« Transbordeur 3 : Photographie, Histoire, Société »

 

Depuis toujours, les photographies constituent des outils efficaces pour adjoindre des informations à des enregistrements visuels.

Que ce soit pour le déplorer ou le vanter, le flux d’images dans lequel nous avons le sentiment de baigner aujourd’hui pose des questions d’autant plus pressantes que cette situation nous parait exceptionnelle. Technicisés à l’extrême, nous nous sentons pourtant souvent dépassés par les images et leur amas et avons le sentiment que ce nouveau monde numérique dans lequel nous versons désormais forme une sorte d’ailleurs absolu, totalement neuf. Et que l’exceptionnalité radicale de ce moment ne peut trouver de solutions qui l’organisent que dans une inventivité tout aussi radicale. Sans nier la particularité d’une époque, c’est oublier que chacune n’est que la conséquence d’autres. Et que si les défis qui s’y font jour ont bien une histoire qui peut être retracée, il est possible alors de déceler conjointement aux défis les parcelles de solutions qui furent jadis imaginées pour y répondre.

La culture globale se loge moins dans une iconographie du global que dans la capacité de médiation que possèdent les images, liaisons entre les spectateurs et un monde dont l’échelle et la complexité – structurelles et sociétales – restent nécessairement invisibles.

Quand Charles Lindbergh traversa l’atlantique pour la première fois et atterrit au Bourget le 21 mai 1927, un photographe « immortalisa » l’événement. La photographie fut immédiatement transmise via les ondes pour paraître 3 jours plus tard dans les journaux américains avec une qualité certes médiocre, mais qui était « à l’image » de la vitesse dont elle rendait compte. Développée déjà quelque années auparavant la technique de la téléphotographie, en même temps qu’elle permit de pallier aux long trajets de la photographie physique, permit aussi de faire germer une véritable réflexion quant aux rapports qu’entretiennent l’image et l’information. À la fin des années 60, Xerox créait son copieur 914 qui allait permettre – moyennant rétribution à la société américaine – à des milliers d’utilisateurs de copier sur du papier normal n’importe quel document. Et à l’un d’entre eux, Daniel Ellsberg, de sortir des informations compromettantes du Ministère Américain de la Défense et de donner lieu au scandale des « Archives secrètes du Vietnam ». Avec la photocopie « démocratisée » se trouvaient ainsi redistribuées les cartes de la confidentialité et du pouvoir. Quelques cinquante ans plus tard, dans leur volonté de développer une intelligence artificielle qui puisse développer elle-même les capacités d’apprentissage utiles à la reconnaissance visuelle, des développeurs confient à des petites mains sous-payées, des « Turkers », le soin d’approvisionner le logiciel d’un nombre colossal d’images de base. Sous le mythe de la fameuse AI censée bientôt concurrencer l’humain,  c’est la bonne vieille image de l’exploitation de l’homme par l’homme que l’on retrouve.

Ce avec quoi rompt l’essentiel dossier de Transbordeur 3, c’est avec notre croyance de vivre un temps si exceptionnel qu’il serait détaché de toute histoire et avec notre ignorance des moyens réels qui sont à l’origine de ces prétendus miracles technologiques. L’histoire de la photographie est traversée de la pensée de sa diffusion et de sa transmission. Dès ses débuts, l’image photographique fut l’occasion d’interroger les rapports qu’elle entretenait avec l’information et les changements économiques, politiques, sociaux, esthétiques que son flux pouvait engendrer. Nous confronter aujourd’hui à l’historicité de ce qui parait si exceptionnel – et donc en dehors de toute histoire – nous force à l’humilité et à la reconnaissance de nos propres apories.

Aux antipodes de la lecture « technique », « en vase-clos », de « spécialiste pour spécialiste », Transbordeur est de ces lectures qui prouvent qu’en s’approchant au plus près d’un sujet on peut éclairer de la lumière la plus vive et la plus nécessaire des pans entiers du réel. Quelle lecture est plus utile?

Transbordeur 3 : photographie, histoire, société, 2019, Macula.

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