le lecteur, ce con! – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 Le panda rouge, le stock et le jardin. https://www.librairie-ptyx.be/le-panda-rouge-le-stock-et-le-jardin/ https://www.librairie-ptyx.be/le-panda-rouge-le-stock-et-le-jardin/#comments Thu, 13 Jul 2017 12:52:28 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7002

Lire la suite]]>  

Prenez l’être le plus « mignon » auquel vous puissiez penser. Un chaton, un hamster, un dauphin, un panda rouge, un nouveau-né (défripé). Par exemple. Faites lui subir les pires avanies. Épuisez sur lui vos idées les plus perverses. Torturez-le, déchiquetez le. A feu doux, maintenez en lui un fifrelin de vie qui puisse juste témoigner de sa souffrance. On défie alors quiconque apercevra dans ces moments l’être miaulant ses douleurs, bavant ses miasmes et empuantissant l’atmosphères de ses sucs, de se défaire d’un mouvement de répulsion. Hé bien, en 2017, la littérature, c’est un peu ça…

En crise depuis de nombreux mois maintenant, le secteur du livre, inquiété dans son ensemble par cette colossale baisse de chiffre d’affaires (à deux chiffres tout de même), semble, pour partie, s’être libéré de toutes contraintes pour « prendre le problème à bras-le-corps ». Et, dans l’optique des joyeusetés de septembre, cela nous vaut de constater, s’il en était encore besoin, que l’être humain acculé, ne pouvant donc reculer, ne recule décidément devant rien. Modeste tour d’horizon…

–  L’éditeur (et l’auteur) en danger croit mordicus que l’excès est propice à survivre. Comme le supplicié s’accroche à ses grincements de dents, l’auteur (et l’éditeur) en sursis s’accroche à ses métaphores  :

J’ai encore sur mes lèvres carbonisées le goût des siennes – c’étaient des lèvres douces et tendres comme la chair des papayes, elles avaient la couleur rose du jus de grenade et le goût de noisette des graines de sésame qui parsèment les petits pains du matin et qu’elle aimait lécher le soir sur les doigts de ma main

la mer était très salée, mais déjà douce et tiède, sirupeuse : on aurait dit un mélange de miel et de lait dans lequel une salière géante se serait déversée

A vingt et un ans, à peine dépucelés de l’entrejambe, on était encore puceau de l’horreur.

Un siècle inconnu piaffait d’entrer dans l’histoire et de se faire un nom.

Pourquoi ne suis-je pas en toi, là, tout de suite, maintenant, tout au fond, bien au fond, mon épée de Zorro dans ton fourreau?

Ces quelques subtiles métaphores arrachées à la littérature septembrienne démontrent (attention, nous aussi on peut s’y coller lourdement) que la planche de salut est souvent glissante et que, seul, le nom de la tête de nègre ou du pet de nonne n’en donne pas le goût. Autrement dit l’excès d’une forme, plutôt que dissimuler un fond, en révèle souvent magnifiquement l’indigence.

–  L’éditeur acculé sait aussi faire feu de tout bois. Ne pouvant plus se contenter de la qualité seule des pages noircies par ses « poulains » pour les fourguer au public de la rentrée, il cherche à « teaser ». Et pour ce faire, quoi de mieux qu’une bonne « bande-annonce » :

Bande-annonce stock.

Non content d’y apprendre que Eric Orsenna est aussi un acteur manqué, qu’un auteur a des horaires pour écrire, que la dernière phrase d’un livre c’est « comme une petite mort », qu’écrire « c’est réinjecter de la vie dans la vie », que Simon Liberati écrit par ce « qu’il sait le faire » et « qu’au bout de sept romans, on peut dire qu’on est écrivain », non content d’apprendre toutes ces choses essentielles, donc, on y assiste surtout à une séance de poses d’une richesse rare. On se dit, après, que si c’est ça qu’on nous propose à – 14 %, à – 30 %, une bande-annonce Stock, c’est Youporn.

–  Enfin (un « enfin » tout rhétorique, car la liste est longue), l’auteur à l’agonie, se dépêtrant dans les ennuis financiers, ne pouvant compter comme avant sur de confortables royalties, se doit de « diversifier ses revenus ». Heureusement pour lui, si la vente est en berne, l’aura de « l’Auteur » et l’espoir « d’en être » demeurent. Ce qui permet à l’auteur aux abois de faire miroiter à l’aspirant-écrivain (qui, rappelons-le, ne pourra se dire « écrivain » qu’au septième pensum) la gloire d’être édité. Ce dont l’ultime réalisation se donne à voir dans cette merveille absolue. Car la pire erreur pour un écrivain, c’est « d’écrire à côté de soi ».

L’empathie pour qui meurt a ses limites. Dont l’une, essentielle à notre humble avis, est de le faire sans s’épancher. Le spectacle de l’agonie convulsive de cette littérature qui nous tient quand même un peu à cœur, nous donnerait presque envie de l’achever d’un rageur coup de talon…

]]> https://www.librairie-ptyx.be/le-panda-rouge-le-stock-et-le-jardin/feed/ 3
Meilleures ventes 2016. https://www.librairie-ptyx.be/meilleures-ventes-2016/ https://www.librairie-ptyx.be/meilleures-ventes-2016/#respond Thu, 08 Dec 2016 11:38:45 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6461

Lire la suite]]> death

 

Ah! La péréquation! Cette idée selon laquelle une librairie ne peut survivre – sans parler de vivre, modalité d’existence qui lui semble d’emblée refusée – qu’en vendant des tombereaux de livres convenus! Il en irait ainsi du libraire comme de l’orpailleur mosan : ce n’est qu’en remuant des tonnes de boues nauséabondes qu’une once de métal précieux pourrait être exhumée. Commerce oblige* et nonobstant son aspiration culturelle** , le libraire est contraint, pour prolonger son agonie, de proposer au chaland, par camions entiers, ce que ce dernier s’attend à ce qu’on lui propose. Prétentieux que nous étions, nous pensions pouvoir échapper à ce sombre tableau. Mais, très vite, le commerce reprenant ses droits, nous dûmes, la queue entre les jambes, revenir à la dure réalité du monde d’aujourd’hui.

Ah! Qu’il serait beau ce monde où il ne serait nullement besoin – mercantilement s’entend – d’attirer vers la profondeur des réponses des éditions Jouvence ou de la pop philosophie la plus actuelle, par les biais si communs de la poésie contemporaine ou de la philosophie analytique. Ah! Que d’exemplaires (une soixantaine à l’heure actuelle) d’un pâle questionnement sur la toponymie indienne ne dûmes nous pas écouler pour enfin fourguer (et encore! après commande!) 3 exemplaires du dernier prix-littéraire-le-plus-important-de-toute-la-francophonie! Quelle ironie de constater que notre survie tient à la trentaine d’exemplaires de cette obscure réécriture poétique du chef-d’oeuvre d’un anglais du seizième siècle et non à ce seul volume de Fanfan la Tulipe du futur président français (et encore sa commande fût-elle suggérée à son futur jeune lecteur par son école!). Le classement ci-dessous témoigne, toute honte bue, que ce monde, si attirant fut-il, n’est que mirage et poudre aux yeux!

 

  1. Renaissance Noire de Miklos Szentkuthy, 2016, Vies Parallèles.
  2. Notre Château de Emmanuel Regniez, 2016, Le Tripode.
  3. Il est mort de Marc Cholodenko, 2016, P.O.L.
  4. Etrange Clair de Lune de Conrad Aiken, 2016, La Barque.
  5. L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert de Keith Basso, 2016, Zones Sensibles.
  6. L’Arabe du futur 3 de Riad Sattouf, 2016, Allary.
  7. Le Nouveau Nom de Elena Ferrante, 2016, Gallimard.
  8. D’où viennent les mathématiques de de Rafael E. Nunez, 2015, Manucius.
  9. La Chambre peinte de Inger Christensen, 2015, Le Bruit du temps.
  10. Merci de Pablo Katchadjian, 2015, Vies Parallèles.
  11. Grand cirque déglingue de Marco Lodoli, 2016, P.O.L.
  12. Panique au village des crottes de nez de Mrzyk & Moriceaus, 2015, Les Fourmis Rouges.
  13. Lesabendio de Paul Scheerbart, 2016, Vies Parallèles.
  14. La Cage de Kerry Howley, 2016, Vies Parallèles.
  15. Cendres des hommes et des bulletins de Pierre Senges et Sergio Aquindo, 2016, Le Tripode.
  16. Brouillards Toxiques de Alexis Zimmer, 2016, Zones Sensibles.
  17. You de Ron Silliman, 2016, Vies Parallèles.
  18. Utopia de Bernadette Mayer, 2016, BAT/<0> future <0>.
  19. Insectopedie de Hugh Raffles, 2016, Wildproject.
  20. Le Suppléant de Fabrizio Puccinelli, 2016, Héros-Limite.

 

* le raisonnement est simplissime : la majorité des gens n’étant pas futfut, il convient de leur vendre des livres pas trop futfut, sinon le libraire meurt, et avec lui le livre futfut. Car, c’est évident, même s’il n’en vend pas ou peu ou sous le manteau ou jamais, le libraire aime à s’entendre dire qu’il reste l’indispensable véhicule du livre futfut.

** le raisonnement est simplissime : la majorité des gens n’est pas futfut, mais le libraire, lui, l’est. Mais aussi – et c’est peut-être la seule chose qu’il ait en commun avec la majorité pas futfut – il n’a pas envie de mourir, et donc il vend quand même des livres pas futfut. La meilleure preuve que le libraire est futfut, c’est que, premièrement, il sait, lui, que la majorité n’est pas futfut et que, deuxièmement, il sait analyser sa propre situation avec une rigueur et une clairvoyance rares, dont découlent directement les énoncés suivants : « Ben oui, mais c’est comme ça », « On est bien obligés », « On préférerait ne pas, mais, vous savez, hein, les gens »…

 

]]> https://www.librairie-ptyx.be/meilleures-ventes-2016/feed/ 0
Racolage, usurpation et meurtre. https://www.librairie-ptyx.be/racolage-usurpation-et-meurtre/ https://www.librairie-ptyx.be/racolage-usurpation-et-meurtre/#comments Thu, 03 Nov 2016 10:29:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6383

Lire la suite]]> talese

 

Ces dernières semaines sont parus, à peu de jours d’intervalle (quatre en fait), deux livres qui, s’ils ne sont certes pas les mêmes (ben non) entretiennent bien plus de parenté qu’il n’y paraît (ben oui). Et dont, in fine, la différence ne réside pas où l’on pense.  A leur corps défendant (du moins pour l’un d’eux).

Suivez le fil. Il sera un tantinet long. Mais il se pourrait qu’il soit parfois drôle…

assassinAssassin se présente comme le récit de l’expérience de Bernard Wesphael, par lui-même, de l’accusation du meurtre de sa femme, de la détention qui s’ensuivit et des affres de son procès. Volonté de réhabilitation, revanche sur un système judiciaire ou médiatique qu’il juge partiaux, description sans fard du système carcéral, vengeance ad personam à peine voilée, Assassin, sorti le lendemain de l’acquittement de son auteur, coûte 19.90 €.

 

 

 

 

Bernard Wesphael, Assassin, 2016, Ed. Nowfuture.


motel du voyeurLe Motel du voyeur
s’articule autour des activités de voyeur de Gerald Foos. Dès 1980, ce dernier prend contact avec Gay Talese, auteur-journaliste, pour lui confesser la chose suivante : il a acquis un motel à Denver et l’a doté d’un véritable système d’observation, à leur insu, des clients qui viennent y séjourner. Il a ainsi, durant des années, épié sa clientèle et conservé le résultat de celles-ci sous forme de notes. Le livre propose, enchevêtrés, les fameuses notes (à 99.02 % des scènes de cul, à 0.98 % des scènes de drogue ou de meurtre) et les mises en contexte (essentiellement documentaires) de Gay Talese. Le livre coûte 19.00 €.

 

 

Gay Talese, Le Motel du voyeur, 2016, Ed. du sous-sol, trad. M. Cordillot et L. Bitoun.

 

Énervé par la parution (en fait surtout par le discours tenu à son endroit) du second et titillé par celle du premier, nous prîmes notre plus belle plume et nous décidâmes, en être bêbête et sournois que nous sommes, à tendre un piège à l’éditeur d’Assassin.

 

Objet : Assassin
De : Emmanuel Requette
À : Info Nowfuture Editions

Bonjour Now Future,

Libraire à Bruxelles, je serais intéressé de prendre une centaine d’exemplaires de “Assassin” de Bernard Wesphael (plusieurs de mes clients fidèles me l’ont déjà demandé). Auriez-vous l’amabilité de me préciser vos conditions commerciales (délai et conditions de paiement, remise, possibilités de retour, de pilonnage sur place)?

D’avance merci.

Emmanuel.

 

Objet : Assassin
De : XXXXXXXX
À : Emmanuel Requette.

Cher Monsieur,

Merci pour votre intérêt. Notre distributeur est Interforum, vous pouvez les commander par votre canal habituel.
NB : une version Nl de grande qualité est également disponible.
Cordialement,
XXXXXXXX.

 

Objet : Assassin
De : Emmanuel Requette
À : Info Nowfuture Editions

Merci,

N’y aurait-il pas moyen de les avoir en direct? Pour notre bénéfice à tous deux?

Par ailleurs, serait-il possible d’organiser une signature avec l’auteur? Et peut-être conjointement avec le dénommé Oswald?

Bonne soirée.

Emmanuel.

 

Objet : Assassin
De : XXXXXXXX
À : Emmanuel Requette.

Monsieur,

La possibilité théorique de faire une meilleure marge de part et d’autre est limitée en pratique par les modalités d’une convention de distribution exclusive signée avec Interforum.

Vous livrer en direct constituerait de facto une rupture de contrat unilatérale. C’est donc une impossibilité.

Organiser une séance de signature avec l’auteur est possible.

Le faire conjointement avec Oswald est une idée qui ne manque pas d’originalité. Peut-être pourriez-vous aussi exposer et vendre le même soir des posters réalisés à partir des photos d’autopsie de la défunte et les faire dédicacer par les deux protagonistes lors d’un vernissage ?

Votre devise est non serviam ?

Vous voulez nos livres ?
La nôtre est μολὼν λαβέ

Sincèrement,

XXXXXXXX

 

Objet : Assassin
De : Emmanuel Requette
À : Info Nowfuture Editions

ah zut alors, découvert. Le net laisse décidément bien peu d’ombres où se dissimuler. A fortiori de qui maitrise ses lettres…

J’étais bien curieux de piéger un éditeur de cul-de-basse-fosse en l’aguichant avec plus sordide encore. Raté. Une autre fois peut-être.

Bonne journée.

Emmanuel.

PS : vote proposition pour les posters, ça tient vraiment?

 

Objet : Assassin
De : XXXXXXXX
À : Emmanuel Requette.

A tout prendre, je suis heureux et rassuré que vous ayez voulu vous foutre de ma gueule ou même m’insulter car votre mystification n’était pas si ratée que cela, j’ai vraiment cru ou failli croire, je n’en sais toujours rien moi-même, que j’avais affaire à un esprit dérangé.
Quant à votre appréciation de notre démarche d’édition, je peux l’entendre. J’aimerais pouvoir vous dire aussi tout ce que vous ne savez pas. Me permettez-vous de vous téléphoner au calme la semaine prochaine ?
Cordialement, du coup (si, je vous jure),
XXXXXXXX

 

Objet : Assassin
De : Emmanuel Requette
À : Info Nowfuture Editions

Puisqu’on en est à étaler sa franchise, je m’y colle itou.

Si j’avais effectivement l’intention de me “foutre de votre gueule”, je n’avais pas celle de vous insulter. Essentiellement car, si je n’apprécie évidemment pas le type de publication que vous proposez aujourd’hui, elle me dérange beaucoup moins que celles qui se prennent pour autre chose que ce qu’elles sont.

En bref, il est loisible à chacun de “faire de l’argent” (pour payer un avocat par exemple) en exploitant les “bas instincts” d’un lectorat possible. Et chacun reste juge en son “âme et conscience” de la charge éthique de l’acte posé, indépendamment du discours avec lequel on le défend. Mais – et c’est ce contre quoi je “m’insurge” – je trouve la démarche bien plus dommageable encore quand elle désire se parer des atours du “bon cœur” ou, pire encore, de l’art. Ce qui ne me semblait pas devoir être le cas dans votre chef. Ce petit jeu initié avec vous étant censé le vérifier – et franchement, je ne vois pas comment il eût pu l’infirmer.

L’idée étant dans mon chef d’établir une comparaison entre votre pratique et celles d’autres éditeurs, exploitant le sordide à tout va sous couvert de prétentions esthétiques foireuses, au mieux par bêtise, au pire par appât du gain. Et dont on voit germer sans cesse ces derniers temps de nouveaux exemples. Comparaison dont, ceci dit, je ne sais si votre activité d’éditeur en serait ressorti grandie. Mais, en résumé, je préfère la vénalité maladroite à la prétention mercantile.

Nous pouvons certes nous téléphoner cette semaine qui vient. Mais mon agenda bien rempli et le côté pratique du mail me font privilégier ce mode-ci.

Et aussi cordialement tiens!

 

Objet : Assassin
De : XXXXXXXX
À : Emmanuel Requette.

Cela me sera donc un plaisir de vous écrire, non pour espérer vous convaincre, juste pour vous donner des éléments de contexte et vous présenter nos motivations.
Je serai juste un peu plus évasif sur des détails, des noms, dont je ne veux pas laisser de traces, scripta manent.
Et à bientôt donc,
XXXXXXXX

 

Objet : Assassin
De : Emmanuel Requette
À : Info Nowfuture Editions

Ah, mais si du moins vous ne cherchez pas à présenter ces éléments et motivations sous l’égide glorieux de l’Art, soyez certain que je veillerai à me mettre dans les meilleures dispositions pour les entendre.Et n’hésitez pas à rester évasif. D’autant que je n’ai pas pour habitude de garantir une quelconque confidentialité.

Bon we à vous.

Emmanuel.

 

 

Objet : Assassin
De : XXXXXXXX
À : Emmanuel Requette.

J’adore votre deuxième paragraphe. Vous êtes savoureusement désagréable. Évidemment, il faut aimer les saveurs astringentes, et ce que vous distillez, «il faut reconnaître que c’est plutôt une boisson d’homme». Bon week-end et bonnes ventes, cher contempteur du mercantilisme.

Et non, je n’aurai pas la prétention sotte de m’abriter sous le bouclier de l’Art.

XXXXXXX

 

Voilà, le reste restera entre nous. On peut déjà en conclure plusieurs choses :

  • nous sommes un peu pervers.
  • le proverbe « est bien pris qui croyais prendre » se vérifie parfois.
  • mais surtout – car c’est bien cela qui nous occupe ici-, on peut vouloir faire de l’argent (parfois d’ailleurs par respect ou amitié) et considérer qu’il est sot de se donner l’art comme excuse.

Voyons maintenant, en quelques extraits tirés de sa préface, comment l’éditeur du Motel du Voyeur défend le livre de Talese :

Au-delà du fait divers, cette plongée hallucinante dans la psyché américaine parcourt une sociologie criminelle des mœurs et s’avère le plus parfait des romans noirs, à mi-chemin du chef d’oeuvre de Truman Capote, De sang-froid, et du Journaliste et l’Assassin de Janet Malcolm.

L’histoire de la narrative nonfiction ou creative nonfiction est constellée de ces livres…

L’intérêt de la littérature de non-fiction réside en partie dans cette ambiguïté, cette confession dont le journaliste est prisonnier, et les grands livres du genre ne dérogent jamais à cette règle implicite : nul ne saurait sortir indemne d’une confrontation avec le réel.

Quoi qu’il en soit, Le Motel du Voyeur est une plongée fascinante et terrifiante dans l’esprit d’un homme obsessionnel , manipulateur, en marge du système et de toutes les lois.

On peut en retenir les choses suivantes :

  • Le Motel du Voyeur est un chef-d’oeuvre, vu qu’il est à mi-chemin de deux autres.
  • Gay Talese est à comparer à Joseph Mitchell.
  • Le Motel du Voyeur est la parfaite représentation de ce que peut proposer ce domaine merveilleux qu’est la nonfiction.

Si vous nous avez suivi jusqu’ici – ce dont on vous félicite, car nous fûmes déjà bien plus long qu’un tweet -, vous aurez déjà aisément compris que nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec ces arguments et que, si nous dressons une comparaison entre ces deux livres, c’est que nous pensons qu’il existe bien plus de commun entre eux que de raisons de les séparer. N’est inutile que la comparaison entre des contraires irréductibles.

Ainsi, les deux puisent à grandes louches dans le réel (quel qu’il soit et quoique qu’on puisse rassembler sous ce vocable, considérons le ici comme ce qu’il désigne selon le plus grand nombre). Les deux mettent en scène un fait divers sordide (un « meurtre » sur fond politico-alcolo-scabreux, un voyeurisme pervers et organisé avec son lot de liquides séminaux et sanguins). Les deux mettent au premier plan un personnage fascinant (un député présumé assassin, un voyeur au long cours). Les deux seront achetés d’abord pour les deux raisons qui précèdent. Les deux sont écrits avec des moufles… Et pourtant, le premier est vendu comme « document », le second comme « littérature ». Le « mérite » en revenant, selon nous, bien plus au discours vendu avec le second qu’aux « qualités intrinsèques » de chacun.

Le Motel du Voyeur n’est pas un « chef d’oeuvre ». Il est, stricto sensu, la documentation journalistique des actes d’un voyeur. Son articulation « critique », autrement dit la narration par Gay Talese de la relation du voyeur au journaliste ainsi que la « mise en perspective » de ce dernier, qui vient rythmer les actes du voyeur contés par lui-même, cette articulation n’a de critique que le nom et d’esthétique que sa prétention. Le Motel du Voyeur est l’histoire d’un gars qui se pogne à la vue de gars qui se pognent en se regardant se pogner. Le tout engoncé dans une pseudo-méta-lecture digne de maternelle et d’une écriture aussi plate que la Hollande sans le Vaalserberg. L’avantage étant, pour qui souhaiterait à son tour se pogner en lisant les aventures du gars qui se pogne en voyant des gars se pogner en regardant se pogner, que les épisodes pognatoires sont utilement et directement reconnaissables car inscrits en italique. En fait Le Motel du Voyeur est juste une grosse daube. N’en déplaise à l’éditeur. Chercher à l’apparier à de grands noms (Capote, Mitchell…), réduire leurs textes à un insipide ersatz de leur moelle pour hausser mieux celui que l’on préface, répéter à l’envi que les droits du texte ont été acquis pour énormément d’argent par Steven Spielberg (?!?!?), rien n’y fera…

Alors, oui, certes, ce voyeur est fascinant. Son étrangeté radicale vécue jusqu’à son terme et mâtinée – quoiqu’on désire peut-être ne pas l’admettre – de nos propres fantasmes ou pulsions ne peut que fasciner. Mais la question – littéraire s’entend – n’est pas d’offrir à un lecteur le spectacle de ce qui le fascine. C’est précisément ce que se propose de faire le document, et ce pourquoi il est d’ailleurs utile. La littérature est – et ce, quelle que soit la forme qu’elle adopte pour ce faire – ce qui nous sort de cette fascination, ce qui se saisit de la teneur de ce qui la provoque pour la déconstruire, la modifier, la retourner contre elle-même. Bref, pour en faire quelque chose. Là où le document laisse pantois, extatique, devant le fait brut, la littérature donne les outils pour en appréhender les causes. Et là où nous étions arrêté, charmé, immobilisé (fusse la main délicatement posée sur un sexe), nous comprenons alors les raisons de notre arrêt (et si nous ne comprenons ces raisons, du moins sentons nous alors qu’il y en a peut-être, à chercher encore et encore) et nous donnons les moyens de « briser le charme ».

Le Motel du voyeur n’est pas un « chef-d’oeuvre de la nonfiction ». A trop vouloir donner des raisons « saines » de lire un bon gros document racoleur, on en vient à dire beaucoup de grosses bêtises. La nonfiction ne se limite pas à des tentatives (maladroites ou non) de rénover la pratique journalistique. Elle ne se cantonne pas à une façon plus « sexy » ou plus « autorisée » de donner à lire du graveleux. Faire passer Gay Talese pour une forme de porte-drapeau d’un genre aussi protéiforme et novateur que la nonfiction, c’est un peu comme assimiler la poésie contemporaine au hip-hop (et non, on n’a rien contre le hip-hop), la pensée à la popphilosophie ou le sport à gérard Holtz. La nonfiction c’est aussi John d’Agata (attention : placement de produit), David Grann, Susan Howe, Kery Howley (attention : placement de produit), Thalia Field, Jim Shepard, etc…, c’est-à-dire une solide brochette d’auteurs qui, à contrario de Talese, ont saisi que le document n’est qu’un matériau que la littérature transforme. Et que cette dernière se doit de s’enrichir de formes neuves pour ne pas nous laisser désemparés, hagards, tels des merlans frits, face au document, à l’heure de sa prolifération sans bornes.

Sans prétendre imposer une vision unilatérale et bornée de la littérature, ni même se risquer à la définir trop péremptoirement, il nous semble en tout cas certain qu’elle n’est pas le « cache-sexe » du documentaire. Comme s’il suffisait de cette excuse, l’Art – prononcez avec un grand h aspiré! -, pour légitimer notre si humaine tendance à nous complaire dans ce qui nous attire a priori. Elle n’est pas le blanc seing donné à l’exposition d’un fait dérangeant, elle est une mise en forme qui dérange les faits.

Et du coup, on vous fait économiser 38.90 €…

 

]]> https://www.librairie-ptyx.be/racolage-usurpation-et-meurtre/feed/ 1
Le moule à madeleines. https://www.librairie-ptyx.be/le-moule-a-madeleines/ https://www.librairie-ptyx.be/le-moule-a-madeleines/#respond Thu, 16 Jun 2016 06:33:39 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6102

Lire la suite]]> pufpufIl y a les fausses bonnes idées. Et les mauvaises mauvaises idées. Si les premières laissent du moins un court répit, le temps que soit déçu l’espoir entrevu, les secondes contiennent déjà en elles dès le départ tout du germe de leur échec. Si les fausses bonnes, du haut de leur soufflé non encore retombé, ont le mérite de décevoir, les mauvaises mauvaises ont le bon goût de ne pas même tromper le chaland et de leur faire donc gagner un temps précieux.

Nous avons tous, un jour ou l’autre, fureté dans une cave, un grenier, un débarras, un tiroir. Et, tous (l’unanimité est ici essentielle), nous en avons, un instant ou l’autre, exhumé des parcelles de vies inconnues. Un pendentif en toc rouillé. La photo passée d’un inconnu. Un objet dont la finalité restera à jamais mystérieuse. Sans doute avons-nous alors ressenti ce sentiment mêlé de respect, d’attirance et de gêne, à toucher d’aussi près des vies autres et éteintes. Peut-être alors en avons-nous parlé autour de nous, à table, à un parent, un ami. Ou avons nous désiré confier cet émerveillement teinté de désarroi sur un réseau dit social ou l’autre. Rien que d’humain en somme. Et de banal.

Ce que nous propose ici Clara Beaudoux, avec Madeleine Project, paru aux – paraît-il bien nommées – Editions du Sous-sol, n’est ni plus ni moins qu’une tentative de transformation du banal en art. Ayant découvert dans une cave des photos et objets appartenant à une certaine Madeleine, Clara Beaudoux, journaliste à France-Info, avait tweeté au jour le jour en deux phases (du 02 au 06 novembre 2015 et du 08 au 12 février 2016) des photos, des commentaires, sous le hashtag #Madeleineproject. Ce sont ceux-ci, bruts de décoffrage que l’on retrouve dans ces 268 pages… 268 pages qui éveillent en nous ces quelques considérations :

  • On peut effectivement écrire des choses passionnantes en 140 caractères. Voire moins. Prenez Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud ou Aram Saroyan. Mais n’est pas Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud ou Aram Saroyan qui veut.
  • Dumas écrivait vite. Et assez bien. Ecrire 282 pages de tweet en 10 jours, c’est vite. Très vite. Juste très vite…
  • Tweeter « Un peu comme la madeleine de Proust #Madeleineproject » ne fait pas du livre où l’on l’y inscrit une Recherche du temps perdu. Ni d’ailleurs une très jolie couverture figurant (sisi) un moule à madeleines…
  • Un bandeau « Aussi émouvant que captivant« , signé Patrick Cohen, te renseigne efficacement que le livre n’est ni émouvant, ni captivant.
  • Si on veut vraiment (mais vraiment hein!) faire éditer une suite de tweets ayant pour sujet ce qu’on exhume d’une cave, il est évident que ce sont les Editions du sous-sol qui sont les mieux placées. Parce ce que cave, sous-sol… Sous-sol, cave… Ben oui, hein. Dans le même registre, si vous cherchez à faire éditer le traité d’urologie de votre grand-père, voyez Zones Sensibles. Bien sûr.

Nous ne sommes par principe ni contre la technologie, ni contre l’idée de son intégration à l’art. Mais quand celle-ci devient le seul argument sous lequel – placez les guillemets où vous voulez – une auteure, fût-elle journaliste, et un éditeur, fût-il caviste, tentent balourdement de dissimuler l’indigence et la platitude d’un propos, nous avons du mal à ne pas la prendre pour ce qu’elle est : une bête imposture…

Clara Beaudoux, Madeleine Project, 2016, Editions du sous-sol.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/le-moule-a-madeleines/feed/ 0
Papeterie. https://www.librairie-ptyx.be/papeterie/ https://www.librairie-ptyx.be/papeterie/#respond Thu, 17 Sep 2015 07:41:02 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5393

Lire la suite]]> All my friends are deadGallimard nous avait gratifié – avec d’autres, soyons de bon compte – d’innovations remarquées lors de la rentrée littéraire 2014. Dans sa volonté de transparence, l’éditeur beige clair avait tenté de faire figurer sur les bandeaux de sa rentrée toute la force de ce qu’ils étaient censés entourer. Entre ode capillaire et théâtralité du geste, le bandeau « Gallimard » était parvenu à atteindre à l’essence du contenu qu’il désirait ainsi vanter. On peut s’en rappeler ici.

Cette année nous offrira  encore de la part du même éditeur, enfin papetier, ou non, éditeur, bon allez éditopapetier, une subtile et précieuse trouvaille :

Gallimard papeteriepapeterie

Dès octobre (trépignez, trépignez!), vous pourrez donc vous délester, et ce dans toutes les bonnes boucheries, de 8.90 € pour un carnet de poche estampillé Aragon, de 12.90 € pour un carnet barré en rouge d’un titre de Marcel Proust, de 30.00 € pour un grand cahier marqué André Breton (présenté dans un écrin) ou encore de 19.90 € pour un bloc de 170 feuilles (oui oui 11.71 cents la feuille), laconiquement barré du titre « bloc »… Vous vouliez du rêve? Gallimard vous exauce! Evidemment – car il convient de ménager les susceptibles -, les titres seuls seront mentionnés sur ces carnets! Pas d’amalgame! « Cette approche éditoriale de l’édition […], s’appuyant sur un savoir-faire centenaire en matière de fabrication et de choix des papiers » (sic) se veut un « clin d’œil au lecteur » (resic), « un hommage à l’écriture, à son histoire et à ses auteurs » (reresic) et non, bien entendu – mauvaises langues va – une « biesse entreprise commerciale s’appuyant sur le prestige d’une histoire culturelle pour faire du pognon sans s’fouler » (pas sic).

Les mauvaises langues, entre deux pourlèchements d’aphtes purulents, s’étendront peut-être ironiquement sur cette phrase inscrite en exergue du luxueux document de présentation offert au libraire :

La couverture de la Blanche est l’incarnation typographique d’une aventure intellectuelle collective qui est celle de la NRF.

Diantre! se diront ces mauvaises langues, que cela est vrai! Comme tout est là brillamment résumé! Comment, en effet, toucher au plus profond du projet du papetéditeur? Quelle plus belle définition de son devenir que cet intérêt exclusif pour sa couverture? Et quel projet eût peu mieux que celui-ci définir l’essence de sa mission future? Car c’est cela, se diront les mêmes infatigables langues, tournant sans fin leur acerbe salive dans leurs miséreuses bouches viciées, c’est cela qui est réalisé enfin ici. Ne suffit plus même que la couverture (agrémentée ou non d’un bandeau)! C’est cela l’aboutissement de la littérature Foenkinossienne! Ne plus même légitimer le crème de la couverture en encrant les pages qu’on y insère. A quoi bon encore s’y efforcer? A quoi bon même faire semblant? Nous vendons du rien! Assumons-le! Et revendiquons même l’utilisation de notre glorieux passé pour le vendre!

Certaines de ses langues venimeuses, pâteuses d’avoir déversé à gros bouillons leur fiel, suggéreront peut-être même au merchandiseur crémeux les idées suivantes :

– des vignettes Panini avec les auteurs maisons

– un cahier de condoléance « Tandis que j’agonise »

– l’album du film « Le petit prince », le film tiré du livre tiré du film tiré du livre de la série tirée du scénario du film tiré de la bande dessinée « Le petit prince, le retour IV », le livre de… Ah non c’est déjà fait, pardon!

– un pin’s « Supporter du Beitar Jérusalem » à l’effigie de Céline

– un plug anal « Moly Bloom »

Ah ces mauvaises langues!

]]> https://www.librairie-ptyx.be/papeterie/feed/ 0
Lire le bandeau. https://www.librairie-ptyx.be/lire-le-bandeau/ https://www.librairie-ptyx.be/lire-le-bandeau/#comments Thu, 28 Aug 2014 08:03:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4416

Lire la suite]]> capillaireAh la rentrée littéraire!  Comme chaque septembre de chaque année depuis que l’édition a voluptueusement adopté ses atours les plus mercantiles, cette période voit se parer les librairies de ses nouveautés.  Nouveautés qui patienteront sagement deux trois mois sur les étals avant de pouvoir, aussi sagement, être oubliées. Car la nouveauté, la vraie nouveauté, a ceci de propre (dans le sens hygiéniste du terme) de n’être que nouvelle et de s’interdire la déchéance qu’est vieillir.  Nouveauté dont le nombre, la quantité à elle seule, semble (eu égard à ce qu’en dise les premiers torchons en parlant) être gage de la qualité. Chaque année l’arbre ploie sous le poids du fruit.  Ou l’adolescent sous le joug de son acné…

C’est le moment où le nouveau Nothomb peut enfin, après 12 mois de gestation, être jaugé à la seule aune possible, celle des autres Nothomb.  C’est en ces instants que peuvent bourgeonner à loisir les termes « écriture poétique », « plus grand écrivain de sa génération », « œuvre littéraire d’une puissance exceptionnelle », « récit poignant », « écriture lumineuse », « profond », « sensible », « moderne ».  Car la pléthore est aussi dans la métaphore.  Dans cet entonnoir temporel où tous semblent s’engouffrer avec une joie parfois mâtinée de résignation (style : « je déteste la rentrée mais j’adore publier 10 livres en septembre »), c’est aussi le moment de parier sur les Bienheureux qui pourront sortir de l’entonnoir gratifié du Sésame, de l’Absolu, de l’Ultime, j’ai nommé le Prix.  Mais c’est aussi le moment où se déverse à torrents dans nos lieux de vente, à grand renforts de senteurs de gasoil, l’ornement indispensable du livre de rentrée : le bandeau!

Tel celui du tennisman, celui de l’écrivain en dit souvent beaucoup (c’est du moins la tâche à laquelle qui l’imagine s’attèle) sur qui écrit.  De même qu’imaginer le bandana d’Agassi ceignant le front de Boris Becker (image un peu vieillie, certes, mais la nouveauté, nous…) requiert un effort considérable, et semble s’éloigner de toute volonté de transcrire sur l’ornement un caractère, un jeu, un style, de même donc, un bandeau Gallimard n’est pas un bandeau Grasset.  Osons l’écrire (ajoutons la métaphore à la métaphore) : il y a des écrivains de fond de court, d’autres du filet.  S’il ne fait pas la plume (ou le clavier…), le bandeau est sensé en être la trace visuelle, directement saisissable, accrochant le chaland par sa force évocatrice.  Comme le livre de rentrée est foncièrement, intangiblement original, pétri de sa géniale différence, le bandeau se doit d’en être l’expression.  Le bandeau, donc, doit être lu.

Prenons le bandeau Gallimard, par exemple.  Qu’y lit-on?

1. L’écrivain jeune n’a pas de peigne.

2. L’écrivain jeune doit être surveillé de près.  L’écrivain jeune, étant jeune, doit être cadré.  D’où le cadrage rapproché dont il bénéficie sur le bandeau.

3. Plus un écrivain est proche de l’Académie Française, plus il a droit à un col haut.

4. L’écrivain qui vend beaucoup a le droit de siffloter sur la photo.  Parce que, c’est bien connu, le succès fait siffloter.

5. La tension du ventre sur la chemise trop cintrée de l’écrivain à succès est forte.  D’où l’infime portion de ventre visible.  L’écrivain à succès est-il radin?

Il y a aussi ces portions de mystère adroitement dissimulées.  Ces regard vagues semblant questionner l’au-delà.  Ou droits, abrupts, semblant déshabiller le futur lecteur (alors que celui-là n’est encore qu’un chaland).  Le bandeau indique, attire mais questionne aussi.  Tiens mais…  Mais bien sûr.  C’est comme l’art!  Le bandeau est un art.  Nouveau, émergeant certes.  Mais art tout de même.  Et la force qui s’y loge déjà nous pousse à dire qu’il s’agit même de l’art de l’avenir.  Devant lequel tous les autres plieront l’échine, vaincus.  Car gageons que le bandeau l’emportera.  Quand, enfin, tous auront compris la merveilleuse économie du bandeau, son accord parfait aux temps remplaçant contenu par contenant, ne subsistera alors, dans toute sa gloire efficace, que du bandeau.  Sans le prétexte du vide qu’il entoure!  Du bandeau partout!  Du bandeau toujours!

]]> https://www.librairie-ptyx.be/lire-le-bandeau/feed/ 3
C’est magnifique quoi. https://www.librairie-ptyx.be/cest-magnifique-quoi/ https://www.librairie-ptyx.be/cest-magnifique-quoi/#comments Tue, 08 Jul 2014 19:43:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4305

Lire la suite]]> barbieRécemment, lors de nos pérégrinations sur la toile (quand on trébuche, on devient désuet), nous trébuchâmes sur ceci.  Anna Gavalda chez France Culture!  Soyons clair : Anna Gavalda est la cadette de nos préoccupations.  Seul subsiste un vague souvenir de pages lues, aussi vite oubliées (à imaginer qu’elles puissent ne pas s’oublier, un frisson glacé nous parcourt l’échine).  Elle n’éveille rien en nous.  Pas même de l’indifférence.  Une totale et rassérénante sensation de vide.  C’est sans doute parce que nous fûmes tentés un instant par l’appel du vide (et puis il pleuvait, la librairie, cette morne plaine, était désertée par les quelques derniers braves bouffeurs de pages*) que nous nous laissâmes à écouter la chose.  Nous passâmes la porte (ceci est une métaphore).  Et découvrîmes, oh surprise, que le vide est habité.

« La poésie affleure à chaque ligne » (vers 2.00).  La phrase est bien d’A.G elle-même.  Et porte sur rien moi que l’œuvre d’A.G.  Nous y apprenons donc que l’œuvre gavaldienne est affaire de poésie.  Et accessoirement, si du moins la A.G. en question porte en haute estime la poésie (ce que la suite de la torture auditive confirme), que A.G. s’estime aussi beaucoup (ce que la suite de la même torture confirmera aussi).

« J’ai eu l’impression d’écrire un long poème » (vers 5.11).  A.G à propos de « La vie en mieux », son dernier roman (ci-après dénommé poème).

« C’est magnifique » ou « C’est magnifique, quoi » (vers 5.54  8.57  9.03  10.45  12.38  15.38  28.09).  Où l’on apprend que ce qui distingue la poésie du reste, c’et que c’est magnifique ou magnifique, quoi.

« Nous, Français, élevés à Racine et Corneille, un alexandrin, on l’entend tous […] Je crois beaucoup à l’alexandrin […] Moi, j’ai commencé très tôt, parce que le titre de mon premier roman en était un […] Ce qui est mignon, je le dis avec toute l’honnêteté dont je suis capable, c’est que je n’étais pas consciente du tout que c’était un alexandrin. »  (de 5.50 à 6.15) Le premier roman, oups, le premier poème gavaldien se dénommait Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part.  On apprend donc ici que la poésie c’est avec des alexandrins, que A.G est honnête et que tout cela mis ensemble, mélangé, à peine secoué, est mignon.

« J’ai gardé mon carnet avec mon écriture de quand j’étais petite et je m’en sais très gré » (vers 10.00).  On apprend ici (au-delà de l’aspect strictement documentaire) qu’il est possible, quand on est Anna Gavalda bien entendu (ce que tout le monde n’est pas), de se savoir gré de quelque chose, voire très gré.

« Je sais qu’aujourd’hui, c’est plus chic d’aimer des gens plus ornementés, ornementeux, ou ornementaux » (vers 10.30).  S’exprimant ici encore sur la poésie, on apprend donc que celle-ci est affaire d’ornement, qu’en avoir (en é, eux ou aux) est chic, donc pas bien (car le ton est condescendant), et donc que la bonne poésie n’est pas ornée.  La définition de l’ornement fait défaut.

« Ce qu’il y a de plus poétique dans ma vie, mon seul belvédère sur le monde, c’est France-Culture » (vers 15.38).  Quoi donc de plus touchant, de plus émouvant, que l’aveu de cette rencontre entre la poétesse et ce qu’il y a de plus poétique dans la vie de la poétesse.

« Justement parce que je suis si loin de cette écume, quand je rencontre les gens, je suis obligée d’aller avec eux dans le nu de leur âme. » (vers 16.08).  Nous pensons (mais qui sommes nous pour oser penser?) que c’est ici que la poétesse atteint le climax de son expression poétique.  Le relire suffit à nous en convaincre.

« Je mets tellement de choses si belles dans mes livres » (vers 19.43).  Victor Hugo n’était pas modeste et Victor Hugo était poète. Je ne suis pas modeste donc Je suis poète.  Cqfd.  Où l’on admire non plus la poétesse poétesse mais bien la poétesse philosophe, la logicienne rigoureuse.

« C’est beau, c’est très très beau.  J’ai beaucoup lu pour arriver jusque là » (vers 26.32).  Où A.G réagit à ce qui est lu de sa poésie.  Voir ci-dessus.  Où, aussi, on se demande, un brin anxieux, si elle va encore lire beaucoup.

« [La vie en mieux] se trouve dans toutes les librairies, ainsi que tous ces autres livres » (vers 28.28).  Où la passeuse de pommade, pardon, la journaliste, nous informe que nous ne sommes pas libraires.

Le vide est habité, on vous disait.

*le libraire, c’est bien connu, est plus plaintif qu’un agriculteur dépressif par temps de sécheresse voyant s’approcher de son dernier champ loué à crédit un essaim de sauterelles en formation serrée.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/cest-magnifique-quoi/feed/ 1
La librairie de demain : entre Lidl et Meetic. https://www.librairie-ptyx.be/la-librairie-de-demain-entre-lidl-et-meetic/ https://www.librairie-ptyx.be/la-librairie-de-demain-entre-lidl-et-meetic/#respond Wed, 19 Feb 2014 17:06:49 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3917

Lire la suite]]> LIDLA la veille de la grande kermesse au boudin annuelle belge, dénommée Foire du Livre, les quotidiens nationaux s’intéressent, comme chaque année, aux librairies.  C’est ainsi que Le Soir s’est posé la question « A quoi ressemblera la librairie de demain? ».  Diantre, vaste question!  Et pour y répondre, ils ont été la poser, la question, au président directeur général de la plus grande librairie de plain pied du monde entier, au président directeur général du syndicat des librairies francophones de Belgique, au président directeur général d’Actissia-qui-vend-tous-ses-livres-plus-chers-sous-prétexte-qu’y-a-la-tabelle, et à votre humble serviteur.  Et ça donne ça :

brolEn un mot, ça va.  La librairie se porte bien.  Merci.  Mais de quelle librairie parle-t-on?  Et, sans même parler d’un style de librairie, parle-t-on bien de librairie?  Prenons la réponse du chief-operator du magasin de concept : la librairie ne peut se porter bien que parce qu’elle vend du gadget et des marque-pages…  Posez la question à un boucher, vous obtiendriez : la boucherie de l’avenir ne peut se porter bien qu’en vendant des bagnoles.  Oh avenir doré!  Douleur de n’être pas né plus tard!  Enfin pouvoir acheter son haché entre les clefs à molette et l’arbre magique!  Pour l’abhorrateur d’escalier, la librairie de l’avenir est à la librairie d’aujourd’hui ce qu’un funérarium est à une crèche.  Ou mieux encore.  Un funérarium-crèche-garage-vendeur de raclette.  Un souk, un supermarché.  Et pour les autres, la libraire de l’avenir est lieu de rencontres, de réunions autour de passions communes.  Un lieu de convivialité qui permettra en plus de télécharger sur sa tablette-tv-téléphone-appareil-photo-machine-à-laver des e-books.  Bref, une forme d’Apple Store cloné avec Meetic.  Oh avenir doré!  Douleur de n’être pas né plus tard!  Enfin pouvoir emballer la fille de rêve en faisant glisser sensuellement son doigt sur un écran!  Pour résumer, vendre que des livres, ça rapporte pas un balle, ça fait de toi juste un ringard grincheux, un peu con, qui a peur d’innover.  Et innover justement.  Ben innover, c’est de faire une librairie qui vende quelque chose d’autre que du livre.  Ou du livre, mais pas trop.  Donc, la librairie de l’avenir, qui marchera du tonnerre et explosera les ventes, cette librairie sera donc tout, mais surtout pas une librairie.

Entre Lidl et Meetic, entre le magasin de concept et l’organisateur d’événement, entre le vendeur de trucs et le futur auto-proclamé-féroce-bouffeur-d’Amazon, si tous parlent de la vente du livre, aucun ne réserve de place au livre.  On y parle de livre comme d’une marchandise qu’il s’agit de vendre, point barre.  Quel livre?  Mais peu importe.  Ce ne sont pas des livres que l’on vend, mon bon môssieur, mais DU livre.  Du bouquin.  Du papier.  Et si l’on doit penser (penser, mon dieu, quel effort déjà) à l’avenir de la vente de celui-ci, à quoi bon penser (deux fois, c’est trop, on est crevé) à ce qu’il est avant de le vendre?

Résoudre les problèmes inhérents (et il y en a) au commerce culturel ne peut passer (à notre humble avis, on est pas PDG) que par la saisie certes d’enjeux connexes au « produit » vendu (le comment de la vente) mais d’abord par une remise en question du produit lui-même (le quoi de la vente).  A lire cet article, on ne perçoit du livre que les moyens qui sont mis en œuvre pour le fourguer.  Au poids.  A l’unité.  En gros.  En fichier.  Avec du merlan ou un chargeur GSM.  Tout seul ou en groupe.  Et on se dit alors, rasséréné, que s’il est bien question d’avenir dans ce torche-cul (oups), ce n’est pas de celui de la librairie.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/la-librairie-de-demain-entre-lidl-et-meetic/feed/ 0
De la justification du pilon. https://www.librairie-ptyx.be/de-la-justification-du-pilon/ https://www.librairie-ptyx.be/de-la-justification-du-pilon/#respond Tue, 04 Feb 2014 14:56:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3843

Lire la suite]]> elections tumblrIl y a quelques jours nous recevions le mail suivant :

Bonjour,
Merci de ne pas mettre en vente le Contre les élections de David Van Reybrouck en Babel, qui vient de vous arriver ou qui va vous arriver sous peu : une faute délicate sur la couverture – « traduit du néerlandais (Flandre)» plutôt que « traduit du néerlandais (Belgique) » – impose de retirer cette version malencontreuse de la vente pour la remplacer par la version ad hoc, la réimpression est déjà en cours, mais ne vous sera probablement pas envoyée avant le dernier office de ce mois de février.  Les livres sont à renvoyer le plus rapidement possible chez UD.
Merci de votre attention et de votre suivi.
Cordialement,

Après multiple lecture (la berlue rode ces temps-ci, il convient donc d’y regarder à deux fois), nous comprîmes que nous n’avions nullement affaire à une illusion.

Raisonnables, nous conclûmes que ce livre n’avait pas été traduit du néerlandais des Flandres (c’est bien au pluriel que figure ce mot sur la couverture) mais bien de celui de Belgique.  Et que c’est vraiment très important de le préciser.  Car cela change bien entendu tout à la valeur de ce qu’on s’apprêtait à lire.  Et on ne remerciera jamais assez Actes Sud de nous rappeler aussi énergiquement qu’une langue ne se traduit jamais indépendamment de ses particularités régionales.  Qu’une langue est ancrée.  Et qu’ici elle l’est en Belgique, verdomme.  Qui n’est qu’une région des Flandres.  Si cela n’a pas valeur épistémique, rien n’en a.  On eût personnellement préféré que cette maison (qu’on a la faiblesse d’apprécier par ailleurs) aille jusqu’au bout de sa démarche.  Pourquoi n’avoir pas précisé la ville, voire le quartier.  « Traduit du néerlandais (Assebroek) » et non pas bien sûr « Traduit du néerlandais (Sint-Kruis) », village juste à côté, néanmoins charmant, mais dont la prononciation vondelienne peut varier sur quelques éléments de détail.  Ne mélangeons pas serviettes et serpillères.

Certes, il se trouvera bien l’un ou l’autre grincheux, pour trouver malhonnêtement d’autres raisons à cette courageuse volteface.  On entendra bien susurrer qu’il n’y derrière cela qu’un bête malaise politique.  Qu’Actes Sud ne fait cela que parce qu’en Belgique, dire que quelque chose vient de Flandres (oups), c’est forcément adhérer (ou encourager) un séparatisme qui n’est plus larvé.  Que ce qui est mis en général entre parenthèses après la langue de traduction est le nom d’un pays.  Et que donc, si on sacrifie à cette convention et si c’est marqué « Flandres », ça veut dire que les Flandres, c’est un pays.  Et donc la Belgique est foutue.  Et donc, c’est Bart de Wever qui a gagné.  Et qu’il se rapproche un peu plus d’Arles.  CQFD.  Bien évidemment, nous ne pouvons adhérer à cette vue qui n’est que d’esprit (mal intentionné qui plus est).  Comment croire qu’une maison de ce sérieux puisse emprunter aussi naïvement les méandres d’une dialectique aussi basique?  Comment surtout croire que cette maison d’édition puisse penser que ses lecteurs sont des déficients mentaux rétifs à toute explication dépassant le stade maternelle?  Et qu’entre deux maux : expliquer (par exemple la différence entre une erreur et une faute ou celle entre une convention et une obligation) ou détruire, ils aient choisi le deuxième par peur de la polémique et pour ne pas avoir à se confronter à la bêtise supposée de leur auditoire?  Procès d’intention!  Mauvaise foi que tout cela!  Bon c’est vrai que dans leur mail, ils ne parlent pas d’erreur (ce qui ressort plutôt de la technique) mais bien de faute (qui a des relents moraux).  Mais bon.  Tout ça c’est du pinaillage… Vue de l’esprit, on vous dit!

C’est donc uniquement pour le bienfait sacré (genou en terre, regard énamouré vers les cieux) de la littérature que quelques milliers de livres seront acheminés vers les librairies, en ressortirons aussi vite, à grand renfort de senteurs gazolées, puis seront réduits en chair à papier.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/de-la-justification-du-pilon/feed/ 0