Vrac 1.

A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

Au secours« Au secours! Un ours est en train de me manger » de Mykle Hansen (Wombat, 2014, trad. Thierry Beauchamp)

Un Beauf pété aux as organise un team-building – chasse à l’ours en Alaska.  Après une crevaison, il se retrouve coincé sous sa Range Rover, les jambes en train de se faire dévorer peu à peu par un ours.  Dopé aux calmants, il nous raconte sa mésaventure.  Potache, cruel, méchant, ce court titre enlevé est aussi tout sauf bête.  Car, non content de circonscrire efficacement certains clichés du riche connard, il démonte aussi plus finement qu’il n’y paraît une des conséquences inhérentes à « l’élévation sociale traduite par celle de son 4X4 » : la déréalisation de l’autre.

Atomistes« Les penseurs de la Grèce.  Tome 5 : Les atomistes »  de Theodor Gomprez (Manucius, 2014, trad. Auguste Raymond)

On se méfie des commentaires.  Surtout en philosophie, ou le méta, très en vogue pour des raisons souvent pratiques, a tendance à occulter, voire remplacer le discours lui-même.  Et parfois, au mépris de ce qu’il commente.  Thomas Gomperz (1832-1912), loin de se servir de son sujet d’enquête comme piédestal, avec une précision remarquable, revient ici sur le rôle de Leucippe et Démocrite dans l’élaboration de théories de l’atome qui seront reprises, ou pillées, par Aristote ou Epicure (puis repris par Lucrèce).  Au delà de la seule réhabilitation de Démocrite, l’intérêt est ici, en revenant à ce qui fonde une pensée, d’en éclairer mieux les principes.  Tâche ô combien importante à notre époque qui fait se reculer (boson de Higgs, théorie des cordes) toujours plus les limites de l’insécable et donc la question de sa représentation.

douze tribus d'hattie« Les douze tribus d’Hattie » de Ayana Mathis (Gallmeister, 2014, trad.  François Happe)

En 1923, Hattie arrive à Philadelphie, fuyant l’Amérique des Jim Crow laws, celle de la ségrégation.  Elle aura 11 enfants.  En 12 stations (les onze enfants et une petite-fille), Ayana Mathis nous conte, entre 1923 et 1980, l’histoire d’une famille noire, celle d’une mère, mais aussi celle d’une Amérique qui peine à se défaire de ses démons.  D’une construction irréprochable où chaque chapitre défait une parcelle du vernis qui dissimule cette mère comme son pays, l’auteure ancre ce classique et impressionnant roman dans une tradition biblique certes détectable, mais jamais démonstrative.  Et, en évitant presque toujours le pathos (et si pas, en l’utilisant remarquablement), nous offre à découvrir un personnage à l’ampleur rare.  Une sorte de Job féminin, mais qui ne se résigne jamais.

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