« Journal de déportation » de Yannis Ritsos.

Journal de déportationUn si grand silence et personne ne se réveille.

En juillet 1948, dans la foulée du vote de la loi dite « 509 » rendant illégale le Parti Communiste Grec, Yannis Ritsos fut arrêté et emmené sur l’île de Limnos. C’est là qu’il composera les deux premières parties de son Journal de déportation. La troisième partie sera elle écrite à Makronissos, de sinistre mémoire, où les prisonniers furent déportés dès mai 1949, décision ayant été prise de mieux « organiser » et durcir la répression. Ce n’est qu’en juillet 1950 qu’il sera transféré de Makronissos sur l’île d’Aï-Stratis dont il ne sera libéré qu’en 1952.

Pas de quoi faire un poème bien sûr et je jette ça sur le papier comme une pierre inutile sur d’autres pierres qui aideraient peut-être un jour à bâtir une maison.

Son journal est bien entendu un document, un mémoire de l’enfermement. Entre le récit des lettres qui arrivent au compte-goutte, de l’ennui, des petits soucis du quotidien, des variations du climat, il est la trace de ces infimes riens qui font le tout du prisonnier. L’emprisonnement rétrécit le monde, il l’enserre dans ses limites. Et à moins de sombrer dans la folie, chacune des parcelles qui lui est laissée doit être exprimée par le prisonnier le plus profondément possible. De ces riens, le prisonnier doit exprimer la quintessence.

Nous tâchons de fixer notre attention sur une couleur sur une pierre sur la marche d’une fourmi.

Travail de mémoire donc, certes. Et la voix que sa parole donne à ces camarades la légitime déjà à elle seule. Mais ce journal est aussi la marque, par le travail du poète, de ce que dernier peut apporter qu’aucun autre ne peut. Par le langage seul, alors que tout autour de lui se dépouille, se mure peu à peu dans le silence et le froid, faire état de ce qui y demeure malgré tout, et le magnifier.

Avec le temps se raréfient les bons mensonges.

En arrachant ces moments du réel des camps (et non en leur construisant un ailleurs éthéré), en en travaillant sans cesse les mêmes accords (les ronces, les barbelés, les chiens, la brume, le froid, les chaussettes trouées…), en toute lucidité, il parvient à dresser des mots qui permettent – à tous – d’y ancrer un espoir et une résistance.

Au-dessus d’eux le ciel s’agrandit

il s’agrandit s’approfondit

il ne s’épuise pas. 

Yannis Ritsos, Journal de déportation, 2016, Ypsilon, trad. Pascal Neveu.

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