« Manuscrit corbeau » de Max Aub

C’est en février 1939 que fut créé le camp de concentration du Vernet, en Ariège. Censé « accueillir » les « indésirables » fuyant la défaite de la république espagnole, le camp verra bien vite sa fonction évoluer, mais en gardant le même principe : il faut enfermer ce qui fait peur… Sympathisants communistes, juifs fuyant l’Allemagne, anarchistes espagnols, français d’origine allemande (où dont parfois le seul patronyme le laissait suggérer), étrangers du POUM, avant même le déclenchement de l’offensive allemande vers l’ouest, le camp du Vernet (qui était loin d’être le seul) concentrait déjà une bonne partie de ce que la France craignait. Après la défaite française, les autorités de Vichy n’auront plus qu’à reprendre ce principe et à le raffiner avec l’aide des autorités allemandes, pour mieux complaire à ces dernières. C’est sept jours après l’invasion de la Hollande qu’y fut incarcéré Max Aub. Juif par sa mère, allemand par son père, espagnol et socialiste par choix, il cumulait les qualités requises…

Les hommes font ce qu’ils ne veulent pas. Pour parvenir à cette fin, de notre point de vue si absurde, ils ont inventé ceux qui les commandent. Ceux-là, à leur tour, ne font pas non plus ce qu’ils veulent, mais ce qu’on leur commande. Ceux qui commandent le plus ne font pas non plus exactement ce qu’ils désirent, car ils dépendent toujours d’une force obscure qu’ils ont peut-être inventée eux-mêmes, la Bureaucratie. Le Mensonge et la Bureaucratie sont les dieux des externes, c’est-à-dire d’une caste inférieur, qui commandent leurs supérieurs, les internés.

Manuscrit corbeau est un manuscrit censément écrit par un corbeau, répondant au nom de Jacobo, dont l’objectif est de donner à ses congénères corbeaux une vision synthétique de ce qu’est l’être humain. Pour ce faire, le dit Jacobo a analysé en profondeur cette portion caractéristique de l’humanité que lui offrait le camp du Vernet. On y perçoit un homme dont l’absurdité des comportements n’a d’égale que l’assiduité qu’il met à tenter de la justifier. C’est drôle. C’est terrible. Et à l’heure où l’on enferme à nouveau les innocents à tour de bras, la lecture de ce point de vue corvin sur l’être humain nous semble pour le moins urgente*.

L’homme, du fait d’en être un, n’est rien. […] Malheureux animal prodigue de ce qu’il n’a pas, son imagination le conduit sur des chemins impossibles et là il se perd, sans retour, et meurt de croire que les choses sont comme il se les figure.

Max Aub, Manuscrit corbeau, 2019, Héros-limite, trad. Guillaume Contré.

*et si cela pouvait en plus remettre au goût du jour le chef-d’œuvre absolu de Max Aub, Le labyrinthe magique, ce serait magnifique!

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