laquelle le pécheur reconnaît lui-même ses propres péchés.

Non content de rétablir l’histoire dans ses droits et de nous rappeler ainsi que la lecture du passé ne peut s’opérer à la « lumière » des filtres ou des hantises de notre époque, Michel Foucault nous démontre brillamment combien cette pensée complexe du rapport à la chair chez le penseur chrétien fut le soutien de l’élaboration d’un rapport de soi à soi d’une extraordinaire richesse. Car, loin de vouloir organiser dogmatiquement, juridiquement ou hiérarchiquement le rapport d’un être à ses faiblesses ou ses fautes, le théologien chrétien chercha surtout à construire à la disposition de celui-ci des procédures lui permettant de les examiner par lui-même. De Clément d’Alexandrie à la rupture augustinienne, la lecture de la chair chez les premiers pères de l’église et des procédures de vérité qu’ils instituent d’abord comme des façons de se contrôler soi-même, d’accéder au vrai par soi-même, et non pas comme des normes externes à respecter aveuglement, tout cela est l’occasion d’observer des moments privilégiés de l’histoire du sujet.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair, Histoire de la sexualité IV, 2018, Gallimard. 

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« Microfictions 2018 » de Régis Jauffret. https://www.librairie-ptyx.be/microfictions-2018-de-regis-jauffret/ https://www.librairie-ptyx.be/microfictions-2018-de-regis-jauffret/#respond Fri, 26 Jan 2018 08:45:52 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7416

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Parfois je commence à dire une phrase qui s’arrête abruptement. Devant elle un précipice, le vide, le bout du langage et rien ne peut plus être dit. Une phrase en suspens qui en entier jamais ne sera pensée. En parole je touche la mort.

Un vie se limite à si peu de chose. Une éclosion d’on ne sait trop où dans un univers dont la plupart des occupants ont déjà saisi l’inutilité. Des années à subir l’ignorance. Quatre à cinq fois plus à souhaiter y retomber, tout en s’ingéniant à reproduire et soi-même et les clichés qu’on s’était jurer ne pas laisser nous guider. Le tout s’achevant dans une mort solitaire.

Je regarde la lune, le soleil. Je vois la population partir travailler, rentrer, s’aérer le dimanche. Les cheveux des passants blanchissent, les corps des sportifs se voûtent, les enfants poussent et ils sont déjà parents avec une grappe de mômes sur les épaules quand je tire les rideaux pour dîner paisiblement en tête à tête avec Béta, le chien de mon enfance, empaillé, éternel, qui m’observe en train de dévorer ma gamelle de son regard de verre. 

Microfictions 2018, ce sont 500 histoires d’approximativement une page et demie rangées par ordre alphabétique, de Aglaé à Zéro Baise. Dans chacune, Régis Jauffret nous convie au chevet d’une vie particulière dont il documente avec une précision au scalpel la déshérence. Sexuelle, sociale, spirituelle, cette déshérence, si elle se manifeste souvent sous des dehors qui peuvent paraître exceptionnels – le meurtre, la déviance perverse, le suicide, etc… – parait cependant toujours bien plus la conséquence évidente et logique du fait d’exister que celle du fait d’exister d’une manière particulière. Comme si le désarroi de ses « anti-héros » désabusés et dessillés nous renvoyait, par leur surenchère même, à celui que nous persistons à nous dissimuler à nous-mêmes. Sans fard aucun, par delà bien ou mal, ce qui nous émeut dans les êtres de Jauffret, c’est leur déchirante sincérité. Et si leur lecture nous interdit certes le confort de l’illusion, elle nous permet cependant – et ce n’est pas rien! – d’y puiser le plaisir lucide et joyeux de la cruauté d’un sort que nous partageons avec eux…

J’arrive même à m’enivrer de la joie qu’à chaque respiration j’éprouve d’exister. 

Régis Jauffret, Microfictions 2018, 2018, Gallimard. 

 

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« Le commencement de la philosophie occidentale » de Martin Heidegger. https://www.librairie-ptyx.be/le-commencement-de-la-philosophie-occidentale-de-martin-heidegger/ https://www.librairie-ptyx.be/le-commencement-de-la-philosophie-occidentale-de-martin-heidegger/#respond Fri, 15 Dec 2017 07:22:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7322

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La manière de se tenir qui est celle, par exemple, de l’oiseau qui chante, nous l’appelons : chanter. La manière de se tenir de l’étant qui est, nous l’appelons : être.

Penons un homme dans le désert s’éloignant d’un puits. Quand pourra t’on dire que le lien qui unit l’homme au puits est le plus fort, le plus palpable?  Sera-ce celui où l’homme s’y abreuve? Ou bien celui où notre homme, déshydraté, n’en concevra plus que le souvenir désespéré? La force du lien qui unit irréductiblement notre marcheur et l’eau du puits n’est-elle pas plus prégnante quand, précisément, l’écart entre les deux les rend indiscernables l’un à l’autre? Ce qui nous lie au commencement de la philosophie est saisissable par cette métaphore. Ce qui doit nous unir à lui est rendu plus urgent par la distance même qui s’est faite entre ce début et ce maintenant.

Traduire n’est pas simplement échanger une langue étrangère contre notre propre langue, mais est ce mouvement qui tra-duit, qui vous trans-porte avec la puissance originale de votre langue à vous au cœur de la réalité du monde qui se fait connaître dans la langue étrangère.

Ce volume des Œuvres de Martin Heidegger est issu d’un cours de 1932 dans lequel, par l’entremise d’un retour aux textes d’Anaximandre et de Parménide, il s’intéresse au commencement de ce qu’on appela par la suite « philosophie ». En pointilleux (et inventif) philologue, Heidegger voit dans ces fragments se dessiner un triple mouvement qui irriguera toute la pensée qui le suivra, quand bien même celle-ci en aura perdu la mémoire précise. En même temps que débute, selon lui, une réflexion sur la connaissance, celle-ci s’incarne dans et par un questionnement sur ce qu’est « être », ce questionnement étant lui-même intrinsèquement traversé par celui de son « apparaître ». Percevoir, commencer, être : trois mouvements dont les dynamiques sont indissociables. Bien plus alors qu’un début issu de rien – et dont il s’agirait aujourd’hui de retrouver la force – de réflexion sur l’être, c’est la question même de ce qu’est « être » qui se trouve donc liée à celle de « commencement ».

Il faut bien garder à l’esprit ceci : il suffit déjà, et seulement, qu’un questionnement s’inquiète de l’être, pour que l’être soit trouvé. Mettre ainsi en question, rien qu’à ce titre, vous apporte la trouvaille essentielle ; et l’être ne demeure cette trouvaille que pour autant et aussi longtemps qu’une question persiste à s’enquérir de lui. […] Seulement pendant ce temps, « il » (l’être) y a être!

On ne résumera pas ici en quelques mots ce texte majeur. On vous invitera à le lire. En toute confiance. Car ce biais – celui de ce livre, comme celui du « commencement » – nous parait être une des portes d’entrée les plus accessibles – oui oui accessible… – à l’une des pensées les plus décisives qui soit.

… car le même est aussi bien percevoir qu’être.

Martin Heidegger, Le commencement de la philosophie occidentale, Interprétation d’Anaximandre et de Parmènide, 2017, Gallimard, trad. Guillaume Badoual.

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« Essai sur le fou de champignons » de Peter Handke. https://www.librairie-ptyx.be/essai-sur-le-fou-de-champignons-de-peter-handke/ https://www.librairie-ptyx.be/essai-sur-le-fou-de-champignons-de-peter-handke/#respond Thu, 16 Nov 2017 07:24:33 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7274

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Qu’il existe non seulement une littérature sur les champignons, mais une littérature où quelqu’un parle des champignons en relation avec sa propre existence, voilà qui semble assez récent.

Nous est racontée ici l’histoire d’un homme qui, déjà enfant, ressentait un attrait presque irrésistible pour les champignons. Non pas leur étude, leur collection, leur recensement ou leur dégustation – bien que tout cela aussi soit venu enrichir son univers mycologique – mais bien plutôt leur recherche. Devenu brillant avocat spécialiste du droit pénal international, puis père, il va peu à peu se faire dévorer par ce qui deviendra une addiction.

« A l’intérieur de moi, je ne suis pas allé plus loin que les lisières des forêts où je filais, quand j’avais sept ans, pour entendre le vent dans les branches. Peut-être que, vu de l’extérieur, selon les apparences, telle ou telle chose est devenue autre, mais pas plus. Que dis-je? Je ne suis rien devenu d’autre! »

Irréductible à un genre, navigant entre le récit, le roman, l’essai ou le conte, cet « essai sur un fou » peut être lu comme on lirait une allégorie. Une allégorie de nos vies, de la littérature, du rapport ténu que nous ne cessons d’entretenir avec nous-mêmes enfant, de l’impossibilité de pouvoir dire siens des autres

Il s’en rendit compte : les siens n’existait pas.

Mais l’allégorie, chez Peter Handke, n’est jamais le résultat prédéterminé d’un processus dont l’auteur se bornerait à exécuter aussi fidèlement que possible le plan. Il ne s’agit nullement pour lui de construire un biais esthétique à un aspect du monde clairement circonscrit, l’allégorie (dire quelque chose pour dire autre chose) servant à éclairer d’un jour tamisé un point bien précis du réel. On y dit bien autre chose que ce qu’on y dit. On y est bien conscient de dire autre chose que ce qu’on y dit. Mais ce qu’on veut y dire vraiment n’est pas entièrement pensé dès l’entame. L’allégorie y a la bride lâchée. L’essai – celui-ci ou tout autre – émerge comme un cèpe sourd du sol. Rétif à toute culture organisée, le champignon est cette chose dont on peut organiser autant que possible les conditions indispensables à son développement, sans être jamais certain de l’y voir éclore. Le champignon, comme la littérature, ne se cultive pas. Il survient.

Il faisait semblant de ne pas chercher pour, en fait, secrètement trouver.

Peter Handke réussit le délicat pari qui consiste à construire très précisément les conditions de survenance d’un événement – ici, la littérature – tout en laissant in fine à celui-ci la possibilité de s’y déployer. Il a compris que pour que quelque chose advienne, il fallait aussi laisser advenir. C’est cela sans doute cette chose que l’on nomme le charme, le mystère ou la magie, et qui, de tout temps et pour toujours, rendra la littérature incultivable…

Peter Handke, Essai sur le fou de champignons, une histoire en soi, 2017, Gallimard, Trad. Pierre Deshusses.

 

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