« Le dernier cow-boy » de Jane Kramer.

Henry Blonton est un cow-boy, fils et petit-fils de cow-boy. En ces années septante finissantes, non loin d’Amarillo, Texas, il gère un ranch de près de quarante mille hectares et abritant deux mille deux cent vaches pour le compte de Lester Hill. Marié, père de quatre enfants, porté sur la bouteille, bagarreur, vaguement raciste, vaguement misogyne, aussi efficace dans la gestion d’un ranch qui ne lui appartient pas que malchanceux dans ses tentatives de se mettre à son compte, il est l’occasion, pour Jane Kramer, de dresser le tableau d’une Amérique qui découvre douloureusement ses failles et ses rêves déçus.

Quoi de plus emblématique, aux côtés d’un indien à plumes, que le cow-boy, pour incarner les origines du mythe américain? Quel exemple plus indiqué que la réussite du rancher pour symboliser la quintessence de la réussite américaine? Le premier est l’image de la bravoure, de l’indépendance, de la chevalerie moderne, alors que l’élevage texan est lui la meilleure trace du rêve américain, accessible à tous pour peu qu’on s’y investisse corps et âmes? Quand on gratte, cependant, la réalité est tout autre. L’immense élevage de l’ouest ne fut, dès ces débuts, rendu possible que par les sommes colossales investies par des banquiers ou des hommes d’affaires écossais ou anglais. La bête à corne texane, symbole d’indépendance, est du vulgaire capital à risque. L’image du cow-boy, quant à elle, est bien une image. Soi-disant glorifié par le cinéma américain dès ses débuts, le cow-boy en est bien plutôt une de ses émanations. C’est le cow-boy réel lui-même qui s’est fabriqué à l’image des héros imperturbables de l’ouest que fantasmait pour lui le cinéma. Le cow-boy, symbole national de l’être défiant avec courage l’adversité et l’âpreté du réel, n’est qu’être de carton-pâte.

En en suivant l’un de ses emblèmes, au moment même où se fissurent le plâtre des apparences, Jane Kramer parvient à saisir la douloureuse ambivalence qui étreint l’Amérique profonde de cette époque. Alors que tout ce qui fondait le mythe s’effondre et qu’on ne peut plus s’en cacher, ce sur quoi se fondait le mythe lui-même s’étiole. Avec empathie mais distance, elle documente avec précision une tragicomedie intemporelle : un être perd quelque chose auquel il tenait dur comme fer et, au moment même de la perdre, il s’aperçoit que cette chose n’était qu’illusion.

Jane Kramer, Le dernier cow-boy, 2017, Editions du sous-sol, trad. Ina Kang.

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