« En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou » de Adrien Candiard.

En finir avec la toleranceEntre 711 et 1492, l’Andalousie fut sous domination musulmane.  Cette période de l’histoire, sous le nom d’al-Andaluz, est de nos jours utilisée soit comme exemple de cohabitation pacifique entre les trois religions sous l’islam, soit son exact inverse.  Tout simplement car, comme toute période (à fortiori longue) détachée du flux de l’histoire, ses propres variations permettent d’abreuver toutes les idéologies.  Ainsi, si l’ensemble du 12ème siècle, ou la ville de Tolède après sa prise par le roi de Castille, ou encore le califat de Cordoue, peuvent montrer des exemples de vie en harmonie et de tolérance ; d’une part ce n’est nullement le cas de l’ensemble ni de la période ni du territoire ; d’autre part les critères du vivre ensemble respectés à l’époque sont très loin des standards d’aujourd’hui.  Donc, oui, la coexistence pacifique de toutes les croyances, coexistence respectueuse de l’autre, tolérante, désintéressé, enrichie d’une liberté totale de rite, dans un territoire administré par des musulmans, est bien, selon les critères d’aujourd’hui, un mythe…

La dénonciation du mythe n’est pas moins politique que le mythe lui-même ; elle promeut son propre programme et s’intéresse elle aussi au présent bien plus qu’à l’histoire, aux banlieues plus qu’aux Omeyyades.

Le premier (grand) mérite de cet essai essentiel est de re-contextualiser un discours sur l’histoire.  Et de bien montrer qu’il n’est, précisément, que discours.  Et non l’histoire.

Partant de ce premier constat, Adrien Candiard, avec intelligence et mesure, essaie de montrer en quoi al-Andaluz peut, cependant, encore nous servir aujourd’hui.  Et ce service provient justement, non de la volonté des différentes parties clivées actuelles d’y retrouver à tout prix chacune ses propres fondements, mais bien, au contraire, comme exemple de différence radicale d’avec notre époque.  Ainsi, avec Locke, puis Kant, s’est constitué un modèle de tolérance religieuse qui repose sur une forme de différenciation des statuts de la vérité.  Il y a une vérité forte, issue du savoir.  Il y en a une autre, ne pouvant être éclairée que faiblement en raison, qui ressortit de la foi.  La première est affaire de vivre-ensemble, d’état.  La seconde est privée.  Et donc : tu as ta vérité, j’ai la mienne.  Ce rejet de la question de la vérité dans la sphère privée l’a assimilé de fait au registre identitaire.  La croyance, et tout ce qui peut en découler, ne peut donc plus être discuté simplement.  Car si l’on peut discuter du vrai, il est plus complexe de le faire si ce vrai est ressenti comme nous constituant.

On peut débattre de ce que je pense, mais peut-on accepter de débattre de ce que je suis?

Ce rejet de questions du registre de la vérité à celui de l’identité, s’il a porté de nombreux fruits, dont l’un des moindres n’est pas d’avoir fortement réduit les manifestations de violence religieuse, semble selon l’auteur atteindre aujourd’hui ses limites.

en Andalousie […], la religion n’est pas affaire d’identité, mais de vérité.

Al-Andaluz était théâtre de disputes, de débats, voire de combats, parfois virulents entre les tenants des diverses religions révélées. Chacun y mettait toute son énergie dans la volonté de convaincre l’autre.  Mais la plupart (et la vitalité intellectuelle de cette époque en découle entièrement) saisissait bien qu’imposer la vérité (saisie comme LA vérité et non la sienne, saisie relativement) ne pouvait passer qu’en connaissant les arguments et les postulats qui sous-tendaient la thèse du vrai soutenue par le contradicteur.  La connaissance de l’autre, loin d’affaiblir à priori mon système de vérité, était vue comme l’affermissant.

La polémique se révèle plus productive pour la connaissance de l’autre.  C’est peut-être la principale raison que nous pouvons tirer de l’histoire intellectuelle andalouse : la polémique n’est pas nécessairement dangereuse.

La vitalité de cet essai, dense et didactique, ne peut être résumée ici.  Par delà les clichés (et ce texte éclaire qu’ils sont souvent le plus présents là où on s’en doute le moins), il démontre qu’une vraie dispute est d’abord une écoute réciproque.  Certes.  Mais une écoute dont est expurgée toute nécessité à priori d’aboutir à un consensus.  Et qu’accepter la différence ne se peut qu’en acceptant le désaccord.

Car le syncrétisme, qui veut ramener à l’unité toute diversité, a beau paraitre plus tolérant, il est véritablement plus totalitaire : il interdit jusqu’à la possibilité théorique de désaccord!

Adrien Candiard, En finir avec la tolérance? Différences religieuses et rêve andalou, 2014, PUF.

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