« Le concept d’ambiance » de Bruce Bégout.

La fascination de l’esprit pour la complexité n’est-elle pas parfois aussi pour lui une manière de masquer – et de biffer – la simplicité incompréhensible de ce qui se donne à voir et à sentir?

Qu’est ce que l’ambiance? On pourrait la considérer relativement à une forme de dialogue incessant, une sorte de va-et-vient permanent, qui naitrait des rapports entretenus entre un sujet et un objet. Une autre solution, une autre définition de l’ambiance pourrait trouver son origine dans une sorte de résolution entre deux phénomènes. Il y aurait d’un côté un phénomène-sujet, de l’autre un phénomène-objet, l’ambiance étant alors une forme de phénomène tiers, né de la synthèse des deux premiers. Une troisième voie définitoire, détachée des deux premières – la première, dialogique, et la deuxième, synthétique – celle suivie dans ce livre, revient à considérer l’ambiance comme un phénomène à part entière, autonome, indépendant du sujet et de l’objet. Cette hypothèse, que l’auteur nomme « autochtone », si elle n’est pas nécessairement la moins intuitive – au contraire même, on le constate dans la suite – est en tout cas celle dont la saisie logique est la moins classique. Mais pas la moins riche.

Si l’ambition contemporaine la plus noble de la philosophie est de « surmonter la séparation », de dépasser la division du moi et du monde, de penser ce qui les précède et les féconde originellement, à savoir l’appartenance, alors le phénomène de l’ambiance nous fait pénétrer dans ce fond indifférencié mais non indifférent de l’être.

S’enchâssant dans des tentatives précédentes de penser l’ambiance (la Stimmung heideggérienne, la Krasis Stoicienne, l’atmosphère de Maine de Biran, par exemple), la réflexion de Bruce Bégout reprend l’enquête là où précisément ses prédécesseurs s’étaient arrêtés. Et cela car soit l’ambiance – ou ce qui en tient lieu – est envisagée comme une sorte de décor sur lequel vient prendre appui le projet des étants (ainsi chez Heidegger pour qui la Stimmung ne vaut, épistémiquement parlant, que par l’angoisse qu’elle induit dans le Dasein), soit parce qu’elle est ramenée, via les outils qu’on met en œuvre pour en conceptualiser le process, à un dualisme qui l’exile radicalement de ce qu’elle est. Le « vague », le « brumeux », l' »atmosphérique » ne se laisse pas saisir dans le cadre habituel qui prétend réconcilier les contraires. Associer c’est toujours accorder au séparé une prééminence originelle. Et c’est bien là qu’est le premier défi : « cerner », « conceptualiser » l’ambiance ne se peut qu’à partir d’outils neufs.

Il s’agit donc de prendre la mersion pour fil conducteur, de faire de la plongée ambiancielle un type d’expérience révélateur du monde.

On ne rendra pas ici compte en détail du cheminement que poursuit l’auteur dans ce livre aussi rigoureux que subtil – et où la subtilité est d’ailleurs elle-même érigée en principe épistémique. De la critique des tentatives précédentes de définir, via d’autres sémantiques, le concept d’ambiance, à sa tentative de lui bâtir une ontologie, en passant par l’exploration des impasses dualistes, ce livre, précisément parce qu’il se centre sur ce qu’est l’ambiance, débouche sur bien plus que sur sa seule conceptualisation. Ce que permet Le concept d’ambiance, et le rend absolument déterminant, c’est de donner une assise conceptuelle solide à tous ceux qui cherchent une alternative au « tout-à-l’objectivable » réductionniste. En affirmant l’existence d’un fond tonal et en lui construisant un espace conceptuel solide, l’éco-phénoménologie de Bruce Bégout s’affirme comme l’une des expériences philosophiques les plus intéressantes actuellement. L’une des plus urgentes…

L’être ne se réduit pas au défini.

Bruce Bégout, Le concept d’ambiance, Le Seuil.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/le-concept-dambiance-de-bruce-begout/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.