Pour le dire simplement – et imparfaitement, donc – , le neume est, en musique, l’ancêtre de la note. Signe musical qui transcrit une formule mélodique ou rythmique appliquée à une syllabe, il est, à l’image de la note, une sorte de schème à partir duquel peut s’organiser un univers musical. Aujourd’hui encore il est utilisé dans le chant grégorien et a servi, plus rarement, comme base de certaines pièces contemporaines – telle Prologue de Gérard Grisey.
en pied
nue dite
en jours courts
Dans Neumes, Henri Lefebvre propose une liste de 45 courtes mélodies qui, peu à peu, forment entre elles comme l’ébauche d’un personnage féminin. Comme autant de divers jeux d’ombres qui, chaque fois un peu mieux, en précisent la silhouette.
rendue telle à son tremblé
recrutée dans l’amas
réduisait un motif
Ces courtes mélodies ne sont pas qu’indistinctes et aléatoires petites choses « sonnant bien ». Pensées comme des motifs minimaux à partir desquels allait se structurer un ensemble, elles se devaient de lui offrir une assise solide. Comme on ne prend pas n’importe quelle pierre pour édifier un immeuble mais des moellons qu’on a taillé dans un même matériau, chaque neume est ciselé avec précision dans le langage. Autour d’un canevas général chacun est façonné par un assemblage particulier d’assonances, de rythmes, de sèmes qui « fabrique » sa singularité tout en collaborant à l’ensemble. À l’image de l’alexandrin dans le sonnet, de la phrase dans la langage poetry, ou de l’écart entre les deux termes d’une comparaison dans la poésie de Reverdy, le neume de Henri Lefebvre est bien une forme structurante. Et c’est d’elle dont participe, à l’image des diverses silhouettes qui confectionnent peu à peu le portrait d’une femme sous nos yeux, l’éclat de l’ensemble poétique. Henri Lefebvre nous rappelle ici que, toujours, la beauté résulte de la structure.
Henri Lefebvre, Neumes dans (l’extraordinaire) revue L’Ours Blanc éditée par Héros-Limite.