Poésie/Furigraphie/Hawad

Rarement le mot « poésie » et ses dérivés auront été autant à la mode. Une vocifération prétendument émancipatrice, un discours suintant l’emphase et le nationalisme, l’extatique récitation de lieux communs face caméra : la moindre revendication, la moindre supplique à vocation idéologique, sous prétexte qu’elle est médiée par le langage, est maintenant vendue comme ressortant du poétique. Rarement telle surenchère sémantique aura été si peu en rapport avec l’objet qu’il prétend nommer. La « poésie » est partout, la poésie nulle part. En « armant » leurs « luttes » des pâles ersatz d’une poésie réduite à ses clichés et aux seuls principes de la communication actuellement en vogue – format court, visuel, sonore, ludique, punchline – ces « combattants » du poétique parviennent à ridiculiser leurs combats (ça on s’en tamponne gentiment) et à donner de la poésie, pour ceux qui n’en connaissent rien, l’image d’un outil niais et inféodable à peu de frais à quelque « cause » que ce soit (ça c’est chez nous plus sensible). Tout entier dévolu à « étreindre par le langage » l’opprimé, le racisé, le féminin, le lombric ou le coquelicot, le poète guérillero en oublie que la poésie est avant tout chose esthétique (et non pas « belle », ni « jolie », ni « subjective »). Las de cette dilution de l’αίσθησιs (le grec, c’est toujours classe) dans tout ce à quoi on cherche bêtement à la forcer, nous avons décidé de consacrer majoritairement ce blog, ces prochaines semaines, à l’expression sans apprêt de textes poétiques qui comptent. Fi des étendards. Place à la poésie.

Les haleurs d’horizon

J’écoute la braise

qui couve les noms

des étoiles filantes

Et j’exige du grillon

à nouveau

qu’il dénude la nuit

toute nuit

qui n’accoucherait pas d’une aube

suspendue dans la goutte

sang encre fiel

larme de mes frères

sueur condensée

dans l’interstice de la plume

Plume fusil

braquée à bout portant

sur la tempe de l’oubli

Plume dard

écumant et vomissant les rumeurs

fourmillements et écorchures

mémoire

îles et reptiles

lettres insectes

tifinagh

rampant de fureur

sur les déserts et les astres à venir

déjà rires et grimaces

cordes peuplant nos visages

de haleurs d’horizon

Hawad, Furigraphie, Poésies 1985-2015, Gallimard, trad. Hawad & Hélène Claudot-Hawad.

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