« Almanach » de Péter Nádas.

Un almanach n’est pas un journal. S’il suit bien, comme un journal le ferait, le rythme des jours, et plus encore des saisons, il s’autorise des détours vers les listes, vers les contes, vers les chroniques, vers les fictions. Là ou le journal collationne ce qui arrive, l’almanach permet l’irruption dans le réel de ce qui n’arrive pas.

Depuis lors, je n’arrive plus à m’ôter de la tête que la littérature, en vraie domestique de la réflexion causale, s’occupe exclusivement de ce qui arrive, alors que tout ce qui n’arrive pas occupe dans la vie une place immense.

Mois après mois, un écrivain hongrois réfugié à la campagne décrit le cours d’une année. De l’achat d’un motoculteur aux souvenirs des derniers jours d’une amie chère, en passant par ce qu’évoque en lui un visage inconnu ou des considérations sur l’histoire de Marcus Valerius, Péter Nádas passe avec autant d’aisance que de génie de la fiction débridée au récit « classique ».

Dieu confia le monde à nos soins, Écritures à l’appui, et le quitta juste à temps. Nous l’avons détruit. Or, il nous faut maintenant en voir la ruine par ses propres yeux. À l’heure de nous anéantir, nous connaîtrons enfin sa nature. Voilà ce qu’est savoir.

L’almanach n’est pas un foutoir. Il est l’occasion, pour l’écrivain hongrois, de faire entrer dans l’ordre habituel des jours ce qui, souvent, n’y trouve pas droit de cité. Le présent n’est pas fait que de ce qui arrive à l’instant « t ». Il est tissé de ce qui, au sens plein et entier, n’arrive pas à cet instant (et qui fait l’objet des pensées de celui qui pense à l’instant « t ») comme de ce qui fait de cet instant la conséquence d’autres ou la cause d’autres instants à venir. Le présent est le réel et le rêve. Le présent est le passé et l’avenir. Et là où le journalisme s’ente dans ce qui arrive et lui rend grâce, la littérature est précisément ce qui en consomme le divorce. En s’attachant à ce qui n’y survient pas, elle augmente le réel.

La juste mesure des liens de corrélation entre les choses imparfaites, c’est la beauté.

Péter Nádas, Almanach, 2019, Phébus, trad. Marc Martin.

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