Ron Padgett, le poète américain, traverse l’atlantique pour marcher dans les traces de Pierre Reverdy, le poète français, qu’il a beaucoup traduit. Après la maison de naissance, à Narbonne, c’est vers le hameau de Moussoulens et la ferme dite « le Borio de Blanc », l’endroit où Pierre Reverdy vécu ses vingt premières années, que se rend le poète américain. Là il y rencontre les Loisel, qui ont racheté l’endroit, il y photographie l’arbre sur les racines duquel le jeune Pierre s’asseyait, il entre dans la chambre qui fut la sienne. Le lendemain il prévoit d’aller à Paris par le train. Mais on annonce une grève. Donc il prend la route vers le nord. Il passe par Tours, qui n’est pas loin du Mans, qui est à deux pas de Solesmes où le poète trouva refuge de 1926 jusqu’à sa mort en 1960. Et où vit encore sa femme (nous sommes en 1982)… Peut-être la rencontrera-t-il?
Reverdy a dit
« Il faut tenter de vivre » –
L’expression d’un homme
qui n’a pas aimé
ou n’a pas été aimé
assez. Un petit rectangle
de lumière s’étale sur la plancher
et sa chaussure
a étincelé quand elle l’a traversé.
Sa femme était cachée
dans la cuisine, sa maîtresse
cachée dans la célébrité
et son Dieu juste caché.
Pierre a ouvert la porte de la cuisine,
la trappe de la célébrité
et la petite porte de la cathédrale
mais il n’y avait rien,
et quand il a ouvert son cœur
il a trouvé seulement un rectangle
de soleil sur le plancher.
Mais ça suffisait.
La chambre de Pierre est bien une sorte d’enquête. Quelque chose y est cherché. Mais sans que ce quelque chose ne prenne a priori, dans l’esprit de celui qui cherche, une forme déterminée, une concrétude qui puisse alors s’apparenter à un but, une finalité. Ça cherche, on sait qu’on cherche, mais sans savoir quoi. Un peu en somme comme le Reverdy de Solesmes qui y vint, « en libre-penseur », chercher Dieu. La chambre de Pierre, c’est, à côté de cette volonté de confronter le mot à la chose, de vérifier dans la seconde la fondation du premier, la découverte émerveillée d’une parenté, par delà le temps et les langues, qui est celle de la poésie. Et c’est ainsi, tout naturellement, que le « simple » récit d’un voyage d’un poète à la recherche des traces d’un autre poète, La chambre de Pierre, se résout (se résout vraiment, à la façon d’un soluté) dans le poème.
Et diantre que c’est beau!
Ron Padgett, La chambre de Pierre et quelques poèmes, L’usage, trad. Lola Créïs & Claude Moureau-Bondy.