« Les Aveux de la chair » de Michel Foucault.

La conception que l’on se fait souvent aujourd’hui des rapports qu’entretiennent (et ont entretenu de tous temps) religion et sexualité est foncièrement duale et exclusive. Pour qui n’a aucune connaissance des textes des pères de l’Eglise ou de leurs commentaires, l’équation sexuelle dans le champ chrétien est on ne peut plus simple : le sexe, c’est mal et on peut pas. Tous les discours ayant alors germé au cours de l’histoire sur ce constat simplissime n’ayant alors eu d’autre objectif que d’organiser cet interdit. Un des premiers mérites de l’oeuvre de Foucault est de sortir ces textes chrétiens de la gangue normative et juridique dans laquelle seules nos impérities et nos méfiances laïques les y confinaient (et les y confinent encore).

La « chair » est à comprendre comme un mode d’expérience, c’est-à-dire comme un mode de connaissance et de transformation de soi par soi, en fonction d’un certain rapport entre annulation du mal et manifestation de la vérité. Avec le christianisme, on n’est pas passé d’un code tolérant aux actes sexuels à un code sévère, restrictif et répressif.

Alors que seule une lecture partielle et partiale (plus partiale que partielle d’ailleurs) de la littérature chrétienne peut déceler dans le rapport que la religion entretient avec la sexualité une rupture radicale et dogmatique d’avec celui qu’entretenait la sexualité et, par exemple, la philosophie grecque, une analyse comparée savante et rigoureuse des textes nous apprend que le contraire est bien plus vrai. Ainsi l’organisation chrétienne du rapport à la chair (que ce rapport s’actualise dans les questions de la virginité, du mariage, de la concupiscence, de la pénitence, etc…) s’est-elle bâtie sur des fondements qui, qu’ils lui préexistent ou qu’ils en soient concomitants, ont été bien plus enrichis qu’affaiblis (d’aucuns diront même abêtis) par l’approche chrétienne.

le contrôle externe des pénitents a joué un rôle relativement accessoire par rapport à une autre procédure de vérité, beaucoup plus centrale dans la pénitence : celle par laquelle le pécheur reconnaît lui-même ses propres péchés.

Non content de rétablir l’histoire dans ses droits et de nous rappeler ainsi que la lecture du passé ne peut s’opérer à la « lumière » des filtres ou des hantises de notre époque, Michel Foucault nous démontre brillamment combien cette pensée complexe du rapport à la chair chez le penseur chrétien fut le soutien de l’élaboration d’un rapport de soi à soi d’une extraordinaire richesse. Car, loin de vouloir organiser dogmatiquement, juridiquement ou hiérarchiquement le rapport d’un être à ses faiblesses ou ses fautes, le théologien chrétien chercha surtout à construire à la disposition de celui-ci des procédures lui permettant de les examiner par lui-même. De Clément d’Alexandrie à la rupture augustinienne, la lecture de la chair chez les premiers pères de l’église et des procédures de vérité qu’ils instituent d’abord comme des façons de se contrôler soi-même, d’accéder au vrai par soi-même, et non pas comme des normes externes à respecter aveuglement, tout cela est l’occasion d’observer des moments privilégiés de l’histoire du sujet.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair, Histoire de la sexualité IV, 2018, Gallimard. 

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