« Histoires de la nuit » de Laurent Mauvignier

Dans un hameau près de la petite ville de La Bassée ne vivent plus que Patrice et Marion, Ida, leur fille, et Christine, une artiste installée là de longue date. Alors que Marion doit bientôt fêter son quarantième anniversaire, Christine avertit les gendarmes qu’elle reçoit des lettres anonymes. Le jour prévu pour la fête, des inconnus rôdent autour du hameau.

elle ressent cette confusion qu’il y a à vivre dans la réalité comme une version altérée ou travestie de celle-ci

Il est de ces montres de prix dont le mécanisme se dévoile à qui la porte. Non seulement elle vous donne l’heure mais ne vous cache rien quant à sa fabrication. Et le plaisir de qui la regarde sera alors fonction de l’enchevêtrement et de la complexité de ses complications. Alors qu’on croit encore parfois que l’art résulte de la dissimulation de ses causes – d’aucuns martèlent même encore que l’art ne serait que cela, une mystification, un leurre, un voile, un brouillage, et qu’insérer dans l’œuvre-même ses raisons et ses modes d’existence serait un geste iconoclaste, qui romprait le lien moral tacite entre qui fait l’œuvre et qui la lit – , Laurent Mauvignier nous démontre avec maestria que le dévoilement des rouages formels d’une histoire n’est pas nécessairement un frein au plaisir que l’on peut prendre à la lire. Au contraire…

oui, on peut recouvrir sa vie pour la faire apparaître, superposer des couches de réalités, de vies différentes pour qu’à la fin une seule soit visible, nourrie des précédentes et les excédant toutes

Il ne s’agit pas ici « simplement » de revenir, par une sorte de procédé typiquement post-moderne, sur la notion de vérité en art, ou sur un questionnement en abyme des relations réel-fiction. Le tour de force – car il s’agit bien d’un tour de force – est autre part. L’histoire n’est pas ici l’occasion d’exposer des principes formels, tout comme ceux-ci ne sont pas les garants intellectuels d’une fiction dont ils auraient pour fonction d’excuser le classicisme. Ce n’est plus seulement la parfaite maitrise des principes formels qui crée ici l’extraordinaire tension dramatique, mais bien leur dévoilement. Autrement dit le regain de tension est ici bien amené par le fait même qu’on en rend transparent au lecteur les fondements formels. Roman sur l’attention autant que roman de l’attention – l’attention, celle que requiert toute lecture, et que s’ingénie à fabriquer l’auteur, comme celle à laquelle échappe tout ce qui est à l’écart, gens, lieux ou comportements – ces Histoires de la nuit nous rappellent avec un brio rare combien tout plaisir esthétique repose avant tout sur la forme.

Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit, Éditions de Minuit.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/histoires-de-la-nuit-de-laurent-mauvignier/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.