« Le petit garçon sur la plage » de Pierre Demarty.

 

Alors que sa femme et ses deux jeunes enfants l’ont devancé sur le chemin des vacances, un père (dont on ne saura pas le nom) se rend au cinéma. Dans le film qu’il a choisi (dont l’auteur ne nous donnera jamais le nom), une scène le happe littéralement : un petit garçon sur une plage, hurlant après ses parents disparus en mer. Bouleversé, il prend la voiture dès la nuit suivante pour rejoindre sa famille. Quelques temps après, une image, d’actualité celle-là, montrant une autre plage sur laquelle gît un autre petit garçon (dont le nom sera également tu), ravive en lui la première expérience.

Il y a donc deux images. Une, dynamique, de fiction, montrant un tout jeune enfant sur une plage, encore incapable de marcher, hurlant. Et il y en a une seconde, statique, arrachée au réel, celle d’un enfant un peu plus âgé, sur une plage aussi, mort. Et entre les deux, il y a ce père. Il y a surtout le regard de ce père.

Si l’image se mettait à bouger, à s’animer, la mer à aller et venir sur le sable, avec le bruit que fait la mer, et le vent à souffler, avec le bruit que fait le vent, emportant peut-être le sac en plastique bleu ciel qui s’envolerait et disparaîtrait peut-être hors du cadre de l’image, dans le ciel (mais dans cette image il n’y a pas de ciel), peut-être alors on verrait, à peine, la tête soulevée puis reposée encore et encore, et encore, comme bercée lentement, plusieurs fois, régulièrement, par le mouvement très doux des vagues, mais même alors, même si tout le reste, tout autour de ce petit corps de petit garçon, se mettait même lentement à bouger, rien d’autre, rien de corps lui-même ne bougerait, et on verrait alors, on verrait bien, on comprendrait tout de suite, qu’il n’y a que la mer qui bouge. Que le petit corps du petit garçon couché sur le sable et sur l’eau et dans l’eau, lui, est bougé mais ne bouge pas.

En tentant d’épuiser par la parole ces images, dont l’une au moins aura été vue, revue et revue encore, et en nous contant la réaction d’un père confronté à celles-ci, Pierre Demarty ne s’entête pas à revenir frontalement sur des faits en tant que tels, ou les controverses qu’ils ont suscités. Son récit ne s’ancre ni dans les faits dont on a « tiré » les images, ni dans les actes et polémiques qui les ont suivies. C’est le regard qui l’intéresse.

Des images on ne ressort pas, ni ceux qui les habitent, ni ceux qui les regardent.

Le petit garçon sur la plage nous conte le récit d’un regard qu’ouvre la fiction, le prépare à recevoir le réel, puis y revient pour pouvoir y vivre. Le petit garçon sur la plage, sans nous l’expliquer doctement, nous donne à lire notre propre regard. Aux antipodes du cynisme obscène ou du sentimentalisme béat, Pierre Demarty nous démontre qu’il est possible – nécessaire même – d’émouvoir, de bouleverser. A la fois regard sur la fiction et fiction sur le regard, Le petit garçon sur la plage nous invite à revenir là où tout commence…

C’est l’histoire d’une dévoration. Une histoire de corps, ce qu’on fait d’eux, ce qu’ils font de nous, comment ils s’incarnent et se désincarnent, et qui commence par un œil.

Pierre Demarty, Le petit garçon sur la plage, 2017, Verdier. 

Les sons ci-dessus ont été produits et captés par l’excellent Alain Cabaux sur Radio Campus (92.1)

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