« Ils étaient chouettes, tes poissons rouges » de André Vers.

Ils étaient chouettes tes poissons rougesUne femme qui reste désirable bien que bavarde à l’excès.  Un homme amoureux des locomotives.  Une femme désirant croire que son compagnon est mort d’avoir voulu la rejoindre.  Le recueil d’André Vers est tissé d’histoires (parfois très courtes, économes, comme émondées de tout ornement) où les personnages, comme les couples qu’ils forment parfois, ou les objets (qui sont autant d’autres personnages), sont bien malmenés.  Vivre est une tragédie.  Et dire la vie ne se fait pas en faisant l’économie du tragique.  Mais le tragique est drôle.  Et d’autant plus quand il est pris comme ne l’étant pas par la majorité.  Toute la magie d’André Vers tient dans cette écriture doucement ironique, un peu désabusée, toute en décalage, qui parvient, du tragique de l’existence, à faire jaillir la tendresse pour celle-ci.

En ce temps-là, au flanc, pelé d’une colline vivait un olivier.  Sur ces deux branches, tendues comme des bras, il accueillait les oisillons traqués par les rapaces.  L’ombre de son feuillage était leur seul asile.  Il apaisait les craintes et calmait les frayeurs.  Ses mots n’étaient qu’amour, le vent portait leur chant jusque dans la vallée.  Les oiseaux de proie, voyant d’un mauvais œil cet arbre de l’espoir qui les montrait du doigt, tramèrent un complot.  Un soir, un moineau le vendit pour quelques grains de blé volés par une pie.  Ils l’eurent tôt jugé.  Des corbeaux furent chargés de son exécution.  Nul n’ignore, en effet, que si les corbeaux se font petits c’est pour tromper leur monde.  A l’abri des regards, ils redeviennent grands, forts et méchants.  Ils traînèrent l’arbre en forme de croix, aux feuilles déjà mortes, jusqu’au sommet de la colline.  Sur un homme, préparé à cet effet, bras écartés, les bourreaux le clouèrent.  La sève qui coulait sous les coups de marteau ressemblait à du sang.  Un orage éclata, couvrit de son fracas les quelques craquements annonçant la fin de l’arbre de la paix.  Depuis, en souvenir de son agonie, se dressent un peu partout, dans des champs et surtout les jardins, des croix de bois rappelant l’olivier, portant des vêtements usés symbolisant l’instrument de supplice.  Les oisillons, poursuivis par le remords de n’avoir su défendre celui qui les aimait, à cette vision s’enfuient épouvantés.  C’est pour cette raison que fut donné, à ce qui n’est apparemment qu’un mannequin en loques, le nom d’épouvantail.

André Vers, Ils étaient chouettes, tes poissons rouges, 2014, Finitude.

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