« Qu’est-ce qu’une plante? » de Florence Burgat.

Entre la vie végétale et la vie animale, rien n’est commun, pas même le fait de vivre, tant les acceptions du terme sont, ici et là, hétérogènes l’une à l’autre.

La plante est à la mode. Comme l’est également cette tendance à penser autrement les rapports qui gouvernent les différentes manières d’être vivant. On ne compte plus les livres dont c’est le sujet principal, ceux-ci se vendant parfois à plusieurs millions d’exemplaires. Malheureusement, toute mode amène avec elle son lot de simplismes. Ainsi, alors qu’on s’y refuserait naturellement s’il s’agissait de s’intéresser au monde animal, se complait-on souvent, lorsqu’on cherche à analyser le monde végétal, dans un anthropomorphisme – ou un zoomorphisme – aussi transparent qu’éhonté. « Les arbres pensent », « les plantes se réincarnent en nous », « les plantes peuvent se montrer honnêtes ou trompeuses », « elles communiquent et souffrent »… Entre raccourcis sémantiques, gloubi-boulga post-deleuzien et maladroites tentatives sémiologiques, ce néo-animisme, certes gros vendeur de bouquins*, dessert avec une parfaite constance la totalité des causes qu’il prétend servir.

Le refus de tout anthropomorphisme, qu’exige l’altérité radicale des végétaux au regard de la vie animale, loin de tarir la source de réflexion sur l’être des plantes, ouvre au contraire un espace de compréhension qu’invalide toute tentative d’insérer la vie des plantes dans la communauté des êtres sensibles.

À chercher à tout prix à étendre des concepts animaux au végétal, sous le prétexte (fallacieux ou souvent inconscient) de faire profiter le second du statut prétendument supérieur du premier, on lisse la différence, on fait de l’objet d’étude un même. Comme s’il nous était à ce point impossible de reconnaître une altérité, avec toute l’inquiétude que l’autre peut générer, qu’on se sentait contraint, pour la définir, de la ramener dans le domaine rassurant de l’identité…

C’est à cela pourtant que Florence Burgat nous incite à revenir, à l’altérité radicale de la plante. Une altérité qui ne peut donc être définie – car elle est précisément radicalement autre – sans que soient, du même allant, redéfinies – et non étendues – nos grilles de lecture épistémologique, ontologique ou éthique. Mais sans non plus que ces grilles de lectures ne doivent être réévaluées au prisme forcé d’autres grilles considérées comme meilleures pour la seule raison qu’elles seraient exotiques. Tout comme l’utilisation d’une sémantique issue de la psychologie ne rendra jamais la plante « pensante » ou « souffrante », l’utilisation d’un vocabulaire issu d’un ailleurs inassimilable (qu’il s’agisse, par exemple, de « Gaïa » ou de « Pacha Mama ») ne nous rendra pas par définition autres que nous sommes.

Pourquoi chercher à tout prix une forme de vie qui puisse les contenir toutes, et donc les dissoudre?

Comme la souffrance végétale, pour laquelle nous ne disposons d’aucune expérience valide, sert utilement à évacuer la question de la souffrance animale, ces réductionnismes en cascade induisent une indiscernabilité des différences qui, « au mieux », mine nombre d’efforts souvent louables (« Comment faire adhérer à un indispensable programme de protection de l’environnement un tant soit peu ambitieux, alors qu’il est aussi porté par des hurluberlus qui le discréditent? »), au pire, exonère à peu de frais d’actes blâmables (« Tu manges quoi si tu refuses de voir souffrir le poulet et que tu sais que la carotte souffre? C’est triste, mais il faut bien que tu te contraignes à accepter la souffrance du poulet. À défaut tu crèves de faim… »). Faire le sacrifice de la complexité – et donc d’une radicale altérité – se paie toujours très cher…

Florence Burgat, Qu’est-ce qu’une plante? Essai sur la vie végétale, 2020, Le Seuil.

*si ces pseudo-thèses fumeuses se retrouvent abondamment dans certains best-sellers ouvertement « vulgarisateurs », on peut les lire également, souvent camouflées par un verbiage pseudo-savant, dans un nombre croissant d’ouvrages en lien avec l’université. Paresse ou envie de s’encanailler, il n’en demeure pas moins que, dans le champ du « livre prétendument sérieux » aussi, le n’importe quoi semble être devenu un enjeu…

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