Nous – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Les hommes et la poussière » de Elio Vittorini. https://www.librairie-ptyx.be/les-hommes-et-la-poussiere-de-elio-vittorini/ https://www.librairie-ptyx.be/les-hommes-et-la-poussiere-de-elio-vittorini/#respond Fri, 30 Nov 2018 08:13:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7983

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La route monte avec sa poussière, puis elle rencontre le vent, et elle court le long du ciel. Les cimes des montagnes apparaissent en contrebas, depuis cet endroit.

Il se passe, au sens courant du terme, peu de choses dans les nouvelles de Vittorini. Il y a Emilio qui rencontre une femme dans le tramway, qui la suit, mais avec laquelle « il ne se passera rien ». Il y a des hommes qui jouent aux cartes et évoquent leur pays. Il y a une jeune fille qui s’imagine vieillir auprès d’un homme qui la délaisse. Mais c’est dans ce « rien » que l’écriture de l’italien parvient à exhumer quelque chose, on ne sait jamais trop bien quoi, qui permet de bien mieux cerner ces existences et leur singularité que ne le ferait l’évocation de ce qui s’y déroulerait de plus marquant. Comme si, précisément, rien ne pourrait se détacher de chacune de nos vies qui pourrait les rendre notable qui ne soit exprimable autrement que par le langage. Que cette possibilité, être singulier, ne tenait qu’à cette condition, être exprimable.

Ce n’était que cela, comme cent autres fois dans une fin d’été : moi assis, un peu fatigué de ma journée, ma bicyclette appuyée contre le mur, mes outils posés à mes pieds, et sur la table un verre de seltz que j’avais commandé depuis longtemps, ,depuis longtemps je l’avais là pour le boire et je ne le buvais jamais. Il n’y avait rien d’autre dans cet après-midi-là, et pourtant c’est ceci et rien d’autre que je saisi de moi, si je veux saisir toute ma vie. Toute ma vie, serait-ce un après-midi à une table en été?

C’est quand il s’attache à ces riens, et à eux seuls, que Vittorini réussit le mieux, d’une part, à toucher au plus juste, au plus précis, et d’autre part, à faire de ses évocations toutes en ellipses des portes d’entrées vers l’universel.  Qu’il cherche par contre, dans un objectif politique, à les encombrer de didactisme, et le subtil équilibre s’effondre.

Tombe la neige, le monde change change. Quelqu’un qui se lève tôt, à sept ans, peut découvrir dans le monde ce qui a changé. Il voit le pur et le féroce, à perte de vue. Mais cela le temps d’un regard, juste une apparence. Ça ne résiste qu’un instant. Les hommes émergent des trous des maisons, et tout redevient comme avant.

Elio Vittorini, Les hommes et la poussière, 2018, Nous, trad. Marie Fabre.

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« Au nord du futur » de Christophe Manon. https://www.librairie-ptyx.be/au-nord-du-futur-de-christophe-manon/ https://www.librairie-ptyx.be/au-nord-du-futur-de-christophe-manon/#respond Fri, 09 Sep 2016 07:45:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6244

Lire la suite]]> Au nord du futur

Nous fabriquions du réel

plutôt que d’y répondre mais où

se cachait-il nous ne le savions plus maintenant où

sont-elles les paroles enfouies sous les décombres celles

qui gisent au plus profond

des temps et les larmes recueillies sur des joues

innocentes qui nous les pardonnera qui

saura les effacer et ont-ils de nos nouvelles les morts en leur séjour pourquoi

se rassemblent-ils en nous comme 

emplissant l’espace de baisers et de cris tandis

qu’au dehors le monde s’effiloche et déploie sa fureur et qu’est-il 

le chant sinon cette parole hésitante et boiteuse d’un 

qui s’adresse et s’incarne et porteur

d’une pensée qui s’invente mais

s’ignore ainsi les mots

agencés dans leur chute.

Au nord du futur reprend trois textes de Christophe Manon, assez disparates dans la forme et dans le ton. Dans le premier, chaque page reçoit son bloc de texte, débutant souvent par un Nous, non ponctué hormis un point final. Dans la deuxième partie (au milieu de la nuit, le jour), des phrases comme semblant parfois déposées au hasard se suivent et s’enchevêtrent malgré les césures. Dans la dernière, la plus « spectaculaire », chaque mot de la phrase est environné d’un halo le reprenant dans des teintes d’un gris évanescent.

nous tenions la réalité à distance et cette distance était la réalité.

Christophe Manon échoue. Comme tant d’autres certes. Mais lui le sait. Et c’est de cet échec, le sien comme de celui de tout geste humain, dont il rend compte. Ainsi avec le « Nous » de la première partie – qui peut désigner le « nous » des bâtisseurs du communisme, comme celui qui vient nommer, génériquement, toute tentative communautaire – fait-il le constat, in fine, de l’échec de son advenue. Ou encore,dans la dernière partie, nous rappelle-t-il l’impossibilité de rendre compte de l’éclat d’une parole, celle-ci s’étant déjà comme muée en cendres.

comme ils faisait sombre et comme cependant nous vivions.

Mais l’échec ne signifie pas la fin de tout. Échouer marque des limites plus que des impossibilités. Ainsi, l’échec retentissant qui se dresse face au « nous » n’empêche-t’il pas de continuer à ériger de la joie. De même que les scintillations ou ombres des mots, qui, derrière le sens qu’ils forment, nous rappellent d’où le sens procède. En nous rappelant l’échec et le fragile de notre condition, Christophe Manon insiste sur « ce jour qui toujours brille au milieu de la nuit ». S’il ne nous est pas donné d’approcher au plus près d’un sens, d’un corps, d’un langage, du moins nous reste-t-il, mais ensemble, la grâce de l’effleurer.

Les mots, en quelque sorte, ne peuvent qu’effleurer ce qui se trouve ainsi hors de notre portée. Mais peut-être permettent-ils au moins d’un peu le partager.

Christophe Manon, Au nord du futur, 2016, Nous.

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« 44 Poèmes » de Reinhard Priessnitz. https://www.librairie-ptyx.be/44-poemes-de-reinhard-priessnitz/ https://www.librairie-ptyx.be/44-poemes-de-reinhard-priessnitz/#respond Tue, 12 Jan 2016 08:44:38 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5678

Lire la suite]]> 44 Poèmesrgarde

 

ah si voir se pouvait,

comme souhaitait l’observé,

parce que regardé voulait,

que fixé le fasse.

 

Lisons ce dernier poème du recueil. S’il ne déploie pas avec ostentation, comme d’autres du même ensemble, la radicalité formelle dont son auteur peut faire preuve, il articule à notre avis assez bien la diversité qui s’y loge. Prenons ainsi cette sensation de vertige qui saisira d’autant plus le lecteur qu’il lira et relira encore le poème en question. Mais aussi l’interjection qui l’ouvre, ce « ah » qui le teinte et le place irrémédiablement dans le registre de l’émotif. Ce « e » qui manque dans le titre et qui attire d’autant plus le regard du lecteur que ce « rgarde » est troué, l’injonction (car c’en est bien une aussi) renvoyant à « le e », autre poème du recueil…

Ruptures formelles, indiscernabilité des sujets et des objets, jeux graphiques, présences des corps (qu’est ce donc que ce « ah » sinon ce qu’un corps expire), recherche permanente de nouvelles possibilités d’expression : à première vue le travail de Priessnitz paraît n’être qu’une tentative de saper les conventions. Mais, par delà cette radicalité assumée et nécessaire, et l’urgence qu’elle recouvre, ce sont bien des émotions qui surgissent in fine à la lecture du poète autrichien. Émotions qui bouleversent d’autant plus qu’elles nous arrivent par le biais d’une normalité chahutée.

« Rgarde », nous dit Priessnitz. En dirigeant notre attention sur le manque dans l’injonction qui est donnée au lecteur, il nous renvoie au préalable à toute lecture. Avant de « lire », nous jetons un « regard ». Et manquer (comme y manque le « e » dans le vers) à l’exercice accompli de ce geste préalable est se priver d’une base solide à toute lecture. En rompant radicalement avec ce qui lui préexiste, sa poésie nous ramène à l’acte primal qui fonde sa lecture.

Reinhard Priessnitz, 44 Poèmes, 2015, Nous, trad. Alain Jadot.

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« Poèmepoèmes » de Oskar Pastior. https://www.librairie-ptyx.be/poemepoemes-de-oskar-pastior/ https://www.librairie-ptyx.be/poemepoemes-de-oskar-pastior/#respond Tue, 09 Apr 2013 07:34:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2423

Lire la suite]]> poèmepoèmesles POEMEPOEMES […] ont les rieurs de leur côté pile tandis que les muses se battent en silence et en face.

Ou pour le dire plus complètement : les poèmepoèmes seraient le résultat de l’inspiration du poète par les muses contaminées par le rire du lecteur à la lecture du poèmepoème.  Une cause influencée par ses effets.  Une spirale.  Une rencontre entre Zénon d’Elée et Rimbaud ou entre Lamme Goudzak et Mallarmé.  Entre le potache limite graveleux et l’érudit limite hermétique.  En un mot : l’improbable.

tout le poème confirme un état de fait complexe et se remet positivement en question.

La force du poèmepoème est de tirer sa poésie de sa propre remise en question.  Il se déploie autour de sa raison même, en fleurit, s’érige de ce qui le fonde, de ce qui en est sa cause.  Tour à tour, il est poème-génération, poème-carnivore, poème-transparent, il se fait chiffre ou répertoire.

le poème a 9 lignes 5 substantifs 6 relatifs 3 métaphores 4 accents 145 lettres la description du poème ci-dessus a presque 2 lignes 7 substantifs 6 relatifs 1 métaphore (comme personnification du poème par l’affirmation qu’il possède les dits ingrédients) 

Le poèmepoème est le lieu où tout s’enchevêtre, s’annule, s’auto-réfère, ne prend consistance (si branlante consistance) que dans l’informe pour y retourner plus vite, et mieux.  Un lieu où tout aussi est jeu sur le poème, sur sa matérialité, sur son inscription dans le temps de sa scanssion, comme dans son inscription sur cette autre matière qu’est le papier.  Un poème dont l’idéal serait le palindrome, car possédant ce centre où tout naturellement revient et s’annule.  Un poèmepoème est un poème bien sûr, mais un poème qui se fait lieu de sa propre effectuation.  Comme si on assistait à Dieu se créant.

L’AVERSION DE RIRE est quant à la brièveté un poème bref si l’on prend la traductabilité dans d’autres langues comme étalon, alors L’AVERSION DE RIRE est à considérer en version sonore L’AVERSION DE RIRE ne fait pas rire du tout mais au point de vue du rire il est un peu moins aversif que risible il n’y a presque rien d’autre à dire à propos de L’AVERSION DE RIRE sinon qu’en louchant sur la théorie de l’branlement L’AVERSION DE RIRE est de par la nature des choses bien secouée.

Le poètepoète est incontestablement quelqu’un qui aime se couper les cheveux en quatre.  Il est ludique car n’aimant rien mieux que jouer à se jouer.  Il est un peu luddiste aussi, car s’attachant à détruire cette machine qu’est le langage dont il joue si bien.  Et le lecteur du poèmepoème, lui, en est un jouisseur.

mais maintenant on peut écrire ce qu’on veut.

Oskar Pastior, Poèmepoèmes, 2013, Nous, trad. Alain Jadot.

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« L’excursion » de Curzio Malaparte https://www.librairie-ptyx.be/lexcursion-de-curzio-malaparte/ https://www.librairie-ptyx.be/lexcursion-de-curzio-malaparte/#respond Wed, 22 Feb 2012 15:07:28 +0000 http://ptyx.argon7.net/?p=261

Lire la suite]]> Les éditions Nous* ont l’excellente idée de nous donner à lire un inédit de l’auteur de Kaputt et de La peau.   

Ce très court récit, retrace le voyage d’exil de l’auteur, décidé par Mussolini, de la prison de Rome vers l’île de Lipari.  Tout cela sous le tamis d’une fiction minimale.  Ainsi, Boz, détenu depuis deux mois dans des conditions qu’on devine vite peu envieuses, est transféré en train, puis en bateau, jusqu’au îles éoliennes.  Encore fièvreux, il est encadré par 3 gardes et un médecin.  Sa mère est autorisée à l’accompagner jusqu’aux rivages de Lipari.   

Ce qui captive ici, c’est la faculté qu’a la langue de Malaparte à dire les sensations d’un être plongé dans l’entre deux.  Entre la captivité et la captivité.  Le voyage est une trêve, une ironique excursion.  Et Boz, entre difficulté de goûter pleinement à une liberté après en avoir été privé, et désir de l’apprécier à plein corps car il la sait fugace, Boz donc, se fait réceptacle avide.  Tout l’imprègne, de la prévenance de ses gardes jusqu’aux infimes détails des paysages traversés.  Et quand le payage s’efface dans la tourmente ou la nuit, la fièvre et les souvenirs affleurant prennent le relais pour apaiser cette soif de percevoir.

On est très loin ici de l’inédit très souvent fond de tiroir, indigne erstatz de l’Oeuvre.  L’excursion est un récit qui vaut pour et par lui-même. 

Curzio Malaparte, L’excursion, 2012, Nous.

* Le matricule des anges, dans son numéro 130 de février 2012, donne la parole à cet éditeur aux choix et catalogue revigorants.

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