« A » de Louis Zukofsky.

« Livre-monde », « Colosse de la littérature américaine », « Long-Poem du siècle », « Œuvre culte », le chef-d’œuvre de Zukofsky a d’autant plus fait florès dans les imaginaires qu’il fut bien longtemps indisponible en anglais et qu’il aura fallu attendre 48 ans pour en voir enfin aboutir cette traduction française. Composés entre 1928 et 1974, les 24 mouvements de « A », sont aujourd’hui, alors qu’on peut enfin les découvrir en français, encombrés d’une aura de complexité, voire d’hermétisme, que les nombreux discours portés sur l’œuvre n’ont eu de cesse d’involontairement alimenter. Le texte n’étant pas là, les analyses ont d’autant plus donné l’impression qu’elles étaient essentielles à sa lecture. Plutôt que d’en ajouter une, même ad minima, on préfère vous offrir ci-dessous le onzième mouvement dans sa totalité. Qui vous prouvera, on l’espère, que si, effectivement, cette œuvre majeure s’origine dans Bach, Marx, Duns Scott ou Spinoza, qu’elle est un jeu prosodique virtuose, qu’elle une sorte de trans-texte aussi engagé que révolutionnaire, qu’elle est une poétique qui tente d’intégrer la parole à la musique ou de dériver la seconde de la première, qu’elle explore ce qu’est la paternité et l’amour… qu’elle est aussi et avant tout une œuvre de poésie lisible, accessible à tous, et somptueuse…

Fleuve en crue qui dépasse ma mort

Chanson, ma chanson change la peine en musique

Pensées légères, mes amours, petites maladies

Qui virent à la chamaillerie : et puis l’on pleure,

Et tinte la lumière : laissez la vous choyer,

Briller dans le visage de mon fils – C’est un bel hommage.

Tu t’évades, ma chanson, en d’aimables et riches louanges

Où se dispense l’hommage, qui ne saurait t’appauvrir.

Veille, ma chanson, à l’empreinte des étoiles en toi

Miroir frôlé de larmes d’où sortent des paroles

Et de l’amour, le tien, au loin tourné vers tes étoiles, un or

Plus pur que celui de langues insensibles à l’art neuf

Et qui blessent l’ancien ; révèle-nous la détente

De l’arc, quand meurt la bête élancée

Sur la flèche, fil d’or effilé où s’accrochent

Les cordes d’un violon cajolé pour me rendre hommage.

Hommage, chanson – chantent les élus dans la joie de savoir

Que l’amour surmonte les malheurs. Blessure, chanson, voir

Ce régal des yeux, mais pense à qui tu blesses. Car le flot

Du fleuve s’envenime auprès de quelque pousse. Fleuris

Sous les douces lumières d’amour, chante « je fleuris

En elles »! Mais nulle chanson et nulle contrainte ne sauront

Effacer ni redire l’amour que nous sentons

À la vue de ce flot allant de ton amour

Vers nous. Et quand brille Vénus dans le tourbillon de tes mots

Vivre nos désirs nous porte à rendre hommage.

Ton cœur, sauvé de rien plutôt que de la mort, revient.

Et moi, poussière – je soulève le grand ourlet du vaste

Monde où rien ne peut se perdre ; un souffle disparu s’élève

Vers mon fils et lui dit : « Si ton père s’offusqua

Avec ses muettes sentences, pourtant mes paroles ne cessent

De parfaire un second paradis où

Son amour fut dans ses yeux à elle

Malaise partagé, inquiète de ton mal

Ou bien absent, en mal d’une musique

Que tu ne pouvais plus jouer. Hommage

À sa voix en moi, boucle du fleuve qui rejoint

La grâce en toi, quatre notes bien pleines et sans paroles

Éclat des feuilles sur la tige et tiges à la branche liées,

Branches à l’arbre liées où nos paroles ont la même

Racine ; et la musique s’effeuille de ta pensée

Page à page, chaque feuille recouvrant une feuille

Où tinte le bonheur : tintements d’un chant de grâce

Qui provient de la connaissance des choses,

De son amour, du nôtre, où se reflète

Son amour à elle si digne d’hommage. »

Louis Zukofsky, A, Nous, trad. François Dominique & Serge Gavronsky

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/a-de-zukofsky/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.