« L’attrape-soleil » de Morten Søndergaard

Quand bien même la poésie s’ingénie depuis des lustres à le combler il existe toujours un écart entre la chose et le signe. Morten Søndergaard, plutôt que de chercher encore d’autres voies pour le combler, a choisi d’en faire son terrain de jeu. Entre effets d’absurde, éclats d’humour et chocs des contraires, le décalage qu’il explore tient du ludique autant que du métaphysique. Dans les collisions qu’il organise entre sens et matière surviennent alors d’autres « trucs » qui paraissent n’avoir trait ni au sens ni à la matière.

C’est la mi-journée

je suis la frontière indécise

entre ordre et chaos.

Une rue dégouline de couleurs

et la folle se promène

avec son singe.

Il lui manque tous les doigts

de la main droite,

mais c’est le soleil

qui est emmailloté dans de la gaze

et qui se reflète sur le pare-brise

d’une ambulance rouge et blanche.

Mon corps déborde de choses blanches,

présages provisoires qui attestent que j’existe

et que le soleil brille.

Quand le poète se défait de l’idée que le langage doit exprimer une matière, y coller avec justesse, la liberté qu’il y gagne peut se révéler paradoxalement lourde à porter. Privé du cadre de la direction traditionnelle, il peut se perdre dans le carrefour devenu place ouverte aux quatre vents. Rien de tel avec Morten Søndergaard. Si sa poésie n’embrasse jamais aucun dogme, elle est toujours aussi inventive que construite. Qu’il s’agisse de lâcher la bride aux sonorités de noms de volcans pour construire une sorte d’autoportrait ou de rendre compte de la construction d’un poème par lui-même, le poète danois compose avec autant de joie que de rigueur. Comme un chimiste qui conjuguerait la vitalité puérile et joueuse du laborantin débutant et l’expérience routinière et avisée du vieux professeur reconnu. Ainsi peut se bâtir une poésie qui ne soit plus le résultat d’une refonte du sens dans la matière ou de la matière dans le sens, mais celui de leur collision. Comme l’exprime remarquablement la quatrième de couverture de ce livre étrange et magnifique, la poésie y devient « principe actif ».

Morten Søndergaard, L’attrape-soleil, Joca Seria, trad. Christine Berlioz & Laila Flink Thullesen.

On vous informe également que le très étrange et très beau et très culte La Pharmacie des mots, du même auteur, est de nouveau disponible chez nous (mais il n’y en aura pas pour tout le monde…)!

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