« Lectures de prison »

Pourquoi l’État veut-il que les détenus lisent? Comment sont organisés les fonds? Quel est le fonctionnement de la bibliothèque de prison? Comment savoir ce que lisent les détenus? Quel lieu pour la bibliothèque pénitentiaire? En plongeant dans les archives de la prison française dès 1725 et les suivant tout du long jusque 2017, ce très beau livre de 460 pages entreprend de nous renseigner sur la façon dont la lecture a été envisagée dans l’univers carcéral au cours du temps. On y voit ainsi que la lecture, très tôt envisagée comme un élément d’importance au sein de la prison, le fut évidemment en épousant les codes sociaux, politiques et moraux des différentes époques. S’y lit ainsi le passage de la satisfaction à des impératifs moraux transcendants (il fallait lire les textes religieux pour s’édifier) à celle de l’émancipation individuelle (il faut lire pour s’éduquer). On passe d’une bibliothèque organisée par ou avec l’aumonier à une implication du détenu dans son administration. Le livre y est d’abord envisagé comme un objet parmi d’autres avant, peu à peu, d’y trouver une identité propre et un statut particulier.

Le sujet – l’excuse pourrait-on dire – du livre paraît ténu. L’organisation d’une activité précise, ici la lecture, au sein de l’univers des prisons paraît à première vue ne pouvoir intéresser qu’un petit public de spécialistes, férus de sociologie carcérale ou d’histoire culturelle. Mais tout a été fait ici pour extirper de ce point d’accroche très pointu de quoi le relier à des questions qui le débordent très largement. Dans l’analyse pointilleuse de ce rapport entre lecture et prison émergent ainsi des faits et des évolutions socio-politiques et anthropologiques bien plus génériques qu’attendu. Dans les listes d’ouvrages, comme dans les méthodes de classements on décèle ainsi notre croissante spécialisation du réel. Dans l’évolution de la prise en compte des détériorations dont sont atteints les livres proposés se font conjointement jour la modification du rapport à un objet manufacturé et celle de ce que signifie l’acte pénitent. Et la liste est très longue de ce que ce livre questionne avec une intelligence rare.

En ayant fait le choix risqué d’encadrer ad minima l’ampleur considérable des documents traités, le parti pris de l’éditeur est aussi courageux que redoutablement efficace. Le lecteur, ainsi plongé dans une masse dont la structure subtile ne se dévoile que peu à peu, doit lui-même démêler l’écheveau des diverses lectures possibles. Cette lecture d’une histoire d’un contexte très particulier de lecture devient alors l’occasion d’un retour sur sa propre expérience. Et les questions posées au départ, qui paraissaient donc si spécialisées, amènent in fine à s’en poser d’autres plus généralistes : pourquoi lire? c’est quoi lire? quels charges politiques, anthropologiques, éthiques, pèsent sur l’acte de lecture?

Un livre sublime et magistral!

Lectures de prison (1725-2017), Éditions Le Lampadaire.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/lectures-de-prison/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.