« Histoire de l’argent » d’Alan Pauls.

histoire de l'argent« Histoire de l’argent » débute sur les souvenirs qu’a le narrateur d’un mort dont sa mémoire ne perçoit plus rien qui ne soit hanté par le bruit des « crostines » qu’il enfournait compulsivement.  A la vue même du corps sur le catafalque se substitue le son du brisement des « crostines ».  Ce son est devenu pour le narrateur un mode de connaissance.  Il n’accède plus au mort que par ce biais.  Et si l’argent pouvait être un biais aussi?

Le fric est là, mais il est presque toujours traduit ou incarné sous une autre forme.

L’argent voyage.  Il achète une voiture ou une conscience.  Il abonde dans une poche et manque dans une autre.  Il est à débit ou à crédit.  Mais jamais il ne change.

Sans doute : l’argent ne change pas.  C’est une de ses lois secrètes, miraculeuses.  Tout le reste, si.

Et comme tout ce qui ne change pas, il offre ce prisme stable (qui plus est devenu parangon absolu d’aucuns, à l’aune duquel tout se rapporte) par lequel observer tout ce reste qui, lui, se meut, se corrompt.  « Histoire de l’argent » n’est donc pas au sens strict une histoire de l’argent, mais une histoire ou l’argent sert de prisme unique par lequel la vie du narrateur se découvre à nous.  Moins comme point de vue politique que comme possible, l’argent en étant un parmi d’autres, comme les cheveux ou les larmes eussent pu l’être également.

Pour lui, une possibilité reste toujours une possibilité, une seule : il suffit qu’elle cesse d’exister comme possibilité pour que le monde qui l’accompagnait cesse également d’exister, entièrement, pour toujours.

Une Argentine inflationniste, un père joueur, une mère héritière par essence, ce que signifie payer (Payer, payer : plaisir numéro un de la vie d’adulte nouvellement inaugurée.), ce qu’est une vie qui coûte (Finalement, cette vie presque infravitale, au point de tomber en dessous du seuil minimum de vie, ne serait-elle pas par hasard la vie à laquelle les entreprises dont les séquestrés sont les cerveaux, les symboles, les porte-voix, condamnent à vivre des milliers et des milliers d’ouvriers travaillant pour elles, non pendant deux ou trois semaines – le temps que les otages doivent exceptionnellement vivre en captivité – , mais des années, des décennies, une vie entière, à tel point que cela cesse d’être pour eux le substitut pervers de la vie pour devenir la vie même, la seule vie, et, en tant que telle, une vie qui, aussi pénible et immonde soit-elle, demande à être glorifiée? ), ce que sont ces rapports unissant l’argent au temps (Celle qui a tout perdu a perdu plus que sa fortune.  Elle a perdu la précieuse frange de temps que sa fortune lui procurait, cet intervalle, cette espèce de matelas magique qui la tenait à distance d’une expérience immédiate des choses.  Tout perdre l’a condamnée à un enfer pire que la pauvreté : l’enfer qui consiste à vivre au présent.), la carte que dessine le fric sous la plume d’Alan Pauls est trouble, complexe, diverse, et révèle une géographie qui déborde son trait.

Alan Pauls démontre que l’acte d’écriture peut être de retrait.  Le chas qu’est l’argent servant comme de tamis signifiant.  La tâche que se donne l’auteur étant de se rendre responsable de la signification des choses.  Et de l’assumer.  Ici en virtuose.

Alan Pauls, Histoire de l’argent, 2013, Christian Bourgois, trad. S.Mestre.

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