« Le musée, une histoire mondiale » de Krzysztof Pomian.

Ainsi lorsque, dans mon amour pour la beauté de la maison de Dieu, la splendeur multicolore des gemmes me distrait parfois des mes soucis extérieurs et qu’une digne méditation me pousse à réfléchir sur la diversité des saintes vertus, me transférant des choses matérielles aux immatérielles, j’ai l’impression de me trouver dans la région lointaine de la sphère terrestre, qui ne résiderait pas toute entière dans la fange de la terre ni toute entière dans la pureté du ciel et de pouvoir être transporté par la grâce de Dieu, de ce [monde] inférieur vers le [monde] supérieur suivant la mode anagogique.

Cette citation de Suger, Abbé de Saint-Denis dès 1122, et donc administrateur de son immense Trésor, forme une remarquable mise en exergue du travail de Krzysztof Pomian. L’histoire de l’institution muséale (dont le fantastique premier tome paraît ces jours-ci, avant deux tomes dans les prochains mois), de ses lointaines origines à sa plus contemporaine actualité est bien entendu d’abord une histoire au long cours du musée. Des accumulations des tombeaux égyptiens jusqu’à l’orée du 19 ème siècle, l’auteur nous emmène sur les traces de la fabrication de l’institution que nous connaissons aujourd’hui sous ce nom. Accumulation, Trésors, collections privées ou publiques, galeries, profane ou religieux, d’origine naturelle ou artefact, sculptural ou pictural, l’objet et son amas ont connu au cours de l’histoire nombre de développements, d’ellipses, de retours en arrière. Amassé pour des raisons économiques, de prestige, d’édification, de célébration, de compétition, ou de communication avec un au-delà, l’objet a toujours été plus qu’objet. Vase de terre ou de sardonyx, parcelle de la croix du Christ ou mouflon empaillé, camée du premier siècle ou tableau du Titien, toujours l’objet a été autre chose que lui-même.

Les objets ne sont que des accessoires

Au-delà de l’extraordinaire érudition de ce projet gigantesque et de ce qu’il apporte de déterminant dans le champ de l’histoire de l’art, c’est sans doute dans ce qu’il révèle de nos rapports à la chose, à l’objet, qu’il se montre, à notre avis, le plus remarquable. L’objet n’est rien qu’accessoire. Autrement dit, il n’est, ne revêt d’importance, que par ce à quoi il donne accès. Il est accès lui-même. Et c’est en raison de cela qu’il a été accumulé, montré, caché, préservé ou mis en scène. Qu’il s’agisse d’assurer le confort à un défunt, de démontrer son attachement à des traditions révolues, de thésauriser autre chose que du numéraire pour un avenir incertain, de donner un accès au savoir au plus grand nombre, toujours l’objet est pensé relativement à quelque chose qu’il représente, dont il est la trace, un expédient ou un support. Ce que dévoile en creux cette prodigieuse aventure historique – ce dont, donc, elle fait aussi l’histoire – c’est le rapport aussi riche que divers qu’ont entretenu de tout temps – et qu’ils continuent donc à entretenir, même par devers nous – le visible et l’invisible.

Krzysztof Pomian, Le musée, une histoire mondiale – Tome 1. Du trésor au musée, Gallimard.

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