« Fair-play » de Tove Jansson

 

Verity avait pris leur vie de voyageuses en main et l’avait organisée à sa manière. De toute évidence, elle était une perfectionniste dotée d’une bonne dose de non-conformisme. Elle avait rangé leurs affaires de façon symétrique, mais avec une certaine exubérance. Elle avait aligné leurs souvenirs de voyage sur la commode dans un ordre qui ne manquait pas d’ironie ; les chaussons étaient posés nez à nez, les chemises de nuit se tenaient par la main. Sur les oreillers elle avait mis les livres qu’elle appréciait – ou qu’elle n’aimait pas – les cailloux ramenés de Death Valley servaient de marque-pages. Ces vilaines pierres avaient dû la faire rire. Verity avait donné un visage à leur chambre.

Fair-Play conte, en une quinzaine d’épisodes, la vie de Jonna et Mari entre leur appartement d’Helsinki, la maison qu’elles partagent sur une île difficilement accessible, leurs promenades et leurs quelques voyages. Toutes deux artistes, elles filment, écrivent, peignent, mais surtout, aussi bavardes que bienveillantes, elles parlent. De tout et de rien. De leur vélléités artistiques, des autres, du temps, du bateau que la tempête menace de faire couler, de leur invitée qui craint l’orage, de la femme de ménage de leur hôtel qui leur déconseille d’aller visiter Tucson, de leur âge. D’un micro-événement l’autre, chaque chose, chaque moment trouve sa saveur unique des débats aussi passionnés que tendres qu’ils occasionnent. Par un coq-à-l’âne savamment orchestré, Tove Jansson parvient à démontrer que c’est moins une chose, quelle qu’elle soit, qui acquiert une importance, que la forme qu’elle prend dans les tentatives pour l’exprimer. Ce faisant, avec une délicatesse rare, elle nous invite à percevoir à nouveau ces infimes détails qui donnent une valeur au moindre instant.

La pièce avait quatre fenêtres, car la mer était belle dans toutes les directions. À l’approche de l’automne, l’île recevait la visite d’oiseaux exotiques en route vers le sud. Il leur arrivait de tenter un passage à travers l’une des fenêtres, vers la lumière d’en face, comme on passe à travers les branches des arbres dans la forêt. Les oiseaux morts se retrouvaient par terre, les ailes déployées. Jonna et Mari les déposaient sur le rivage abrité pour que le vent de terre les emporte.

Tove Jansson, Fair-play, La Peuplade, 2019, trad. Agneta Ségol.

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