Quidam – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Rouge encor du baiser de la reine » de Anne Karen. https://www.librairie-ptyx.be/rouge-encor-du-baiser-de-la-reine-de-anne-karen/ https://www.librairie-ptyx.be/rouge-encor-du-baiser-de-la-reine-de-anne-karen/#respond Wed, 02 May 2018 07:35:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7570

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L’Histoire en a fait un paradigme du tragique : Zoé Porphyrogénète est cette princesse maintenue trop longtemps au gynécée, faite reine sur le tard, régicide sur la personne de son propre époux, amante éperdue et sensuelle, qui dilapida des fortunes et souleva des foules. Michel Psellos est lui la figure fondatrice de ce que l’on nommera l’intellectuel. Né modeste, conseiller des empereurs dès Michel V, polygraphe invétéré, rédacteur de traités sur la philosophie, le droit, la rhétorique, la médecine, il annonce plus de deux siècles en avance le phénomène renaissant. Et entre ces deux figures historiques, l’une pétrie dans la chair, l’autre façonnée par la raison, il y a le nain eunuque Nicétas. Celui-ci, en vingt feuillets recto/verso (censément écrits par le nain lui-même lors de sa retraite en un monastère du mont Olympe, adressés à Michel Psellos et exhumés par un professeur d’université français) nous conte son histoire.

Celui qui n’aime pas demeure dans la mort.

Alors que, très souvent, un sujet « historique » sera l’occasion, pour l’auteur, de contrefaire la langue de l’époque et de s’y complaire – comme si une copie du locus historique suffisait à porter toute une narration – Anne Karen parvient ici à concilier la vitalité qu’apporte le recours à un univers sémantique disparu et celle que lui confère un traitement résolument original. Dans les écrits de Nicétas, le nain eunuque, s’entent alors à la fois le charnel revécu de la grande Histoire et l’intemporel d’un destin partagé par tous. Comme si ce « sans-sexe », cet « indéfini », était le mieux à même de nous rappeler que c’est l’entre-deux, le lien, qui fonde tout ce qu’on cherche parfois à séparer d’une définition bien arrêtée. L’amour est tout. Quel qu’en soit le sexe. Et quand bien même il n’y en aurait aucun.

Qui suis-je? Un fait de beaucoup… L’amour m’a fait, l’amour me défera.

Entre ces deux figures historiques, l’une icône de la raison, l’autre de la sensualité, celle du nain Nicétas, seule figure à n’être tissée que de fiction, pourrait bien devenir, elle, une fabuleuse icône transgenre.

Anne Karen, Rouge encor du baiser de la reine, 2018, Quidam.

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« Dans le jardin d’un hôtel » de Gabriel Josipovici. https://www.librairie-ptyx.be/dans-le-jardin-dun-hotel-de-gabriel-josipovici/ https://www.librairie-ptyx.be/dans-le-jardin-dun-hotel-de-gabriel-josipovici/#respond Mon, 06 Mar 2017 09:11:56 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6580

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-Je suis désolé.

Alors que sa relation avec Sandra vient de s’achever, Ben raconte à Rick et sa compagne Francesca, ses amis proches, sa rencontre avec Liliane. La jeune femme est venue en Italie, à Sienne, pour y rechercher un jardin dans un hôtel, où sa grand-mère serait tombée amoureuse d’un jeune violoniste, avant la guerre qui le verra disparaître dans les camps. Peu à peu, leur rencontre les transforme.

Uniquement composé de dialogues, Dans le jardin d’un hôtel, comme souvent chez Josipovici, se pare des habits du banal. Une promenade avec le chien, une ballade en montagne, boire un cappuccino ou un thé à la menthe, converser de tout et de rien, parler « du temps qu’il fait »… Rien que d’insignifiant.

-C’est juste une de ces choses qui n’ont pas de sens en soi, dit-elle. Ça prend seulement un sens sur la durée, pour ceux qui sont concernés.

Gabriel Josipovici a compris que certaines choses ne peuvent prendre de sens que racontées. Et qu’il n’est possible d’en faire déceler l’importance qu’en leur adjoignant une forme qui puisse les extirper du banal. Pour ceux qui sont concernés (pour ceux que magiquement, comme en s’en excusant, la plume de Josipovici parvient à concerner), ces riens qui tissent tout d’une vie trouvent ici une forme qui rend génialement grâce au génie d’un des esthètes les plus accomplis de l’art de raconter.

Gabriel Josipovici, Dans le jardin d’un hôtel, trad. Vanessa Guignery, 2017, Quidam.

 

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« Le Silence » de Reinhard Jirgl. https://www.librairie-ptyx.be/le-silence-de-reinhard-jirgl/ https://www.librairie-ptyx.be/le-silence-de-reinhard-jirgl/#respond Mon, 24 Oct 2016 06:13:26 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6305

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Le Silence

 

?Pourquoi tant de ?nuit dès que tu te tais. Le Silence….. – – Il fait nuit é silence….. quand tu cesses de te souvenir. Or le souvenir est le sang qu’il faut sacrifier ici.

En 2003, Georg Heinrich (Ferdinand) Adam, âgé de 68 ans, médecin à la retraite et veuf depuis trois ans, se rend à Francfort-sur-le-Main pour y rencontrer son fils Henry. Avant son départ pour les Etats-Unis où l’attend une chaire de Maître de conférences en littérature et civilisation allemandes, ce dernier a en effet exprimé le souhait de revoir, peut-être pour la dernière fois, non son père, qu’il n’a pas revu depuis bien longtemps, mais son chien Max. Sur les conseils de sa soeur Félicitas, Georg projete de lui confier à cette occasion un album de photographies familiales. Lors de leur rencontre sur les rives du Main, ils sont pris à partie par une bande de jeunes trafiquants de drogue. Georg est alors victime d’un grave traumatisme crânien.

Devant !Cesdélires de victoires&destructions on oublie ce qui en fait leur support : 4 murs, 1 toit, quelques hectares de terre, & des enfants – une progéniture destinée à la régénération des guerres&victoires…..

S’ensuit alors, entrecoupée du descriptif des photographies ou de documents administratifs et racontée par les voix diverses de ses membres, vivants ou morts, l’histoire de cette famille. Des débuts troubles du précédent au vingt-et-unième siècle naissant, d’une guerre l’autre, d’un régime politique à son extrême inverse – qui, comme l’image dans le miroir, n’est qu’un autre point de vue sur le même -, du côté d’un mur à un autre, les narrateurs dessinent, de l’intérieur, une saga au vitriol de leur famille mais aussi du vingtième siècle allemand.

– -: Entre les mots tracés sur chaque papier s’1ncruste le-temps séché dont la main invisible a accompagné toute oeuvre d’écriture

Comme la saga islandaise se proposait de pérenniser par l’écrit les faits et gestes des rois, des évêques, des héros islandais – en un mot de tout ceux dont les actes étaient « dignes de mémoire » -, Le Silence, en en reprenant peu ou prou des principes mais en les « pervertissant », construit comme une mythologie du vingtième siècle allemand. Entre les crimes, les incestes, les haines familiales, les attachements au sol ou au pouvoir qui parsèment l’histoire d’une famille « normale », c’est d’un Olympe terriblement réel que Reinhard Jirgl dresse le portrait.

Et parce que la peur des hommes est immense, ils passent leurs plus belles heures à converser & à dépeupler avec leur plume les forêts les plus denses – car le mutisme é le silence signifient la Mort. La Mort – Plus d’1 la souhaite pour=autrui ou pour=lui=même, mais personne ne sait quoi que ce soit de la Mort. Et les propos s’envolent dans les airs comme les rumeurs, la passion d’écrire suffit jusqu’au bout de la phrase tracée -, puis alors passion & écriture se dessèchent en maculature, sombrent dans un silence noir et de plus en plus noir, comme une encre répandue – lentement absorbée par la feuille de papier, – jusqu’à ce que toute écriture s’éteigne dans le noir d’encre.

Face au langage de l’administration, du document normé, du compte-rendu, qui impose d’autant plus sèchement les diktats du monde dont il émane qu’il en vient à imbiber jusqu’aux discours de qui prétend s’y opposer, Jirgl est l’un des rares à avoir compris – et à mettre en pratique – que se défaire de ces diktats ne se pouvait qu’en érigeant un langage qui les minerait. Syntaxe bégayante, ponctuation signifiante à part entière, liaisons lexicales, oralité affirmée sur la page, aux antipodes du « jeu de mots », de la recherche d’effet par le ludique, l’inscription graphique « particulière » de Jirgl, tout en ne perturbant qu’a minima sa perception orale (le lire à voix haute vous en apportera la preuve), à la fois documente et rappelle ce dont le langage procède, tout en lui ouvrant de nouvelles perspectives.

Et à  ceux qui, de prime abord effrayés, heurtés par son aspect non-conventionnel, reculeraient a priori devant la prose de Jirgl, il convient de marteler encore et encore que « oui, c’est pour tout le monde », que « non, c’est pas si compliqué » et que « oui, décidément, le Beau – pour une fois allons-y d’une majuscule – vaut bien ce si mince effort ».

Vient le temps de faire silence. !Silence !Silence Tous les mots touchent à leur fin –

Reinhard Jirgl, Le Silence, 2016, Quidam, trad. Martine Rémon.

Les sons ci-dessus proviennent de l’émission Les Glaneurs, émission sur Musique 3 pilotée par Fabrice Kada. Nous y étions invité ce soir là en compagnie de Edgar Szoc et Septembre Tiberghien.

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« Infini, l’histoire d’un moment » de Gabriel Josipovici. https://www.librairie-ptyx.be/infini-lhistoire-dun-moment-de-gabriel-josipovici/ https://www.librairie-ptyx.be/infini-lhistoire-dun-moment-de-gabriel-josipovici/#respond Tue, 26 Jan 2016 08:53:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5657

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Infini l'histoire d'un moment
Quand le compositeur comprend que l’éternité et le moment ne sont qu’une seule et même chose il n’est pas loin de devenir un vrai compositeur.

Le narrateur interroge un dénommé Massimo à propos d’un certain Tancredo Pavone, dont il fut des années durant le fidèle majordome. Rapportée par ce dernier, nous est alors dévoilée pour parties l’existence de ce riche, noble et excentrique compositeur qui traversa le vingtième siècle. Libre, originale, agrémentée de ses amitiés avec les plus grands de l’époque (Michaux, Jouve, Bernstein) et d’autant de voyages « exotiques », la vie de Pavone se lit comme la découverte et la remise en jeu permanente de ce qu’est une vie.

Il faut faire sa musique dans cet espace intérieur. Il faut meubler cet espace intérieur avec suffisamment de meubles pour vivre avec un minimum de confort.

Riches d’influences diverses, de revirements radicaux (dont il est toujours plus facile de se remettre quand on est particulièrement fortuné), si sa relation à son métier, totale et entière, est bien faites d’atermoiements conceptuels et d’avis arrêtés, elle n’est pas non plus une errance sans fin. Loin s’en faut. Car peu à peu se fait jour en Pavone une idée de plus en plus précise – et tranchée – de ce que composer veut dire. Et qui font de ce livre une des plus remarquable réflexion sur la musique qu’il nous ait été donné de lire.

L’art de la composition […] c’est l’art de laisser aller, pas de retenir.

C’est en jouant une seule note encore et encore et encore que l’on atteint le cœur de cette note.

Mais cette réflexion ne serait pas grand chose si elle ne se redoublait pas, dans le corps même du texte, de sa mise en acte. Car si la musique, la vraie, ne peut s’atteindre que par l’apprentissage d’un « laisser-aller », d’une concentration absolue et focalisée sur une note, en rendre compte vraiment ne se peut qu’en en matérialisant le procédé sur la page.

Le chant va quelque part, la psalmodie est déjà là.

Le début abrupt du roman, les « continuez » qui en constituent le rythme, l’indétermination des narrateurs, leur disparition progressive dans le flux de la parole, tout cela concourt à faire de ce récit une psalmodie dont émerge, quintessencié, l’art subtil de dire.

C’est la musique qui compte.

Gabriel Josipovici, Infini, l’histoire d’un moment, 2015, Quidam, trad. Bernard Hoepffner.

Les sons ci-dessus sont tirés de l’émission Les Glaneurs sur Musique 3, produite pas Fabrice Kada et réalisée par Katia Madaule.

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« Pas Liev » de Philippe Annocque. https://www.librairie-ptyx.be/pas-liev-de-philippe-annocque/ https://www.librairie-ptyx.be/pas-liev-de-philippe-annocque/#respond Tue, 20 Oct 2015 07:46:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5542

Lire la suite]]> pas-lievOn peut très bien parler des choses sans les nommer.

Liev se rend à Kosko pour y assurer l’honorable profession de précepteur. Ou peut-être pas. A Kosko, Liev vivra aussi une belle histoire d’amour. Ou peut-être pas. Le monde est opaque, à moins que ce ne soit l’homme. L’opacité est une maladie mentale. Ou peut-être pas. Liev est Liev. Ou peut-être pas.

Cette présentation de l’éditeur – que l’on prolonge des deux dernières phrases – nous plonge au cœur de ce qui fait pour partie le sel de ce Pas Liev : l’incertitude. Tout y paraît fuyant, mouvant, possible mais sans rien pour y arrêter la possibilité. A tel point pour Liev que répondre à la question de son nom par « Liev » lui paraît étrange…

Il est rare que la réalité coïncide parfaitement avec l’idée que l’on s’en fait.

Ces sont ces écarts qu’investit jouissivement Philippe Annocque. Comme y enfonçant le coin de son écriture, il y dépose subrepticement l’un après l’autre les rouages d’un drame qu’on sent advenir bientôt sans en pressentir les enjeux. Un mur puis une relation sexuelle puis un vélo puis une brique rouge. Rien que de très concret donc. Mais dont leur insertion dans une atmosphère mâtinée de doute – qui parle vraiment? d’où? et pourquoi? – rend leur présence plus palpable, et inquiétante.

Alors il s’est passé quelque chose d’incroyable. D’autres fois, dans l’avenir, il se passerait aussi des choses incroyables ; mais cette fois-là, c’était la première.

Jusqu’à sa terrifiante – et géniale – conclusion, Pas Liev interroge nos propres difficultés à trouver un ancrage en ce monde, à s’y reconnaître. Difficultés parfois insurmontables et qui peuvent alors inciter à l’irréparable. Que ne sommes nous capables de faire pour laisser dans ce monde une marque qui nous « y atteste »! Dans Pas Liev se joue une partition haletante dont le lecteur ressort lui-même incertain. De ce qu’il a lu. Mais aussi, peu ou prou, de lui-même.

C’était toujours étonnant et c’était comme ça. C’était étonnant et il n’y avait pas de quoi s’étonner.

Philippe Annocque, Pas Liev, 2015, Quidam.

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Brian Stanley Johnson. https://www.librairie-ptyx.be/brian-stanley-johnson/ https://www.librairie-ptyx.be/brian-stanley-johnson/#respond Thu, 11 Dec 2014 08:48:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4780

Lire la suite]]> bs-johnson

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Considérablement enthousiasmé par Brian Stanley Johnson depuis longtemps (addiction dont nous pouvons fournir des preuves ici, , ou là encore), nous avons décidé de n’en pas rester à une communication écrite de notre passion.  C’est pourquoi vous pourrez trouver ci-dessous une preuve sonore de notre prosélytisme. Ecoutez ou pas, mais, surtout, lisez-le!

 

« Temps de pause » est une émission de Musique 3 proposée, goupillée, interprétée et légitimée par Anne Mattheeus et Fabrice Kada.

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« Irene, Nestor et la vérité » de Catherine Ysmal. https://www.librairie-ptyx.be/irene-nestor-et-la-verite-de-catherine-ysmal/ https://www.librairie-ptyx.be/irene-nestor-et-la-verite-de-catherine-ysmal/#respond Fri, 15 Mar 2013 09:22:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2229

Lire la suite]]> Irene Nestor et la véritéJ’ai toujours rêvé d’aller au bout.

Il y a Irène. Il y a Nestor.  Il y a Pierrot.  Tous trois soliloquent.  Et au travers de leurs discours, véritables flots de mots, phrases ressassées, se lit l’histoire d’un couple qui se défait devant l’ami qui n’y peut rien faire.  Les deux membres du couple se murant chacun dans son silence.

Irène a donc commencé à se taire, comme si toutes les choses du quotidien ne l’intéressaient plus…. Durant cette période, elle parlait encore mais je ne peux dire de quoi. Ça lui sortait spontanément, sans effort, une sorte de flot. Difficile de donner des éléments concrets puisqu’il n’y en avait pas. Nuage, fleur, métier, ouvrage, voyage, apparition, disparition, exil. Doucement. Puis, tout d’un coup, une digue rompait. L’incohérence, des liens, de la colère. Je crois qu’elle détestait ce monde. J’ai compris qu’elle était malade. C’était elle l’amère et la méchante. Je le comprenais à de petites choses dans lesquelles je ne retrouvais plus ma femme. La couverture du lit n’était plus ramassée, ou, si elle l’était, les coins en étaient moins carrés. Les plats étaient trop salés, mon verre jamais tout à fait propre. Même mes affaires traînaient, elle ne prenait même plus la peine de les congédier dans le tiroir. Elle les poussait sur le côté de la table pour poser nos deux assiettes.

C’est d’un silence fait de mots qu’ils tissent chacun leur rapport à l’autre.  D’une parole qu’ils fabriquent chacun et dans laquelle ils se retranchent jusqu’à ne plus avoir d’ancrage commun.  Là où se taire laisserait encore la possibilité d’une communion, les mots qu’ils s’inventent les éloignent irrémédiablement.  Là où Nestor choisit cette forme de mise en ordre qu’est l’apitoiement sur soi-même et l’auto-justification, Irène, elle, plonge dans le désordre.

C’est quoi mon histoire?  Où se trouve-t-elle?  Dans quelles écritures et destins, hasards, circonstances?  Je n’ai jamais parlé ainsi depuis longtemps, pas même d’une robe – je les aimais toutes ; pas non plus des pierres, que je ne voyais que d’une couleur alors qu’aujourd’hui, j’en perçois les miroitements, les aspérités et la matière lisse, les bouleversements.  Comment s’appelle ce chat qui se glisse à mes côtés et qui disparaît?  De ma bouche ne s’élève aucun cri et pourtant je me dis pétrie de hurlements.  Je le sais de mes joues chaudes et de mon ventre qui grouille.  Des mots inconnus.  Des sensations nouvelles.

« Percevoir les miroitements d’une pierre » et en rendre compte.  Les écrire.  C’est le miracle d’une écriture unique qui parvient si bien à creuser le réel qu’elle en déplace les frontières.  Dans ce magistral drame intimiste, Catherine Ysmal réussit à nous faire toucher du doigt le désordre.

Catherine Ysmal, Irène, Nestor et la vérité, 2013, Quidam.

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Quidam ou de de la nécessité d’acheter. https://www.librairie-ptyx.be/quidam-ou-de-de-la-necessite-dacheter/ https://www.librairie-ptyx.be/quidam-ou-de-de-la-necessite-dacheter/#comments Fri, 30 Nov 2012 09:09:40 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1684

Lire la suite]]> La maison d’édition Quidam fut fondée voici un peu plus de dix ans.  Quidam nous a fait découvrir entre autres des auteurs comme Reinhard Jirgl, BS Johnson, Menis Koumandareas, Gabriel Josipovici, Kate Braverman, pour les étrangers et Philippe Annocque, Romain Verger, Victoria Horton, Jérôme Lafargue ou Denis Decourchelle pour les auteurs français.  Ceux qui ont la chance de naviguer dans ce catalogue exceptionnel savent qu’il ne s’agit pas là d’oeuvres anecdotiques mais de celles qui ont vocation à rester.

Oui, mais voilà, l’enrichissement du catalogue n’est pas allé de pair avec celui, financier, de la maison.

Hier, donc, Quidam était au bord du gouffre.  Et aujourd’hui il est dedans.  Mais tant que le fond n’est pas touché, l’espace est là où agir est encore utile.

La marche à suivre est donc la suivante :

Si vous êtes libraire (on ne s’adresse ici qu’à ceux ne connaissant pas Quidam, ou, ce qui revient au même, que par ouï dire), si vous êtes libraire donc, vous vous dégagez de vos a priori (non Quidam, c’est pas intello, oui il y a des livres « faciles » dans le catalogue) vous vous adressez là : [email protected] et vous commandez, ébahi par les conditions de fête proposées par l’éditeur aux abois.

Si vous êtes lecteur (ou pas en fait, le but est exclusivement d’acheter), vous vous présentez chez votre libraire.  Avec votre plus aimable sourire, vous lui demandez de commander pour vous un titre chez Quidam (si vous connaissez Quidam, vous savez que tout y bon, sinon tentez « Les Malchanceux » de BS Johnson, ou « Tout Passe » de Josipovici, ou encore « Murmures de glace » , par exemple).  Si votre libraire vous dit que « les titres de cet éditeur ne sont malheureusement plus disponibles », vous lui répondez : « Mais mais si, mon bon monsieur.  Ils le sont en direct auprès de l’éditeur à des tarifs qui plus est très avantageux. »  Si votre libraire obtempère avec le sourire (ou sans sourire d’ailleurs, le but, nous le rappelons, est d’acheter du Quidam, pas de vous renseigner sur l’état de la dentition du libraire en question), s’il obtempère donc, nos recommandations s’arrêtent là.  Si le vendeur de livres (car là, bien sûr, on ne parle plus de libraire) vous répond obséquieusement (ou pas) que « ce n’est pas possible, vous comprenez, les frais de livraison, le travail supplémentaire, quidamc’estquoiça, vous ne prendriez pas plutôt  « Joyeux noyel » c’est de saison,… », regardez le fixement, traitez le d’ignare, aiguisez votre vocabulaire le plus ordurier à la lame de sa bêtise, tournez les talons, claquez avec fracas la porte de son commerce (qui n’est plus, précision utile, une librairie (plus probablement encore ne l’a jamais été)), promettez vous de n’y plus remettre les pieds et tenez parole.  Une fois calmé (prenez au besoin un calmant parce que ça urge) passez votre commande à cette adresse : [email protected], c’est-à-dire en direct.  Attendez votre livre (ou vos livres si vous êtes riche) et lisez le(s).

Et pourquoi tout cela?  Hé bien, pour éviter que vous ne puissiez plus trouver sur les tables de vos librairies demain (et donc après-demain dans vos bibliothèques et les jours suivants dans les têtes de vos enfants) que des niaiseries, qui plus est se ressemblant toutes, dont le seul et unique objectif est d’être achetée ou de faire acheter (un film, du chocolat voire du vin, mais surtout d’autres niaiseries).  Et comme ne lire que des niaiseries rend niais, et que personne ne veut devenir niais, ni souhaitez aux autres de le devenir, vous oeuvrez pour vous et la salubrité publique.

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« Tout passe » de Gabriel Josipovici. https://www.librairie-ptyx.be/tout-passe-de-gabriel-josipovici/ https://www.librairie-ptyx.be/tout-passe-de-gabriel-josipovici/#respond Tue, 11 Sep 2012 21:08:09 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1365

Lire la suite]]> – L’ennui, avec la plupart des oeuvres littéraires, dit-il, c’est qu’elles vous abordent frontalement. Ca ne se passe jamais comme ça dans la vraie vie. Les choses se contentent de nous passer devant et nous en avons à peine conscience que déjà elles sont parties.

Gabriel Josipovici se situe justement dans ce passage.  Son écriture happe ce qui ne fait que passer.  Elle est une trace.  De l’existence de Felix, derrière une fenêtre fêlée, elle saisit les bribes.  Les enfants, l’amour, l’amitié, la mort des autres et celle dont on fait l’expérience, les projets d’écriture, Rabelais, Sterne, Beethoven…  Et, peu à peu, se révèle sous nos yeux toute une vie dans ce qu’elle a de beau, de touchant, de partagé et d’unique.

Dans ce très court texte qui invite à être lu et relu, l’auteur réussit le pari de dire ce qui compte d’une existence dans une économie extrême.  Dépouillée, presque synoptique, la prose est ici comme une collection d’éphémères, de ce qui passe, et dans laquelle se donne magnifiquement à lire un tout.

Et une voix dit : Tout passe.  Le bien et le mal.  La joie et la peine.  Tout passe.

Gabriel Josipovici, Tout passe, 2012, Quidam, trad. Claro.

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« Chalut » de Bryan Stanley Johnson https://www.librairie-ptyx.be/chalut-de-bryan-stanley-johnson/ https://www.librairie-ptyx.be/chalut-de-bryan-stanley-johnson/#respond Fri, 24 Feb 2012 17:07:11 +0000 http://ptyx.argon7.net/?p=275

Lire la suite]]> Chalut est le troisième roman de B.S. Johnson.  Publié en 1966, il réalise pour la première fois, et radicalement, l’un des grands projets de l’auteur : écrire un roman dont serait expurgé tout élément de fiction.

Un homme, le narrateur, dont on comprend immédiatement qu’il s’agit aussi de l’auteur, s’engage comme « plaisancier » à bord d’un chalutier pour trois semaines de pêche hautière.  Nous sont alors contés la vie à bord du bateau, des souvenirs d’enfance et d’amour de l’auteur, les souffrances liées à son mal de mer…

On est cependant loin de l’autobiographie.  A son opposé même.  Car le biographe est celui qui revient par son discours sur une expérience passée, sans que rien de nécessairement volontaire ne viennent lier l’expérience vécue à l’écriture de celle-ci.  La volonté d’écriture suit la vérité de la chose vécue.  Ici, B.S. Johnson renverse le paradigme.  C’est le projet d’écriture qui précède l’expérience.  L’auteur s’engage sur le chalutier dans le but avoué d’en conter l’expérience.  

Mais cette expérience n’est bien sûr pas choisie au hasard.  Si son objectif est d’être relatée, elle ne le mérite que par ce qu’elle révèle.

Je veux donner une forme substantielle bien que symbolique à un sentiment de solitude que j’ai ressenti toute ma vie en choisissant de m’isoler complètement, en pratiquant une solitude radicale, en me coupant le plus possible de tout ce que j’ai connu auparavant.

On pourrait traduire par : je veux écrire un roman du ressenti de ma solitude en expérimentant cette solitude jusqu’à son terme radical.  Et pour ce faire, sa prose se fait lyrique.  La forme se fait monolithes entrecoupés de brèves séquences saccadées, seule à même de rendre les rythmes qu’imposent à l’acte de se souvenir le mal de mer et la fatigue.  Mais surtout, comme toujours chez B.S. Johnson, l’artifice s’efface derrière la vérité qu’elle sert.  Et ici, cette vérité est celle de l’isolement essentiel de chacun, celle de « l’homme (…) monade sans fenêtre » (H.Leibniz).

B.S. Johnson, Chalut, 2007, Quidamn.

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