Les Belles Lettres – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Hymnes contre les hérésies » de Éphrem De Nisibe. https://www.librairie-ptyx.be/hymnes-contre-les-heresies-de-ephrem-de-nisibe/ https://www.librairie-ptyx.be/hymnes-contre-les-heresies-de-ephrem-de-nisibe/#respond Mon, 24 Dec 2018 08:14:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8026

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Enseignons à l’innocence

à mettre son espérance en Un seul

et à renier les nombreux,

Si l’on connait assez bien la littérature gréco-latine des débuts des temps chrétiens, il faut bien reconnaître que l’éclat dont on l’a affublée a laissé dans l’ombre les pans arméniens, coptes ou syriaques de la tradition. Éphrem est né à Nisibe (ville actuellement turque, non loin de la frontière syrienne) vers 306 et mort non loin, à Édesse, en 373. Membre important du clergé chrétien, il œuvra, comme beaucoup de ses pairs, à la légitimation de la foi chrétienne, et à l’établissement de son orthodoxie. Comme les autres pères de l’église chrétienne, dès Irénée de Lyon ou Justin, il s’employa à réfuter les arguments théologiques avancés par ceux qu’on regroupe aujourd’hui sous le nom générique d’hérétiques mais qui donnaient à voir, dès les débuts du succès du christianisme, une pléiade d’opinions aussi diverses qu’incompatibles entre elles. Tout occupés à asseoir, dans des temps troublés, la légitimité de leur culte encore neuf, les premiers penseurs chrétiens se devaient, aussi bien politiquement que théologiquement, de construire l’image d’une communauté unie autour de principes forts et unanimement partagés. Comme ses pairs, Éphrem composa donc une importante littérature pour affirmer son opposition aux hérésies de Mani, de Marcion, de Bardésane ou d’autres. Mais, alors que cette littérature est majoritairement dominée par des textes rhétoriques – qu’il s’agisse de textes expressivement « contre » ou d’apologétiques – , c’est la poésie qu’utilise Éphrem pour asseoir son orthodoxie.

Et tandis que cette parole

qui fut découpée

vit et donne à tous la vie,

elle est morte pour son voleur.

Une fois rétablie à sa place,

elle donne vie par sa lecture.

Composée en hymnes destinés à être chantés, probablement par des chœurs féminins, l’argumentation  d’Éphrem s’articule dans et par le langage car le message chrétien, il en a pleinement conscience, pose de façon aiguë la question de l’usage de la parole. Le verbe de Dieu, transmis par la parole du Christ, est parfait mais sa perfection se heurte, dans sa transmission, à l’imperfection de la prise de parole humaine. D’aucuns alors peuvent, avec plus ou moins de subtilité, s’ingénier à présenter de manière tronquée le message divin de façon à lui faire épouser les atours mensongers qui les arrangent. La parole divine, médiée par l’humaine, n’est plus elle-même. Du vrai, on peut alors verser dans le mensonge. Et si la rhétorique peut déjouer efficacement certains des pièges que nous tendent les hétérodoxes, c’est la poésie qui, en revenant au cœur du problème, la parole, peut le mieux faire survenir à nouveau la vérité.

Au-delà des problématiques strictement théologiques, passionnantes en soi, la poésie d’Éphrem peut être lue aujourd’hui selon des principes esthétiques contemporains cohérents. Ses jeux poétiques, ses principes formels, affirment que le langage est chose très sérieuse. Et cette puissance du mot que professe le père syriaque peut nous éclairer, aujourd’hui encore et sans crainte de verser dans l’anachronisme, sur ce qu’est une parole et sur le rôle que le poète a à jouer dans sa (ou ses) révélation(s). Quelque chose est mort, certes. Mais une parole demeure…

Éphrem De Nisibe, Hymnes contre les hérésies, 2018, Les Belles Lettres, trad. Fluvia Ruani.

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Vieux Brol 23 : « Constitution des Athéniens » de Pseudo-Xénophon. https://www.librairie-ptyx.be/vieux-brol-23-constitution-des-atheniens-de-pseudo-xenophon/ https://www.librairie-ptyx.be/vieux-brol-23-constitution-des-atheniens-de-pseudo-xenophon/#respond Mon, 20 Nov 2017 07:17:56 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7228

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Ne subsiste bien souvent de certains livres, dans nos esprits assommés par la « nouveauté  » , qu’une vague idée, que le souvenir lointain (et bien souvent déformé) de commentaires.  N’en surnage que l’impression d’un déjà connu, d’un déjà lu, qui les fait irrémédiablement verser dans les limbes de ce qui n’est définitivement plus à lire.  D’où l’idée de cette série de chroniques de retours aux textes lus.  Sans commentaires.

En ce lieu il semble juste que les pauvres et le peuple aient plus que les nobles et les riches, pour cette raison que le peuple est celui qui fait avancer les navires et qui confère à la cité sa puissance, et que les pilotes, les chefs de nage, les commandants en second, les officiers de proue et les charpentiers navals, voilà quels sont les hommes qui confèrent à la cité sa puissance, beaucoup plus que les hoplites, les nobles et les honnêtes gens.

En effet, quand les pauvres, les gens du peuple et les plus mauvais jouissent d’une bonne situation et que les gens de ce type deviennent nombreux, ils renforcent la démocratie.

C’est donc la cité qui sacrifie avec les fonds publics quantité de victimes, et c’est le peuple qui fait bombance et qui se partage les victimes par tirage au sort.

le peuple, du fait qu’il sait que [ses ennemis] ne brûlerai[en]t ni ne ravagerai[en]t aucun de ses biens, vit sans crainte et sans leur céder.

J’affirme donc, quant à moi, que le peuple qui est à Athènes discerne lesquels des citoyens sont d’honnêtes gens et lesquels des fripons, mais que, tout en le discernant, ils aiment ceux qui leur sont favorables et utiles, même si ce sont des fripons, alors qu’ils haïssent plutôt les honnêtes gens.

Or, la démocratie, quant à moi, je pardonne assurément au peuple lui-même, car on pardonne à chacun de se faire du bien à soi-même.

Car dans aucune cité ce qu’il y a de meilleur n’est favorable au peuple, mais c’est ce qu’il y a de pire qui, dans chaque cité, est favorable au peuple. C’est que l’on est favorables à ses semblables.

Pseudo-Xénophon, Constitution des Athéniens, 2017, Les Belles Lettres.

 

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« Histoire de l’équilibre » de Joel Kaye. https://www.librairie-ptyx.be/histoire-de-lequilibre-de-joel-kaye/ https://www.librairie-ptyx.be/histoire-de-lequilibre-de-joel-kaye/#respond Mon, 23 Oct 2017 07:22:26 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7151

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La proximité avec une notion, le fait même qu’on la répète et l’accommode abondamment à sa façon, nous pousse très souvent à considérer celle-ci, quelle qu’elle soit, comme forgée dans un bloc immuable. Ainsi semblerait-il aller de la notion d’équilibre. Qui chercherait à approcher mieux cette notion ne devrait ainsi que s’atteler à l’analyse, et à l’histoire, de la mise en rapport des termes que cette idée prétendrait organiser. Comme s’il ne s’agissait que de comprendre comment on y arrive, à cet équilibre, la question de à quoi on arrive étant définitivement réglée.

Avec les scolastiques, et notamment les travaux précurseurs de Pierre de Jean Olivi sur le prix et l’usure, on va passer d’une conception de l’équilibre basée sur un 1=1 rigide dont chaque terme est irrémédiablement fixé et distinct, à une autre, dynamique, s’obtenant par l’équilibrage de diverses variables. Avec les continuateurs du 13 ème siècle de l’oeuvre de Galien de Pergame, on va passer d’une médecine duale s’entêtant à faire basculer les corps de l’état de « maladie » à celui de « santé », à une relation relativiste à l’organisme humain et à ses soins. En introduisant une forme d’état intermédiaire entre la « santé » et la « maladie », le « neutrum », et en insistant sur l’incertitude inhérente à tout geste médical, Galien et ses successeurs ont profondément rénové ce que l’on pouvait entendre par le terme « équilibre ». Ces évolutions, jamais pensées comme telles (la notion même d’équilibre n’étant pas un enjeu chez les scolastiques), débordant alors largement dans les champs politiques et éthiques.

cette complication est tout simplement nécessaire si l’on veut mieux comprendre comment se forment de nouvelles idées, de nouvelles manières de voir et de nouvelles images du monde.

En nous plongeant, par l’entremise de ces prodigieux penseurs que sont Pierre de Jean Olivi, Nicole Oresme, Marsile de Padoue, Thomas d’Aquin, et tant d’autres, dans les dessous de son renouveau, Joel Kaye nous démontre magistralement comment ce concept « d’équilibre » a muté à cette période, s’enrichissant de l’ensemble des évolutions (économiques, politiques, religieuses, médicales, etc…) de son temps et l’irriguant à son tour. Ce faisant, par l’entremise d’une mise en lumière de ce point très précis, il éclaire ainsi d’un jour neuf la mécanique complexe des idées. Comment une notion vient-elle au jour? Comme en vient-elle à définir quelque chose? Et comment cette définition elle-même en vient-elle à créer quelque chose d’autre?

Joel Kaye, Histoire de l’équilibre (1250-1375), 2017, Les Belles Lettres, trad. Christophe Jaquet.

Ce sont Radio Campus et Alain Cabaux qui sont coupables des sons figurant ci-dessus.

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« La vie méconnue des temples mésopotamiens » de Dominique Charpin. https://www.librairie-ptyx.be/la-vie-meconnue-des-temples-mesopotamiens-de-dominique-charpin/ https://www.librairie-ptyx.be/la-vie-meconnue-des-temples-mesopotamiens-de-dominique-charpin/#respond Fri, 09 Jun 2017 07:56:32 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6848

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Alors que l’école et l’université sont les lieux indispensables d’enseignement du savoir institué, le Collège de France est, depuis près de 500 ans, celui d’un savoir en train de se constituer. Dans cette entreprise exceptionnelle sont conjuguées, depuis François Ier, à la fois la rigueur et l’enthousiasme de la recherche la plus « pointue » et la générosité de son partage. Libres, gratuits, ouverts à tous et portant sur tout, les cours du Collège de France sont, depuis 1530, une raison de ne jamais perdre complètement foi en l’être humain. C’est, fidèle à sa devise (« Docet omnia ») et dans l’objectif de la servir mieux encore que cette vénérable institution s’est associée à une autre tout aussi vénérable, les éditions Les Belles Lettres, pour diffuser plus largement encore les cours qui sont prodigués dans son enceinte. Et cela par l’entremise d’une collection qui leur sera entièrement consacrée.

Pour ouvrir le bal, Dominique Charpin, assyriologue, s’intéresse à l’organisation des temples mésopotamiens. Notre conception du temple est profondément ancrée dans notre longue histoire chrétienne – ou plus largement, monothéiste – qui teinte souvent aussi inconsciemment qu’anachroniquement l’étude que l’ont peu faire d’édifices qui ont précédé l’an zéro. Le temple signifie pour nous un lieu quiet, de dévotion, clos sur lui-même, exclusivement cultuel, siège du symbolique. Nonobstant les aménagements à la marge de cette conception – qui ne colle d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, à l’histoire elle-même des lieux de cultes chrétiens – le filtre qu’elle peut opérer sur notre façon d’aborder l’Histoire est un frein indéniable à la compréhension des pratiques de nos lointains parents. Ainsi les temples mésopotamiens, selon les recherches récentes dont Dominique Chardin se fait l’écho, étaient-ils aussi des lieux de cure, d’emprisonnement, de jugement, d’enseignement, de stockage des savoirs, voire de plaisirs… Et non seulement ils l’étaient, mais ils étaient organisés comme tels, pleinement, et non par défaut ou par la suite de glissements « décadents », la théologie légitimant l’organisation et les modalités de cette dernière enrichissant celles de la première.

Dominique Charpin documente pédagogiquement et efficacement son sujet et parvient donc déjà, de ce fait, à le faire « vivre ». On « apprend donc plein de choses ». Mais aussi, par delà son sujet d’investigation « pointu », c’est sa méthode, ouverte, transversale, ambitieuse sans présomption, originale sans ostentation, qui mérite le détour. Ainsi, par exemple, la conclusion à laquelle il aboutit, que les temples de la déesse Gula fonctionnaient bien comme des centres de cure, est-elle le fruit d’une recherche bien plus ample que celle à laquelle on cantonnerait instinctivement l’assyriologue. Certes ancrée dans l’archéologie ou la philologie, sa conclusion s’étaye et s’enrichit d’observations bien plus larges. Ainsi est-ce aussi parce que la science récente a découvert à la salive canine des propriétés cicatrisantes ou que Saint-Roch est traditionnellement représenté accompagné d’un chien, que l’auteur peut affirmer avec plus de force que ses thèses tiennent la route.

Aux antipodes du « n’importe quoi » auquel aboutit le touche-à-tout dilettante des popphilosophes en herbe, La vie méconnue des temples mésopotamiens témoigne qu’une exigence ouverte et généreuse, continue (et continuera longtemps) à offrir au plus grand nombre des perspectives neuves et enrichissantes.

Dominique Charpin, La vie méconnue des temples mésopotamiens, 2017, Les Belles Lettres/Collège de France.  

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« Le vent dans l’oliveraie » de Fortunato Seminara. https://www.librairie-ptyx.be/le-vent-dans-loliveraie-de-fortunato-seminara/ https://www.librairie-ptyx.be/le-vent-dans-loliveraie-de-fortunato-seminara/#respond Tue, 19 Jul 2016 05:55:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6114

Lire la suite]]> Vent dans l'oliveraie

Après avoir réfléchi sur ce que j’ai écrit, il m’est venu un doute. Ai-je bien regardé au fond des choses?

Le vent dans l’oliveraie se présente comme le journal d’un propriétaire terrien de Calabre. On y suit, conté par lui-même, les événements qui émaille son quotidien, ses rapports avec les ouvriers et journaliers qu’il emploie, ses considérations quant aux revendications sociales et politiques du temps, et peu à peu, au fil des pages, l’ébranlement que causera en lui la relation déstabilisante qu’il aura avec un certain Michele Campisi et sa fille. Loin d’être une simple évocation d’un jour-le-jour rural et agricole d’un homme du cru, ou de son intimité, son journal est l’occasion pour lui de s’interroger en pratique sur ce qu’est la propriété et sur les rapports qu’elle institue. Qui possède la terre ne possède t-il pas les corps? La possession est-elle en soi et inaliénablement un mal, ou la responsabilité qu’elle incombe chez le possédant peut-elle, intelligemment pensée et vécue, en pallier les effets délétères? Sans s’embarrasser des poncifs d’un camp ou de l’autre, le narrateur cherche ici, en toute simplicité et en toute honnêteté, à interroger sa propre nature de possédant plutôt que se contenter d’en profiter benoîtement.

Mes paroles c’est le vent qui les disperse, dit-il. Dormez tranquilles. Vous serez réveillés par le bruit de la maison qui s’écroule.

Il sera dit d’un livre, d’un regard posé sur les choses, d’une parole, qu’il ou elle est ambigu(e) si l’on ne parvient pas y déceler de choix entre deux camps ou positions posées comme radicalement antinomiques. C’est parce qu’on suppose qu’entre deux possibilités, il n’y peut y avoir qu’adhésion à l’une ou l’autre – et que cette adhésion à l’une suppose de facto le rejet radical de l’autre -, que l’absence d’une lecture claire d’adhésion ou de rejet suppose donc un « louvoiement », une « anguille sous roche », une « ambiguïté », dans le chef de celui qui « n’ose trancher » ou « dissimule son parti ». L’ambiguïté repose donc, dans certains cas, sur un « ou » exclusif, dans le chef de celui-même qui prétend l’attester ou la dénoncer. C’est oublier qu’entre deux positions bien définies (ici, par exemple, « la propriété c’est mal » vs « la propriété c’est bien »), il existe une myriade de modalités, d’aménagements : il est possible pour un propriétaire de penser la propriété indépendamment – voire à la lumière! – de son seul rôle de possédant ; la communautarisation d’une terre n’est pas nécessairement souhaitable pour ceux qui n’en possédaient rien ; le pouvoir peut être aussi une astreinte ; un homme, enfin, ne se résume pas à sa « classe ». Là où l’on est tenté de lire de l’ambiguïté, sachons, parfois, déceler la nuance…

Fortunato Seminara, Le vent dans l’oliveraie, 2016, Les Belles Lettres, trad. Erik Pesenti Rossi.

 

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« Deuxième Quodlibet » de Richard de Mediavilla. https://www.librairie-ptyx.be/deuxieme-quodlibet-de-richard-de-mediavilla/ https://www.librairie-ptyx.be/deuxieme-quodlibet-de-richard-de-mediavilla/#respond Tue, 03 May 2016 08:06:20 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5932

Lire la suite]]> Deuxième quodlibetEst-ce qu’une fève en trajectoire ascendante, qui rencontre une pierre de meule animée d’un mouvement descendant, marque un temps d’arrêt?

Ah les scolastiques! Coincés entre une antiquité dont leurs temps auraient pour ainsi dire tout délaissé et une Renaissance qui s’y serait replongé comme malgré eux, leurs trois siècles d’activité sont encore souvent regardés avec une relative indifférence. Alors que le Moyen Âge n’est certes plus cette période creuse de l’intelligence humaine, cet autre nom pour « des temps obscurs », on n’accorde qu’assez peu de crédit encore aux œuvres de pensée de ce courant. Comme s’il ne s’agissait de ne réhabiliter qu’un Moyen Âge qui convient, le scolastique reste ainsi presque un autre terme pour « pinailleur », « coupeur de cheveux en quatre » et autres raccourcis. L’amusement à priori tout juste poli – on ne peut quand même plus impunément rire en bloc du Moyen Âge… – exonérant alors de les lire avec attention.

Le projet de cette bibliothèque scolastique est précisément, par la grâce, tout simplement, d’une mise à disposition du grand public d’une édition et d’une traduction rigoureuses des grands textes de cette période, de rappeler la vivacité d’une pensée aux antipodes des clichés. Au croisement de la philosophie, de la théologie, du droit, des sciences, les questions auxquelles se soumettent les scolastiques nous éclairent encore aujourd’hui. Non seulement car leurs réponses ont pu être à l’origine de développements essentiels de notre modernité (tout contrat est ainsi une émanation du fameux « Traité des contrats » de Pierre de Jean Olivi) mais également car les moyens mis en oeuvre – pour autant qu’on ne les affuble pas d’anachronismes goguenards – offrent des outils logiques encore souvent pertinents ainsi qu’un écolage encore redoutable à penser juste.

Ainsi de la question ci-dessus. Si la fève montante marque un temps d’arrêt, n’en est-il pas de même de la pierre descendante? Mais la fève légère stopperait alors la lourde pierre de meule?!? Dans l’ignorance, par exemple, des forces newtoniennes ou, autre exemple, des mécanismes intellectuels qui permettront de résoudre les paradoxes de Zénon, la réponse à cette question nécessite la mise en oeuvre d’un appareil logique et rhétorique conséquent. En recourant à l’angéologie, à la physique d’Aristote – parfois contre elle-même -, à la théorie des accidents, Richard de Mediavilla s’appuie sur toutes les subtilités des savoirs de son temps pour résoudre ce dilemme. Dilemme dont il bon de ne pas oublier qu’il demeure bien scientifique. Au antipode des pinaillements gratuits, les trésors de raisonnement qu’il met en branle, s’ils ne s’articulent plus de nos jours selon les mêmes modalités, gardent cependant la saveur et la rigueur d’une architecture aujourd’hui toujours indispensable.

Richard de Mediavilla, Deuxième Quodlibet, 2016, Les Belles Lettres, trad. Alain Boureau.

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« Romans et chroniques dublinoises » de Flann O’Brien. https://www.librairie-ptyx.be/romans-et-chroniques-dublinoises-de-flann-obrien/ https://www.librairie-ptyx.be/romans-et-chroniques-dublinoises-de-flann-obrien/#respond Tue, 03 Nov 2015 09:42:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5497

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O'BrienL’existence – et c’est heureux – regorge d’insolubles questions. De la localisation de la tombe d’Alexandre le Grand à la chevelure de Donald Trump en passant par cette tartine qui s’ingénie à tomber du côté confiture ou la prose d’un Patrick Roegiers, les mystères que nos esprits pourtant perspicaces ne peuvent éclaircir sont légion. L’un d’entre eux – et non des moindres – est le relatif anonymat dans lequel baigne aujourd’hui encore l’oeuvre de Flann O’Brien.

Né Brian O’Nolan un 5 octobre 1911 et mort un premier avril 1966, Flann O’Brien est l’auteur sous ce nom de cinq romans (dont Swim-Two-Birds, Le troisième policier ou Le Pleure-Misère) et trois essais et, sous le nom de Myles na gCopaleen, de chroniques journalières ayant paru dans le Irish Times de 1940 jusqu’à sa mort. Entre autres. Reconnu et vanté par Joyce ou Beckett, jamais l’auteur irlandais n’atteignit pourtant à la notoriété de ses illustres pais.

Déconstruction du récit, mise en scène abyssale de la création, érection de l’irrespect des convenances en principe, ironie mordante, humour décapant, jeux de langage incessants, l’oeuvre entière de Flann O’Brien agit comme un contrepoint à toute littérature. Et en cela, son oeuvre parait toujours comme neuve, ne pouvant être rattachée à un courant précis. Foncièrement originale, elle ne se laisse enfermer dans aucun carcan. Mais elle ne se veut – ni n’est – hermétique. Car conscient des possibles qu’il explore de sa plume, mais aussi de ses limites, il a pris le parti, plutôt que de les nier ou les déplorer, de s’en gausser. Avec éclats.

Analyse en acte et érudite de ce que peut la littérature redoublée de sa propre moquerie, l’oeuvre de l’irlandais est aussi insaisissable que ne le paraissait son auteur. Car insaisissable, il l’était bel et bien. Secret, il avait organisé sa propre vie comme une véritable mise en abyme. Ainsi a t’il été jusqu’à se créer des pseudonymes (certains tenus secrets, d’autres non) répondant par lettres à des courriers de lecteurs (certains de ceux-ci étant peut-être de sa main également) qui réagissaient aux chroniques que lui-même signait Myles na gCopaleen, un autre pseudonyme…

Malgré ce talent incontestable et les éclats de rire tonitruants que sa lecture provoque inéluctablement, l’Irlandais reste aujourd’hui largement méconnu.

On ne sait si la parution ces jours-ci, en un conséquent volume, de ses œuvres les plus importantes permettra de réparer cette injustice. Mais cet acte éditorial a le mérite d’offrir une excuse de moins à l’ignorance des lecteurs.

Et vous pourrez ainsi découvrir :

–  un roman sans début ni fin, dont les personnages prennent (peut-être) une partie de l’écriture à leur compte,

–  de nombreux moyens vous permettant d’éviter les raseurs, cette engeance,

–  la fusion à venir du cycliste et de la bicyclette,

–  une entreprise vous permettant à vous, inculte mais fortuné, de recourir aux services d’un ventriloque cultivé lors de vos soirées mondaines,

–  et bien d’autres choses essentielles à une existence vraiment épanouie.

Un conseil encore : à moins de vouloir à tout prix être considéré comme un déséquilibré – ce qui peut parfois être utile -, nous vous enjoignons à ne pas lire ces géniales pitreries en public. Plié en quatre, ahanant un rire inextinguible, cloué à un sol rendu glissant par vos larmes, il vous faudra longtemps pour réparer les dommages considérables qu’aura causé cette lecture sur votre image d’homme respectable et posé…

La poche fut le premier instinct de l’humanité, et l’on s’en servait bien avant que la race humaine portât le pantalon.

Flann O’Brien, Romans et Chroniques dublinoises, 2015, Belles Lettres, trad. Patrick Hersant, Rosine Inspektor, Alain Le Berre, Patrick Reumaux & André Verrier.

Les sons ci-dessus sont tirés de l’émission « Les glaneurs » sur Musique 3, présentée et produite par Fabrice Kada, réalisée par Elsa Grelot. Nous étions accompagnés ce soir-là par l’excellente Muriel Andrin la parfaite Mathilde Maillard.

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Vieux brol 18 : « Lettres à Lucilius, livre 1 à 6  » de Sénèque. https://www.librairie-ptyx.be/vieux-brol-18-lettres-a-lucilius-livre-1-a-6-de-seneque/ https://www.librairie-ptyx.be/vieux-brol-18-lettres-a-lucilius-livre-1-a-6-de-seneque/#respond Fri, 10 Jul 2015 07:26:02 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5330

Lire la suite]]> seneque

Ne subsiste bien souvent de certains livres, dans nos esprits assommés par la « nouveauté  » , qu’une vague idée, que le souvenir lointain (et bien souvent déformé) de commentaires.  N’en surnage que l’impression d’un déjà connu, d’un déjà lu, qui les fait irrémédiablement verser dans les limbes de ce qui n’est définitivement plus à lire.  D’où l’idée de cette série de chroniques de retours aux textes lus.  Sans commentaires.

La part la plus considérable de la vie se passe à mal faire, en large part à ne rien faire, toute la vie à n’être pas à ce que l’on fait.

C’est n’être nulle part que d’être partout.

Ce n’est jamais du présent seul que viennent nos peines.

Ce sont deux extrémités à éviter, de se faire semblable aux méchants, parce qu’ils représentent le nombre ; de se faire l’ennemi du grand nombre, parce qu’il ne nous ressemble pas.

On exagère la douleur ; on l’anticipe ; on se la forge.

Le sage ne ne provoquera donc jamais la colère des puissants. Il rusera avec elle, comme avec l’ouragan le marin.

La faim est peu coûteuse ; ce qui coûte, c’est un palais blasé.

Oui, Lucilius, la servitude ne retient que peu d’hommes ; il en est plus qui retiennent la servitude.

Ton premier devoir, le voici, mon cher Lucilius : fais l’apprentissage de la joie.

Dans la pensée de bien des gens, vivre n’est pas douloureux ; c’est oiseux.

A l’occasion sache te désobliger.

Ces vérités, je le sais, ont été dites souvent, et se diront souvent encore

Pense à la mort toujours pour ne la craindre jamais.

Nul ne sait être à soi.

Le nécessaire a pour mesure l’utile.

La trace d’une main amie, imprimée sur les pages, assure ce qu’il y a de plus doux dans la présence : retrouver.

Nous serions à nous, si ces pauvres choses n’étaient pas à nous.

La pire folie est de juger un homme, soit sur l’habit, sur sur la condition, qui n’est qu’un habit jeté sur nous.

La plus indigne des servitudes est la servitude volontaire.

Vis pour autrui si tu veux vivre pour toi.

Il est doux de séjourner avec soi-même le plus longtemps possible, quand on s’est rendu digne d’être pour soi-même un objet de jouissance.

L’effet de la sagesse, c’est une joie constante.

Sénèque, Lettres à Lucilius, livres 1 à 6, vers 63, Les Belles Lettres.

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« Dictionnaire historique et critique. Miscellanea philosophica » de Pierre Bayle. https://www.librairie-ptyx.be/dictionnaire-historique-et-critique-miscellanea-philosophica-de-pierre-bayle/ https://www.librairie-ptyx.be/dictionnaire-historique-et-critique-miscellanea-philosophica-de-pierre-bayle/#respond Fri, 15 May 2015 07:36:06 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5136

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bayle

185!  C’est le nombre d’années qu’il aura fallu attendre pour voir rééditer en partie (hormis un fac-similé un tantinet onéreux – 2306,00 CHF tout de même! – chez Slatkine en 1995) l’un des chefs d’œuvre incontestable de l’histoire de la pensée.  C’est en 1697 que Le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle sortit des presses amstellodamoises de l’éditeur Reinier Leers pour la première édition.  Et dès ce moment, il fut considéré par tous ceux qui l’approchèrent comme une des tentatives les plus téméraires et les plus abouties de saisir le réel dans son ensemble. Référence indispensable pour nombre de chercheurs tous domaines confondus pendant des décennies, inspiration directe des fondateurs de l’Encyclopédie, ouvrage culte pour certains bibliophiles, bible du scepticisme, tout cela n’empêcha pas cette œuvre hors normes de sombrer dans un relatif anonymat…

Ce dictionnaire se présente comme une suite alphabétique d’articles sur des personnages illustres de l’histoire (Aristote, Bacon, Mahomet, Spinoza ou Rorarius, par exemple…) mais sous une forme un peu particulière.  L’objectif de Pierre Bayle étant, si pas l’exhaustivité (qu’il savait inatteignable par essence), du moins d’y tendre  – comme, en mathématique, on dit d’une suite qu’elle peut tendre vers l’infini -, il ne s’agissait pas simplement de faire se succéder pages après pages des savoirs présentés nus, platement, dépouillés de leur histoire.  C’eût été affirmer, comme par défaut, l’objectivité inhérente des connaissances sur le personnage en question.  En ne mettant pas en scène l’histoire des connaissances qui porte sur un sujet, les doutes qui y pèsent encore, on avait, pour Bayle, tendance à le donner à voir comme immuable.  L’impression d’objectivité qui en découlait fatalement se profilant alors à la manière d’une brume, rassurante certes, mais mensongère.  Il fallait donc aussi donner à lire, en sus de la connaissance elle-même, son élaboration (tant passée – son histoire -, que présente – ses doutes).  Et cela dans la page même.

Mais comment, me questionnerez vous?  L’article proprement dit est placé en haut de page.  Il est annoté doublement.  Une partie des annotations figure en marge de part et d’autre de l’article.  Les autres annotations sont disposées en deux colonnes sous l’article.  Ces deux colonnes sont elles-mêmes annotées de part et d’autre en marge.

Pierre Bayle 2Les notes en marge de l’article principal, sorte de « narré succinct des faits », sont des notes bibliographiques au sens strict ou des renvois à d’autres articles du dictionnaire.  Les autres disposées sous l’article en colonnes sont elles des remarques, « un grand commentaire, un mélange de preuves et de discussions ».  Ce commentaire, lui-même annoté, prenant – largement! – plus de place que l’article qu’il est censé commenter.

En articulant pour la première fois dans l’histoire (du moins à ce niveau) sur une même page une idée et sa construction, Pierre Bayle donne à lire, dans cette langue typiquement 17ème, sublime, cette quintessence du scepticisme qu’est la pensée laissant transparaître les moindres fils dont elle est tissée.  Véritable développement spatial de cette pensée, il fallu les outils pour la rendre à nouveau dans toute sa splendeur.  Ce qu’Alexandre Laumonier (plus d’info ici), s’aidant d’outils typographiques, informatiques et logarithmiques novateurs a réalisé magnifiquement après vingt années de doutes, de tergiversations et de sueurs.  Un Must have absolu!

bayle 2Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique. Miscellanea philosophica, 2015, Belles Lettres & Ecole supérieure d’art de Cambrai & Alexandre Laumonier.

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« Les miracles dans la France du XVIème siècle » de Nicolas Balzamo. https://www.librairie-ptyx.be/les-miracles-dans-la-france-du-xvieme-siecle-de-nicolas-balzamo/ https://www.librairie-ptyx.be/les-miracles-dans-la-france-du-xvieme-siecle-de-nicolas-balzamo/#respond Thu, 20 Nov 2014 10:46:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4661

Lire la suite]]> Miracles dans la france du XVIAlors qu’on imagine l’imaginaire médiéval comme envahit par une suite presque ininterrompue de miracles baignant celui-ci dans un surnaturel qui en imprégnait les moindres rouages, la réalité est bien différente.  Fondant son enquête sur les livres de raison, ces textes écrits par des privés pour eux-mêmes, témoignages certes d’une « élite » de l’époque, mais témoignages précieux tout de même, Nicolas Balzano dresse un portrait tout en nuance du XVIème siècle.

Alors que nous avons tendance à extrapoler l’omniprésence du miracle dans l’imaginaire du siècle à l’ensemble de ses composantes, la rareté relative de son occurrence dans l’expérience individuelle dont témoignent ces livres de raison, démontre que si le miracle était un incontournable de l’imaginaire, il n’en avait pas lobotomisé les hommes du siècle.  Et puis aussi :

L’emphase du propos aboutit à sa propre négation : si tout était miracle, alors plus rien ne l’était.

Construisant en filigranes une définition du phénomène miraculeux d’une justesse et d’une précision édifiante, Nicolas Balzano nous en rappelle la structure forcément conservatrice : ordre/désordre/intervention d’un auxiliaire/rétablissement de la situation initiale.

Dieu rétablit ce qui doit être.

Au-delà de sa structure même, c’est la structure de son apparition dans l’imaginaire collectif qui est interrogée ici.  Car le miracle ne peut survenir de rien.  Il est fruit d’un mouvement qui le dépasse et qu’il continue et dont la croyance est à la fois sa cause et sa conséquence.

Croire au miracle, c’est créer un lien entre un évènement et un ensemble de croyances préexistantes.

Le miracle coexiste à sa croyance.  Et sa survenue dans le paysage imaginaire porte la marque d’un langage de la performativité.  Comme le Logos créateur dont il atteste la présence omnipotente, c’est bien le mot « miracle » qui crée le miracle en même temps qu’il le nomme.

[Le miracle] naît subjectivement de l’assimilation d’un évènement à une signification, elle-même portée par un archétype […], et objectivement, lorsque cette signification est proclamée.

Certes se prenant parfois les pieds dans le tapis de la forme sous laquelle il a d’abord été pensé (une thèse ne fait pas un livre), Les miracles dans la France du XVIème siècle, se révèle un brillant démontage des clichés et des clivages qu’un temps peut construire sur le passé, du haut de ses certitudes faciles et « rassurantes ».  Et nous rappelle que c’est moins souvent le monde qui change que le regard que l’on porte sur lui.

Que le talent d’Erasme joint aux possibilités nouvelles offertes par l’imprimerie ait donné à sa voix une résonance inédite ne doit pas occulter l’essentiel : sa critique était aussi essentielle que le système de croyance qui en était l’objet.

Nicolas Balzano, Les miracles dans la France du XVIeme siècle, 2014, Les Belles Lettres.

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