Poésie/Off/Huguette Champroux

Rarement le mot « poésie » et ses dérivés auront été autant à la mode. Une vocifération prétendument émancipatrice, un discours suintant l’emphase et le nationalisme, l’extatique récitation de lieux communs face caméra : la moindre revendication, la moindre supplique à vocation idéologique, sous prétexte qu’elle est médiée par le langage, est maintenant vendue comme ressortant du poétique. Rarement telle surenchère sémantique aura été si peu en rapport avec l’objet qu’il prétend nommer. La « poésie » est partout, la poésie nulle part. En « armant » leurs « luttes » des pâles ersatz d’une poésie réduite à ses clichés et aux seuls principes de la communication actuellement en vogue – format court, visuel, sonore, ludique, punchline – ces « combattants » du poétique parviennent à ridiculiser leurs combats (ça on s’en tamponne gentiment) et à donner de la poésie, pour ceux qui n’en connaissent rien, l’image d’un outil niais et inféodable à peu de frais à quelque « cause » que ce soit (ça c’est chez nous plus sensible). Tout entier dévolu à « étreindre par le langage » l’opprimé, le racisé, le féminin, le lombric ou le coquelicot, le poète guérillero en oublie que la poésie est avant tout chose esthétique (et non pas « belle », ni « jolie », ni « subjective »). Las de cette dilution de l’αίσθησιs (le grec, c’est toujours classe) dans tout ce à quoi on cherche bêtement à la forcer, nous avons décidé de consacrer majoritairement ce blog, ces prochaines semaines, à l’expression sans apprêt de textes poétiques qui comptent. Fi des étendards. Place à la poésie.

Reine cinq (1982)

Parle pas de raisin tout l’après-midi

tulipes je n’ai pas cent ans je ne peux ni glisser

ni arrêter je n’ai pas de chemise je file en

arrêt autant que certaines fois retourner le

papier dans le sens horizontal écrire comme

si j’aillais tourner je vois que rien ne tourne

sinon moi je vois le jaune selon

qu’il y a sans doute ailleurs un bleu épais

qui fait ouate d’abord ou d’abord S – Tel quel ou impos

sible de parler à la métaphore je ne crois à

aucune rapidité j’oriente deux valoirs

pour le vent et l’habitude de ne pas éclaircir

éclaire l’identité on s’appelait dans les

roues dans les mots de vieux amnésie mais

je brode entre mes dents autant qu’une fanfare

pendant que l’inquiétude ne cesse si j’écrivais

vraiment un texte si je l’avais écrit une

fois comme (pour toutes) et je serais parmi

(une) lézarde quelques jours après objet de

balancement violence à ne pas s’excuser.

Huguette Champroux, Off, Le Bleu du ciel.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/poesie-off-huguette-champroux/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.