Actes Sud – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le monarque des ombres » de Javier Cercas https://www.librairie-ptyx.be/le-monarque-des-ombres-de-javier-cercas/ https://www.librairie-ptyx.be/le-monarque-des-ombres-de-javier-cercas/#respond Tue, 11 Sep 2018 07:34:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7725

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Car le passé est un puits insondable et noir où l’on arrive à peine à percevoir des étincelles de vérité, et de Manuel Mena et de son histoire, ce que nous savons est sans doute infiniment plus petit que ce que nous ignorons.

Alors qu’il se considère comme étant situé à gauche de l’échiquier politique, Javier Cercas est issu d’une famille originaire d’un petit village d’Estrémadure qui défendit pendant la guerre civile espagnole les idéaux franquistes. Figure emblématique de cet engagement, Manuel Mena, grand-oncle mort en engagé volontaire à dix-neuf ans sur le front de l’Ebre pèse sur la mémoire familiale d’un poids inversement lourd à celui des faits qui détaillent sa brève existence. Alors qu’il continue depuis longtemps à amasser des renseignements sur le martyre familial, peu à peu le passé s’éclaire, comme la possibilité de lui donner une place dans un livre.

D’ailleurs, peut-on être un jeune homme noble et pur et en même temps lutter pour une mauvaise cause?

Une guerre civile trouble les frontières morales. Et, si le temps qui passe permet peut-être d’y jeter un regard plus rasséréné, empreint qu’il est de la connaissance des conséquences, jamais ne semblent résolues définitivement les questions qui étaient à l’origine des clivages meurtriers. Javier Cercas semble ici répondre à une double nécessité : interroger une période troublée via l’histoire de l’un de ses acteurs disparus, et questionner, dans son rapport à ces interrogations-là, le rôle et la place de la littérature. Acteur et rapporteur de l’Histoire – comme l’est in fine tout auteur – l’écrivain est autant le fruit que le dépositaire de celle-ci. Alors que d’aucuns nieront ou invisibiliseront ces liens, Javier Cercas a pris l’habitude de mettre à nu, en même temps que l’Histoire, les mécanismes de sa narration. Cela sans doute car, dans le cas d’une guerre civile, l’oubli est outil même de l’Histoire. Car, alors qu’on est sous le joug de la crainte de réveiller la douleur de plaies toujours à vif, la discrétion, la tempérance, le respect du deuil, peuvent prendre les teintes de l’inconscience. Ce que nous rappelle Cercas, c’est que  la révélation de l’Histoire est encore de l’Histoire.

Alors certes, Javier Cercas donne des réponses. Il prend parti. On peut le regretter et penser que l’explication déforce la richesse du processus. Qu’il n’était nul besoin qu’il se positionne. Mais il reste toujours et les questions et la nécessité de se les poser, encore et encore…

Javier Cercas, Le monarque des ombres, 2018, Actes Sud, trad. Aleksandar 

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« 4321 » de Paul Auster. https://www.librairie-ptyx.be/4321-de-paul-auster/ https://www.librairie-ptyx.be/4321-de-paul-auster/#respond Fri, 12 Jan 2018 08:20:50 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7370

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Ces histoires étaient-elles vraies? Était-ce important qu’elles le soient?

S’il est une règle à ce point communément acceptée par tout lecteur qu’elle en est devenue souvent indiscernable c’est probablement celle qui consiste, dans le chef de l’auteur, à ne jamais discuter, au sein de son oeuvre, de la crédibilité de celle-ci. L’auteur pourra nous embarquer dans l’histoire qu’il voudra, aussi fantastique ou fictivement débridée soit-elle, lui-même ne pourra revenir sur ce contrat tacite, sous peine d’être accusé par le lecteur de tricher et de perdre sa confiance. Et si cette règle même fut l’objet de jeux qui permirent – et qui permettent encore – d’amener la fiction dans des retranchements peu courus (Sterne, Borgès, Calvino, Sorrentino, entre bien d’autres s’y attelèrent), il faut convenir que l’abandon ou le délitement très post-moderne de cette convention est souvent ressenti comme un divorce irrémédiable, cette rupture s’accompagnant de celle du suivi narratif et de l’identification du lecteur avec les personnages. En bref, soit cette règle est suivie et le roman peut dérouler, sous divers modes, ses fils narratifs et empathiques traditionnels, soit elle est transgressée et le livre verse alors dans l’expérience formelle.

J’aime bien les histoires qui admettent qu’elles sont des histoires sans prétendre être la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, juré, craché.

Dans 4321, nous suivons l’histoire d’Archie Ferguson, de sa naissance le 3 mars 1947 jusqu’à la fin des années 60. Les heurs et malheurs de ses parents, ses amitiés, ses émois sexuels, ses amours, sa relation avec Amy, l’amie d’enfance, celle avec sa tante Mildred, la découverte du cinéma, des livres… Le récit de mille pages pourrait être d’un classicisme éprouvé si ce personnage que nous suivions ne se diffractait pas en quatre de ses possibilités. Ainsi ne suivons-nous pas LA  vie d’Archie Ferguson, mais bien QUATRE vies du même Archie Ferguson. D’un chapitre l’autre, en sept temps différents (de 1.1,1.2,1.3,1.4 à 7.4) nous passons ainsi  d’une possibilité de la vie d’un même être à une autre, « toute chose égale par ailleurs », le contexte historique et socio-politique offrant la même toile de fond à chacune de ces possibilités. Et cela, sans que nous soit expliquées les raisons de cet artifice.

Que faire ou ne pas faire lorsque le monde flambe et que l’on ne dispose pas de ce qu’il faut pour éteindre les flammes, quand le feu est en vous autant qu’autour de vous, et quoi que vous fassiez vous ne pourrez rien y changer?

La prouesse de l’auteur (qui renoue ici, enfin, avec « sa grande période ») est de parvenir à maintenir une tension dramatique continue et crédible tout en rompant radicalement avec l’un des paradigme tacite les plus important de cette crédibilité.  Comment, en effet, nous faire croire en l’histoire – et surtout comment nous le faire aimer, possibilité après possibilité – d’un personnage alors même qu’à chaque changement de chapitre, le lecteur ne peut que constater que ce personnage n’est bien qu’un personnage? Et qui plus est, comment ne pas en faire un énième roman sur le roman, aussi brillant formellement que déconnecté du réel? Aux antipodes et du formalisme creux et du page-turner imbécile, 4321 démontre avec brio que l’imbrication de cette question formelle très précise et des questionnement métaphysiques, éthiques ou politiques les plus triviaux n’est pas seulement possible mais qu’elle est même indispensable. Et cela aux plus grand bénéfice et des « formalistes », que rebuterait l’idée même de devoir daigner penser – quelle horreur! – au simple « plaisir de lire » et de ceux que laisserait prétendument de marbre la moindre réflexion esthétique. Brillant et jouissif! Jouissif et brillant!

Paul Auster, 4321, 2018, Actes Sud, trad. Gérard Meudal.

 

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« Heurs & Malheurs du sous-majordome Minor » de Patrick de Witt. https://www.librairie-ptyx.be/heurs-malheurs-du-sous-majordome-minor-de-patrick-de-witt/ https://www.librairie-ptyx.be/heurs-malheurs-du-sous-majordome-minor-de-patrick-de-witt/#respond Fri, 24 Mar 2017 08:37:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6725

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Lucien Minor, pas plus aimé (mais finalement pas  moins non plus) qu’un autre, quitte son patelin natal et sa mère pour s’engager comme sous-majordome au château von Aux, sis au cœur d’un lugubre et étrange village alpestre. Il y fera la connaissance, entre autres, du majordome Olderglough, de Memel et Mewe, d’Agnes, du superbe Adolphus, mais aussi et surtout de la très belle Klara, dont il tombera éperdument amoureux. D’un rebondissement l’autre, il fera l’épreuve de la cruauté, de la tendresse et de l’amour.

-Tu n’aimes pas les divertissements?

– Si.

– Et tu n’éprouves pas de ressentiment quand un divertissement n’est pas à la hauteur de ce qui était promis?

– Si, certainement, madame.

– Eh bien, nous y voilà.

– Nous y voilà », répéta Lucy.

Patrick de Witt convoque large. Calvino, Kafka, Hamsun, Bernhard, Dahl, Cooper, Coover, Walser et bien d’autres, remerciés en fin d’ouvrage ou non. Louvoyant sans heurts ni gêne entre le fantastique et le picaresque, le conte cruel et la fable amoureuse, l’ironie mordante et une tendre empathie, le récit de Lucy fait adroitement mine de divertir et de ne faire que cela. Mais derrière ces rebondissements diantrement efficaces et cette aisance de conteur d’histoires, Patrick de Witt nous convie à une redoutable et jouissive leçon de littérature.

« Le mensonge est vraiment une chose remarquable ». Il se demanda s’il ne s’agissait pas là de la réalisation humaine la plus parfaite et, après réflexion, décida que oui. 

Patrick de Witt, Heurs & Malheurs du sous-majordome Minor, 2017, Actes Sud, trad. Emmanuelle & Philippe Aronson.

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« Enfer » de Dante Alighieri. https://www.librairie-ptyx.be/enfer-de-dante-alighieri/ https://www.librairie-ptyx.be/enfer-de-dante-alighieri/#respond Tue, 31 May 2016 06:27:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6073

Lire la suite]]> Enfer

Ô vous qui êtes d’un entendement sain,

considérez le sens profond caché

sous le voile de mes vers sibyllins.

Un chef-d’oeuvre (du moins de ceux, les seuls, qui imprègnent tout, pas seulement le domaine, littéraire, plastique, musical, duquel ils éclosent) fait émerger, à sa suite, nombre d’interprétations ou de traductions dont toutes proposent, souvent à l’exclusion des autres vécues alors comme concurrentes, d’approcher mieux l’essence du texte. Du moins est-ce ainsi que cette diversité (historique comme actuelle) nous apparaît aujourd’hui. Il y aurait, de qualités décroissantes, les traductions proches du texte original puis celles s’en éloignant. Mais c’est sans tenir compte que cette notion même : « une traduction, une interprétation se doit de coller au plus près l’oeuvre originelle » est elle-même relative à l’époque qui l’a produite. Notre souci de revenir à la moelle d’un texte, à son « ADN », est le notre. Et c’est bien selon ce paradigme, contemporain et donc relatif au temps de son exercice, que nous jugeons de la qualité des interprétations d’un texte, allant jusqu’à parfois affubler du substantif – climax moral – « trahisons » les traductions qui n’en feraient aucun cas.

Ô vengeance de Dieu, quiconque lit

ce qui alors à mes yeux apparut,

comme d’angoisse il doit être transi!

Danièle Robert recentre son analyse du chef-d’oeuvre dantesque sur sa structure trinitaire. Tout, dans la Divine Comédie est en effet façonné sur le chiffre trois et ses multiples, de l’imagerie théologique (du plus évident : la sainte Trinité; au moins connu : les trois penchants que condamne le Ciel : immodération, malice et la démente bestialité) aux principes formels structurant l’architecture de l’oeuvre (3 parties de 33 chants de rime terce assemblés en strophes de 3 hendécasyllabes). Regrettant l’écart qui exista de longue date entre l’importance unanime qui fut conférée à cette structure et son abandon dans les différentes tentatives de traduction, Danièle Robert se propose alors de construire sa traduction sur cette structure essentielle adoptée par Dante. En respectant scrupuleusement (respect et scrupule : deux termes si investis éthiquement…) la terza rima, la terzina et l’hendécasyllabe.

Nonobstant les impératifs quasi moraux exposés en préface dont la traductrice semble tour à tour ignorer et mettre en avant les principes, comme pour mieux distinguer un travail – le sien – qui en serait le garant, force est de constater que le résultat est magnifique!

Même en prose, qui donc pourrait jamais

parler exactement des plaies et du sang

que je vis alors, à cent fois le narrer?

 

En toute langue on serait défaillant

car nos esprits et façons de parler

pour tout saisir ne sont pas suffisants.

Dante Alighieri, Enfer, 2016, Actes Sud, trad. Danièle Robert.

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« L’imposteur » de Javier Cercas. https://www.librairie-ptyx.be/limposteur-de-javier-cercas/ https://www.librairie-ptyx.be/limposteur-de-javier-cercas/#respond Fri, 11 Sep 2015 08:42:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5455

Lire la suite]]> ImposteurEn juin 2005, un jeune historien révélait que Enric Marco, icône nationale antifranquiste, symbole de l’anarcho-syndicalisme, emblème de la puissante association des parents d’élèves de Catalogne et charismatique président de l’Amicale des anciens déportés du camp de Mautausen, était un imposteur. Son passé de trublion de la dictature, de déporté, de courageux combattant du fascisme était inventé de toute pièce. Le scandale fut considérable et dépassa largement les frontières de l’Espagne.

si la littérature peut servir à sauver un homme, honneur à la littérature ; si la littérature ne sert que d’ornement, merde à la littérature. 

Comme chacun questionné par cette imposture retentissante, Javier Cercas atermoya longtemps avant de s’en saisir. Dans L’imposteur, nous suivons conjointement le récit de cette exceptionnelle aventure de Enric Marco qu’est l’élaboration de son propre personnage et le récit de sa relation par Javier Cercas. Au fur et au mesure de la création de cette fiction qu’est devenu Enric Marco, nous lisons ainsi les doutes, les revirements, les profonds questionnements qui ont essaimés chez l’auteur pendant sa rédaction. Qu’est ce que le mensonge? Qu’en est-il de son rapport avec la fiction? Qu’est ce que la mémoire? Mentir peut-il être bien? Toutes questions, et tant d’autres, qu’éveille en lui l’extraordinaire mystification d’un homme dont il sent qu’il n’en a pas toujours fini de vouloir tromper, en cela compris son propre « biographe ».

Il dit.

Si le récit des faits, comme celui des doutes dont il s’agit de les exhumer – car les faits sont toujours tissés de doutes – sont proprement passionnants, ainsi que les inévitables rapports que la mystification entretient avec la pratique du roman (qu’il soit « avec ou sans fiction »), L’imposteur pêche parfois par le manque d’entrain avec lequel son auteur porte certains coup de butoir. Comme s’il avait peur de les asséner vraiment.

le chantage du témoin était plus puissant que jamais, parce qu’on ne vivait pas dans un temps d’histoire, mais dans un temps de mémoire.

La personnalité d’Enric Marco peut certes être éclairée par la psychologie. Et les raisons de ses mensonges peuvent évidemment trouver à s’expliquer dans une psyché tourmentée ou un passé l’exposant à la fragilité. Mais la psychologie – sinon peut-être celle des foules – n’explique en rien les raisons de son succès. Aussi intéressant que soit l’immersion dans les « profondeurs de l’âme » de l’affabulateur, elle ne répond jamais à ces questions : pourquoi a t’il été cru? ; et surtout : pourquoi la révélation de son imposture fit-elle à ce point scandale?

Si cette première question est abordée à quelques reprises, mais timidement et par l’entremise des rapports que cette question entretient avec la pratique romanesque, jamais la deuxième ne semble être réellement prise à bras le corps par Cercas.

De même que la déjà vieille industrie du divertissement a besoin de s’alimenter du kitsch esthétique qui offre à celui qui le consomme l’illusion de profiter de l’art authentique sans lui demander en échange de faire aucun des efforts que cette jouissance exige, ni de s’exposer à aucune des aventures intellectuelles, ni à aucun risque moral qu’elle suppose, la nouvelle industrie de la mémoire a besoin de s’alimenter du kitsch historique qui offre à celui qui le consomme l’illusion de connaître l’histoire réelle tout en lui épargnant le moindre effort, et surtout les ironies et les contradictions et les troubles et les hontes et les horreurs et les nausées et les vertiges et les déceptions que cette connaissance lui apporte : rares ont été en Espagne ceux qui ont fourni la marchandise toxique et gourmande de ce kitsch […] avec autant de pureté et d’abondance que Marco, et c’est ce qui peut expliquer le succès fabuleux ou une partie de ce succès fabuleux que ses récits ont rencontré.

Certes Marco a menti. Certes le mensonge, quand il n’est pas entouré de procédures communément admises, peut être légitimement reconnu comme nocif. Mais pourquoi ce mensonge là, l’usurpation de la qualité de rescapé de camp de concentration, nous paraît-elle la plus ignominieuse? Pourquoi est ce ce mensonge-là, précisément, qui fait de lui un impardonnable, presque un intouchable? Alors que l’auteur déploie l’éventail des questions que soulève le cas Marco, en prenant position et en assumant son rôle moral, il bute sur celle-ci. Comme s’il en avait conscience, en s’arrêtant à son bord. Comme par peur ou gêne.

Le romancier peut tromper, mais pas vous.

Marco est un homme de l’écrasante majorité qui dit oui. Mais qui a compris aussi que cette même majorité n’admire rien autant que son plus exact opposé et que ce qu’elle élève en image héroïque, ce sont ceux qui ont dit non. Et cet homme a désiré s’inventer lui-même cet être qui dit non. Et ce qui l’y a aidé n’est rien d’autre que la crédulité de cette majorité, assoiffée qu’elle est de trouver, s’il le faut dans ses contraires, ce qui l’extirpe sans risque de sa bêlante et désespérante docilité.

Une noble défaite n’est-elle pas l’aspiration ultime d’un écrivain?

Javier Cercas, L’imposteur, 2015, Actes Sud, trad. Elisabeth Beyer & Aleksandar Grujicic.

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« Tristesse de la terre » de Eric Vuillard. https://www.librairie-ptyx.be/tristesse-de-la-terre-de-eric-vuillard/ https://www.librairie-ptyx.be/tristesse-de-la-terre-de-eric-vuillard/#respond Thu, 18 Sep 2014 07:19:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4433

Lire la suite]]> Tristesse de la terreCe qu’on admire dans les musées fut souvent dérobé sur des cadavres.

Le spectacle est l’origine du monde.  Le tragique se tient là, immobile, dans une inactualité bizarre.

Alors qu’il est de bon ton de voir dans tout phénomène actuel un aboutissement, ou du moins une étape, d’un processus plus ancien aux origines desquelles il s’agirait de remonter pour y découvrir en germe les excès de notre époque, le Wild West Show est l’exemple parfait d’un phénomène réalisant dès son origine tout son programme.  L’évolutionnisme et le matérialisme historique ont parfois bon dos.  Tout est là dans le Wild West Show.  Il n’en est rien advenu qui n’y était déjà réalisé.

Les excès des « mass média » sont leurs penchants de la première heure.

Retraçant en parallèles multiples l’histoire du show, de Buffalo Bill Cody, de son manager ou de Sitting Bull, Eric Vuillard dévoile, au travers des racines du spectacle contemporain, les horreurs sur lesquelles nous sommes fondés.  Appât du gain, simplification à outrance, vulgarité, volonté totalisante, comme ils font partie des bases de l’origine du spectacle de masse, sont inhérentes à la société qui produit ce spectacle.

C’est une chose extravagante, la réalité, elle est partout et nulle part ; et depuis quelque temps on dirait qu’elle fane, c’est curieux, on ne sait pas l’expliquer, elle est toujours là mais elle semble avoir perdu de sa consistance.

Le spectacle de masse n’est pas un filtre mis sur le réel, ni une tentative d’en rendre compte, mais un essai d’annexion de celui-ci.

L’Histoire est morte.  Il n’y a plus que des punaises.

D’une langue sublime, toute en rythme, Eric Vuillard parvient à approcher au plus près, par détours successifs, cette « petite histoire » par laquelle se donne à voir ce que les poncifs institutionnels de la « grande » contribuent à enfouir.  Il rappelle que notre civilisation se nourrit de tout.  Que le spectacle de masse témoigne de son appétence à joindre la larme au profit, de soutirer de celle-ci tout le sel, ne donnant plus à en goutter qu’une eau fade, sans saveur.  Eric Vuillard nous rappelle notre propre responsabilité devant ce spectacle dont l’inanité ne serait peut-être que le miroir de notre propre désir de ne pas être.  Et, surtout, qu’il est possible de n’en pas être captif.

Le spectacle tire sa puissance et sa dignité de ne rien être.  Nous laissant seuls, irrémédiablement, avec nulle plaie où voir le jour, point de preuves.  Et pourtant, au milieu de ce vide bruyant, dans la grande pitié ressentie, jusque dans le mépris lui-même – quelque chose est là.  Comme si ce grand divertissement passager, cet oubli forcené de soi, cette façon de détourner la tête pour mieux voir était l’un des moments les plus tragiques de l’être : sans signe, sans révélation ; et où seulement le cœur se serre, où la main s’agrippe à l’autre, n’importe quel autre, pourvu qu’il soit à côté de nous sur les gradins, et qu’on puisse éprouver nos détresses voisines dans un cri, un rire, une simple communauté de sentiments.

Eric Vuillard, Tristesse de la terre, 2014, Actes Sud.

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« Orphelins de Dieu » de Marc Biancarelli. https://www.librairie-ptyx.be/orphelins-de-dieu-de-marc-biancarelli/ https://www.librairie-ptyx.be/orphelins-de-dieu-de-marc-biancarelli/#respond Fri, 22 Aug 2014 07:31:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4341

Lire la suite]]> Orphelins de Dieutu as pas fait appel à moi pour qu’on se raconte de jolies histoires.

En ce 19ème siècle naissant, résolue à venger son frère à qui quatre crapules ont tranché la langue sans oublier de le défigurer, Vénérande, jeune paysanne corse, s’adjoint les services de L’Infernu, vieux tueur à gages réputé pour sa sauvagerie, et s’embarque avec lui dans une traque sanguinaire.

mais la vie n’est-elle pas une suite de choix tous plus ou moins déplorables, pensa-t-il, des choix qui consistent avant tout à faire une croix sur un million d’envies, et ce pour n’en satisfaire qu’une seule, qui se révélera bien insignifiante au final, et qu’il faudra à son tour oublier dans l’alcool?

Alternent alors récit de la traque et récit de l’existence toute de fureur du tueur sur sa fin.  Alors qu’à la victime de l’horreur du monde est retirée la possibilité même de s’en plaindre, c’est à l’un de ses officiants qu’échoit non seulement la possibilité de le venger, mais aussi celle d’atteindre à la rédemption par l’exercice d’une parole.  Comme si, plus encore que la violence de L’Infernu, c’était le soliloque de sa confession qui pouvait racheter le poids que représente l’impossible plainte d’une victime, les tourments silencieux d’un homme qu’on avait condamné au silence éternel.

Elle buvait littéralement toutes ces histoires qu’il lui racontait jusqu’à en oublier ce qui l’avait menée à faire appel à lui.

Marc Biancarelli, dans une forme ayant toutes les apparences du classicisme éprouvé, questionne subtilement et magistralement les liens qu’entretiennent violence et vérité (la violence, ainsi la torture, n’elle pas parfois comme une assurance prise sur la vérité?).  Et démontre, dans un récit haletant, toute la force irréductible du langage et que, décidément, la plume est l’outil des sans-voix.

Ici, redisons-le, il n’est nulle mémoire.

Résonnera longtemps encore à vos oreilles l’éclat de rire sardonique d’une dernière phrase qui dit, génialement, à la fois la possibilité de la mémoire et sa terrible inutilité.

Marc Biancarelli, Orphelins de Dieu, 2014, Actes Sud.

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« Plein hiver » de Hélène Gaudy. https://www.librairie-ptyx.be/plein-hiver-de-helene-gaudy/ https://www.librairie-ptyx.be/plein-hiver-de-helene-gaudy/#respond Fri, 14 Feb 2014 08:34:38 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3729

Lire la suite]]> Plein hiverTout ce que semble posséder Lisbon, c’est l’histoire d’une disparition.  A tel point que l’on ne nomme celle-ci que comme L’histoire.  Car il n’y en n’a qu’une.  Alors que David Horn réapparait soudain quatre ans après une disparition tout aussi soudaine, la petite ville du nord des Etats-Unis se retrouve comme face à l’extinction de ce qui la fondait.

Chaque ville a un trou […] Celui de Lisbon s’appelle David Horn.

Le retour du jeune homme d’aujourd’hui dix-huit ans, inexpliqué tout comme son absence, engendre plus de suspicion que d’enthousiasme.  Son absence renvoie la ville à la sienne et aux mécanismes qu’elle avait mis en œuvre pour atteindre à un fragile équilibre.  Pâle copie figée dans le froid d’une Lisbonne au bords d’un Tage majestueux, elle ne s’enorgueillit que d’être aux bords de la plus petite rivière du monde, pompeusement appelée Atlantic River.  Lisbon n’échappe au désespoir d’être ce qu’elle est qu’en échappant au réel.

[il dit] que chaque lieu, chaque agglomération sur terre étaient touchés par un vide de cette sorte.  Que ces vides étaient nécessaires.

Qu’est ce que l’absence?  Sinon un espace laissé libre.  Et qui donc peut être investi.  Et quand celle-ci cesse, pour qui s’était enferré dans les vastes possibles qu’elle permet, s’interrompt aussi la liberté rassurante de l’illusoire. S’il présente quelques longueurs, le roman de Hélène Gaudy manie le mystère avec intelligence.  Et interroge aussi avec finesse ce que représentent ces vides que nous comblons, ou creusons, quand nous lisons…

Ils l’ont imaginé.

Hélène Gaudy, Plein Hiver, 2014, Actes sud.

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De la justification du pilon. https://www.librairie-ptyx.be/de-la-justification-du-pilon/ https://www.librairie-ptyx.be/de-la-justification-du-pilon/#respond Tue, 04 Feb 2014 14:56:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3843

Lire la suite]]> elections tumblrIl y a quelques jours nous recevions le mail suivant :

Bonjour,
Merci de ne pas mettre en vente le Contre les élections de David Van Reybrouck en Babel, qui vient de vous arriver ou qui va vous arriver sous peu : une faute délicate sur la couverture – « traduit du néerlandais (Flandre)» plutôt que « traduit du néerlandais (Belgique) » – impose de retirer cette version malencontreuse de la vente pour la remplacer par la version ad hoc, la réimpression est déjà en cours, mais ne vous sera probablement pas envoyée avant le dernier office de ce mois de février.  Les livres sont à renvoyer le plus rapidement possible chez UD.
Merci de votre attention et de votre suivi.
Cordialement,

Après multiple lecture (la berlue rode ces temps-ci, il convient donc d’y regarder à deux fois), nous comprîmes que nous n’avions nullement affaire à une illusion.

Raisonnables, nous conclûmes que ce livre n’avait pas été traduit du néerlandais des Flandres (c’est bien au pluriel que figure ce mot sur la couverture) mais bien de celui de Belgique.  Et que c’est vraiment très important de le préciser.  Car cela change bien entendu tout à la valeur de ce qu’on s’apprêtait à lire.  Et on ne remerciera jamais assez Actes Sud de nous rappeler aussi énergiquement qu’une langue ne se traduit jamais indépendamment de ses particularités régionales.  Qu’une langue est ancrée.  Et qu’ici elle l’est en Belgique, verdomme.  Qui n’est qu’une région des Flandres.  Si cela n’a pas valeur épistémique, rien n’en a.  On eût personnellement préféré que cette maison (qu’on a la faiblesse d’apprécier par ailleurs) aille jusqu’au bout de sa démarche.  Pourquoi n’avoir pas précisé la ville, voire le quartier.  « Traduit du néerlandais (Assebroek) » et non pas bien sûr « Traduit du néerlandais (Sint-Kruis) », village juste à côté, néanmoins charmant, mais dont la prononciation vondelienne peut varier sur quelques éléments de détail.  Ne mélangeons pas serviettes et serpillères.

Certes, il se trouvera bien l’un ou l’autre grincheux, pour trouver malhonnêtement d’autres raisons à cette courageuse volteface.  On entendra bien susurrer qu’il n’y derrière cela qu’un bête malaise politique.  Qu’Actes Sud ne fait cela que parce qu’en Belgique, dire que quelque chose vient de Flandres (oups), c’est forcément adhérer (ou encourager) un séparatisme qui n’est plus larvé.  Que ce qui est mis en général entre parenthèses après la langue de traduction est le nom d’un pays.  Et que donc, si on sacrifie à cette convention et si c’est marqué « Flandres », ça veut dire que les Flandres, c’est un pays.  Et donc la Belgique est foutue.  Et donc, c’est Bart de Wever qui a gagné.  Et qu’il se rapproche un peu plus d’Arles.  CQFD.  Bien évidemment, nous ne pouvons adhérer à cette vue qui n’est que d’esprit (mal intentionné qui plus est).  Comment croire qu’une maison de ce sérieux puisse emprunter aussi naïvement les méandres d’une dialectique aussi basique?  Comment surtout croire que cette maison d’édition puisse penser que ses lecteurs sont des déficients mentaux rétifs à toute explication dépassant le stade maternelle?  Et qu’entre deux maux : expliquer (par exemple la différence entre une erreur et une faute ou celle entre une convention et une obligation) ou détruire, ils aient choisi le deuxième par peur de la polémique et pour ne pas avoir à se confronter à la bêtise supposée de leur auditoire?  Procès d’intention!  Mauvaise foi que tout cela!  Bon c’est vrai que dans leur mail, ils ne parlent pas d’erreur (ce qui ressort plutôt de la technique) mais bien de faute (qui a des relents moraux).  Mais bon.  Tout ça c’est du pinaillage… Vue de l’esprit, on vous dit!

C’est donc uniquement pour le bienfait sacré (genou en terre, regard énamouré vers les cieux) de la littérature que quelques milliers de livres seront acheminés vers les librairies, en ressortirons aussi vite, à grand renfort de senteurs gazolées, puis seront réduits en chair à papier.

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« Confiteor » de Jaume Cabré. https://www.librairie-ptyx.be/confiteor-de-jaume-cabre/ https://www.librairie-ptyx.be/confiteor-de-jaume-cabre/#respond Tue, 24 Sep 2013 06:57:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3133

Lire la suite]]> confiteorJe ne me plains pas : je t’écris, c’est tout.

Avant qu’il ne sombre définitivement dans le désordre qu’engendre en lui la maladie dégénérative dont il est atteint, Adria décide d’écrire sa confession et l’adresse à Sara, la femme aimée de toujours.

Entre une mère qui rêve de faire de lui un violoniste virtuose et un père, ancien séminariste reconverti en antiquaire, qui le destine à incarner LE représentant de l’humanisme (Tu seras un grand humaniste et point final.), c’est à une enfance sans amour qu’est condamné le jeune et brillant Adria, objet de projet, non de désir.  Parmi les livres d’études, les manuscrits rares, les objets de collection les plus divers, glanés au gré des mouvements de l’Histoire par son père (qui l’a aussi un peu aidée, cette Histoire, à faire tomber dans son escarcelle les objets les plus désirés), parmi tout cela, émerge un objet : le Vial, seul violon de Storioni à porter un nom.

Le Vial était une sorte de mirador pour l’imagination.

Tous les objets portent sur eux les traces et souvenirs de ceux qui les ont ceints, portés, ou joués d’eux, comme de ceux qui les ont façonnés.  Comme autant de stigmates.  Et c’est ce qui attire vers eux, plus que les objets en eux-mêmes ou leur coût, ceux qui les veulent posséder.

si je trouve un objet qui m’intéresse, le monde se réduit à cet objet, que ce soit une statue, une peinture, un papier ou une toile.  Et le monde est plein d’objets qui, à eux seuls, n’ont besoin d’aucune justification.

Et faire l’histoire d’un objet revient alors à plonger dans celle de l’obsession qu’ont éprouvé ces possesseurs à travers le temps à le posséder.  Jusqu’à ce que posséder puisse se faire par delà bien et mal.

C’est incroyable, comme les choses les plus innocentes peuvent engendrer les tragédies les plus improbables.

Dans la phrase qui dérive, la mémoire qui flanche de celui qui écrit, confondant les époques, faisant d’un il le tu auquel il s’adressait plus tôt, se donne précisément à lire cette conjonction intime entre Beauté et Mal, cette conviction du narrateur que le Mal ne peut qu’exister lié au Beau et comme hors du temps.

L’Obersturmbannfürher Rudolf Höss, qui était né à Gérone pendant l’automne pluvieux de l’an 1320, à l’époque si lointaine où la terre était plate.

Le bourreau néo-nazi ne ressemble pas à l’inquisiteur .  Il l’est.  Le Mal, quand il est parfait comme seul lui peut l’être, même s’il s’incarne (Le Mal, c’est des vraies gens.), est une figure fondamentalement uchronique.  Et quelle meilleure manière de montrer l’uchronie du Mal que dans la confusion de la mémoire qui se charge de le confesser?

Je suis responsable : confiteor

Jaume Cabré, Confiteor, 2013, Actes Sud, trad. E. Raillard.

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