Philosophie/Théorie de la science/Bernard Bolzano

Nous étonne depuis longtemps l’ombre à peu près complète dans laquelle sont laissées, dans le champ francophone et ce jusqu’aux sphères académiques, des pensées considérées partout ailleurs comme absolument déterminantes. Tout entier occupé à rabattre sur elles-mêmes ses certitudes tranquilles à coups de citations nietzschéennes ou deleuziennes, le lecteur francophone prétendument averti méconnait souvent avec paresse et componction des pans gigantesques de ce qui se fabrique au-delà de ses très étroites frontières épistémiques. Faisant la moue à la seule mention d’ « analytique », de « logique », d’ « herméneutique » ou de « cognitif » et hanté par d’absurdes préjugés, il fabrique en vase clos des résistances sans plus très bien savoir à quoi il se dit résister. Ainsi enfermé dans une rengaine qui n’a de pensée que le nom, il manque d’apercevoir vraiment des textes majeurs quand il s’en dégage dans ses environs immédiats (Quentin Meillassoux) et consacre à leurs places des impostures manifestes (Bruno Latour). En donnant à lire quelques extraits d’œuvres unanimement considérées comme majeures, nous espérons inciter un peu plus le lecteur francophone à sortir de son fort douillet carcan. La pensée, après tout, n’est pas le confort…

Mais si les règles de l’heuristique et de la théorie de la science dépendent des lois auxquelles est liée chez nous hommes la connaissabilité de la vérité, il n’y a alors aucun doute qu’elles dépendent beaucoup plus encore des propriétés qui reviennent aux propositions et aux vérités en soi. Sans avoir appris à connaître les divers rapports de déductibilité et de conséquence qui ont lieu entre des propositions en général, sans avoir jamais suivi de cours sur le mode tout à fait particulier de connexion qui règne uniquement entre des vérités quand elles se comportent les unes vis-à-vis des autres comme des fondements et des suites, sans avoir quelque connaissance que ce soit des différents genres de propositions ni de même non plus des différents genres de représentations, en tant que parties constitutives les plus proches en lesquelles se divisent les propositions, on n’est certainement pas en état de déterminer les règles qui indiquent comment, à partir de vérités données, en sont connues de nouvelles, comment il faut examiner la vérité d’une proposition qui se présente, comment il faut la juger, si cette proposition appartient à telle ou telle science, dans quel ordre et dans quelle liaison elle doit être mentionnée avec d’autres propositions dans un livre d’enseignement pour que sa vérité soit bien évidente à chacun, etc.

Bernard Bolzano, Théorie de la science, Gallimard, trad. Jacques English.

(C’est peu dire que la lecture de ce livre du 19-ème siècle peut désorienter le lecteur contemporain. S’y lisent en effet, près d’un siècle avant leur avènement, les linéaments apparemment contradictoires de la phénoménologie transcendantale et de la philosophie analytique. Il peut ainsi se lire, par les questions qu’il soulève et tente de traiter à neuf, comme une étonnante introduction aux courants philosophiques les plus contemporains.)

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