« Le rosier pourpre » de Marcelle Delpastre

L’amour ne dure pas, l’amour est sans lendemain, heureux qui, dans sa jeunesse, devine cette vérité. L’amour tue. Il tue ou il meurt. Le nôtre n’avait pu nous tuer, nous étions trop lâches. Alors il était mort, dans une agonie muette, affreusement lente. Nous lui survivions.

Dans les quelques vingt-cinq nouvelles qui composent ce recueil, un homme, toujours, par jalousie, suspicion ou pour d’autres « raisons » dont on ne saura rien, est bien souvent amené à résoudre par le crime une relation amoureuse. Mais toujours l’homme en question (qui s’assimile au narrateur), comme le lecteur, sont indissolublement intriqués dans un écheveau de réalités qui ne leur permet plus de percevoir avec certitude dans lequel un acte cruel est commis. Un acte de cruauté est commis, c’est certain. Mais l’est-il en rêve, en fantasme, dans l’espace de la narration ou dans un « réel » que partageraient tous les protagonistes, lecteur inclus : le mystère n’est bien souvent éventé – quand il l’est – qu’au dernier mot…

Où trouver des germes qui ne pourrissent pas?

Profondément enracinées dans l’univers du conte, comme dans celui de l’univers rural de son auteure, ces nouvelles sont cependant très loin de n’être qu’une énième émanation de récits de genre assaisonnés à une sauce « locale ». S’il est évident que l’auteure maîtrise à la perfection les connaissances historiques et techniques de ce qu’est un conte, son objet n’est nullement de benoitement s’inscrire dans une continuité qu’elle teinterait alors d’une couleur régionale. Son extraordinaire maîtrise narrative, son sens du rythme, l’étrange originalité de ses histoires servent un projet résolument esthétique. À la cruauté raffinée, dérangeante, jubilatoire, extraordinairement inventive, tant dans ce qui donne fond au récit qu’à la forme dont l’auteur l’habille, l’œuvre surréelle (et non surréaliste) de Marcelle Delpastre s’impose parmi celle qui tranche radicalement.

Il y avait à la fois dans mes souvenirs le poids d’une inévitable nécessité et l’inconsistance d’une aventure dépourvue de sens. Malgré l’acuité sensorielle des images, malgré l’émotion qui me faisait encore trembler; à certains moments d’inquiétude et d’impatience, rien ne gardait même l’apparence de la vérité.

Marcelle Delpastre était originaire du Limousin, où elle a exploité toute sa vie une ferme et où elle est décédée en 1998, dernière habitante de son hameau. Poétesse en occitan, à l’écart des tendances littéraires de son temps, comme elle l’était aussi géographiquement des grands centres d’intérêts culturels, elle était avant tout une immense auteure, qu’il serait ô combien injuste et dommageable de réduire à sa seule composante « exotique ». Merveilleusement différente, Marcelle Delpastre a patiemment et rigoureusement bâti à la littérature une pièce adjacente à celles existantes. De celle, rares, qu’il convient d’habiter*.

Le temps passe. Je ne me sens pas seul. Je parle à des personnes qui ne sont pas. Je ne les imagine pas. Je crois naïvement qu’elles me ressemblent. J’écris. Je me rappelle des choses qui ne sont pas arrivées. J’écarte les marges de la pages comme une trame de soie, j’y crache des paquets de sève et des bouquets de sang. Un jour j’interromprai le jeu et je crierai « À moi! » comme on se réveille au milieu de la nuit pour croire qu’il est jour je lancerai un cri, un seul, mon « message personnel » au milieu des vivants. Car voici : on se crie sur la place publique à l’encan, âme de pacotille, occasion unique, cœur universel à mouvement perpétuel – mon frère humain je te tiens par la main et te dédie mes larmes, avec ce cœur de papier piqué d’une épingle en compensation de ma compassion, vingt francs le petit insigne. J’en viendrai là sans doute. Mais ce n’est pas encore le temps.

Marcelle Delpastre, Le rosier pourpre et autre nouvelles, Plaint Chant.

*le hasard fait que nous sommes quelques-uns, libraires fanatiques du Limousin et de la littérature (sous l’impulsion du meilleur d’entre nous, Andreas Lemaire, libraire génial à Angers) à nous être saisis de cette œuvre majeure. En ces temps de disette littéraire (la dite rentrée ne fait pas un plat), quoi de plus indiqué que l’œuvre de quelqu’un dont le métier consistait, bien pragmatiquement, à nourrir…

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