« Histoire des zoos par les animaux » de Violette Pouillard.

la mort de ceux qui valent peu n’est rien pour ceux qui vivent d’eux.

L’animal est sentient! Si, d’ici quelques dizaines d’années, on pourra rétrospectivement attribuer au siècle vingtième et au début du vingt-et-unième les palmes d’une découverte scientifique majeure, c’est certainement aussi à celle-là qu’on fera référence. Mais, si le fait que ce qui arrive à un animal lui importe est aujourd’hui scientifiquement reconnu, il faut bien reconnaitre que ce même fait reste souvent peu porteur de conséquences ambitieuses. Et cela tant au niveau conceptuel qu’au niveau pragmatique. Soit on sait – ou on feint de savoir – qu’un animal est un individu capable de sentience, mais sans prendre en compte tous les aspects que ce savoir induit. On construit alors de grands ensembles conceptuels qui, aussi séduisants qu’ils soient, paraîtront éthérés car déconnectés de la réalité individuelle qu’ils disent circonscrire. Soit on fait fi de tout appareil critique – la criticité étant jugée comme trop anthropocentrée – pour s’adonner, aux côtés de l’animal, à une descente en règle de tout ce qui est humain. On bâtit alors un temple uniquement fondé sur l’opinion et habitable pour ceux-là seuls qui partagent les mêmes a priori. Violette Pouillard nous rappelle ici que la radicalité d’un propos ne pèse efficacement qu’en fonction de la rigueur conceptuelle avec laquelle on le construit. Et qu’aucun édifice intellectuel un peu ambitieux ne peut se bâtir sur l’autel d’une souffrance tue. Parti-pris et rigueur n’évitent la stérilité qu’en s’épaulant.

Le zoo crée […] des familiarités avec des captifs qui conduisent certains visiteurs à se dresser contre le sort qu’il leur réserve. Mais il fait dans le même temps largement disparaitre des esprits collectifs les animaux eux-mêmes, dont les vécus s’effacent derrière les représentations.

De l’aube du dix-neuvième siècle jusqu’à nos jours, l’historienne retrace ici l’histoire des trois grands zoos que sont le Jardin des plantes de Paris, le zoo de Londres et celui d’Anvers. Chronologiquement, elle revient en détail sur leur création, leurs modes de fonctionnement au travers des années, leurs modes de légitimation politique, économique ou éthique. Comment justifie-t-on l’enfermement de ce qu’on vend – littéralement « vend » – comme l’expression paradigmatique du « libre » ? Comment organise-t-on la capture du cheptel? Comment montre-t-on le libre, une fois celui-ci enfermé? Comment construit-on, parfois par devers soi, un système capable d’occulter les contradictions du conservationisme, à défaut de les réduire? Comment la pratique impérialiste du zoo laisse-t-elle ses marques sur les corps des animaux comme sur ceux des « humains de l’en-bas »? En explorant jusque dans ses moindres recoins l’histoire de ces trois grands zoos, Violette Pouillard fait bien plus qu’écrire une histoire des zoos. Elle déconstruit les rapports d’une espèce à d’autres, comme elle déconstruit ceux que les dominants de la première entretiennent de force avec ses dominés. Elle éclaire d’un jour cru les atermoiements, les « gênes aux entournures » ou les petits arrangements dont une conscience collective se dote pour dissimuler – et parfois se dissimuler à elle-même – les conséquences de découvertes qu’elle sait profondément remettre en cause ses propres pratiques.

Si le zoo avait voulu être un monde, le monde est en train de devenir un zoo.

En se saisissant avec intelligence d’une énorme masse de documents et en l’organisant avec à-propos, en conciliant parfaitement empathie du récit et rigueur académique, l’auteure donne véritablement une voix au corps animal. Et, ainsi, c’est par l’entremise sans fard des souffrances qu’il lui inflige que le zoo trouve ici son histoire. Et c’est dans ces conditions (on dirait presque « dans ces conditions seules ») qu’une histoire peut se dessiner qui tout à la fois atteigne à une certaine vérité et éclaire plus loin que son champ strict. Tout comme l’animal singulier est […] un reflet grossissant de l’expérience collective du zoo, le phénomène zoo en est un de notre rapport au monde.

Magistral!

Violette Pouillard, Histoire des zoos par les animaux, impérialisme, contrôle, conservation, 2019, Champ Vallon.

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